C'est parti pour l'année 1985, la plus importante de toutes :D Les choses sont sur le point de prendre un grand tournant, j'espère que vous êtes prêts !

Chapitre 29 : La valse des jours

Après seulement quelques jours, William avait retrouvé ses pleines capacités. Fatigué de se lamenter, il avait plutôt décidé de noyer son chagrin, et ses émotions par la même occasion, dans le travail. Néanmoins, il pouvait sentir dans l'atmosphère pesante que rien ne serait jamais plus comme avant. Lorsque ce n'était pas Scott qui le maternait comme un enfant, c'était les regards pleins de pitié ou au contraire de méfiance des clients adultes de la pizzeria qui étaient braqués sur lui. Il savait que les rumeurs allaient bon train dans son dos. Certains le pointaient du doigt pour être revenu travailler aussi vite après les deux drames qui s'étaient joués dans l'enceinte de la compagnie, d'autres au contraire admiraient son courage. La vérité était qu'il avait l'impression d'appartenir davantage aux autres qu'à lui-même. Tout le monde se préoccupait des "on-dit", mais personne n'avait l'air de s'intéresser à ce que le pauvre homme pouvait bien penser de tout ça.

Un mois après avoir repris, il avait déjà décidé de passer outre. Il n'avait ni le temps, ni l'envie de leur accorder de l'attention. Et pour cause… Maggie lui avait collé une plainte après le décès d'Elisabeth. Comme s'il n'y avait pas assez de douleur derrière l'accident, William avait été fouillé, découpé, analysé par les médias une nouvelle fois, avant que la justice plaide définitivement pour un accident, tragique, certes, mais involontaire. De toute manière, les spécialistes qui avaient demandé à voir les robots n'y connaissaient pas grand-chose. L'état de Funtime Foxy les avaient fait lever un œil, mais comme ce n'était pas explicable, l'oubli fit rapidement son travail.

Henry avait demandé à avoir un accès aux vieux robots, entreposés dans les sous-sols de William. Il avait accepté, sans trop savoir pourquoi. Depuis l'accident, leurs relations s'étaient plus ou moins apaisées. Le gérant baissait peu à peu sa garde, et en échange, l'autre faisait des efforts. Il se faisait soigner pour son alcoolisme, et se montrait d'une efficacité sans faille dans la réparation des robots. Néanmoins, dès que l'occasion se présentait, il trouvait toujours un moyen de tout gâcher en ramenant sur la table le sujet de ses recherches sur les esprits et d'à quel point il avait besoin de lui pour avancer. Le gérant finissait toujours par être proche de se laisser tenter avant de se rétracter violemment. Il fermait les yeux toutefois, au cas où il trouvait par miracle un moyen de ramener sa fille à la vie.

A côté de ça, il décida de prendre plus de recul sur l'activité nocturne de la pizzeria. Il avait décidé de laisser le plaisir de s'occuper de ça à Diana, la garde de nuit. William avait remarqué qu'elle effaçait toujours les caméras avant de partir, signe qu'elle n'avait pas trouvé d'explication logique à ce qui se passait et qu'elle ne souhaitait pas en trouver. C'était un bon point. Si elle répandait l'affaire ou pire, diffusait les vidéos des caméras de surveillance, la situation deviendrait vite hors de contrôle. William avait cependant déjà réfléchi à ce cas de figure. Accuser une jeune garde de nuit inexpérimentée de profiter du drame pour s'enrichir sur le dos de la pizzeria serait assez simple à prouver. Dans le monde de requins du business, les petits poissons se faisaient toujours manger les premiers.

En parlant de petits poissons, William ne supportait décidemment plus Jeremy Fitzgerald. Le gamin, véritable fanatique de son travail, ne le lâchait pas d'une semelle et s'arrangeait toujours pour se trouver là où le gérant ne voulait pas le trouver. Au point que ce dernier commençait à s'interroger sur ses véritables motivations à travailler ici. Cherchait-il uniquement un travail ou quelque chose de bien plus profond ? Légèrement paranoïaque, William avait tendance à le garder à l'oeil au point où ça en devenait obsessionnel. De nombreuses théories avaient déjà fait leur chemin jusqu'à sa tête, à commencer par la piste où il pouvait être au courant de tout, ou qu'il était un journaliste sous couverture. Il avait déjà fait part de ses doutes à Scott, mais son manager lui avait rit au nez, lui assurant qu'il était simplement fatigué et qu'il devrait plutôt songer à rentrer chez lui et dormir.

Les jours, puis les mois s'écoulèrent sans qu'aucun accident ne vienne perturber le quotidien du restaurant. Bien malgré lui, le drame avait augmenté la fréquentation du restaurant. Comme l'avait prévenu Scott, plusieurs fois, de petits malins s'amusaient à pénétrer l'enceinte de l'établissement de nuit, mais il suffisait généralement qu'ils tombent en tête à tête avec la Marionnette plus de cinq minutes pour les faire fuir à toutes jambes. En tout cas jusqu'à mars 1985, où le cauchemar prit des proportions encore inégalées auparavant.

Ce jour-là, un lundi ensoleillé, William arrivait en retard. Il avait passé la nuit à rédiger des rapports à droite et à gauche et s'était endormi sur le tas de dossiers. Quand il avait ouvert les yeux, il faisait jour et son réveil, dans la pièce d'à côté, sonnait sans discontinuité depuis une bonne demi-heure. Il avait mis du temps à émerger, puis s'était traîné jusqu'à la douche qui ne lui avait, pour couronner le tout, prodiguer que de l'eau glacée. Pour la troisième fois de la semaine, il n'y avait plus d'eau chaude chez lui. Il avait pourtant localisé et réparer déjà deux fois la source de la panne, et même construit un petit robot pour reserrer le boulon toutes les quinze minutes. Ces derniers temps, malheureusement, la chance ne paraissait pas lui sourire.

Il s'était jeté dans sa voiture pour rouler jusque la pizzeria, où il avait trouvé sa place de parking déjà utilisée par un quelconque abruti qui ne savait de toute évidence pas lire les plaques gravées au sol. Après avoir appelé une dépanneuse pour retirer l'envahisseur de sa place, il put finalement se garer avec un sourire satisfait, ravi d'avoir pourri la journée d'un parfait inconnu, ce qui l'avait défoulé quelque peu. Mais sa jovialité s'éteignit brutalement passé les portes du restaurant. Scott était assis derrière le comptoir, le regard vide et les mains tremblantes.

William fronça les sourcils et s'approcha. La dernière fois qu'il l'avait vu aussi apathique était lorsqu'il avait attrapé la grippe au début de l'année et que William avait été contraint de le ramener par peur qu'il fasse un malaise dans sa voiture. Le manager encaissait habituellement tout de face, mais la fatigue et la fièvre l'avaient fauché en plein vol, le contraignant à bousculer ses plans si millimétrés. Là tout de suite, le manager avait la même tête qu'à l'époque : pâle, les yeux écarquillés et les tremblements. Mais quelque chose lui disait que ce n'était cette fois pas causé par sa santé.

"Il y a un problème ? Tu verrais ta tête."

Il leva les yeux vers lui avec inquiétude, avant de se lever. Son costume était tâché de sang. William écarquilla les yeux, surpris.

"Qu'est-ce qui s'est passé ? s'alarma-t-il. Tu es blessé ? Quelqu'un t'as agressé ?

- Non… Non, chuchota-t-il. J'ai essayé de joindre Diana ce matin, mais elle n'a pas répondu. Je suis venu voir pour m'assurer qu'elle avait bien tenu son poste mais… Je… Je ne l'ai pas retrouvée dans le bureau de garde. Elle… Elle est dans la réserve derrière la scène."

Le gérant hocha la tête et prit le chemin de la salle principale. Il comprit immédiatement quel était le problème. Une grande trace rouge partait de l'entrée et glissait jusqu'aux rideaux, derrière Freddy, Chica et Bonnie, derrière laquelle elle disparaissait. La garde de nuit avait été traînée là bas, et à en juger aux empreintes de pieds, un robot avait fait le coup. Ce n'était pas la Marionnette, pour le coup, étant donné qu'elle volait et que ses pieds n'avaient pas cette forme. Oh, et puis de qui se moquait-il ? Il savait très bien que c'était l'oeuvre de Golden Freddy, de George. Le robot avait déjà témoigné par le passé de la colère qu'il éprouvait vis à vis de sa situation, ce n'était que moyennement une surprise pour William qu'il ait choisi cette voie pour exprimer son désarroi.

Le fait que la situation lui paraisse normale l'effraya plus que de raison. Ne devrait-il pas éprouver une certaine horreur, comme Scott ? Il prenait les choses avec un discernement qui ne lui ressemblait pas.

Dans un acquis de conscience, il tourna la tête vers la boîte de la Marionnette. Comme tous les matins, cette saloperie pendait du rebord, le regard tourné vers lui. La regardait-il ? Il n'en doutait pas une seconde. Charlie et George ne devaient pas rater une miette du spectacle. Etaient-ils fiers d'eux ? Ils n'étaient que des enfants, pourtant. Se pouvait-il qu'ils se soient transformés en démons ? L'idée avait déjà effleuré l'esprit de William, pendant une nuit d'insomnie, mais il avait rejeté celle-ci peu après, comme à chaque fois qu'il pensait aux théories farfelues de Henry. Quoi qu'il en soit, aucune trace de sang n'était apparente sur la poupée des enfers. Si elle avait fait ça, elle avait soigneusement maquillé ses traces. Ou l'avait-elle vraiment fait ?

Il prit une inspiration et suivit la trace de sang sur la scène. Il tira doucement le rideau avant de reculer d'un pas devant l'étendue du massacre. La pauvre femme avait été enfermée dans un des costumes de remplacements de Bonnie. Son crâne avait été enfoncé de force dans l'endosquelette, et ses yeux avaient sautés de leur orbite pour laisser la place à ceux du robot. Les éclats de sang témoignaient de la violence de la scène. Il y en avait sur le sol, sur le mur et sur l'arrière des rideaux. A côté de la victime, Golden Freddy. Ses mains et ses pieds étaient couverts de sang, et il tenait quelque chose dans sa main que William identifia rapidement comme le coeur de Diana, qui était censé se trouver dans sa poitrine et n'aurait jamais dû la quitter. S'il y avait encore un doute sur l'identité du coupable, au moins, il avait été écarté.

Scott avança dans la salle, les jambes tremblantes. Il évita soigneusement le sang et le cadavre du regard pour se tournait vers William. Il l'avait déjà presque oublié.

"Qu'est-ce qu'on fait ? demanda la manager. Il faut appeler la police… Ou les urgences…

- Et qu'est-ce qu'on va encore leur dire ? S'ils l'apprennent, on ferme définitivement. Elle avait de la famille ?"

Choqué par la question, Scott cligna plusieurs fois des yeux pour être sûr d'avoir correctement entendu.

"William, on… On ne peut pas cacher le corps !

- Et qu'est-ce que tu veux faire d'autre ? Une autre affaire dans le genre ne passera pas inaperçu dans les médias. Ce coup-ci, on est fini. Et puis, comment tu veux expliquer ce qui s'est passé ? Tu as regardé les caméras ?

- Oui… C'est… C'est l'ours qui l'a traîné, mais… Il y avait forcément quelqu'un dans le costume, non ? Il… Il ne peut pas marcher tout seul. Pas comme… Elle, dit-il sombrement en pointant la Marionnette de la tête. William… Est-ce que tu sais pourquoi les robots se déplacent la nuit ? demanda-t-il avec suspicion.

- J'en sais rien, mentit-il à moitié. C'est… C'est un truc qu'ils font depuis le début. Et ça empire, comme tu as pu le voir au Circus Baby's World.

- Tu penses que ces histoires de fantômes sont vraies ? Parce que… Moi, je commence à le croire, avoua-t-il d'une voix blanche."

La porte du restaurant s'ouvrit sur Henry. Il avança jusqu'à la salle principale et se figea net en découvrant le spectacle du jour. William lui adressa un regard accusateur, mais il leva les mains en l'air.

"C'est… La garde de nuit ? demanda-t-il, incertain.

- Oui, répondit William. On… On cherche quoi en faire.

- Il faut balancer le corps, dit-il sans aucune hésitation. Si les flics l'apprennent, le restaurant est foutu pour de bon. Et je sais pas vous, mais j'ai besoin de ce travail.

- Je ne sais pas… soupira Scott. Je… Je ne sais pas si c'est la bonne chose à faire… Si elle est retrouvée, on va forcément être accusés…

- J'ai peut-être une solution, pour masquer les dégâts à cause du robot."

William se mordit la lèvre et tourna le regard vers Scott, toujours dans tous ces états. Serait-il capable de rester dans la confidence ? Il avait confiance en Henry, pour faire disparaître le corps, mais pour le reste ? Il eut l'impression de se voir cinq ans auparavant, le corps de cette gamine dans les bras. Le temps passait si vite. A quel point avait-il changé pour décider aussi froidement d'en faire de même pour la garde de nuit ? Il serra les poings, légèrement effrayé par sa propre froideur. Peut-être, songea-t-il sombrement, y avait-il un point où le cerveau, soumis à l'inexplicable et à l'horreur, finissait tout simplement par l'accepter ? Il garda le silence pendant un moment, avant de tourner la tête vers Scott. Le manager avait les yeux rivés sur le corps, mais le roboticien pouvait lire son cheminement réflexif dans son regard.

"Si… Si on le fait, vous êtes sûrs de ne laisser aucune trace ?

- Certain, approuva froidement Henry. Je peux m'en occuper. Gardez juste le gamin et le cuistot à l'écart. Il vaut mieux que ça reste entre nous trois.

- Tu parlais d'un plan ? demanda William.

- J'ai besoin d'une scie, dit-il avec un sourire beaucoup trop dérangeant."

Alors que Scott s'éloignait pour noyer son trouble dans son bureau, William échangea une œillade inquiète avec Henry. Il prenait la chose trop facilement, et la disparition de la garde de nuit arrangeait bien ses plans. Se pouvait-il qu'il soit une fois de plus responsable du meurtre ? Il ne savait pas. Il ne savait plus. En tout cas, cela réglait le problème de l'ébruitage de leur activité nocturne. Il se gifla mentalement pour seulement trouver dans cette disparition de quoi se réconforter. Il avait besoin de réfléchir à tout ça.

"Je… Je vais te chercher ça, dit-il d'une voix moins assurée. Je reviens."