L'après-midi touchait à sa fin quand Kanon rentra ce soir-là. Il avait encore passé sa journée avec Sorrento à s'occuper de divers documents, tous devant sans cesse être modifié pour convenir à une exigence divine. Kanon avait hâte de retourner au Sanctuaire Terrestre. Là-bas, sa vie était beaucoup plus calme.
Il poussa la porte de son appartement. Comme souvent, son salon était occupé. Baian était installé dans le canapé, un livre à la main. La table basse débordait de plateaux de jeux de sociétés et autres feutres et la télé était figé sur l'image d'un dessin animé populaire. À côte de Baian, Eraste dormait profondément, affalé sur l'accoudoir.
Kanon sentit son cœur chauffer en voyant son fils endormit ainsi. Silencieusement, il s'installa dans un fauteuil.
« Merci de l'avoir gardé. »
Baian hocha simplement la tête. Il tourna une page. Un silence tranquille prit place. Kanon resta à regarder Eraste dormir, Baian resta à lire.
Puis, il ferma son livre et se tourna vers son confrère. Il avait du mal à le considérer comme ça, même s'il avait été réhabilité. Sa trahison lui restait encore en travers de la gorge. Malgré ça, il se força à prendre une profonde inspiration et à demander.
« Tu comptes faire quelque chose pour Noël ? »
Kanon ne détourna pas ses yeux de son fils. Noël. C'était la semaine prochaine.
« Je vais le fêter avec Eraste. »
Baian hocha la tête.
« Avec les autres, on le fête ensemble, comme avant… Avant tout ça. On se disait que vous pourriez peut-être venir, tous les deux. »
Kanon tourna un regard surpris sur le plus jeune. Oh, il se doutait bien que les marinas n'avaient pas perdu cette tradition, même après la guerre. Ils passaient les fêtes ensemble depuis leur première année au Sanctuaire Sous-marin, ça aurait été étonnant qu'ils arrêtent. Pourtant, Kanon n'aurait pas cru être réinvité. Surtout pas si peu de temps après leur réincarnation. Il était certain qu'Eraste avait joué un rôle important là-dedans.
Kanon hocha la tête à son tour.
« Oui, c'est pas une mauvaise idée. Au même endroit que d'habitude ?
- Ouais. »
Kanon hocha encore la tête. Il se leva, prit Eraste dans ses bras et partie en direction de la chambre. Avant de passer la porte, il lança.
« On sera là. »
XxX
Une semaine plus tard, comme convenu, Kanon et Eraste se tenaient devant l'une des salles du temple de Poséidon. C'était la même où avait eut lieu chaque Noël entre les généraux, même avant qu'ils obtiennent tous leur armure. À l'époque, Kanon avait choisit cette salle simplement parce qu'elle était spacieuse et que les fenêtres offraient une vue imprenable sur les océans. Peut-être aussi un peu parce qu'il aimait l'idée de s'approprier le temple d'un Dieu.
Enfin, le temple de Poséidon n'était pas aussi fermé que pouvait l'être celui d'Athéna. Non seulement il était beaucoup plus grand, mais il y avait aussi beaucoup plus de personnes qui y vivaient. Ne serait-ce que les généraux.
Un instant, il se souvint de la dernière fois qu'il était entré dans cette pièce. Le dernier Noël qu'il ait fêté. Le seul avec Poséidon aussi. Serait-il présent aujourd'hui ? Kanon espérait que non, il ne saurait pas comment se comporter.
À côté de lui, Eraste trépignait d'impatience. Pour l'occasion, il portait un pull à pompon rouge qu'il mettait pour la première fois. Comme d'habitude, il serait ses peluches contre lui, sa main dans celle de sa mère.
En le regardant, Kanon prit son courage à deux mains et toqua à la porte. Quelques instants plus tard, celle-ci s'ouvrit sur Krishna. D'un mouvement de la tête, il les invita à entrer avant de refermer derrière eux. Tous les généraux étaient déjà présent, mais ce que surprit véritablement Kanon, ce fut la disposition de la salle. Elle n'avait pas changé.
Les premières années, ils fêtaient le réveillon installés sur des tas de coussins et de plaids. Ils prenaient des choses faciles à manger et passaient la soirée à se détendre tous ensemble. Avec le temps, ils avaient ajoutés des poufs, des fauteuils, une télé. Ils avaient des petites décorations çà et là, mais le reste de la salle était resté vide, exceptée pour un coin où ils avaient prit l'habitude d'entasser leurs cadeaux. Cette années encore, une jolie pile s'y trouvait. Kanon était passé la veille poser ses paquets, comme autrefois, mais dans l'obscurité il n'avait pas vu que rien n'avait changé.
Il ne pouvait retenir les souvenirs qui affluaient dans sa mémoire par ce simple fait. Il revoyait chacun des hommes présents quand ils n'étaient encore que des enfants parlant à peine grecque. Des enfants à qui Kanon avait tout appris. Des enfants pour qui il avait été un grand frère énervant. Des enfants qui étaient devenu des adultes. Des adultes qu'il avait trahis.
Une boule se forma dans sa gorge.
Au même moment, Eraste se précipita vers la pile de cadeau et pointa l'un des paquets.
« Il est géant ! »
Effectivement, le cadeau qu'il montrait était bien le plus grand, et de loin. Il était même plus grand que Kanon.
Kanon inspira profondément. Cette intervention avait eut le mérite de lui remettre les pieds sur terre. Il ne pouvait pas changer le passé, tout ce qu'il pouvait faire, c'était apprendre de ses erreurs.
Étonnement, la soirée se passa bien. On était loin des fêtes des années précédentes mais on était aussi très loin d'une ambiance gênée avec un silence glaçant. Les discussions allaient bon train et sans surprise, Eraste s'ennuya rapidement. Les histoires d'adultes, c'était pas pour lui. Il alla se nicher entre les jambes de Kanon, lui même assit sur les plaids avec le dos calé contre le canapé, et se mit à jouer avec ses deux peluches. Discrètement, pour ne pas déranger les grandes personnes, il agita ses peluches. Il mit vie aux histoires qui habitaient son imagination.
De temps en temps, il picorait un peu de ce qui se trouvait à sa porté, il ne voulait pas quitter sa maman. Il avait peur qu'il parte encore s'il le faisait. Lui et papa avaient toujours trop de travail. Ce serait tellement bien s'ils pouvaient juste vivre tous ensemble dans une grande maison. Oh, et avec un jardin, un super grand ! Et y aurait aussi un bassin pour avoir des poissons. Et leur maison serait tellement grande que tous ses tontons, ses tatas et ses papis pourraient venir vivre avec eux. Et y aurait plus de guerre. Et papa et maman auraient plus de travail. Et tout le monde serait content.
Ses yeux s'accrochèrent à sa peluche de wyverne. Papa lui manquait beaucoup. La dernière fois qu'Eraste l'avait vu, lui et maman se disputaient. Il les avait écouté, caché derrière la porte. Il les avait entendu crier, hurler. Et quand maman était sorti, il avait les larmes plein les yeux, et papa avait la marque d'une main sur la joue.
Eraste n'avait pas bien compris ce qui s'était passé. Maman l'avait confié à tonton Valentine pour quelques jours. Et maintenant ça faisait des mois qu'il n'avait pas vu papa. Maman ne parlait même pas de lui. C'était vraiment une si grosse dispute ?
Eraste voudrait aider mais maman n'avait pas l'air de vouloir voir papa. Il voulait demander pourquoi mais il connaissait maman. Il lui dirait que c'était compliqué, que c'était des histoires d'adultes. Papa ne faisait pas ça lui. Quand Eraste posait une question, il lui disait la vérité, même s'il ne comprenait pas tout.
Alors qu'il sentait qu'il risquait de pleurer, il se ressaisit. Il était le fils de papa et maman. Il devait être fort, comme eux. Il ne devait pas perdre espoir. Papa et maman allaient se réconcilier.
Puis maman lui dit qu'on allait bientôt ouvrir les cadeaux et sa bonne humeur refit complètement surface.
XxX
Cette nuit-là, Kanon eut bien du mal à mettre Eraste au lit. Sans surprise, il avait été gâté par tout le monde. Des peluches, des jouets, des livres, des pots de pâtes à modeler et même un kit de peinture. Kanon savait déjà que son fils était la coqueluche du Sanctuaire, et ce soir le lui avait prouvé. Eraste n'avait pas arrêter de courir, de sauter dans les bras de ses oncles, de montrer ses cadeaux à tout le monde.
En parlant de cadeaux, Kanon avait été heureux que les siens soient accepté. Ça aurait pu ne pas être le cas. Heureusement, tout c'était bien passé.
Baian avait passé le reste de la soirée collé à Krishna, leurs mains enlacés, après le présent qu'il avait reçu, deux billets pour un voyage au Canada. Il ne faisait aucun doute que ces deux-là partiraient bientôt profiter de leur vacances en amoureux.
Mais s'il y avait bien un cadeau qui avait surpris, c'était celui de Poséidon. Pas que le dieu n'ai fait qu'un seul cadeau, il avait prévu des présents pour chacun de ses marinas – Kanon exclus – et également pour Eraste.
Le petit avait été hésitant devant l'énorme paquet, celui qu'il avait remarqué en arrivant. Mais l'excitation avait finit par l'emporté et il s'était jeté sur l'emballage, pour découvrir ensuite que le cadeau était bien plus grand. En effet, enroulé dans un sacré stock de plastique, se trouvait une peluche représentant un authentique léviathan grandeur nature.
Kanon s'était sentit misérable avec son nounours à côté.
Si Eraste avait été autant enthousiasmé par chacun de ses cadeaux, bon, le léviathan avait peut-être bien fait une très forte impression au garçon, il avait été terriblement déçu d'apprendre que pour ce soir, les présents resteraient dans la pièce où ils avaient été ouvert. Il avait fallu la promesse de revenir demain à la première heure pour qu'il se calme et accepte de rentrer et d'aller dormir.
Kanon s'allongea à côté de son fils et ne tarda pas à s'endormir, serein. Il avait craint bien pire comme Noël.
XxX
Le reste de l'année fila à une vitesse vertigineuse. Kanon ne remarqua même pas le changement d'année. Il ne l'avait réalisé qu'au matin, quand Eraste, encore plus énergique que d'habitude, s'était écrié.
« Bonne année Maman ! »
Kanon cligna un peu des yeux. Il s'était levé un quart d'heure plus tôt et n'avait même pas fini sa première tasse de café. Il resta encore immobile quelques instants puis il s'approcha d'Eraste et lui ébouriffa les cheveux plus qu'ils ne l'étaient déjà.
« Bonne année à toi aussi. »
Eraste passa ensuite tout son petit déjeuner à jacasser gaiement. Il renversa un peu de son chocolat chaud hors de son bol et postillonna des miettes de pain un peu partout mais pour cette fois, Kanon laissa couler. Il le reprendrait si ça se reproduisait. En attendant, il pouvait bien laisser plus de tranquillité à son fils un ou deux jours dans l'année.
Puis, alors qu'il déposait ses couverts sales dans l'évier, Eraste eut l'air d'avoir une illumination.
« J'ai pas encore remercié Papi pour le doudou ! »
Kanon tiqua entendant l'appellation de Poséidon. Puis il se rappela de ce qui s'était passé peu de temps après leur arrivée et de comment Eraste n'avait plus mentionné son « papi ».
« Tu veux le voir maintenant ? »
Eraste se tourna vers sa mère. Il avait le visage plissé dans une moue concentrée. Il prit le temps d'organiser ses pensées.
« Je crois qu'il était juste pas de très bonne humeur quand je suis allé le voir. Peut-être à cause du travail… Personne aime le travail. Mais maintenant je dois aller le remercier pour mon cadeau ! S'il m'en a offert un, c'est qu'il est plus fâché ! »
Kanon admirait cette façon de penser si simple et si vide de mauvais sentiment. Il ne croyait pas que Poséidon ait juste été de mauvaise humeur ce jour-là. Il pensait plutôt qu'il avait vu Eraste comme la nouvelle arme de Kanon. Une arme d'autant plus dangereuse qu'elle paraissait parfaitement inoffensive.
Pourtant, en voyant le regard d'Eraste, il ne put se résoudre à lui interdire de revoir le dieu. Mais il l'accompagnerait et resterait là pendant la rencontre. Il ne prendrait aucun risque.
XxX
Les jardins sous-marins avaient toujours semblaient plus beux à K anon que ceux de la surface. Sûrement était-ce lié au temps qu'il avait passé ici ou à condition qui avait été bien meilleure ici bas. L'un ou l'autre, ça ne changeait rien à l'apaisement que lui procurait les balades et les rondes au milieu des jardins. Même maintenant, même sachant tout ce qu'il avait fait, il ressentait la même sérénité.
« Maman, on est encore loin ?
- Non, on y est presque. »
Eraste avait raison de trouvé le temps long, depuis leur départ Kanon traînait les pieds. Il faisait son maximum pour repousser le moment où il devrait se présenter face à Poséidon, qui les avait fait demandé.
Quand Kanon avait prévenu Eraste, l'enfant avait légèrement fait la moue, parce qu'aller voir son papi voulait dire abandonner son puzzle sur lequel il s'arrachait les cheveux depuis Noël, mais il avait rapidement accepté de suivre Kanon, bien plus serein que sa mère.
Quand l'arche de coraux marquand l'entrée dans les jardins de Poséidon fut en vu, Kanon ressera sa prise sur la main d'Eraste. Il appréhendait cette rencontre. Il ne savait absolument pas dans quel état d'esprit serait la divité et ne pas savoir l'empêcher de prévoir et d'ajuster son comportement en conséquence. Il avançait à l'aveugle et, bien que ce soit quelque chose qu'il n'ai jamais vraiment apprécier, il arrivait en général à s'en accoutumer. Sauf qu'aujourd'hui, il n'était pas question de lui, mais d'Eraste.
Encore quelques mètres et ils firent face à une table mise pour quatre et à Poséidon et Sorrento déjà attablé.
En les voyant, Eraste lâcha la main de Kanon et couru s'installer avec eux.
Un instant, Kanon resta figer, puis il le suivit. Il s'assit à côté de lui, le dos rigide et ses mains sagement posé sur ses genoux. L'atmosphère était lourde, chargé d'énergie alors que Poséidon et Kanon se fixait.
Cependant, Eraste ne le remarqua pas. Il tapota le bras de Kanon et pointa un des gâteaux sur la table du doigt.
« Je peux en avoir ? »
Kanon se força à se détendre, seulement en apparence, et répondit.
« C'est pas à moi que tu dois demander, mais au Seigneur Poséidon »
Eraste hocha sagement la tête. Il se tourna vers le dieu et reposa sa question. Poséidon cessa de fixer Kanon et sourit en répondant à l'enfant.
« Bien sûr. C'est pour toi que je les ai fait faire. »
Alors Kanon servit une part à Eraste mais la tension ne s'était pas dissiper. Difficile aussi, vu comment la dernière rencontre entre Poséidon et Eraste s'était fini.
Pendant qu'Eraste mangeait, Poséidon déclara.
« Jje reconnais que je t'ai mal juger, lorsque tu es revenu parmis nous. »
Le dieu venait de mettre les pieds dans le plat. Kanon ne s'y attendait pas, ou du moins pas si vite. Il pensait qu'ils tourneraient tous les deux autour du pot jusqu'à ce que l'un d'eux craque. Pourtant, Kanon reconnait l'effort que faisait le dieu, aussi se força-t-il à ravaler une remarque cynique et à répondre calmement.
« C'est compréhensible, vous aviez de bonnes raisons pour. »
Pourtant en disant ces mots, le regard de Kanon était des plus froids. Car s'il pardonnait que Poséidon ai douter de lui - qui ne l'aurait pas fait ? - il n'acceptait pas ce qu'avait subit son fils.
« Quand bien même, mon comportement n'était pas approprié. »
Kanon attendit quelques secondes, attendant des excuses, mais le dieu n'ajouta rien d'autre. Il se contenta de caler sa tête dans le creux de sa main et de regarder Eraste.
Sous la table, Kanon sera le poing. Puis, décidant que si Poséidon refusait de faire un effort, il pouvait bien faire ce qu'il voulait, il ébourrifa les cheveux d'Eraste et déclara.
« Au fait, Eraste, je viens d'y penser, mais tu n'as pas revu ton papi depuis Noël ? »
Eraste, la bouche pleine, hocha la tête. De l'autre côté de la table, Poséidon s'était brusquement tendu à la mention du "papi"et Sorrento avait enfin détacher ses yeux de son thé pour les braquer sur Kanon.
« Donc tu n'as pas encore pu le remercier pour les cadeaux qu'il t'a offert ? Tu devrais le faire maintenant. »
Eraste avala sa bouchée et hocha la tête en de grands mouvements, enchanté par l'idée.
« Merci pour les cadeaux, papi ! »
Un instant, Poséidon et Sorrente semblèrent sur le point de recracher leur thé mais tout deux se reprirent avant que l'enfant ne puisse remarquer leur trouble. Mais Poséidon ne s'excusait toujours pas, alors Kanon poussa le bouchon un peu plus loin.
« Tu sais que ton papi est désolé pour ce qui s'est passé la dernière fois. »
A nouveau, Eraste hocha la tête.
« Et tu sais… Tu veux que je te dise un secret ?»
Encore un hochement de tête. Alors Kanon ouvrit la bouche mais avant de pouvoir dire quoi que ce soit, Poséidon l'arrêta.
« A quoi est-ce que tu joues ? »
Kanon haussa simplement un sourcil, ne se tournant qu'à moitié vers la divinité.
« Moi ? A rien, je ne fait qu'enrichir la culture de mon fils.»
Poséidon fronça les sourcils d'une façon qui rendait très clair ses pensées au sujet de Kanon.
« Nous savons tous les deux que ce n'est pas le cas.
- Ah bon ? Alors pourquoi sommes nous là ? »
Poséidon fronça davantage les sourcils.
« Tu sais très bien pourquoi.
- Je crains que non. »
Il était trop entreprenant et il le savait mais c'était plus fort que lui. Il refusait de faire comme si rien ne s'était passé alors qu'Eraste avait passé des nuits entières à pleurer et à demander ce qu'il avait fait de mal alors qu'il n'était en rien responsable. Si ç'avait été lui à sa place, il se serait déjà couché et jouerait le jeu de Poséidon. Mais non, pas cette fois.
Poséidon fronça encore plus les sourcils, tant et tant que Kanon crut que son visage resterait bloqué dans cette expression fripée.
Entre eux, Sorrento jetait un regard mauvais à Kanon et Eraste raclait consciencieusement tout le glaçage encore présent dans le fond de son assiette.
C'était à celui qui craquerait le premier et Kanon avait beaucoup à perdre dans ce jeu là. S'il montait Poséidon contre lui, il pouvait être sûr qu'Athéna en entendrait parler et que son Écaille lui serait reprise sur le champ. Pourtant, il était hors de question de lâcher l'affaire.
Finalement, Poséidon soupira.
« Je reconnais avoir eu tort. »
Ce n'était pas des excuses, pas tout à fait, mais c'était tout ce que Kanon pouvait espérer obtenir. Il ferma les yeux un instant, ravala son orgueil et fit à son tour une concession.
« Vous êtes pardonné. »
Non que Poséidon ait besoin du pardon d'un mortel, il s'agissait plutôt d'une convention, un simulacre de politesse nécessaire que tous devait respecter. Une mascarade à laquelle Kanon s'était habitué mais qui ne le satisfaisait jamais pleinement. Mais tant pis, tel était le prix d'une vie aux côtés d'un dieu.
Il se tourna ensuite vers Eraste, qui avait quasiment léché son assiette, et changea de sujet.
« Et si tu nous racontais ce que tu as fait avec tonton Baian l'autre jour ? »
Eraste hocha la tête et se mit à débiter des phrases les unes après les autres, entrecoupées uniquement par quelques gorgées de jus de pomme.
XXX
Quelques jours plus tard, Eraste reprenait son entraînement, avec son papi. Honnêtement, Kanon trouvait ça beaucoup trop marrant de penser d'une divinité d'une telle façon, alors il avait décidé de se référer à lui comme ça le plus souvent possible, si en plus Poséidon pouvait l'entendre, il était au paradis.
Quand Eraste rentra ce soir là, il était épuisé mais aussi surexcité. Il s'endormait sur son repas mais n'arrêtait pas de parler. Au point où sa voix finit par baisser jusqu'à ce que Kanon ne puisse plus comprendre ce qu'il disait.
Au moins, la journée avait été bonne.
XxX
Eraste se baladait dans le Sanctuaire Sous-marin. Il n'y avait personne avec lui aujourd'hui, à cause d'une réunion importante. Normalement, il aurait dû rester dans sa chambre ou dans le salon de chez lui mais il avait fini par s'ennuyer.
Il n'allait pas vagabonder longtemps, ni même très loin, alors maman ne devrait pas trop s'inquiéter. S'il rentrait avant l'heure du goûter en tout cas. Et il ne comptait pas rentrer après.
Il faisait le tour des salles du grand temple de Poséidon. Il adorait l'explorer. Il y avait tellement d'endroits qu'il ne connaissait pas. Mais aujourd'hui, plus que de l'exploration, il cherchait la salle des armures. Il savait que les armures des sept généraux étaient normalement rangé dans la même pièce, sauf si elles étaient appelé.
Oh, d'ailleurs, les marinas ne les portaient pas pour les réunions ? Eraste ne savait plus. Il trouvait ça exagéré de les mettre juste pour parler mais il était presque certain d'avoir déjà vu maman ou papa porter la leur pour ces mêmes réunions. Hum. Il verrait bien.
Il tourna à droite au prochain croisement et ouvrit la première salle à sa gauche. La salle de musique. Il ne savait même pas qu'il y en avait une. Il entra en refermant la porte derrière lui et observa les instruments. Il n'avait aucune idée de comment en jouer, que ce soit du violon, de la guitare ou même du piano.
Il s'installa devant le piano. C'était papa qui en jouait. Pas très souvent parce qu'il était souvent occupé mais très bien.
Eraste se souvenait vaguement de mélodies que son papa jouait quand il était bébé. On lui avait dit qu'il n'y avait que ça pour le faire dormir quand il ne le voulait pas.
Eraste posa ses peluches sur le piano et posa ses doigts sur les touches. Il les bougea comme son papa mais le son produit n'avait absolument rien à voir. Sans s'en soucier, il continua à presser les touches les unes après les autres.
Puis son esprit se mit à faire défiler devant ses yeux des souvenirs de son papa assit au piano et en jouant gracieusement. Parfois il était seul, parfois accompagné. Parfois il jouait calmement, parfois passionnément.
Puis il se tourna vers là où Eraste s'était tenu, presque un an plus tôt. Il haussa un sourcil et fit un mouvement de la tête pour l'inviter.
« Tu veux apprendre ? »
Eraste l'avait vite rejoint et ils avaient passé l'heure suivante ensemble. Et puis maman était arrivé, les avait prit en photo discrètement et les avait appelé pour aller manger.
Ce jour-là, c'était la première fois qu'Eraste jouait du piano. Ça remontait à si loin qu'il n'arrivait pas à se souvenir de quelle touche faisait quel son.
Dès le lendemain, papa et maman avaient eut beaucoup de travail et il était allé avec tonton Valentine.
Moins d'une semaine après, ses parents se disputaient pour la dernière fois.
Il n'avait plus revu papa. Maman n'avait plus parler de papa. Personne n'avait plus parler de papa.
Il lui manquait. Il lui manquait beaucoup. Jamais Eraste n'avait été séparé de lui aussi longtemps.
Il se mit à pleurer. Il renifla. Puis quand les sanglots se firent trop forts, les pleurs trop violents, il croisa ses bras sur le clavier du piano, produisant un son désaccordé, et y enfouit son visage.
Il voulait son papa ! Il voulait le prendre dans ses bras ! Il voulait que lui et maman se réconcilient ! Il voulait qu'ils retournent vivre tous ensemble !
Il voulait que tout le monde arrête de faire comme si son papa n'existait pas !
Il resta affalé sur les touches à pleurer longtemps. Il manqua l'heure du goûter et Kanon ne le retrouva qu'un long moment plus tard. Il passa la soirée à essayer de calmer son fils, en vain.
XxX
Arriva le jour où Kanon et Eraste durent rentrer au Sanctuaire d'Athéna, à la mi-février. Pour Kanon, ça avait un goût étrange. Il avait vécu six mois sous la mer en était véritablement le parent d'Eraste. Il ne s'imaginait pas revenir à le surface pour la cacher à nouveau, c'était absolument hors de question. Mais d'un autre côté, Eraste était parfaitement intégré au Sanctuaire Sous-marin, alors qu'il n'était pas censé exister à la surface.
En plus, Eraste n'était pas censé connaître beaucoup de personne là-bas non plus. Enfin, Kanon avait depuis longtemps mit ses incohérences dans un coin de son esprit. Eraste était son fils et il connaissait les gens de son entourage. Malheureusement, la réciproque n'était pas vraie.
Kanon craignait la réaction des ses pairs, qu'on lui demande de donner des explications pu des informations qu'il n'avait pas. Ne serait-ce que l'âge d'Eraste ! Il avait apprit sa date d'anniversaire au cours d'une discussion mais pas son âge. Et il n'osait pas demander. Eraste l'avait déjà bien réprimander quand il s'était trompé de jour – pas de mois, mais ce n'était qu'un coup de chance – et il ne tenait pas à retenter l'expérience.
Enfin, tout ça pour dire que ça lui faisait bizarre de revenir dans son Sanctuaire. Quoi que… Maintenant, on pouvait légitimement dire qu'il en avait deux ? Urgh, il préférait encore ne pas se prendre la tête là-dessus.
Le jour J, il prit donc le sac contenant ses vêtements et ceux d'Eraste, ceux qu'ils ne laissaient pas sur place, et le sac, largement plus gros, contenant les affaires d'Eraste ; ses jouets, ses peluches, ses cahiers de coloriage. Même en laissant il se retrouvait avec un bagage presque trois fois plus gros que l'autre.
Il bénissait le temps où Eraste n'avait que peu d'affaires.
Puis ce fut le moment des aux revoirs près du Cap Sounion. Kanon se contenta de salutations polies, Eraste fit un câlin à tout le monde, s'attardant particulièrement sur Baian et Io. Il retourna ensuite aux côtés de Kanon et glissa une main dans la sienne. Avant de partir, il se retourna encore quelques fois pour faire de grands signes du bras.
Puis ils passèrent et arrivèrent au Sanctuaire. Pour les accueillir, Shion et Athéna. Isaak aussi était là, sur le départ. En les voyant, il dévisagea Eraste, hocha sèchement la tête vers Kanon puis avança et rejoignit son Sanctuaire.
Kanon s'agenouilla devant ses supérieurs, Eraste droit comme un i. Kanon avait déjà vu ça la dernière fois, le blond avait l'air sacrément intimidé par la déesse.
Quelques salutations d'usage, un rendez-vous avec Shion aussi tôt que possible pour faire son rapport et il pouvait partir vers les temples.
Un étrange stress prit possession de lui. Rien de trop envahissant mais quand même désagréable. Il n'avait plus croisé les chevaliers d'ors depuis presque un an. Ses relations avec eux s'étaient elles ternis ? Normalement non, vu qu'il n'avait pas fait parler de lui en mal, mais il ne pouvait en être sûr.
En arrivant au abord du premier temple, sa main se resserra autour de celle d'Eraste. Même si l'accueil n'était pas chaleureux, il refusait qu'Eraste soit rejeté par sa faute.
À l'extérieur, Mü descendait les marches. Il s'arrêta un instant en les voyant, ses yeux fixés sur Eraste. Ce dernier se contenta de faire un signe de la main au chevalier alors qu'ils le dépassaient. Kanon sentit de par son cosmos qu'il resta un long moment sur cette marche.
Au temple suivant, Aldébaran était absent. Kanon en profita pour passer.
Il espérait que Saga serait aussi absent. Ça risquait d'être compliqué de lui expliqué qui était Eraste. Mais honnêtement, Kanon doutait que ce soit le cas.
Quelques minutes plus tard, ils arrivaient devant la porte des appartements des gémeaux. Saga était à l'intérieur, Kanon sentait son cosmos.
Kanon déglutit avant d'ouvrir la porte.
Il n'avait pas vu Saga depuis presque un an. Et il revenait avec un enfant. Il espérait que ça se passerait bien.
En entendant la porte s'ouvrir, Saga, alors assit sur la canapé du salon, se leva pour aller voir. Il se doutait bien de l'identité de son invité, aussi marcha-t-il plus vite que d'habitude.
Puis il se figea. Dans l'entrée, il y avait bien Kanon. Les cheveux un peu plus décoloré que la dernière fois, un peu plus long aussi. L'air plus serein également. Et le tenant par la main, un enfant. Sa copie conforme, au point où Saga revit Kanon quand il n'était encore qu'un petit garçon. Sauf que ce petit garçon était blond, et bien plus souriant.
Les yeux de Saga se fixèrent dans ceux de Kanon.
« Tu peux m'expliquer ? »
Kanon eut l'air embarrassé.
« Oui, oui. Laisse moi quelques minutes. »
Et Saga les lui laissa. Il regarda, comme dans un état second, Kanon déposer ses affaires dans sa chambre et mettre l'enfant au lit pour sa sieste. Un enfant qui l'appelait « maman ». Mais combien d'épisode avait-il manqué au juste ?
Puis, Kanon et lui s'installèrent dans la cuisine, chacun une tasse de café dans les mains. Le silence s'étira et Saga le brisa quand il devint trop long.
« Alors ? »
Kanon prit une gorgée de sa boisson, le regard fuyant.
« C'est compliqué. Je… Je vois même pas par où commencer.
- Peut-être par qui est cet enfant ? »
Kanon ouvrit la bouche sans parler. Il la referma. S'humidifia les lèvres. Soupira.
« C'est Eraste, mon fils. »
Son fils. Saga cligna des yeux. Pourquoi n'avait-il pas été mis au courant ? Pendant la guerre, Saga comprenait, ça n'avait pas été le bon moment pour en parler. Mais après ? Avant que Kanon aille de mission longue en mission longue, ils avaient passé des mois ensemble, à vivre dans le même temple !
« … Comment ? »
À nouveau, Kanon évitait le contact visuel.
« C'est une longue histoire, s'il te plaît ne m'interromps pas. (Il attendit que Saga acquiesce pour continuer.) J'ai apprit son existence il y a un peu moins d'un an. Deathmask l'a trouvé au Yomotsu. On ne sait pas ce qu'il faisait là mais il me ressemblait, il appelait Shion « papi », il m'appelait « maman ». Shion a décidé de le garder sous observation. C'est pour ça que je ne suis pas revenu, pour veiller sur lui. Il est venu avec moi au Sanctuaire Sous-marin. (Kanon marqua une pose.) D'après lui, je suis sa mère et son père c'est… Rhadamanthe. »
Saga avala son café de travers et se mit à tousser fortement. Quand il se calma, il dévisagea son frère.
« Pardon ?! »
Kanon reprit une gorgée.
« Laisse moi finir. »
Saga hocha la tête. Il n'en croyait pas ses oreilles. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?! Mais il réussit à rester silencieux malgré les milliers qui se bousculaient dans son crâne.
Kanon poursuivit.
« Je n'y croyais pas non plus. Deux hommes ne peuvent pas avoir d'enfant. Et même, la dernière fois que j'ai vu Rhadamanthe, c'était pendant la Guerre Sainte. C'était la première fois aussi d'ailleurs. Alors sa version ne tient pas. Pourtant… Pourtant il sait tellement de choses qu'il ne devrait pas ! Il a l'air de savoir tout ce que j'ai pu faire, en bien comme en mal. Quand il a vu Poséidon, il l'a appelé « papi » et il a voulu lui faire un câlin. Et il appelle tous les marinas et les chevaliers ses tontons et ses tatas. Et il est entraîner, Saga. Il est à un meilleur niveau que nos chevaliers d'argents. J'arrive pas à comprendre pourquoi il est là. Qui l'a envoyé, qui l'a crée, qui lui a mit tous ça dans le cerveau. Mais je sais qu'il est réel. Et je sais que ce qu'il ressent, l'amour qu'il nous porte à tous, c'est vrai aussi. Et je… Je tiens à lui. Vraiment. Je sais pas si quelqu'un essaie de nous envoyer une bombe à retardement ou quelque chose du genre mais je sais que jamais Eraste ne nous fera du mal. »
Il avait terminé en croisant le regard de son frère pour la première fois depuis le début de leur conversation. Et Saga vit dans ses iris que Kanon pensait sincèrement chacun des mots qu'il avait prononcé. Et qu'il aimait Eraste, exactement de la même manière qu'un parent aime son enfant.
Et Saga se retrouva muet. Il fit le tri dans ses pensées. Beaucoup de ses questions ne trouveraient visiblement pas de réponse. Il en choisit une, une première.
« Qu'est ce que tu vas faire ? »
Kanon posa sa tasse, maintenant vide, sur la table.
« Je vais le présenter aux autres, je pense.
- Et pour Rhadamanthe ? Je doute qu'Eraste accepte sa disparition s'il croit que c'est son père.
- … Je crois que… C'est mieux de lui dire que c'est fini entre nous. Ça lui fera mal mais je ne peux pas lui dire que j'ai juste combattu contre Rhadamanthe. En plus, je ne pense pas qu'il me croirait. »
Kanon jouait distraitement avec sa tasse. Saga comprenait son dilemme.
« Et s'il te rejettes ? »
Kanon se figea, arrêtant de bouger sa tasse dans ses mains. Il ne fit rien pendant quelques secondes, sa respiration se coupant même un instant.
« … Il en aurait le droit. »
Saga voyait que Kanon se forçait à dire ces mots. Il les pensait peut-être mais il ne vivrait certainement pas bien que cela se produise. Si cela devait arriver, Saga se jura d'être là pour sauver les meubles. Il ne connaissait pas assez Eraste pour savoir comment il réagirait. Peut-être que son intervention ne serait même pas nécessaire au final. Mais dans le doute, il préférait ne pas prendre de risque.
Il ne voulait pas que les ténèbres puissent à nouveau s'approcher de son frère.
