Milo !

Oh ! Putain, le con !

Son expression un peu surprise tandis qu'il bascule reste collée en surimpression sur mes rétines. Machinalement, je chope un des lézards poilus qui essaie de me sauter à la gorge et le balance sur ses copains avant de me redresser.

Bon sang ! Je me suis éclaté les gonades ! Je vais pouvoir poser ma candidature chez les Petits Chanteurs à la Croix de Bois !

Et Milo qui a dégringolé tout en bas !

Il est mort, c'est sûr ! Les deux affreux doivent ripailler, là ! J'ai plus qu'à trouver un moyen de descendre en douce et de me carapater. Je ferme les yeux deux secondes avant de jurer.

— Sale gamin !

Il m'a sauvé les miches – façon de parler – de plus d'une manière : je peux pas juste le laisser tomber ! Je balaie un des petits monstres de la main et je saute.

Banzai, comme dirait l'autre !

J'atterris entre les racines de l'arbre et m'y tapis quelques instants. Mes côtes me vouent aux gémonies et je ne peux pas vraiment leur donner tort.

Les sales bêtes se battent entre elles avec force grognements et gifles griffues. Eh ben ! Ça rigole pas chez les affreux ! En tout cas, elles sont trop occupées pour me remarquer et ce n'est pas plus mal. À croupetons, je fais le tour en croisant les doigts pour ne pas me manger une mandale perdue.

Là, je vois Milo ! Il s'est recroquevillé en position fœtale. Je le rejoins sans plus me soucier du combat des titans qui se joue à mes côtés.

— Eh !

Ses mains restent figées contre son visage, je ne peux pas voir les dégâts. Il respire par à-coup et sa peau se révèle brûlante. Il ne semble pas m'entendre, ni même être conscient de ma présence.

On n'a pas le temps de chipoter ! Mes côtes me disent d'aller me faire voir chez les grecs – nan mais sérieusement ! – et je leur réponds de déposer un préavis de grève au secrétariat et de ne pas me faire chier. Eh ! C'est qu'il pèse son poids, le Scorpion !

Bon, ok ! Il a pile vingt ans, est en pleine forme – à part quelques fractures – et n'a pas une once de graisse superflue en stock. Que du muscle d'après ce que je peux tâter. S'il n'avait pas l'air prêt à me claquer entre les pattes, j'apprécierais peut-être mais là…

En même temps, je suis loin de m'être laissé aller pendant ma période… hum… fruit de mer et crustacés. J'approche peut-être de la trentaine mais je ne me sens pas encore vieux. Un chevalier de plus de vingt-cinq ans ? Avec Saga et deux trois autres Ors, on est hors norme. Je trace dans la forêt, évite de me prendre les pieds dans les racines tordues. Tout ce qui me vient à l'esprit pour le moment, c'est de mettre le plus de distance possible entre les bestioles toutes catégories confondues et nous.

— Allez, gamin ! Crève pas maintenant !

Des bruits de course devant nous m'interrompent dans mon élan. Merde ! C'est quoi encore qui nous tombe sur le râble ? Un gars déboule des fourrés en face, manque de peu de nous percuter. Peau pâle, tignasse rouge, je l'ai déjà vu quelque part…

Ah ! Oui ! Ice cube quelque chose !

— Gemini ? articule-t-il avant de froncer les sourcils qu'il a… bifides.

C'est quoi ce délire ?

— Heu… Ouais… Verseau ?

Ses yeux ocres s'étrécissent à mon adresse. Désolé, mon pote : pas le bon jumeau ! Je sais… c'est une déception. Il ne commente pas, s'approche de moi, le regard rivé à celui que je transporte façon princesse en détresse.

— Milo, murmure-t-il.

— Il s'est pris un jet de je-sais-pas-trop-quoi dans les yeux.

Je ne précise pas de quelle matière : j'en sais foutre rien ! Le Verseau me regarde comme si j'étais un demeuré et je lui rends son coup d'œil. On peut être deux à jouer à ce petit jeu, mon vieux ! Sauf que notre Scorpion ne va probablement pas tenir le coup longtemps à ce rythme-là.

Il ne bouge pas, frissonne malgré la chaleur qu'il exsude entre mes bras. Puis, un soupir lui échappe et il devient plus lourd, ses mains glissent et sa tête bascule en arrière.

Merde ! Me fais pas ça !

Milo s'enfonce dans l'inconscience et, l'espace d'un instant, j'ai l'impression qu'il est mort. Il m'a claqué entre les doigts…

Nonnonnonnonnonnonnon ! Espèce de petit con, tu…

Son torse se soulève. À peine mais suffisamment pour briser le début de panique qui menace de couper mes moyens. Je sais même pas pourquoi je réagis comme ça.

Je ne sais pas quoi faire ! Tuer, blesser, manipuler : je suis votre homme mais sauver une vie…

Je relève la tête vers le Verseau. Je n'ai jamais vraiment su comment demander de l'aide. Je me suis toujours débrouillé tout seul. Ce que j'ai gagné, je l'ai obtenu à la force du poignet, à coup de bagout. Mais là, rien ne sort. Plus de son, ni d'image. Je me sens juste tout à coup très seul avec Milo en train de crever dans mes bras.

Il a été le premier à m'accorder sa confiance. Lorsqu'il m'a affronté à coup de Scarlett Needle, j'ai vu son regard changer. S'adoucir, presque… Il a été le premier à me considérer comme son égal.

À m'offrir une chance.

Ma rédemption.

Le Verseau ne perd pas de temps. Il se penche sur Milo, lui redresse la tête d'une main sous la nuque. Rien ne passe sur ses traits verrouillés. Il pourrait tout aussi bien examiner un ver de terre pour l'effet que ça a l'air de lui faire.

Oh bordel ! La matière colle à la peau – aux yeux ! – du gamin. Tout autour, la peau est d'un rouge presqu'agressif.

— Il y a une rivière plus bas.

— Content de le savoir.

Ice Cube laisse paraître son agacement.

— Si tu veux sauver sa vue… le sauver, il faut enlever ce… cette chose !

Ça y est ! J'additionne deux et deux !

— Montre le chemin !

Il ne discute pas et opère une volte-face. Je lui emboite le pas et zigzague entres les arbres serrés. J'entends enfin le bruit de l'eau courante et, maintenant que j'y pense, le rouquin est trempé comme une souche. Bondinet et moi avons eu droit au plongeon de la mort dans la forêt et môssieur Fesses de Glace s'est payé une petite baignade ?

Y a pas de justice, moi, je dis !

Bientôt, une rivière apparaît entre les branches. Nous déboulons sur la rive et, emporté par mon élan, je me retrouve avec de l'eau jusqu'aux cuisses. Oh ! Galère : ça caille ! Ice Cube me rejoint et nous plongeons la tête de Milo dans la flotte. J'avoue que j'ai un peu peur de le noyer sur place parce que… bon… on n'a pas survécu aux zigues de chez Hadès pour crever comme ça dans la cambrousse !

Mais non… Zyeux Rouge soutient son crâne d'une main de façon à ce que le nez du Scorpion ne passe pas sous la surface. De l'autre, il recouvre les yeux blessés et libère son cosmos.

C'est léger, à peine perceptible mais bien là !

J'ouvre la bouche pour poser une question mais quand je ramène mon regard sur le Verseau, je vois sa mâchoire crispée et la sueur qui coule sur son visage. Il tire de force sur son cosmos pour sauver son ami. La matière corrosive part par morceaux entiers mais la peau en-dessous est si gonflée que ça m'étonnerait qu'il puisse seulement ouvrir les yeux.

— C'est bon, marmonne Ice Cube.

Il titube. Mes mains sont prises, du coup, je donne de l'épaule contre lui pour le stabiliser.

— On sort tous de là ! Tu lui serviras à rien si tu te noies !

Bon… OK ! Je n'avais pas tout à fait l'intention de lui aboyer dessus. Mais l'énergie qu'il a déployée pour sauver son pote m'a secoué. Je les envie un peu tous les deux. Plus tôt, Milo m'a donné un aperçu de ce à quoi ressemble son amitié. Et à voir à quel point Fesses de Glace s'est réchauffé juste pour lui, je me demande jusqu'à quel point ce n'est que de l'amitié.

Nous regagnons tous les deux la rive. Au moins, j'ai découvert ma nouvelle vocation. Il me manque plus que le petit tonneau de rhum autour du cou. J'ai les mains pleines d'un Milo qui aura de la chance s'il revoit un jour et l'épaule occupée par un Verseau pantelant dont je ne me souviens toujours pas du nom.

Ce qui me fait penser que je lui ferais bien un sort, à ce rhum hypothétique !