Il a parlé. He's alive !

On a les références qu'on peut, hein ! C'est pas non plus comme si on avait du matériel high-tech sous l'océan. Le sel et l'humidité flinguaient les circuits électroniques aussi vite que des mafiosos dans un film de série B.

Mais en tout cas, Milo a parlé. Même si c'était pour marmotter le nom d'Ice-Cube. Bon, au moins, du coup, je n'aurai pas besoin de lui demander comment il s'appelle, c'est déjà ça.

Par contre, je commence à fatiguer et le Scorpion a replongé aussi sec dans l'inconscience. Je commence à me dire que son état n'est pas normal. Que…

Je me fige. Camus fait encore quelques pas avant de s'en rendre compte et se tourne vers moi.

— Kanon…

Y a rien comme expression sur son visage. Juste un masque de porcelaine. Pourtant, ses yeux… OK… Fesses de glace n'est peut-être pas aussi indifférent à tout que le prétend sa réputation. La rage qui brule dans ses iris me laisse d'abord sans voix.

Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

Puis, la moutarde me monte au nez.

— Oh la barbe, le glaçon ! Il va pas bien et tu le sais aussi bien que moi.

Il se fige à son tour. Il ferme les yeux un instant. Quand il les rouvre, envolée la fureur de vivre, y a plus rien, plus de vie.

Que du contrôle.

— Je sais.

Il me montre ses mains et je ne peux pas m'empêcher de grimacer devant les cloques qui recouvrent ses paumes. C'est ce qu'il a récolté au contact de la saloperie sur les yeux de Milo ?

Ah ouais... quand même.

— Milo combat le poison. Il y arrivera, c'est ce qu'il fait de mieux depuis qu'il a quatre ans.

Hein ?

Ah... ouais. Chevalier du Scorpion, tout ça, tout ça...

Je ne savais pas que Camus pouvait se montrer aussi intense sur seulement quelques mots. Il fixe son compagnon d'arme avec quelque chose comme de la colère. Elle n'est pas dirigée vers Milo, ni même contre moi. Pas vraiment en tout cas.

Ce que je lis en cet instant, c'est une ire qu'il contrôle au point que cela en semble presque douloureux.

Puis, la glace reprend la maîtrise et je me retrouve à me sentir mal à l'aise. Pour la première fois, je le vois autrement que comme un snobinard avec un bâton coincé dans le cul.

Milo commence à devenir lourd dans mes bras. Je baisse les yeux vers le pauvre visage mutilé et je serre les dents. Il a pas survécu à tout ce merdier pour en arriver là. Moi, ça ne me dérange pas de laisser ma colère apparaître et me porter.

— Et nous, on peut rien y faire, c'est ça ?

L'adrénaline masque ma fatigue et je reprends mon chemin d'un pas vif. De l'épaule, j'écarte le Verseau de ma route et je trace tout droit. Une main se referme sur mon épaule et me force à m'arrêter.

Je fais volte-face et me retrouve nez à nez avec Camus qui me fixe et me juge sans un mot.

— Quoi ? que j'aboie.

— Un abri, réplique-t-il simplement.

Il n'élève pas la voix mais il parle les dents serrées. J'énerve le pauvre glaçon. Paraît que je fais cet effet-là à pas mal de monde. Faudra bien qu'il s'y fasse ! Puis, le sens de ses paroles franchi le mur de colère qui me sépare du reste du monde. Je cligne des yeux façon hibou et il soupire d'un air blasé.

Si j'avais pas les mains déjà pleines, je te me le...

Un instant... un abri ?

Je me redresse et regarde autour de moi. Le rouquin n'a pas reculé d'un centimètre. Il se contente de désigner du doigt un point derrière moi. Il me faut un moment pour repérer ce qu'il me montre mais...

Une cabane !

À plusieurs mètres de la berge, dissimulée dans les bois, elle est presque invisible depuis notre position. Mais Mister Perfect ne l'a pas loupée, lui.

Génial. Mon frangin bis se retrouve coincé avec moi et un Milo dans les choux ! On dirait le début d'une mauvaise blague. Un français et deux grecs se réveillent dans un coin paumé, infesté de saloperie…

Ouais. À mourir de rire.

À en crever !

Camus ne daigne pas se fendre d'un commentaire et se dirige vers la cabane.

Je retire ce que j'ai dit. Fichu snobinard !

Puis, là, je me sens un peu con… parce que le fichu snobinard… ben, il écarte les branches pour me laisser passer. Bon, je sais bien que c'est pour Milo qu'il fait ça mais quand même… Ça me laisse une drôle d'impression…

J'attends le temps qu'il inspecte les lieux. Il réapparaît sur le seuil.

— Il n'y a personne.

Il s'efface pour me laisser entrer.

Y a qu'une pièce. Un lit contre un mur, une réserve de bois sec, un coin cuisine rudimentaire. Une table et deux chaises complètent le tableau. J'allonge Milo avec soulagement. Mes côtes bénissent cette fichue cahute !

De sous le sommier, Camus tire deux caisses en bois. Dans l'un, il trouve des ustensiles de cuisine et des outils. Dans l'autre, des couvertures et des draps.

Ça suffira pour le moment.

Dans un coin, deux seaux attendent sagement. L'endroit est habité. Et son occupant a l'air du genre organisé. Mais il est pas là. Tant pis pour lui.

Camus s'est agenouillé au chevet de Milo. Sa main repose sur son front et il fronce ses sourcils bifides.

— Quoi ?

— Il faut faire baisser sa fièvre.

— Ouais…

Il relève la tête et me jette un regard insistant. Bon, ça va ! J'ai compris. Je vais chercher de l'eau. J'attrape les seaux et sors d'un pas rageur. J'ai horreur d'être traité comme un larbin.

En même temps, j'imagine que je suis le mieux placé pour trimballer des trucs lourds, vu l'état des mains de Camus. C'est pas ça qui va l'empêcher d'agir. En tant que chevalier, il a connu pire.

J'imagine qu'il veut juste rester seul avec son ami quelques instants…

Je tends l'oreille en regagnant la rivière. Je n'entends ni ne vois rien.

Rien de menaçant, en tout cas.

N'empêche… Je ne traine pas.

Je commence à accuser le coup, moi aussi et je ne cracherais pas sur un peu de repos. Quand je reviens dans la cabane, Camus n'a pas perdu de temps. Il a découpé l'un des grands draps en bandes. Il n'a pas besoin de me faire un dessin, je pose mes deux seaux et on se met au travail.

Dessaper Milo est de loin la partie la plus agréable. Nan mais, c'est vrai : malgré ses blessures, il est bien foutu, le Scorpion. De longs muscles sinueux et solides, la peau mate d'un corps habitué à vivre au soleil. Avec les moyens du bords, on réduit la fracture de son bras droit et on lui confectionne une attelle de fortune. Pour ses côtes, y a pas grand-chose à faire à part les serrer pour éviter qu'elles ne se déplacent.

Quant à l'hématome sur sa hanche, j'aime pas bien son apparence mais, là non plus, on peut pas y faire grand-chose.

Camus trempe une compresse dans l'eau froide et la passe dans son cou et sur ses joues. Le blessé frissonne mais c'est à peu près la seule réaction qu'il en tire. Il finit par laisser le tissu humide sur son front avant de se tourner vers moi ?

Autant j'aimerais me la jouer caïd badass, autant je suis crevé.

Alors, juste pour un moment, je laisse tomber le masque et je le laisse le soigner avant de lui rendre la politesse.

Lorsque nous avons terminé, nous nous regardons un instant dans le blanc des yeux avant de les détourner avec un bel ensemble. On en fait une belle bande de couillons ! Il s'assied sur une des chaises.

Moi, je reste au même endroit, adossé contre le lit. De là, j'ai vue sur la porte et sur Camus. Milo est en sécurité dans le lit juste contre moi. Si chaud que je peux sentir la fièvre irradier contre mes épaules.


Je dois m'être assoupi un instant parce que quand j'ouvre les yeux, il fait noir et nettement plus frais dans la cabane. J'ai mal au cul à force d'être resté assis par terre… le dos et la nuque raides. À présent qu'ils ont eu le temps de refroidir, chacun de mes muscles me fait mal.

Mais accrochés dans mes cheveux, il y a les doigts de Milo.

J'aperçois la silhouette de Camus, affalé sur la table.

— Eh…

Je referme les yeux un instant. Un poids libère mon torse.

Milo est conscient !

Il est pas mort, pas comateux.

Il me parle d'une voix rauque et faible mais… il est pas mort. Je lui réponds :

— Eh !

Pas ma meilleure réplique mais bordel, j'ai un truc dans la gorge et qui serre… qui serre…

Je tourne la tête vers lui et ses doigts glissent hors de mes mèches.

— T'es toujours vivant, p'tite vermine ?

Je devine plus que je ne vois le sourire qui vient jouer sur ses lèvres.

— C'est résistant la vermine.

— À qui le dis-tu ?

Un silence.

J'en profite pour me redresser. Mes vertèbres craquent, je grimace quand mes côtes râlent sous l'effort demandé. Voilà ce qu'c'est de vieillir, mon bon monsieur !

Je m'assieds sur le lit. Je distingue mieux ce qui nous entoure.

— Comment te sens-tu ?

Je sais : question idiote.

— Je… Je suis obligé de répondre ?

— Nan… Enfin… Si. Je veux savoir si je réveille Ice-Cube ou pas.

Nouveau silence. Un peu désorienté, cette fois.

— Ice… Camus… Camus est là ? Je croyais que c'était la fièvre qui me faisait délirer.

— Eh non ! C'est nous, la bande des joyeux lurons !

Un ange passe. Je l'entends ravaler son air et je devine qu'il a voulu froncer les sourcils. J'intercepte sa main valide avant qu'elle n'atteigne son visage.

— Touche pas à ça avant que Camus y ait jeté un œil. C'est l'homme de la situation.

Milo reste silencieux un moment, il essaye de reprendre sa respiration, de lutter contre la douleur. Sa peau est toujours chaude mais la fièvre a baissé.

— Kanon, parvient-il enfin à articuler. Tu es sûr que tout va bien ?

C'est sa manière de me dire que je réagis bizarrement. Mais il m'a fait peur, le con. J'aurais jamais cru me mettre dans un état pareil pour un compagnon d'arme.

Pour un ami.

— Non… Oui… Je sais pas.

Je parle mais mes paroles n'ont aucun sens.

Bordel, Kanon, ressaisis-toi !

Camus se redresse lentement sur sa chaise. Il nous rejoint en silence. Change la compresse.

— Je vais la poser sur tes yeux, prévient-il d'une voix neutre. Le froid devrait atténuer la douleur.

— Moi aussi, je suis content de te… Oh… Oh ! Merde !

Je vais pour retirer le tissu mais le Verseau me repousse.

— Attends !

Puis :

— Milo ?

Notre cadet reste un instant silencieux, trop occupé à essayer de reprendre son souffle. Je me rends compte que je tiens toujours son poignet. Je ne le lâche pas.

— Tu aurais pu prévenir, murmure-t-il sur un ton de reproche.

Camus reste de glace.

— C'est ce que j'ai fait.

— T'aurais pu me laisser une minute pour me faire à l'idée… T'avais un train à prendre ou quoi ?

Le rouquin hésite un instant avant de répondre.

— Sur le moment, ça me semblait une bonne idée de ne pas te laisser souffrir plus longtemps. Le froid fait son effet ?

— Oui… Tu sais bien que oui.

Je renonce à comprendre les sous-entendus de cette réponse. Milo ne se tait pas bien longtemps.

— Eh… Camus !

— Oui ?

— Tu es vivant.

Silence, puis :

— Oui. Je sais.

Je devine que la conversation est à suivre à différents niveaux. Je me sens un peu gêné aux entournures, là.

Vous gênez pas pour moi, les gars.

— J'ai froid.

Et, là, je dois rêver mais je crois bien avoir entendu le français rire. Pas à se taper sur le ventre, hein mais un petit son discret. Presque incongru.

— C'est dû à la fièvre. Kanon ?

Là, y en a marre !

— Quoi ? J'vous laisse la chambre ?

Silence – encore un – un peu embarrassé.

— Pourrais-tu réchauffer Milo ? Le lit est assez grand pour vous deux. Je vais monter la garde.

Sans un mot de plus, il se lève et sort de la cabane.

Je ne suis pas certain d'avoir tout suivi.

— Vous couchez ensemble ou pas ?

Le Scorpion soupire.

— Si on te le demande, tu diras que tu n'en sais rien. Mais Kanon…

— Quoi ?

— J'ai froid. Pour du vrai !

— Oh.

C'est vrai que je le sens frissonner à côté de moi. On l'a laissé à poil en espérant faire baisser la fièvre.

— Je n'arrive pas à… Le poison…

— Quoi ?

Il inspire profondément.

— Il faut que tu m'aides à bouger. Je suis en partie paralysé.

C'est vrai que maintenant que j'y pense, il est resté quasi immobile pendant toute la conversation.

— Tu veux que j'appelle Camus ?

— Non. Je veux que tu te couches contre moi. Et quand j'aurai éliminé le poison et que je pourrai à nouveau bouger librement, je veux que tu couches avec moi !

Là, c'est un troupeau d'anges qui passe et qui laisse traîner quelques plumes dans son sillage.

— J'ai dit ça tout haut ?

Je ne peux pas m'empêcher de rire. Milo n'a pas l'air plus embarrassé que ça.

— J'en ai bien peur. Concrètement, je n'ai rien contre cette idée.

Je l'aide à se pousser. Me mords l'intérieur de la joue lorsque je sens sa respiration accrocher sous l'afflux de douleur. Je m'allonge contre lui et l'aide à poser sa tête sur mon épaule. Je remonte une couverture sur nous. Et puis, j'attends, un peu mal à l'aise. Il a l'air content comme ça, je devrais laisser filer mais je suis curieux de nature.

— Et Camus.

— Mmmh ? Quoi Camus ?

— Je pensais que vous couchiez ensemble.

— Oui. J'ai couché aussi avec Aiolia et Mat'. La vie est courte quand on est chevalier, Kanon.

Ouaip… Il a pas tort.

Je ne relance pas la discussion. Il lui faut un moment pour s'endormir. Je l'aide en caressant son ventre et ses cuisses. Lorsque sa respiration s'apaise, je sais qu'il s'est laissé aller au sommeil.

Je ne tarde pas à le rejoindre.


Poupou : Eh non... Milo n'a pas vomi sur Kanon... Il a juste tourné de l'œil !
Désolée, j'ai bien peur que ce chapitre ait été un peu moins drôle que ce que tu aurais voulu. Même avec un peu d'humour, j'ai tendance à écrire des histoires assez sombres... Je te rassure, la paralysie n'est que temporaire. Il arrive à nouveau à parler et à bouger les bras.
Quant aux relations... Eh bien, j'espère que ce chapitre a pu répondre à tes attentes ? *croise les doigts*

Glacefraicheur : Quel chouette pseudo bien de saison ! ^-^
Contente que le choix de narration te plaise (on se tutute ? j'ai l'impression de faire mon âge quand on me vouvoie ! ^^). Quant au niveau de complexité, chacun des trois l'est tout autant chacun à sa manière. Mais c'est vrai que pour le moment, j'ai un peu plus de mal à bien caractériser ce brave Camus. ^^

Hemere : Oh ! C'est cro gentil ce que tu mes dis-là ? #^-^#
(J'avais deviné que "Guest", c'était toi... y avait quelques indices.)
Nous sommes d'accord, ils se subliment dans la souffrance.
(Pour Dragon Doré... Houlà... Faudra qu'on en parle en privé, je ne sais pas si je terminerais cette fic une jour, ne serait-ce que parce que l'ampleur du boulot me décourage à l'avance et que c'était un projet à deux à la base. Avec Kats, on avait effectivement lancé quelques piste à suivre...)

Bon, les amis. Je ne garantis pas que les prochains chapitres arriveront aussi régulièrement que les trois derniers. Déjà le prochain POV sera celui de Camus et il me donne plus de mal que Milo et Kanon... Et aussi parce que en écriture, je suis une archéologue... Je ne construit pas à l'avance, je n'ai pas de plan. Je déterre petit à petit le squelette de mon histoire et il y a des parties plus faciles à sortir de terre que d'autres.

(Sans oublier l'irl... ne se fera pas toute seule si je n'y mets pas du mien...)

Mais promis, j'avance au mieux. Pour le moment, je suis bien inspirée. :)