Camus

Oh Milo !

Tes yeux, tes si beaux yeux.

Même s'ils ne peuvent plus voir, ils me parlent. En un instant, j'ai pu y lire de la joie. Puis ta bouche a tremblé et la peur et la honte se sont succédées dans la pâleur de ton regard.

Kanon t'a caché les yeux. J'ai failli protester. De quel droit osait-il ? Mais il est resté tous ces mois à tes côtés, n'est-ce pas ? Vous avez souffert ensemble. Ça me tue de ne pas m'être trouvé à tes côtés. Je voudrais te serrer dans mes bars mais le regard farouche de gemini me fige sur place.

Tu reprends le dessus mais déjà, nous devons bouger.

Je ne souhaite rien de plus que de tenir dans mes bras, de m'assurer que tu vas bien. Le moment est mal choisi.

Alors, à la place, je libère le passage en compagnie d'Aiolia, sans doute avec plus de fureur que de nécessaire. Dehors, le chaos règne. La population s'est jointe aux rebelles pour renverser les trolls et les chiens des Maîtres.

Kanon vacille soudain. Aiolia doit le maintenir debout. Quant à moi, je rattrape de volée Milo qui a perdu l'équilibre. Ses yeux aveugles fixent le vide, exorbité par une horreur que je ne peux voir, que je ne peux saisir. Il se raidit, semble vouloir me fuir. L'espace d'un moment, je me sens crucifié par la douleur.

Milo me rejette.

Puis, la main de Kanon se referme sur son épaule. Soudain, je me retrouve les bras pleins d'un corps souple et chaud.

De Milo.

— Camus, murmure-t-il. C'est bien toi, hein ?

Il ne me laisse pas répondre.

— Oui, c'est toi. C'est toi. Mon Camus !

Que répondre ? Ses mains cherchent dans mon dos, se referment sur ma tunique et dans mes cheveux. Mon crâne chevelu proteste mais, moi, je m'en moque. Milo !

Tu es là ! Juste là d'où tu n'aurais jamais dû partir : dans mes bras !

Puis, l'enfer se déchaîne. Des explosions fusent autour de nous. Je referme mes bras autour de Milo, l'empêche de se dégager.

— Ils arrivent !

Ce n'est qu'un murmure mais il contient une telle terreur mêlée de révulsion que je ne peux que resserrer davantage ma prise sur mon Scorpion. Plus jamais, ils – quels qu'ils soient – ne me l'arracheront à nouveau !

Je refuse.

Milo secoue la tête, s'arrache à mes bras.

— Il faut partir !

Quoi ?

Mais nous sommes en train de gagner !

Pourtant où que se porte mon regard, je ne vois plus révolte et victoire mais mort et désolation. Je ne comprends pas.

— Il faut partir ! répète Milo.

Kanon se redresse, les mâchoires crispées.

— Il a raison, laisse-t-il échapper.

— Tu plaisantes, j'espère ? proteste Aiolia.

Milo laisse échapper un cri de frustration :

— Mais ouvre les yeux ! Si tu veux te battre contre…

Sa voix vacille soudain. Ses lèvres s'ouvrent et se ferment sur des mots qui paraissent trop gros, trop douloureux à prononcer.

— Contre eux ! crache-t-il enfin. Tu vas mourir. C'est plus une question d'honneur ou de cosmos, Simba ! Tu comprends pas ? Si on meurt parce que tu es trop fier pour savoir quand battre en retraite, alors on n'aura jamais l'occasion de leur faire payer.

Aux côtés du Lion, Kanon se tient immobile, la mine fermée.

— Leur faire payer l'addition et les intérêts. Tous les intérêts, articule-t-il lentement, avec une rage froide qui me glace jusqu'aux os.

Milo se fend d'un sourire sauvage. Pourtant, sous le feu dont il fait preuve, il tremble. Ce ne sont que de simples frissons qui parcourent sa peau exposée, pourtant, je ne vois qu'eux. Il est terrifié par ce qui approche.

Terrifié par son impuissance.

Par notre impuissance à les combattre…

— Mais ces gens ! Ils ont tant sacrifié !

Aiolia secoue la tête, incapable de tourner le dos aux faibles et aux proies qui meurent sous nos yeux. Alors que les trolls semblaient vaincus, il en sort à nouveau de partout.

— Tu comprends pas ? C'est un cancer ! Pas comme Matt'… mais comme une saloperie de maladie. Et nous, on n'est pas assez puissant pour chasser les mauvaises cellules. Là, tout de suite, on va juste se faire atomiser.

Je saisis le poignet de Milo. Il sursaute, veut se dégager. Je vois la panique monter. Je préviens :

— C'est moi.

Il s'immobilise, la bouche ouverte pour avaler l'air qui ne veut pas passer, qui se bloque dans sa gorge. Kanon nous rejoint et passe la main sur la joue de notre cadet. Il y a une telle tendresse dans ce geste que simplement le voir me fait mal. Milo respire à nouveau. Par à-coups hachés, mais il respire.

— Il a raison, dit soudain gemini. Ces putains de Maîtres… Pour le moment, on ne peut rien contre eux. Juste à nous quatre, on est foutu.

Son front se pose contre celui de mon amant…

Du nôtre.

Par-dessous ses mèches châtain, il me jette un regard. Je hoche la tête. Donne mon accord. Je ne sais pas bien à quoi, au juste.

Tout ce que je veux, c'est sortir Milo de ce bourbier.

— On doit retrouver les autres, souffle le Gémeau. Ensemble, on pourra agir.

Et il a raison. Aiolia reste un moment, qui me paraît trop long, immobile. Je vois le conflit qui se joue en lui se dérouler sur ses traits honnêtes. Fuir, survivre et revenir se battre ou sauver les malheureux qui périssent sous nos yeux et mourir avec eux.

— Simba… murmure Milo.

C'est ce qui finit par décider notre Lion.

Nous avons libéré nos compagnons mais, tandis que nous nous éloignons dans la ville à feu et à sang, le goût de cette victoire se teinte d'amertume.