Milo (7)
Le sol change sous mes pieds meurtris. Nous venons de pénétrer dans un endroit à l'abri de la fine pluie qui a commencé à tomber. De la paille irrite ma peau écorchée. Voilà ce que c'est que de crapahuter à pieds nus dans la cambrousse pendant des heures. Kanon effleure mon bras. Je le laisse me guider à l'intérieur.
— Nous devrions être à l'abri un moment, ici, dit Aiolia dans mon dos. Si nous prenons des tours de garde, personne ne devrait parvenir jusqu'ici sans que nous ne nous en rendions compte.
Je me mords les lèvres. Je devine qu'avec ma cécité, j'en suis exclu d'office. J'essaie de ravaler mon humiliation. J'ai beau avoir recouvré ma liberté, avoir retrouvé mes amis…
Camus.
Je reste inutile. Je les entends s'affairer autour de moi. Je reste immobile. Mon cosmos a des ratés, je n'arrive plus à voir à travers lui. Je suppose qu'il va falloir que je me repose avant de pouvoir le réutiliser. En attendant, une migraine s'échine à me détruire le crâne de l'intérieur. Je sursaute en sentant une main effleurer mon bras.
— C'est moi, souffle Kanon.
Je me raidis. C'est ridicule, je suis entouré d'alliés, ici. Mais c'est plus fort que moi. Mon souffle se bloque dans ma gorge, mon cœur détale comme un lapin dans mon torse et je me fige.
Comme une saloperie de biche devant un loup ou les deux d'un camion.
Dans ces moments-là, je ne peux plus bouger. Y a plus de son, plus d'image.
Plus rien.
Je ne suis plus là, plus vraiment.
Mais c'est Kanon qui se tient à mes côtés, c'est lui qui me touche. Je redescends. Je respire à nouveau, mon corps redevient souple.
Je me rends tout à coup compte que je suis soulagé que ce soit lui qui se tienne à mes côtés plutôt que Camus.
Parce que, lui, il comprend ce que c'est. Il comprend la peur, la panique qui vous rend impuissant.
Qui vous prend tout.
Et, en même temps, je m'en veux d'avoir de telles pensées. Pendant ces mois en enfer, j'ai tellement imaginé nos retrouvailles. J'ai tellement envie de le sentir contre moi, je le veux tellement en moi.
Et je peux pas.
Je peux juste pas.
Un souffle tremblant s'échappe de mes lèvres. J'ai envie de me poser par terre et de chialer parce que je sais que, même si j'en crève, même si j'en peux plus d'attendre, je ne pourrai pas supporter qu'il me touche.
La honte m'envahit. Je ne peux plus respirer. Je me plie en deux.
Mes yeux !
Ils brûlent ! Si fort que je pourrais les arracher de mes orbites. Parce qu'ils brûlent mais que je peux pas pleurer.
Je peux pas !
Je sens la présence de Kanon. Il s'est accroupi à côté de moi. Je sens sa chaleur, celle des mains qu'il tend vers moi sans me toucher.
Parce que je suis tellement cassé que simplement m'effleurer m'abimera davantage.
Et ça me tue !
Parce que je veux qu'il me touche. Qu'il me prenne dans ses bras.
Qu'il me prenne tout court.
Mais ce que je veux encore plus, c'est Camus !
Je veux qu'il me touche comme avant.
Je veux lui dire.
Que je suis pas brisé !
Que je suis toujours moi.
Mais les mots peuvent pas passer la barrière de ma gorge
Et je sais que si je ne dis rien, Camus ne s'approchera pas. Il ne me touchera pas. Et j'en crève ! Je veux te sentir, merde ! Je veux sentir la fraicheur de tes mains. Le feu de ta passion et de tes colères.
Je te veux, Camus ! Et je veux Kanon !
Et je reste prostré comme un con, comme un gosse qui fait un caprice… Parce que je peux pas parler. Je peux pas.
Je peux juste pas.
Merde, les gars ! Je vous veux tous les deux. Et je sais que ça n'arrivera pas.
Et juste comme ça, j'arrive à nouveau à respirer. Je pourrais parler, maintenant, leur dire que j'ai besoin d'eux. Je me redresse.
— C'est bon, c'est passé.
Je peux pas. Je ne peux pas leur demander ça. Je tiens trop à eux pour leur infliger cette épreuve de trop.
Saharu-chan : Je n'épargne personne... en même temps, c'est Milo qui s'est pris l'arbre en pleine poire. Mais Aiolia en bave à essayer de faire avancer tout le monde dans le même sens, oui ! ^^
Lily Aoraki : Bienvenue ! Merci d'avoir tout lu ! 29 chapitres (30 maintenant), ce n'est pas rien ! ^^ Je suis une très vilaine auteure, mais je suis juste : tout le monde souffre ! ^-^
