CHAPITRE 4

Toi et Moi

Je regarde ma tasse de café avec un abattement inexpliqué. Il me faut le reconnaître, je ne parviens pas à faire le tri de mes émotions, à gérer la foultitude de sensations contradictoires qui m'étreignent depuis hier, une certaine euphorie et cette humeur de chien avec laquelle je me suis levé ce matin et qui ne me quitte pas. Lucy est assise en face de moi. Il est 7h. Elle essuie depuis dix minutes mes remarques agressives, je n'ai pas envie de l'entendre me parler de sa journée, des futilités de son métier, de la chasse aux oiseaux migrateurs. Putain je m'en balance ! M'en contrebalance. Tout comme la jupe qu'elle m'a demandé de choisir, ou le voyage que nous projetons pour nos dix ans et pour lequel nos amis ont participé. Aujourd'hui, je serai imbuvable, je le sais. Tout m'insupporte, même ces caresses que Lucy me prodigue à tout bout de champ et qui ne parviennent pas à me calmer, c'est tout le contraire, elles me hérissent… Ce matin, j'aimerais du silence pour le petit-déjeuner. La paix ! Je ne veux pas l'entendre piailler; ses minauderies m'exaspèrent; sa légèreté m'électrise.

- T'es pas sympa, répond-elle en soufflant d'exaspération à une énième remarque désagréable de ma part.

- Eh bien lâche-moi…

- Natsu ! fulmine ma blonde, fâchée pour de bon. Je ne sais pas quelle mouche t'a piqué ce matin mais je ne te permets pas de me parler comme ça !

Elle se lève précipitamment et quitte la cuisine.

- Lucy…, j'appelle en lui emboîtant le pas et en soufflant de lassitude.

Elle enfile son trench, s'empare rapidement de son sac et se dirige vers la porte d'entrée. Son corps trahit sa fébrilité, il est tendu, presque rigide. Elle fait soudain volte-face avec effervescence et me toise, m'offre son visage où contrariété et incompréhension s'affrontent.

- Je te laisse boire ton café seul puisque ma présence semble t'insupporter.

- Lucy, je murmure avec contrition tout en m'interposant pour contrer sa fuite. Je suis désolé… chérie.

Je l'attire contre moi. Je sais qu'elle ne me tiendra pas rigueur de mes sautes d'humeur, je connais son cœur, son besoin que tout soit toujours au beau fixe entre nous. Si d'aventure elle avait quitté la maison sur notre dernier échange, c'est toute sa journée qui en aurait pâti. Mon amour aurait été tracassé, et n'aurait retiré aucun plaisir, aucune joie, des multiples activités qui l'attendent. Je ne peux consentir à gâcher ainsi ses dix prochaines heures. Nous nous enlaçons et je ne ressens aucune réticence à mon étreinte; comme à son habitude, Lucy s'abandonne entièrement dans mes bras. Elle relève son regard légèrement terni et je caresse sa joue. Du papier de soie.

- Pardon, chuchoté-je. Je suis électrique ce matin…

- J'ai vu, souffle-t-elle. Quelque chose te tracasse ?

Elle semble véritablement inquiète. Il est vrai que rares sont les matins où j'affiche pareille disposition.

- Non, je consens à répondre. Je suis encore un peu fatigué, légèrement sonné par notre super soirée de samedi et puis… une dure journée m'attend. Ça doit être ça.

Je me mords l'intérieur de la lèvre inférieure. Ma face de connard me trahit-elle ? J'ai mille autres bonnes raisons de me comporter ainsi, j'en suis conscient. Mille bonnes raisons d'être exaspéré par moi-même. Des questions émergent. Des envies. Des pulsions. Puis-je duper Lucy ? Puis-je me mentir également ?

- Hum, répond-elle après quelques instants, les yeux étrécis et suspicieux. Hier soir tu me fais l'amour comme un fou, tu me fais une déclaration digne des films les plus romantiques, nous nous endormons enlacés comme aux premiers jours et, ce matin, tu me traites comme moins que rien. Tu n'es pas facile à suivre Natsu !

Mon cœur rate un battement. Mes emportements de la veille remontent en moi par salves. Il y a nos ébats nocturnes, nos mots doux, nos orgasmes. Il y a toute la profondeur de notre relation. Oui. Tout cela refait surface et je m'y accroche comme un naufragé à sa bouée. Mais d'autres résurgences pointent aussi le bout de leur nez. Dangereuses et effrayantes. Inconvenantes. Je les endigue, les repousse. Il n'y a nulle place pour elles là maintenant dans mon cortex déphasé.

- Je t'aime, je prononce sans même l'avoir prémédité.

Mon cœur a dicté ces mots et je ressens toute la sincérité de ma déclaration.

- Moi aussi je t'aime, confie Lucy.

Un baiser scelle nos paroles et mes lèvres s'imprègnent du goût si rassurant que je connais par cœur. La saveur de ma femme. Toute sa fraîcheur mêlée à la suavité de son rouge à lèvres.

- Bonne journée, abandonne-t-elle dans un sourire tout en brisant notre étreinte.

- À ce soir mon ange. Je m'occupe du dîner.

- Chouette, se met-elle à rire, des pâtes !

- Pppffff, je grommelle tandis qu'elle s'enfuit de la maison en gloussant.

À peine a-t-elle déguerpi, la joie retrouvée, que j'échoue sur mon tabouret dans la cuisine et déguste mon espresso. C'est clair qu'un café italien me tenterait bien. Plus léger, plus digeste, plus aromatique. Un léger sourire s'impose sur mes lippes alors que la frimousse de la blanche grignote mes pensées. Lisanna.

Oui j'ai mille raisons d'être contrarié ! Hier soir, lorsque je regagnais mes pénates, une culpabilité cuisante s'est emparée de moi; qu'est-ce que j'étais indisposé lorsqu'il m'a fallu affronter le regard confiant de Lucy, que son sourire m'accueillait, que ses baisers me cueillaient ! Et qu'elle ne devina rien de mes tourments, de cette boule qui était née dans ma gorge suite aux caresses que Lisa m'avait accordées, à l'ivresse qui m'avait gagné dans ses bras. J'étais empli d'une autre; enfin non ! pas d'une autre, mais de mon autre. Et pourtant, rien ne transparaissait, le regard et les attentions de ma blonde ne variaient pas, elle ne se rendait compte de rien. Pourquoi m'étais-je attendu à autre chose ? Pourquoi avais-je craint n'être pas en capacité de dissimuler mon odieux forfait ? Pourquoi la terrifiante acuité de Lucy à tout deviner en moi s'évanouissait-elle au pire moment pour elle ?

Mon retour au bercail avait vu naître moult angoisses monstrueuses : n'embaumais-je pas les fragrances de mon autre ? Les morsures de ses dents n'avaient-elles pas strié ma peau de stigmates visibles ? N'affichais-je pas la fracture de mon cœur aussi clairement que le sinople de mes prunelles ? Aussi, ceint d'un furieux désarroi, je fus pris de pulsions frénétiques; reconquérir mon territoire, réaffirmer mon identité : Moi, Natsu Dragnir, l'amoureux de Lucy Heartfilia, m'abandonner à mon essentiel, la retrouver, me retrouver. Seule une fusion physique était en mesure d'apaiser mon anxiété. Je me suis engouffré dans ce moribond schéma. J'ai pris cette douche nécessaire et me suis roulé dans le plaisir physique, mes reins se sont déchaînés, habité par un désir dont je préfère ne pas connaître toutes les sources, mes mains ont œuvré sur le corps de Lucy comme si elles cherchaient à reconnaître les formes aimées et convoitées, les courbes délicates de ses hanches, la générosité de sa poitrine, la sensibilité de sa gorge. Mes doigts se sont perdus dans la jungle de ses cheveux et mes lèvres ont déversé autant de mots d'amour que de mots crus. J'ai léché, sucé, pénétré, dans une euphorie bouillonnante. Ce fut orgiaque ! Je me suis perdu dans ce plaisir des sens époustouflant, y ai entraîné mon amour sans honte aucune. Elle a tout accepté, presque docile et impressionnée par la puissance de mon désir.

Ce matin, j'ai honte ! Honte d'avoir répondu par la débauche à mes angoisses d'enfants capricieux et à ma culpabilité d'amoureux infidèle. Lucy mérite mieux, je dois respecter son cœur mais aussi son corps. Lui faire l'amour ne rachète aucune de mes faiblesses et je dois être bien nigaud pour croire qu'ainsi je lui reviens entièrement. La vérité est ailleurs.

Mais ma mauvaise humeur n'est pas entièrement justifiée par ces remords que je n'ai pas. Je suis complètement bouffé par mon histoire naissante avec Lisanna. Tout me manque là maintenant, ses yeux, sa voix, ses baisers. Putain, ses baisers ! Pourtant la rage se déverse en moi lorsque nos derniers mots résonnent dans mon crâne. Là, dans la voiture, devant le café de sa sœur, elle ose me dire qu'elle déjeunera bien avec Grey aujourd'hui… quoique j'en pense, a-t-elle précisé. Qu'elle ne changera rien à ses habitudes, à son rythme de vie, qu'elle se refuse à tout bouleverser. Bon sang, quelle provocation ! Et puis, bien sûr, elle me lâche ça dans un endroit où nous ne sommes pas seuls, où on peut nous surprendre, où il m'est impossible de lui montrer l'affolement qui naît en moi, où je suis muselé.

7 :22 Je pense à toi

Il me faut absolument communiquer avec elle, être rassuré que la nuit n'a pas anéanti sa volonté qu'elle et moi soyons amants.

7 :23 Idem

Évidemment, tsunami à la lecture de cette réponse… Idem ? C'est quoi ça, Idem ?

J'entre dans ma voiture.

7 :23 Idem ?

7 :24 Idem, je pense à toi

7 :24 Ggrrrr

7 :25 Ggrrrrey ?

7 :26 Je rêve ! C'est décidé, tout à l'heure tu as droit à une fessée…

7 :28 Ah ah ! Impossible, rien en dessous de la ceinture ;P

Je jubile autant que j'enrage. Lisanna me cherche.

- Allo, tinte une voix cristalline.

- Je ne te mettrai pas cul nu pour ta fessée, je la rassure de mauvaise foi. Aucune incompatibilité avec ta règle numéro 1.

- Hum, il est pas né celui qui me mettra une fessée, laisse-moi te le dire.

- Oh la la, Lisanna, ne me dis pas que dans l'intimité tu n'es pas capable de faire preuve d'originalité, me moqué-je doucement. Je t'imaginais plus réceptive à ce genre de pratique.

- Pppfffff, l'entends-je souffler au bout du fil, visiblement décontenancée.

- Oh, touchée on dirait… J'aimerais bien voir le far de tes joues en ce moment !

Petit silence au bout du fil. Large sourire sur ma face que je contemple dans le rétroviseur.

- Tu me manques Lisa, je confie tout bas. J'ai envie de te voir.

- Idem Natsu.

Idem… Je mesure toutes les réticences qui habitent encore son cœur et toutes les craintes dont je vais devoir la délester.

- Tu déjeunes à quelle heure avec Grey ?

- Je quitte à midi, on se retrouve à la sortie du lycée. Donc… vraiment pas tard.

- Okay, je passe comme convenu chez toi à 15 heures, tu seras rentrée ?

- Largement !

- De toute façon, je pars tout de suite après mon rendez-vous de 14 heures... J'ai hâte.

- Moi aussi.

- Tu m'embrasses ?

- Euh… quoi ? balbutie-t-elle.

- Je vais devoir raccrocher, j'arrive au cabinet, je te demandais donc si tu m'embrassais pour me souhaiter une bonne journée ?

- Ben oui… Oui, je t'embrasse. Bonne journée.

- - Idem Lisanna, je réponds avec enthousiasme et taquinerie. À tout à l'heure. Sois sage !

- À tout à l'heure Natsu.

Je dois avoir un sourire niais accroché aux lèvres lorsque je salue Kazami, ma secrétaire. Je suis miné d'inquiétude concernant ce déjeuner et en même temps pétri de certitudes. Le danger n'est pas imminent, nous entamons Lisa et moi une relation qu'on peut qualifier de sérieuse, les sentiments que j'éprouve sont réciproques, ils sont d'une puissance que je ne cerne pas encore; et il ne me tarde pas de les cerner d'ailleurs, c'est trop effrayant. Aussi, là, j'ai juste envie de chanter, de danser, de sauter partout. Je me sens vivant !

- Kazami, j'aimerais que vous commandiez un bouquet de quinze lys blancs s'il-vous-plait.

- Très bien, me répond-elle en venant à ma rencontre avec l'allure professionnelle dont elle ne se dépare jamais. Je les fais livrer ?

- Ici…, je les apporterai moi-même.

- Je m'en occupe dans le quart d'heure. Natsu, vous avez la réunion des associés à dix heure trente ce matin, vous vous souvenez ?

J'acquiesce tout en m'installant à mon bureau.

- Évidemment, j'espère que ça se passera mieux que la dernière fois, j'évoque à voix haute bien que mon commentaire n'était destiné qu'à moi.

- Fujio est furieux contre vous. La gestion de votre nouveau client, Itaka, place le cabinet dans une position délicate. Il y a conflit d'intérêt avec le groupe Zaitsu qu'il représente depuis toujours et vous ne pourrez pas tous les deux poursuivre votre collaboration avec chacun de vos clients.

- Itaka représente plus de quinze millions de dollars d'honoraires à l'année, précisé-je. Que Fujio renonce à Zaitsu !

- Natsu…, prononce Kazami d'un air ennuyé, m'indiquant ainsi qu'elle ne partage pas totalement mon avis, Zaitsu est le plus ancien client de Fujio. C'est un client de cœur avant tout.

Cela fait maintenant six ans que Kazami travaille avec moi, son rôle ne se borne pas à prendre mes rendez-vous ou à taper mes comptes-rendus, réquisitoires et plaidoiries. Non, Kazami est mon plus précieux conseil, elle est ma conscience professionnelle, elle est ma raison aussi, quelque fois, lorsque je me laisse emporter par mon arrogance et mon odieuse certitude d'être le meilleur, d'être toujours dans le vrai et qu'elle me fait retoucher sol avec quelques réparties qui font mouche. Elle me connaît très bien, lit en moi avec une terrible sagacité; je suis convaincu que l'épisode des lys l'a interpellée tout à l'heure mais la discrétion qui la caractérise, son immense respect de ma vie privée, sont autant de qualités qui la rendent à mes yeux la plus remarquable de mes collaborateurs.

Et puis, je ne sais pas pourquoi ni comment, mais elle sait absolument tout ce qui se passe au cabinet, elle est dans les confidences de chacun, qu'il soit associé ou simple coursier. C'est une force inestimable à mes côtés; nul n'est plus compétent qu'elle et, plus que tout, elle m'est d'une fidélité incorruptible. Aussi, ses réticences concernant le puissant nouveau client que je viens d'apporter au cabinet me contrarie quelque peu.

- Ce n'est pas le cœur qui paie les salaires en fin de mois Kazami. Nous réglerons ce différend lors de la réunion, je ne crois pas qu'Akio se rangera à l'avis de Fujio. Et jusqu'à preuve du contraire c'est Akio l'associé gérant du cabinet !

- N'en soyez pas si sûr… Akio apprécie Fujio, au moins tout autant qu'il vous apprécie.

- Je pèse ici bien plus que Fujio et Akio réunis.

- Natsu, la paix au cabinet n'a pas de prix; et la sagesse voudrait que vous renonciez à représenter Itaka.

- Je ne suis pas sage, opposé-je avec un petit sourire narquois tout en me levant de mon fauteuil pour me planter devant Kazami, la dominant largement de ma stature.

Ma secrétaire lève les yeux au ciel et m'observe en souriant également.

- Je sais Natsu, vous êtes irrécupérable... Mais vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenu, me lance-t-elle en quittant mon bureau. Je m'occupe des fleurs.

oOo

Il est 15h15 lorsque je me présente chez Lisanna avec ma brassée de lys. À peine ai-je sonné que la porte s'ouvre sur sa frimousse adorable. Nos yeux se captent dans l'instant et une dérangeante sensation de chaleur m'investit tout entier. C'est étrange comme la tête me tourne, comme mes jambes s'alourdissent et ma bouche s'assèche. Je déteste ces manifestations physiques qui trahissent mon état émotionnel. Putain, je suis ferré. Lisanna…

- Wouah, mes fleurs préférées, glousse-t-elle en considérant l'imposant bouquet. C'est pour moi ?

- Quelle perspicacité mademoiselle ! raillé-je tout en lui tendant l'odorante offrande.

Lisanna se saisit du bouquet en riant et hume avec plaisir le parfum fort et suave qu'il dégage. Elle s'efface pour me laisser entrer avant de s'éloigner vers la cuisine à la recherche d'un vase adapté aux fleurs majestueuses qu'elle affectionne tant. Je la suis et admire sa démarche féline, jauge rapidement sa tenue. Un jean, un pull, ses éternelles baskets. Un rictus s'invite sur mes lippes enfin libérées de crispation. Ainsi vêtue, elle n'était pas en mode séduction auprès de mon meilleur ami pendant le déjeuner; voilà la première remarque qui me lèche… et me rassure.

Lisanna dispose son bouquet dans un vase et l'arrange précautionneusement. Je m'installe sur l'un des tabourets de la cuisine et la contemple œuvrer avec application.

- Elles sont magnifiques, merci, me lance-t-elle en m'offrant l'azur de son regard.

Je réponds d'un sourire.

- Ça te fait plaisir?

- Très! murmure-t-elle en s'approchant de moi. Salut toi! On ne s'est même pas salué.

- Salut, prononcé-je solennellement en lançant mes mains sur ses hanches pour l'attirer à moi.

Elle échoue mollement dans mes bras et noue ses mains dans mon cou. Nos regards s'enchevêtrent, Lisanna me surplombe légèrement ce qui m'oblige à lever la tête pour rester connecté à elle. Une certaine gêne s'immisce dans nos mains et je perçois la légère tension de ses doigts dans ma nuque, leur étrange immobilité et rigidité. Pourtant, malgré cela, elle s'engage plus en avant, pénètre davantage entre mes cuisses ouvertes pour l'accueillir et nos corps se rencontrent enfin.

Je soupire d'aise et les pupilles obsidiennes, délicieusement cernées de cérulé, me scrutent avec intérêt. Mes mains accompagnent le mouvement de la blanche et se positionnent dans le bas de son dos pour la presser davantage contre mon torse. C'est un peu la panique dans ma caboche, je le reconnais. Une culpabilité déplaisante s'est invitée en moi et a réveillé ma conscience; les serments prononcés depuis dix ans remontent et m'envahissent, des images, des sensations de notre corps-à-corps d'hier soir également. Il n'est pas si aisé d'expulser Lucy de mon esprit et mon retour en ce lieu où, par deux fois, j'ai failli à ma fidélité, n'est pas étranger à mon malaise. Pourtant, je le sais déjà, je ne tenterai rien pour me soustraire à l'emprise que ma meilleure amie possède déjà sur mon cœur, aux fils invisibles qui nous enchaînent l'un à l'autre, au feu furieux qui se déchaîne dans mon ventre, qui me brûle et me torture depuis plus d'une semaine déjà. Une semaine ? Une semaine…

Ça n'a pas de sens ! Une semaine, c'est rien, si peu, si insignifiant. Pas de quoi me déglinguer ainsi en tout cas… Depuis quand suis-je réellement en perdition avec Lisanna ? Depuis quand ai-je franchi la ligne ? Grey n'est qu'un élément déclencheur, il a juste actionné un levier, un putain de levier qui ne demandait qu'à être actionné, oui ! Il ne s'agit pas d'une baguette magique qui a changé mon regard sur Elle et Moi. Non !

Elle et Moi sommes liés depuis toujours, on a grandi ensemble, on ne se ressemble pas, on ne se supporte pas bien longtemps, on se cherche toujours, on se trouve souvent, on se dispute pour un rien. Son impatience, ses contradictions, ses fragilités, ses crises de nerf me désespèrent. Mon arrogance, ma suffisance, mes exigences la rebutent. Mais, Elle et Moi ne nous sommes jamais quittés pour autant. Même lorsque l'ouragan Lucy a déferlé sur mon cœur, nous éloignant, malgré tout, mais ne nous séparant pas. Lisanna et Moi, on a toujours marché sur le fil, un équilibre précaire, une dépendance douce, mais une dépendance tout de même.

Pourtant, malgré notre indéfectible lien, puissant et vainqueur, Elle et Moi, ça n'a jamais fait Nous. Non, Nous, c'est Lucy et Moi. C'est l'évidence, le bonheur, ce que nous construisons, l'Amour. La facilité ? Dix ans.

Quand donc mon regard sur elle a-t-il changé ? Quand ?

Lisanna oblique légèrement la tête et je devine notre baiser imminent; je me perds dans la contemplation de ses traits fins et réguliers qui se tendent vers moi, le rebondi de ses joues, l'insondable profondeur de ses yeux soudainement voilés par les paupières qui s'abaissent. La lenteur qu'elle insuffle à notre rapprochement me subjugue, me conquiert. Et mes doutes s'envolent dans la foulée. En subsiste-t-il seulement une brume dans ma conscience lorsqu'enfin nous nous accostons ?

Ses lèvres sont fraîches, douces, moelleuses, tandis qu'elles rencontrent les miennes. Nos souffles s'enlacent et ma dextre quitte le bas de son dos pour mieux cajoler sa joue, l'encourager dans sa délicieuse initiative.

Délicieuses. Tes lèvres sont délicieuses. Fruitées. Acidulées. Chastes. Si chastes alors qu'elles se promènent sur mes lippes gourmandes qui quémanderaient bien un peu plus d'audace. Je soupire bruyamment, tout à la félicité de notre intime retrouvaille. Mais mon bonheur est de courte durée car tu me fuies presqu'aussitôt, ton corps se soustrait à mes faibles entraves; même ton visage se détourne tandis que quelques pas t'entraînent trop loin de moi.

- Je sais que ce n'est pas facile, essayé-je de te récupérer.

- Alors pourquoi on le fait ? oses-tu m'apostropher à plus de deux mètres de moi.

- Parce qu'on n'est pas maître de nos émotions, de nos désirs, de nos sentiments.

- Je ne veux pas de sentiment, revendiques-tu froidement.

Certainement détectes-tu la grimace qui, une fraction de seconde, fait tressauter ma joue.

- Tu ne veux pas que nous parlions sentiments, nuance !

Je me lève et m'approche doucement de toi, me saisis d'une petite mèche rebelle sur ta tempe et la replace derrière ton oreille.

- J'accepte toutes tes conditions Lisa, tu le sais. Mais s'il te plaît, soyons sincères.

- Je comprends tes réticences.

- Tu es ma meilleure amie Lisa et je t'aime. Je t'aime depuis toujours.

Une rafale d'émotion vient allumer un far sur tes joues. Une crispation s'invite illico dans mon ventre.

- Tu es mon meilleur ami Natsu. Et moi aussi je t'aime depuis toujours.

Mes dents mordent ma lèvre inférieure tandis que nos yeux persévèrent dans leur troublant échange.

- Mais aujourd'hui, c'est plus que ça, renchéris-je, soucieux de quitter le registre amical. Une multitude d'autres envies m'assaille. Te prendre dans mes bras, te câliner, t'embrasser, te caresser. Que tu ne voies que moi !

Tes yeux, visiblement gênés, se dérobent. Ma paume s'empare de ta joue et t'oblige à relever le menton vers moi.

- Regarde-moi, ne fuis pas… Ce sont plus que des envies désormais Lisa, ce sont de monstrueuses exigences. J'entre en servitude, tu comprends ?

Je saisis parfaitement comme ma déclaration te met mal à l'aise. Certains mots s'imposent à moi, à toi aussi certainement : dépendance, assujettissement. Pourtant je te jure Lisanna que rien n'est parfaitement déterminé ou défini, que tout me semble brouillé et embrumé dans ce que je veux ou ressens.

- Je ne veux rien de malsain entre toi et moi, ne te méprends pas. Je veux juste que tu saches que je ne maîtrise pas grand-chose. À mon grand effarement, je t'entraîne dans une relation… compliquée ?

- Le moins qu'on puisse dire, hoquètes-tu avec un sourire triste alors que ta main se pose sur la mienne. Je la veux pourtant tout autant que toi cette relation… Mais Natsu, il faut quand même que tu comprennes…

Ta voix s'est éteinte, tu sembles hésiter. Mon pouce caresse l'arête de ton nez et fait naître un sourire mutin sur tes lèvres. Les miennes s'étirent également et t'encouragent.

- J'ai longtemps rêvé, espéré, fantasmé, énumères-tu, désiré qu'il se passe quelque chose entre toi et moi. Tu le sais n'est-ce pas ?

J'acquiesce de la tête. Oui Lisanna, je le sais parfaitement.

- Ça a duré des années et des années, hein. J'étais folle de toi. Complètement ravagée oui. Je te voyais comme l'homme de ma vie. Il ne pouvait y en avoir qu'un. Tu serais le premier et le dernier, le seul, l'unique. C'était écrit.

À ce moment, ton rire devient grimace et tu échappes à la caresse de ma main pour te détourner de moi. Je ne cerne bien évidemment pas tout ce que j'ai pu te faire endurer. Rien d'intentionnel ai-je envie d'interjeter. Mais je me tais car je refuse de tenter de justifier la non-réciprocité de l'amour que tu m'avoues, du moins celui que tu éprouvais quand nous étions plus jeunes. Et je devine aussi que d'autres confidences, pas vraiment agréables, vont suivre.

- Il est clair aujourd'hui que tu ne seras pas le premier, éclaires-tu inutilement, certainement pour me contrarier. Quand Lucy est arrivée, tu t'es métamorphosé. L'adolescent immature et irréfléchi. Bagarreur, Idiot, stupide…

- Okay, c'est bon, j'ai compris, m'offusqué-je pour faire diversion

- Idiot et stupide, réitères-tu en pénétrant mon regard de tes orbes autoritaires. Oui tu l'étais ! Mais tu es brutalement devenu délicat, attentionné avec une fille. L'amour ! Bon sang Natsu, l'Amour ne faisait aucun doute, c'était presque magique. J'en ai bavé ! Bavé comme tu n'imagines pas. Avec moi, tu restais le même, tu me chiffonnais les cheveux, tu me bousculais comme si j'étais un mec, tu me charriais à tout bout de champ. À tes yeux je n'évoluais pas, je restais ta meilleure amie, celle à qui tu confiais, en plus, tes premiers émois amoureux. Peut-on imaginer blessure plus vive pour l'entichée que j'étais ?

- Je suis désolé, je ne mesurais pas le mal que je te faisais.

- Ne t'excuse pas ! S'il te plaît Natsu, ne t'excuse pas d'être tombé amoureux… d'avoir trouvé La Fille, celle que tu aimes encore aujourd'hui.

- Je ne veux pas parler de ça, osé-je t'interrompre, souhaitant te rappeler que, moi aussi, j'ai un sujet tabou, un trésor à préserver.

- Il m'a fallu accepter, reprends-tu, sourde à ma demande. Accepter, renoncer, appelons ça comme on veut. J'ai enfoui ces satanés sentiments que j'éprouvais pour toi au plus profond de mon cœur; et même au plus profond de ma mémoire. C'était le seul moyen de ne pas me perdre, de ne pas avoir à m'enfuir. Et puis, j'ai gagné, je me suis résignée. J'ai même pu m'installer auprès de vous, tu te rends compte ? J'y suis parvenue, j'ai mené ma barque, traversé quelques histoires. Mais j'ai tout enfoui te concernant.

Tu scrutes avec intérêt les réactions de mon visage. Je me devine inexpressif, les années de plaidoiries et autres confrontations professionnelles m'ont rendu relativement maître de mes émotions. Pourtant, ne crois pas que ta tirade m'indiffère. J'analyse, je dissèque, je digère.

- Et je ne sais pour quelle étrange raison aujourd'hui tu me regardes différemment. Tu es attiré ? Tu as envie d'exotisme ? Dix années de routine peut-être, tu t'ennuies ?

- Arrête, exigé-je, je ne suis pas d'accord.

Je me suis rapproché de toi dans le but clairement affiché de te faire taire. Faire taire ta bouche, ton cœur, tes doutes. Mais tu poursuis, reculant légèrement pour m'échapper encore.

- Je me fiche que tu sois d'accord ou non. Je ne déterrerai rien Natsu ! éclaires-tu violemment. Oui je t'aime c'est vrai ! Je t'aime comme mon meilleur ami. Je refuse de voir autre chose.

- C'est ridicule ! soufflé-je en te saisissant la taille et la nuque et en te soumettant à moi. Tu veux tout autant que moi la relation qui est en train de naître. Certes, tu ne veux pas qu'on la qualifie de relation amoureuse mais, dans les faits, dans nos gestes, je ne vois pas la différence.

- Ça sera physique. Une attirance.

- Physique sans sexe ? Tu es sérieuse ? raillé-je de désespoir.

J'oblige ton corps à échouer contre mon torse. Tu gesticules légèrement pour communiquer tes réticences mais tu restes malgré tout dans l'étau de mes bras. Certainement ne t'est-il pas si inconfortable que tu le prétends.

- Je te veux heureuse dans notre relation Lisanna. Heureuse et épanouie. Ne crois pas que ma motivation soit la satisfaction d'un caprice égoïste.

- Ne me demande pas…

- Chut, dis-je en bâillonnant tes lèvres de mes doigts. Je ne te demande rien. Lisa, je ne parler ai plus de sentiments, d'accord ?

J'enrage ! Oui j'enrage de renoncer pour le moment à ce que je veux vivre avec toi. Avec toi Lisa, je ne veux pas d'une aventure platonique, platonique dans le sens émotionnel j'entends, je ne veux pas de retenue. J'ai parfaitement saisi l'implicite de ton discours, ces blessures que je t'ai infligées et qui t'ont fait tant souffrir que tu refuses de te mettre à nouveau en danger avec moi. Tu veux maîtriser, tu veux baliser notre terrain de jeu. Les conditions que tu as imposées à notre rapprochement sont désormais plus claires et j'en cerne les raisons profondes.

Mais en moi, un feu crépite et me mord les chairs. Il me dévore Lisanna. Et je reste là à te serrer avec mesure alors que mon désir le plus ardent est de t'étreindre avec passion et outrance.

- Je veux que tu me fasses confiance, prononcé-je solennellement tout en baisant tes doigts. Je saurai te satisfaire, exaucer tes vœux, je serai disponible pour toi.

Tu tressautes d'un rire sans joie.

- Je sais dans quoi je m'engage, tu n'as pas le don d'ubiquité.

Je saisis délicatement ta bouille et la tourne vers moi.

- Je ferai tout ce que je peux pour que tu sois heureuse avec moi. Je te promets.

- Ce genre de promesse n'est pas raisonnable, assènes-tu. Impossible à tenir. Pas dans notre situation.

- Et tu n'as pas envie d'y croire ? Tu veux que je sois raisonnable Lisa ? te questionné-je avec une pointe d'ironie.

Tes sourcils se froncent légèrement. Mes questions te décontenancent. Et j'adore les lumières qui éclairent soudain ton visage, une certaine reddition. Nos yeux restent entremêlés tandis que mes doigts s'affranchissent de leur timidité et partent en errance sur la pulpe de tes joues, délinéent ta mâchoire, effleurent tes lèvres. Mes yeux gourmands suivent le fascinant ballet improvisé sur le paysage de ton visage. Jamais je n'aurais cru un jour être troublé ainsi par ces simples attouchements que je te prodigue Lisa. Non, jamais avec toi. Une faim démentielle s'installe dans ma bouche et me fait fondre sur toi, kidnapper tes lèvres. J'impose un baiser profond auquel tu te soumets. Auquel tu réponds. Enfin ton audace, enfin ta fantaisie, enfin ce souffle qui te trahit… Enfin !

Je persiste dans notre douceur buccale, refuse qu'elle prenne fin. Nos langues jouent, ondulent, se taquinent. Nos dents s'affichent en sourires comblés. Chaque nouvelle inspiration me met en émoi, j'observe lors de ces intermittences tes paupières closes et concentrées. Que penses-tu en ce moment ? Savoures-tu la suavité du mélange de nos salives, te repais-tu du grésillement de nos gosiers en manque de souffle ?

Mes mains caressent tes joues, ton cou, tes épaules et accompagnent nos baisers. Je veux être partout sur toi, comme j'aimerais être partout en toi.

Qu'il est bon de mêler à nouveau nos regards lorsque notre baiser s'efface…

- J'espère être toujours suffisamment fort, suffisamment conscient pour que ton bonheur et ton bien-être passent avant tout; avant moi, avant mes exigences, d'éventuelles démesures. J'y serai toujours vigilant, ça aussi je te le promets.

Il me faut te rassurer, avec une sincérité, un empressement qui m'étonnent presque. Tu n'imagines pas comme il m'importe de te satisfaire, comme je tiens à toi, fort, fort, fort; comme je ne veux pas te faire de mal.

- Tu m'es devenue essentielle… Toi et moi, c'est essentiel. Tu comprends ?

- Ne l'étais-je pas déjà ? t'enquières-tu.

Je souris d'une oreille à l'autre, de ce sourire que je sais irrésistible et qui t'impressionne. Que j'aime la naïveté de ta remarque, ta méconnaissance des relations hommes femmes. Je ne m'offusque pas, je sais comme tout se mélange dans ta caboche dès qu'il est question de moi. Notre amitié, ce qui est en train de se nouer, rien n'est simple.

- Tu as toujours été essentiel pour moi, précises-tu.

- Ce que nous sommes désormais l'un pour l'autre, avancé-je précautionneusement, le besoin physique d'être ensemble, de se voir, de se toucher. Ça n'a pas toujours été comme ça.

Tu sembles perplexe. Un doute m'envahit. T'étais-je déjà essentiel ? de cette façon ? Lisa ? Mon cœur bondit dans ma poitrine.

- Là, maintenant, aujourd'hui, pour… longtemps, ça m'est essentiel.

Tes yeux se troublent alors que mon cœur se déclare. Des bulles fantasques voyagent dans tes iris; il est des milliers de vaisseaux indigo qui voguent sur l'océan de ton regard. Je pourrais les contempler des heures durant, suivre leur fascinant périple.

Tu n'imagines pas comme il m'importe de connaître leur mystérieuse destination. J'aimerais percer tous les secrets de ton âme Lisanna, j'aimerais que rien de ce que tu es ne me soit inaccessible. Argh, je sais comme la passion couve sous mes inavouables envies. Ma main tremble contre ta joue et je me surprends de ces désirs extrêmes et presque contradictoires qui se nouent en moi : vouloir t'assujettir, vouloir te combler. Que tu sois à moi et que tu t'épanouisses.

- Il faut nous méfier, Natsu ! canonnes-tu avec une terrible sagacité, faisant exploser la bulle dans laquelle nous évoluions. Parler de sentiments ce n'est pas forcément user de mots convenus et usuels. Ce que tu viens de dire, je trouve que ça ressemble beaucoup à des sentiments.

J'éclate de rire car, évidemment, je ne peux m'empêcher de glisser sur le terrain que je veux conquérir avec toi et, évidemment, tu n'es pas dupe !

Tu es vraiment belle ! Je t'admire; de ce regard neuf. Je me surprends à tout aimer de ce que je découvre chez toi.

J'entremêle nos doigts. Tu y consens avec ce grand sourire qui me terrasse. La complicité renaît, chaude et merveilleuse.

- Viens avec moi, murmuré-je doucement.

Je te soulève en passant mes bras sous tes aisselles et t'embarque lourdement. Tu abdiques en marmonnant je ne sais quoi tout en nouant tes bras dans mon cou.

- Où m'emmènes-tu ?

- Dans ta chambre, provoqué-je avec bonheur en riant.

- Natsu…

- No stress, t'interromps-je avant que tu ne t'encolères, je rigole. Je n'ai pas oublié ta fameuse règle numéro 1.

- Mouais, baragouines-tu en tordant ta bouche. Bien rattrapé.

- Ton canapé ? Depuis hier, je suis fan de ton canapé !

- Proposition acceptée, me déclares-tu doucement en reprenant possession de mes lèvres.

- Ne sois pas si confiante, glissé-je en échappant à ta gourmandise. Tu as une fessée à recevoir, tu n'as pas oublié ? J'ai plein de questions sur ton fameux déjeuner.

- Oooohhhhhhhh c'est vrai, glousses-tu. Pis y a plein de choses à raconter !

Je resserre significativement mon étreinte et te voilà en train de râler et te débattre… J'adore !

- Une très très grosse fessée alors !... Je vais me régaler !

Je suis vraiment plus fort que toi et je vois bien, aussi, comme tu prends plaisir à notre jeu, à feindre la soumission. Te voilà maintenue de force sur mes genoux, tes délicieuses fesses en l'air, prêtes à subir mon courroux. La première tape est une mise en bouche. Tes yeux s'arrondissent malicieusement et un sourire, aussi surpris que séduit, relève la commissure de tes lèvres lorsque tu tournes vers moi ton doux minois.

La seconde tape est plus forte et tu exploses d'un rire conquis et incrédule.

Les suivantes sont rythmées, explosives, et doivent échauffer ton séant tout autant que mon désir. J'imagine ton épiderme rosir sous le feu de mon châtiment et j'en exulte. Tu te tortilles et brailles; m'invectives et ris de bon cœur tandis que j'use de ma force pour te maintenir. Délicieux manège; absolument délicieux !

- Hééé, tu ne sais même pas comment s'est passé le déjeuner ? Natsu, c'est pas juste !

Je poursuis, sourd à tes atermoiements.

- Tu as titillé ma jalousie ce matin et c'est franchement pas joli joli, expliqué-je d'une voix grave tout en battant joyeusement. Et puis te plains pas, la couche de gras que tu as sur les fesses va fondre avec ce traitement… Tu en as bien besoin…

- Non mais je rêve ! Aïe ! feins-tu avec emphase. Tu prends plaisir à me donner une fessée à ce que je vois, je ne te connaissais pas ce côté sadique… Aïe…

- Non ! te rassuré-je en stoppant peu après la danse de ma main sur tes jolies fesses. Non, non, ne t'inquiète pas, je ne suis pas sadique. J'avais juste quelques comptes à régler avec toi… et j'en ai profité…

Je te relâche pour quelques instants mais t'oblige vite à reprendre position sur mes genoux, t'installant à califourchon sur moi pendant que tu renaudes bruyamment.

- Viens-là, t'invité-je urgemment.

Mes mains s'immiscent dans le creux de tes reins, sous ton pull, pour mieux te caler contre moi. Nos ébats t'ont échauffée et tes joues sont colorées; certainement autant que ces autres rondeurs que j'ai rudoyées.

- Sauvage ! t'indignes-tu. J'ai mal aux fesses maintenant.

- Hum, roucoulé-je en cajolant de mes mains les pauvres endolories. Permets-moi de pénétrer ton jean et je saurai les consoler.

Mais deux poignes autoritaires se posent sur mes doigts, mettant un terme au doux massage que je pratiquais.

- Non, non, non, rauques-tu contre mes lèvres.

Je souris et ôte mes mains de ton séant. Nous reprendrons nos chamailleries dès que je saurais tout ce qu'i savoir sur ce satané déjeuner.

- Alors, ce déjeuner ?

Je scrute tes réactions. Je ne peux pas ne pas remarquer la légère tension dans ton dos que mes mains se sont réappropriées.

- Très sympa.

- Très sympa ? répété-je. Ça veut dire quoi, très sympa ? Où t'a-t-il emmenée ?

- En fait, c'est moi qui l'ai emmené… chez Alfred.

- Hum… fais-je dubitatif. Vous êtes allés dans ton boui-boui, ta cantine en fait.

- Bah oui. C'est pas loin du lycée, on y mange très bien et c'est pas cher.

Je pouffe de rire.

- Grey chez Alfred… Il n'a pas insisté pour t'emmener ailleurs ? C'est pas l'endroit rêvé pour un déjeuner romantique.

- Oh arrête de jouer Natsu, t'encolères-tu. Ce déjeuner n'avait pas vocation à être romantique.

- Pour toi, non, ai-je besoin de clarifier. Je suis franchement surpris qu'il n'ait pas tenté de te proposer une autre table.

- Crois-le ou non mais Grey a été enchanté quand j'ai proposé de l'emmener chez Alfred. Il n'est pas aussi obtus que tu sembles l'être. Il a adoré ce qu'on y a mangé, l'ambiance décontractée, les gens intéressants qu'on y rencontre. Oui, il était ravi de découvrir ce boui-boui comme tu dis.

Tu t'échappes rapidement, visiblement vexée de mon non-adhésion au choix du restau, et tout autant irritée par les questions consternantes - j'en suis conscient - auxquelles je te soumets.

- Tu veux un café ? proposes-tu dans ta fuite.

Je te suis.

- Oui.

Grey Fullbuster chez Alfred ? C'est drôle mais ça ne lui ressemble pas.

- A-t-il tenté de te séduire ? demandé-je sans préliminaire. T'a-t-il sorti le grand jeu ?

C'est un regard lourd de reproches que tu poses sur moi après que tu t'es vivement retournée. Je déglutis. Je suis bien conscient de ne faire preuve d'aucune délicatesse en t'interrogeant de la sorte. Voudrais-tu que j'use de manœuvres avocates, que je mène un interrogatoire avec subtilité ? Au diable la subtilité Lisanna ! Je sais mon meilleur ami attiré par toi. Grey te veut ! Tu dois en avoir conscience lorsque tu te retrouves seule avec lui. Qu'il t'ait suivi dans ton restaurant fétiche, celui où tu déjeunes avec tes collègues, avec moi parfois, celui où tu corriges tes copies sur tes heures de désœuvrement, où tu te sens en confiance, où tu es connue de tous et où tu connais tout le monde, n'est pas sans sens. Si j'analyse bien la situation, tu lui as offert un très joli cadeau en l'amenant dans ton repaire. Tu lui as ouvert ton univers, tu lui as permis de mettre un pied chez toi.

Je fulmine intérieurement tandis que mon esprit visite les raisons qui ont amené Grey à te laisser le choix du Lieu.

Il n'est vraisemblablement pas en simple approche d'une proie. Mon plus ancien ami manie à merveille l'Art de la séduction, il multiplie les conquêtes avec une facilité que tous lui envient. Restaurants, hôtels de luxe, week-ends exceptionnels, il sait éblouir pour obtenir. Il sait aussi être persuasif, galant, grand maître de l'affèterie.

Merde, merde, cette énumération me donne la nausée. Quelle mauvaise foi ! Grey n'est pas superficiel ni manipulateur, il sait user de son charme voilà tout, parfois même est-il débordé par l'émoi qu'il fait naître chez le beau sexe. Le taxer de manœuvre est indigne et déloyal de ma part; je ne dois pas être dupe de ma malhonnêteté amicale sur ce coup-là. Pauvre de moi ! La jalousie ! Putain, je suis médiocrement jaloux de mon meilleur pote qui, sans même le savoir, s'aventure sur mon territoire.

Mon territoire ? Mon regard divague sur l'harmonie de ton visage… Tu es si jolie, si crispée à cet instant, si craquante… Je mérite un milliard de gifles pour avoir osé placer l'expression mon territoire sur toute la complexité que tu es. S'il y a une chose que je sais, c'est que je n'ai rien à revendiquer, je n'ai rien, je ne suis rien… Je ne suis qu'un connard ! Un connard jaloux de son meilleur ami qui s'est permis de poser les yeux sur toi... Mais pas seulement ! Grey n'agit pas comme à son habitude, il ne t'en met pas plein la vue, il ne tente pas de mener le jeu. Et il n'en apparaît que plus dangereux.

Tu ne réponds pas à ma question, pourtant essentielle, et pars farfouiller dans tes placards, m'offres ton dos en contemplation; pour quelques secondes.

Car une poignée de secondes plus tard, tu fais volte-face et sembles abandonner l'idée de nous faire un café.

- Tu as raison Natsu, lances-tu en t'approchant de moi, je pense que je plais à Grey.

Mes yeux s'étrécissent pour mieux discerner l'émoi que tu retires du simple fait que tu admets devant moi. Tu plais à Grey.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? t'interrogé-je, curieux.

- Rien de tangible, rien d'explicite, reconnais-tu sans théâtraliser. La manière dont il me regarde, dont il me sourit, les questions qu'il me pose. Enfin tu sais, la gêne qui peut s'installer entre un homme et une femme sans raison particulière, des sensations étranges; comme un malaise…

- Ah, fais-je en écarquillant les yeux. Ça a l'air de te troubler, je me trompe ?

Tu m'envisages un instant avec étonnement. Suis-je en train d'afficher la crainte qui me traverse ? Oui, lis-tu sur ma tronche la peur de te perdre ?

- Est-ce que ça te contrarierait ? oses-tu avec perfidie, comme si tu avais deviné. Dis, Natsu, serais-tu fâché si j'étais sensible aux attentions de Grey ?

- Tu l'es ?

- Il est très séduisant.

- L'es-tu ? réitéré-je avec plus de hargne.

- J'avoue…

Tu stoppes brutalement; ta phrase; les pas qui te menaient à moi. Oui tu stoppes à quelques centimètres à peine et nos yeux à nouveau s'étreignent.

- Je te déteste quand tu es comme ça, me mets-je à cracher de rage, poings serrés. Tu es en train de jouer Lisa, si tu as un message à me faire passer, sois explicite !

Une de tes mains se tend vers moi mais je l'esquive facilement. Un petit rire explose sur tes lèvres alors que tu constates l'ampleur de mon irritation. Te moques-tu ?

Je me détourne prestement et me dirige vers la porte d'entrée. Inutile de poursuivre sur ce registre, je sens clairement la tempête gronder en moi et je ne veux pas que tu aies accès à cette jalousie qui me rend dingue; je veux que nous échappions à la dispute que je pressens. Mais alors que je m'apprête à quitter ta maison dans un sursaut ridicule et enfantin, tes bras m'enlacent par derrière, se nouent sur mon ventre et ta poitrine s'écrase contre mon dos.

- Voyons ne pars pas, je me fiche de Grey ! Natsu, il n'y a que toi…

Un fleuve de lave se déverse dans mes veines et embrase mon corps tout entier en simultanéité de ta confidence. Je me retourne dans tes bras, emprisonne ta bouille dans une poigne, ta taille dans l'autre. Te voilà à ma merci !

- Répète !

- Il n'y a que toi…, t'exécutes-tu, servile.

- Jure-le !

Et là tu ris en levant les yeux au ciel. Petite effrontée !

Mais ton rire très vite s'efface sous la brutalité du baiser que je t'impose. Tes mains viennent reprendre leur place dans mon cou et tu quittes terre pour t'abandonner dans mes bras. Si je me montre dévorant, tu n'en es pas moins déchaînée et c'est souffle débridé, mains affolées dans mon indomptable tignasse, que tu t'engages dans notre bouche-à-bouche. Tes mains agrippent ma veste et je devine que tu souhaites que je m'en débarrasse. Tu m'en défais avec une terrible facilité. Tu la jettes sur un fauteuil tout proche.

Déjà, le canapé t'accueille et, habilement, je t'y allonge complètement, te surplombe, encore debout. Penché vers toi, je me régale de l'exquise vision que tu m'offres, allongée, alanguie, à m'attendre, tes iris brouillés d'un désir que je souhaiterais cerner mieux que je ne le peux.

Peux-tu seulement imaginer Lisanna comme là j'ai envie de m'allonger sur toi, sentir ton corps sous le mien, ta chaleur ?

Je lis sur ton visage les émotions qui naissent suite à ma confession, un somptueux arc-en-ciel le fait scintiller et, pour peu, je distinguerais des étoiles constellant tes cheveux immaculés; tu te relèves sur les coudes, m'envisages.

- Alors viens vite ! Rejoins-moi !

Inutile de me faire prier, je te retrouve sur le canapé. Il n'est ni large, ni long et nous sommes tous les deux grands, mais qu'importe, nous nous arrangerons, nous nous mêlerons plus étroitement. Mes mains encadrent l'ovale de ton visage tandis que mon corps prend place sur le tien. Je déglutis, envouté par le regard chaviré que tu m'opposes tandis que mon ventre recouvre le tien, que nos nez se rejoignent, que nos souffles se goûtent. Comment ne pas m'imaginer te faire l'amour Lisanna ? … J'abandonne quelques complaintes éloquentes sans honte, témoignages sonores de l'émoi qui naît de la perspective de te posséder pleinement. Tu m'observes, mi-perdue, mi-excitée, tu m'invites…

Aie conscience de m'inviter en me scrutant de la sorte !

J'accède à ta muette demande, je prends ta bouche; violemment, passionnément. Tes mains caressent mon rachis en simultanéité, j'exulte et n'en suis que moins doux, plus entreprenant. J'avais prévu d'être tendre, de prendre mon temps, de sonder tes attentes, mesurer tes réticences, t'en défaire lentement, te conquérir. Putain… et là, je m'excite clairement sur toi. Je ne t'embrasse pas, je te croque, je te mords, te bouffe, gagné par une faim, une gloutonnerie dont je n'avais jamais eu conscience en ce qui te concerne avant notre rapprochement.

Pas mieux qu'hier décidément !

Mes mains s'affranchissent de la nécessaire sagesse des premiers contacts amoureux, elles se révèlent impudentes, ont plongé sous ton pull, caressent ton épiderme, te découvrent. Les tiennes œuvrent également sans retenue, et ce sont les boutons de ma chemise qui cèdent les uns après les autres. Ma peau se couvre de frissons tandis qu'elle devient ta distraction. Tu te tortilles sous moi. Merde, l'effet que ça procure ! Tu te tortilles et me rends fou. Je grogne, je bande. C'est clair, je bande. Les yeux toujours fermés, mes sourcils se soulèvent exagérément tandis que cette vérité s'impose à moi.

J'ai envie de toi Lisanna.

Hier, hier, je n'ai pas été visité par cette réalité qui me torture en ce moment. Cette envie qui croît en simultanéité de mon sexe, ce désir de pénétration qui s'invite dans mon ventre. Il a fallu que je sois bien con pour oser croire que je me satisferais de moins, que notre relation resterait chaste et que ça me conviendrait. Ça dérape trop vite ! C'est une relation amoureuse que je convoite auprès de toi, une folie qui s'est imposée, mais cette folie concerne avant tout mon cœur; mon cerveau aussi, pourquoi pas, je suis cérébral nom de dieu ! Mon corps aussi peut s'investir, de l'émoi, du plaisir que je retire de ces baisers que je sollicite, de ces caresses que tu m'autorises, mais je ne veux pas que tu croies que mon objectif est de te baiser. Je ne le veux pas. Autant pour toi que pour moi. Moi qui te respecte; moi qui me leurre en pensant que je continue de respecter Lucy si nous ne consommons pas. Cette règle que tu imposes Lisanna, cette putain de règle, défends-la ! Bec et ongle, défends-la ! Ne me laisse pas la balayer facilement ! S'il-te-plaît, résiste-moi autant que tu peux !

Mais ma raison défaille. Je croque ton cou, tu adores, tu exultes, des petits sons délicieux s'échappent de tes lèvres et participent à mon excitation grandissante. Mes mains se sont saisies de tes seins agréablement parés de dentelles et les pressent doucement. Comment aimes-tu être touchée ici ? Vais-je deviner, vas-tu succomber à ce que je prévois ? La folie a gagné mon cortex et je remonte ton pull.

- Je veux les voir, prononcé-je d'une voix troublée par le désir.

Aucune possibilité pour toi de lutter contre moi, j'ai empoigné ton pull et l'ai remonté sous tes bras, dévoilant ta poitrine magnifiquement habillée d'un soutien-gorge noir et kaki.

- Très joli, te complimenté-je en faisant danser mes doigts sur la dentelle sophistiquée. Tu es magnifique.

Je ne m'attendais pas à pareille fantaisie de ta part. Toi qui aimes la simplicité, ton dessous est chic et raffiné. La délicatesse de ta peau, sa blancheur, contrastent remarquablement avec le tissu travaillé et sombre. Ma bouche se pose délicatement sur ton sternum, tu trembles un peu. Je relève les yeux pour croiser ton regard inquiet. Tu m'excites ! Quelques baisers viennent à nouveau goûter le moelleux de la naissance de ta gorge. Je croise ton regard à nouveau et la frayeur qui le zèbre toujours m'excite terriblement. De plus en plus. Je sombre. Ton appréhension m'excite. J'suis pas net !

Un petit sourire tente de te rassurer, je ne renoncerai pas à découvrir ce territoire dès aujourd'hui; tes doigts s'aventurent dans mes cheveux, s'y crispent et, ce faisant, ne font qu'attiser ma convoitise, 10000 volts me traversent et m'électrisent. D'un geste propriétaire, je passe les mains dans ton dos et dégrafe ton soutien-gorge. Puis, lentement, sous le feu de ton regard incrédule, la barrière de tissu s'efface de tes seins, je la relève précautionneusement pour qu'elle rejoigne ton pull échoué dans ton cou. Tes trésors se dévoilent enfin, ronds et blancs, leur pointe rose érectile est outrageusement érigée, trahissant comme ce moment t'est tout aussi excitant qu'il ne l'est pour moi. N'y tenant plus, mes doigts s'accordent à voyager sur toi, dévalant ces faibles monts, appréciant leur chaleur, leur fermeté, leur sensibilité. Tu te cambres sous mes légers attouchements, je fais rouler tes tétons entre mon pouce et mon index sans te quitter des yeux. Nous sommes toujours étendus l'un sur l'autre; moi sur toi; toi entièrement abandonnée à mon insatiable appétit de toi. D'ailleurs ma langue vient de faire son apparition, c'est qu'il me faut te goûter. Tu suis, impressionnée, le dessin qu'elle délinée sur ta poitrine, tu paniques lorsqu'elle aborde tes seins et qu'elle lape l'un de leur sommet. Elle balaie fermement ton bouton incarnadin et l'englue de salive, puis réserve le même traitement à cet autre qui semblait le jalouser. Ah Lisa, tu trembles... Je t'aspire et tu trembles... Je te mords et tu trembles... Ton corps tout entier palpite à l'unisson du mien.

- Natsu, stop, implores-tu en repoussant mon visage loin de tes seins. Il ne faut pas.

- Ggrrrr, ne puis-je m'empêcher de râler alors que mon bonbon m'est ôté de la bouche.

Je quitte mon doux repaire, dois lutter pour reprendre mes esprits et ne pas fondre à nouveau sur toi. Mes sens me submergent, l'envie, l'étouffement. La suffocation. Cette chaleur de dingue qui accable mes reins. Je te regarde, un peu perdu. Toi aussi tu m'observes. Tu m'examines, devrais-je dire. Que lis-tu sur ma face enfiévrée ? L'envie de te faire l'amour ? Assurément que tu la lis ! Je ne dissimule rien et ton air effrayé, presque fâché, ne fait aucun doute. J'ai sombré, chaviré, si facilement Lisanna. Désolé, j'ai coulé à pic !

Penaud, je baisse les yeux sous le feu de ton regard. Une mitraillette serait plus inoffensive que tes prunelles azurites. Et ta bouche silencieuse est plus accusatrice qu'un réquisitoire incisif.

- Désolé, je me suis laissé emporter, m'excusé-je, mortifié.

Je me suis assis sur le canapé, j'ai libéré ton corps et entreprends de remettre la chemise que tu m'as ôtée dans le feu de l'action.

- Attends, m'interromps-tu en t'agenouillant à mes côtés, face à moi. Laisse-moi voir de plus près.

Tes doigts se sont posés sur mon épaule dénudée, mon épaule droite, ornée du tatouage qui semble t'hypnotiser.

- Ce sont les flammes de l'enfer ? articules-tu, tout en caressant l'encre rouge qui me recouvre. Dis Natsu…

Tes yeux embrumés retrouvent les miens; les miens, attentifs à la moindre éclaircie qu'ils pourraient détecter chez toi.

- Sont-ce les flammes de l'enfer qui te guettent ? Qui nous guettent ? précises-tu ta pensée. Pour mieux nous engloutir ?

- Non, je murmure doucement, soucieux de démentir, d'infléchir tes pensées. Non, ce sont les flammes de la passion Lisanna. Veux-tu que nous brûlions tous les deux dans le brasier de la passion ?

- Y a-t-il seulement une différence ?

Je ne sais pas. Quoi répondre ? Je ne sais pas. Un sourire à peine esquissé me permet d'échapper à la tension qui se joue entre nous à ce moment. Je caresse ta joue et plante un petit baiser tendre et presqu'amical sur tes lèvres pour désembuer tes yeux.

- Je dois y aller Lisa, il faut que je repasse au cabinet.

- Ah oui ! réagis-tu immédiatement en te levant, visiblement ravie de la diversion. Peux-tu ragrafer mon soutien-gorge s'il-te-plaît ?

Tu t'es retournée devant moi, as relevé ton pull et me présentes le tableau envoûtant de ton dos nu. Une émotion étrange naît dans ma gorge tandis que je m'exécute; que, lentement, j'attrape les bretelles de ton soutien-gorge.

- Tu l'attaches à quel niveau ?

- Au milieu.

Me croirais-tu Lisa si je te disais que je suis bouleversé par l'absolue complicité qu'induit ce geste qui doit te paraître anodin ? Oui, juste effleurer ton épiderme, te rhabiller intimement m'est un milliard de fois plus troublant qu'avoir ton téton en bouche. Je tremble alors que te voilà ceinte de l'artifice féminin par excellence. Et, planqué dans ton dos, je loue de pouvoir échapper à la sagacité de ton regard, ne pas être plus désarmé devant toi que je ne le suis déjà. Pour peu, je perdrais souffle, une tornade vient de saccager mon cœur et ma raison, je peine à m'extraire du tourbillon dévastateur. Mes mains glissent délicatement sur tes hanches puis remontent vers ton ventre et s'y rejoignent; pour mieux t'enlacer. Mon front échoue sur ta chevelure, mon torse contre ton dos. Mes yeux se closent et je savoure la tendresse de notre accolade.

Je grave cet instant dans ma mémoire. Quoi qu'il advienne de nous Lisa, la magie de cette étreinte sera le plus beau moment que nous partagerons jamais. Chacun de mes sens se gorge de ce qu'il peut te voler : une fragrance, un frisson, un soupir, ta chaleur, le feu… Le temps semble hésiter à reprendre sa marche inaltérable et m'offre le plus inestimable des cadeaux : notre enlacement silencieux et immobile. À croire que, pour toi aussi, le moment est précieux, unique… La paix m'envahit… J'ose croire qu'elle nous envahit…

oOo

- Prends ton agenda, organisons notre semaine…

La grimace qui accueille ma proposition pourtant innocente et bien intentionnée me surprend.

- Lisa ?

- Un agenda, c'est une blague ? Tu vas me mettre dans ton agenda ?

- Euh, oui.

Tes yeux prennent cette vilaine teinte marine qui les nuance systématiquement lorsque tu te fâches.

- Tu veux me caler entre tes rendez-vous, c'est ça ?

- Commence pas à vouloir intellectualiser le truc s'il-te-plaît. Je veux juste optimiser tous les moments que nous pouvons passer ensemble. Fais preuve d'un peu de souplesse et ne me cherche pas des noises pour ça. C'est comme ça que je fonctionne, je n'ai pas le choix !

- Mouais…

Tu t'exécutes – inespérée coopération – et pars chercher ton agenda papier dans ton sac à dos négligemment jeté dans ton salon, mais ton air pincé trahit comme l'idée te rebute. Tu feuillettes le livre noir et austère jusqu'à la page d'aujourd'hui et je découvre, effaré, des pages complètement vierges. Je me retiens de pouffer de rire. Tout d'abord, plus personne n'a d'agenda papier et puis le tien ne semble pas servir à grand-chose.

Je hausse les sourcils et censure toutes les acerbes remarques qui me viennent à l'esprit et qui concernent les emploi-du-temps des profs.

J'abandonne donc toute belliqueuse pensée et consulte mon smartphone.

- Demain, tu quittes à quelle heure ?

- Dix-huit heures.

- Je peux passer à dix-neuf ?

- Natsu, m'interpelles-tu pour que je relève les yeux vers toi. Tu ne vas pas au squash avec Grey le mardi soir ?

- Si, mais je vais annuler.

- Non ! Non, je ne veux pas que tu annules. Il est important que tu poursuives ta vie comme tu l'as toujours fait ! Je ne veux pas tout bouleverser et nuire à quoi que ce soit.

- Nuire ? Mais…

- N'annule pas, on se voit mercredi.

- Je passerai après le squash demain soir… à moins que tu ne veuilles pas de moi ?

Tu sembles hésiter. Je rêve ! Tu sembles hésiter ?

- Okay, tu passes juste me faire un coucou alors, acceptes-tu enfin.

- Mercredi, je t'emmène déjeuner et j'ai l'après-midi pour toi si tu es disponible ?

Je sais comme j'ai intérêt à marcher sur des œufs et à ne pas paraître trop entreprenant, trop décideur.

- Oui, je suis disponible.

Ouf !

- On mange ici ? Je peux cuisiner…

- En fait, j'aimerais bien qu'on aille voir ensemble l'exposition Araki au palais des congrès, on en avait parlé, tu te souviens ? On pourrait déjeuner pas loin et profiter de l'après-midi ensuite ? T'en penses quoi ?

- Araki ? remarques-tu. C'est sexe ça ! Après la fessée, tu envisages le bondage ?

Je souris… Je suis heureux que tu n'évoques pas Lucy. Cette expo, elle et moi y sommes déjà allés évidemment. Araki est un photographe qu'elle admire beaucoup et tu ne l'ignores pas. Depuis toujours, toi et moi, nous avons pris l'habitude de sorties culturelles; on se fait des cinés, des pièces de théâtre, des expos… À deux, à trois avec Lucy, avec d'autres amis… Rien n'est jamais figé… Je veux que nous puissions poursuivre ces activités. Là, c'est vrai, c'est un peu particulier. J'y suis allé avec ma blonde et je souhaite y aller avec toi aussi. Mais c'est prévu de longue date, on l'a évoqué il y a quelques semaines. C'est con que ça me mette mal à l'aise; mais c'est heureux que ça ne soit le cas pour toi.

- Je vais finir par croire que tu aimes ce genre de correction, te taquiné-je. Mais je crains être nul dans l'art du saucissonnage.

- Et je suis pas masochiste, jamais soumise, donc tout va bien ! ironises-tu. Okay pour Araki.

- Jeudi ? poursuis-je méthodiquement.

- Je finis à quinze heures.

- Dix-huit ? Je peux me libérer pour dix-huit. Ça te va ?

- Yes, souris-tu en te prenant enfin au jeu.

- Vendredi, ça ne sera pas possible pour moi, préviens-je, ennuyé. Trop de rendez-vous et une réunion tard le soir… Désolé… Samedi…

- Samedi, c'est le week-end, m'interromps-tu. Je pense que ce n'est pas raisonnable de se voir le week-end.

Je fronce les sourcils. La remarque est on ne peut plus fondée, c'est vrai. Mais j'avoue ne pas cerner encore les exacts contours de notre future organisation, les exigences de ton cœur, les miennes.

- On verra plus tard pour les jours suivants, c'est bien ça, non ?

- Oui, c'est bien ! Tu as raison.

- On improvisera…

- On fera comme tu veux, je souffle en effleurant le bout de ton nez.

Un petit silence inconfortable s'installe mais tu y mets bientôt fin.

- Sinon, euh… pour les SMS et les coups de fil, on fait comment ?

Je sens comme ces considérations organisationnelles te déplaisent.

- On ne change rien. On fait comme on a toujours fait.

- Juste on n'écrit rien de tendancieux, c'est suffisant ? t'enquières-tu.

- Non, rien de tendancieux, j'abonde dans ton sens, peu fier.

- Okay, okay.

Je te décoche un sourire que j'espère lumineux. Tes mains se perdent bientôt dans mes cheveux.

- J'adore ta chevelure rose ! railles-tu à propos de la couleur peu commune de ma parure.

Illico, j'enfonce mes doigts dans tes mèches immaculées et les chiffonne en représailles.

- Argh, je déteste, maugrées-tu en secouant ta tête pour me chasser.

- Je dois y aller, dis-je en rompant tout contact entre nous. À demain…

- À demain, murmures-tu avec un doux sourire.

Le baiser que nous nous donnons a une saveur très particulière. Moins suave, plus amère, plus acide. Nous échangeons un regard un peu gêné tandis que je m'apprête à quitter ta demeure.

oOo

Mon rythme cardiaque s'accélère alors que je parviens à ma voiture, que je l'ouvre tel un automate. Je ne me retourne pas. Je ne veux pas me retourner. Je viens seulement de m'arracher et, déjà, une sensation de manque me titille. Je n'ai pourtant qu'une envie : gommer les deux dernières heures, refermer le livre de mon infidélité, m'évader de la prison dans laquelle je me suis moi-même incarcéré. Cette prison a de grandes fenêtres bleues, un toit de neige et l'unique cellule qu'elle contient est la plus confortable du monde, la plus spacieuse, la plus agréable…

Je grimace en faisant vrombir le moteur, hésite à quitter ma place de parking, à m'insérer dans la circulation peu dense. La tentation est irrésistible. Une volonté supérieure m'intime l'ordre de jeter un œil, juste un regard, rapide et anodin. Doléance impérieuse, autoritaire. Me guette-t-elle ? Dois-je espérer que Lisa me guette ?

Immobile au volant, je me laisse gagner par cet envoûtant moment de flottement. Mon corps tout entier semble ondoyer dans une énième dimension. Il m'échappe. Bon sang, tout m'échappe. Perdu dans les nimbes brouillés, je tourne la tête vers la maison de toutes les tentations. Je scanne les fenêtres dans l'espoir d'entrevoir une sibylline silhouette mais mes yeux ne détectent rien de la présence ardemment désirée. Rien. Ma respiration devient brutalement saccadée, mon front plisse de contrariété. Qu'est-ce que je veux ? Putain, qu'est-ce que je veux ?