4. Te revoilà enfin
Le vent s'engouffrait dans la veste de Shinra alors que la moto roulait de plus en plus vite en direction de Yokohama. S'accrochant à Celty, le médecin illégal ne pouvait s'empêcher de regretter ce moyen de transport. Il aurait largement préféré se promener en calèche, comme il avait déjà eu la chance de le faire auparavant. Au moins il aurait pu parler avec Celty pendant le trajet. Mais il devait bien reconnaitre que la moto était plus rapide...
Alors qu'ils avalaient les kilomètres, Shinra devint de plus en plus songeur. Il espérait vraiment que ce Kine pourrait l'aider à retrouver Izaya. En toute honnêteté, Shinra devait avouer qu'il était inquiet. Jamais l'informateur ne l'avait laissé aussi longtemps sans nouvelle de sa part. Mais que faire si Kine n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvait Izaya ? C'était la seule piste que Shinra avait. Sans lui... Non, il ne devait pas penser comme ça. Kine allait forcément pouvoir lui donner des informations. Shinra essayait de rester positif. Ça ne lui ressemblait pas, de toute façon, de baisser les bras... Mais, malgré tout, il ne cessait de se demander dans quel état il allait retrouver Izaya. Son dossier médical n'incitait guère à la réjouissance.
Même si, en toute franchise, une part de lui n'avait rien contre l'idée de retrouver Izaya dans un sale état. Parce qu'il aurait alors enfin l'occasion de l'aider, de montrer son amitié envers le brun. Shinra n'était pas idiot, il savait bien qu'il n'en avait jamais été à la hauteur de ce rôle – et c'était une constatation qui ne l'atteignait pas vraiment. Il avait souvent délaissé Izaya, il le reconnaissait sans mal. Mais cette fois-ci, ce serait différent. Shinra allait l'aider et lui prouver qu'il pouvait compter sur lui. Et cette perspective lui plaisait beaucoup d'ailleurs. Il aimait s'imaginer dans le rôle de l'ami sauveur, même s'il savait que ça ne lui ressemblait pas tellement. Pourtant, il voulait qu'Izaya puisse se reposer sur lui. Maintenant qu'il était sûr de pouvoir garder Celty à ses côtés, il souhaitait se montrer digne de l'amitié que le brun lui avait porté autrefois. Ses raisons étaient donc purement égoïstes, mais il l'assumait complètement.
Lorsque la moto s'arrêta, Shinra fut content de pouvoir enfin en descendre. Il s'étira le dos, alors que Celty semblait fixer l'immeuble qui leur faisait face.
« C'est là, écrivit-elle rapidement. Tu veux qu'on y aille ensemble ?
— Je pense que ce serait mieux que j'y allais tout seul. Mais ça ne te dérange pas de rester dans le coin si jamais ça tourne mal ?
— Pas de problème.
— Merci Celty. Tu es un amour de m'avoir conduit jusqu'ici ! »
Shinra s'élança joyeusement vers elle, mais elle le repoussa, lui indiquant que ce n'était pas le moment pour ce genre d'effusion. Shinra reprit alors son sérieux et s'éloigna d'elle avec un petit geste de la main. Le bâtiment qui lui faisait face devait bien faire une dizaine d'étage. Il avait la typique façade grise délavée des immeubles que l'on construisait à la chaine. Shinra entra dans le hall et se dirigea sans attendre vers les ascenseurs. Il n'y avait aucune hésitation dans ses pas. Les informations de Shiki avaient été très précises, Shinra connaissait donc l'étage où se trouvait le bureau de Kine. Et, en effet, lorsqu'il arriva au troisième, il vit sur l'une des portes une petite plaque où était écrit, sous le nom de Kine, "Détective privé".
Après avoir frappé pour annoncer sa présence, il entra sans attendre de réponse. La pièce était presque entièrement avalée par de larges bibliothèques. Le seul espace à ne pas en être envahi était occupé par un grand bureau derrière lequel était assis un homme chauve au regard perçant. Shinra se força à lui sourire, pour donner bonne impression.
« Bonsoir, commença-t-il directement. Désolé de vous déranger aussi tard, mais j'ai besoin d'un renseignement important. »
Kine ne répondit pas tout de suite. D'un premier abord, il n'avait pas été surpris par cette intrusion. Que de futurs clients débarquent chez lui sans avoir pris de rendez-vous au préalable, ça arrivait plus souvent qu'on ne pouvait le croire. Mais la surprise vint malgré tout. Parce qu'il reconnut assez vite son visiteur. Il l'observa tout de même un moment, comme pour confirmer ses pensées, avant de soupirer légèrement. Il s'y était préparé depuis qu'il avait reçu ce coup de téléphone de Shiki. Mais il s'était plutôt attendu à voir arriver le yakuza et non ce médecin illégal un peu bizarre.
« Vous êtes Shinra Kishitani, n'est-ce pas ?
— ... Oui, répondit ce dernier, étonné que Kine le reconnaisse. Comment le savez-vous ?
— Je vous ai déjà croisé à l'époque où je vivais à Tokyo. Que faites-vous ici ? »
Shinra hésita l'espace d'une seconde. Il avait préparé ce rendez-vous dans sa tête, mais il n'avait jamais imaginé que Kine le reconnaisse. Du coup, sa stratégie tombait à l'eau, mais qu'importe. De toute manière, en avisant le visage de son interlocuteur, Shinra eut clairement l'impression qu'il n'était pas homme à se laisser berner et qu'avec lui, mieux valait aller droit au but pour ne pas lui faire prendre inutilement son temps.
« Et bien, commença alors Shinra d'une voix qui se voulait assurée, je voudrais des informations sur Izaya. Je sais que c'est vous qui l'avez emmené à l'hôpital. Alors je me suis dit que vous sauriez peut-être où il se trouve en ce moment... »
Il sourit, se montrant plutôt avenant, tout en s'installant sur la chaise à ses côtés. L'expression du détective ne bougea pas d'un millimètre. Pour être aussi stoïque, Shinra se demanda s'il ne se doutait pas déjà de la raison de sa visite...
« Vous êtes en lien avec Shiki, n'est-ce pas ? répondit alors Kine qui ne souhaitait pas éterniser la conversation en faux-semblants. C'est lui qui vous envoie ? Si c'est le cas, vous connaissez déjà ma réponse. Comme je l'ai déjà dit, je ne sais pas où est Izaya. Oui, je l'ai emmené à l'hôpital, mais une fois qu'il a été pris en charge par les médecins, je suis parti. Franchement, je n'ai jamais été très proche de lui. J'ai accepté certaines missions de sa part, mais c'était juste pour l'argent. Je ne l'ai jamais spécialement apprécié.
— Oui, c'est ce que Shiki m'a répété, mais... Enfin, soyons clair, Izaya n'aurait jamais pu quitter cet hôpital tout seul.
— C'est vrai. Il a sûrement eu une aide extérieure. Mais je n'en sais pas plus. Je suis revenu quelques jours plus tard par curiosité, je l'avoue. Cependant, il avait déjà disparu. »
Kine parlait d'une voix calme et assurée. Shinra ne savait pas dire s'il mentait ou non, mais il se sentait de plus en plus pris au doute. Non, ce n'était pas possible ! Kine était son seul lien actuel avec Izaya... S'il ne savait rien, comment diable Shinra pourrait-il le retrouver ?
« Mais pourquoi recherchez-vous Izaya au juste ? Après deux ans, ne vaudrait-il pas mieux juste l'oublier ?
— Ce serait une option oui, soupira Shinra. Mais je ne veux pas l'envisager. Vous n'avez aucun moyen de le retrouver ? Après tout, vous être détective privé. Je peux vous payer le prix que vous voudrez.
— Ce n'est pas nécessaire, je ne tiens pas à enquêter là-dessus.
— Mais pourquoi ? Si ça tombe, il est entre de mauvaises mains ! Ou il se terre tout seul quelque part. Ce serait bien son genre... »
Alors que Shinra était complètement pris de court par le refus de Kine, ce dernier l'observa longuement, songeur. Il s'était toujours attendu à ce qu'on vienne vers lui pour retrouver Izaya, bien entendu, mais il n'avait jamais pensé que ce serait quelqu'un avec des intentions bienveillantes. Des yakuza, oui; Shizuo Heiwajima, pourquoi pas, mais Shinra Kishitani ? Non, jamais... Kine ne connaissait pas les détails, mais il savait que Shinra était un ami d'Izaya. Un ami à sa manière. Mais que faisait-il là au juste ? Etait-il réellement inquiet pour l'informateur ? Si c'était le cas...
« Qu'est-ce que vous lui voulez au juste ? demanda alors Kine.
— Rien, répondit sincèrement Shinra. A vrai dire, c'est une démarche égoïste. Je veux juste m'assurer qu'il va bien et surtout qu'il est en vie... »
Shinra afficha un sourire désabusé. Il ne savait même pas pourquoi il se montrait aussi honnête envers Kine. Mais il n'en menait pas large. Tout ce temps sans aucune nouvelle d'Izaya... Il s'en voulait, à présent, de s'être montré aussi insouciant pendant plus d'un an. Il aurait dû comprendre plus vite qu'Izaya n'avait pas disparu sans raison. Mais que pouvait-il faire maintenant ? Même Kine ne semblait pas savoir où il était... Et si... et si ça signifiait qu'Izaya était réellement... mort ? Cette pensée avait du mal à s'imprégner dans l'esprit de Shinra. A force de se comporter comme un Dieu, Izaya avait réussi à duper tout le monde. Malgré lui, Shinra s'était mis à imaginer Izaya comme une sorte d'être immortel. Il avait fini par oublier, lui aussi, que l'informateur n'était qu'un humain...
Malgré tout, Shinra n'aurait jamais cru que ce serait Shizuo qui aurait raison de lui. Bien entendu, Shinra avait essayé, à de nombreuses reprises, de les réconcilier tous les deux, il avait peur que tout ça aille trop loin, mais il n'avait tout de même jamais pensé que Shizuo arriverait réellement à mettre fin à la vie du brun. Si Izaya se faisait assassiner, Shinra aurait plutôt misé sur le fait que le meurtrier soit un yakuza ou une victime d'Izaya. Mais pas Shizuo... Ces deux-là s'étaient donc mutuellement gâché la vie jusqu'au bout... Izaya aurait vu son existence réduite à néant alors que Shizuo devrait trainer sa culpabilité pour le restant de ces jours... Cette réalité ne plaisait pas, mais alors là vraiment pas, à Shinra.
Loin de ces préoccupations, Kine était pourtant tout aussi pensif que le médecin illégal. Ces derniers jours n'avaient pas été de tout repos pour lui. Izaya semblait encore plus sur les nerfs qu'auparavant. Kine avait le pressentiment qu'il s'était passé quelque chose, pourtant Izaya prétendait que tout allait bien. Seulement, ses cernes se faisaient de plus en plus noires et son poids ne cessait de baisser. Kine ne savait plus quoi faire. Il avait tout essayé, mais c'était comme si un mur invisible se dressait à présent entre Izaya et lui. Ce dernier ne cessait de se refermer de plus en plus sur lui-même. Et ça en devenait plus que problématique...
Comment devait-il aider Izaya à se redresser ? Il restait persuadé qu'un psychiatre lui ferait du bien, mais Izaya refusait d'en entendre parler. Il avait également échoué à le pousser à aller voir un médecin pour sa rééducation. Il était plus qu'évident que Kine n'arriverait plus à rien. Mais peut-être que l'avis d'un ami, qui plus est médecin, pourrait être plus persuasif...
Kine avait promis à Izaya de ne jamais révéler à qui que ce soit qu'il était encore en vie, mais il n'avait jamais imaginé qu'une personne s'inquiétant vraiment pour lui ferait son apparition. Si Kine était sûr d'une chose, c'était bien de son instinct. Jamais, de toute sa vie, il ne s'était trompé sur quelqu'un. Et il sentait bien que Shinra était sincère dans sa démarche.
Kine devait avouer qu'il se sentait pris entre deux feux. Il voulait respecter sa promesse, mais il souhaitait encore plus aider Izaya à se remettre de tout ça. C'était délicat, mais, au fond de lui, Kine savait déjà ce qu'il devait faire. Il était tout à fait prêt à se faire haïr par Izaya si ça permettait au brun d'aller mieux. Parce que depuis deux ans, il n'y avait plus que le bien-être de l'informateur qui comptait réellement à ses yeux.
Sans doute dû à ses longues années de solitude, Kine savait qu'il avait développé d'étranges sentiments pour Izaya. Au plus il passait du temps avec lui, au plus il s'attachait à cette personnalité si particulière. Un peu comme un père qui avait secrètement un faible pour son fils le plus difficile...
Sans se douter du dilemme auquel était confronté Kine, Shinra décida de ne pas s'attarder. Plus rien ne le retenait ici si Kine ne pouvait pas l'aider. Autant rentrer directement et essayer de trouver un autre moyen pour remontrer la trace jusqu'à Izaya. Parce qu'il n'était pas question qu'il abandonne ses recherches. Même si c'était peut-être pour retrouver un cadavre, il irait jusqu'au bout. Après tout, cela n'était que sa première vraie tentative. Il n'allait pas se laisser démoraliser pour si peu... Mais alors qu'il se redressait, Kine l'arrêta.
« Une minute, j'ai quelque chose à vous dire. »
Shinra se laissa retomber sur sa chaise, perplexe.
« Vous êtes venu seul ? demanda alors Kine.
— Non, je suis accompagné de Celty, ma compagne.
— Et en dehors d'elle et de Shiki, quelqu'un sait-il que vous êtes ici ?
— Non, personne... Pourquoi ? »
Kine soupira et décida de se lancer. Tant pis si Izaya lui en voulait. Après tout, c'était de sa faute s'ils étaient dans une telle situation.
« Ecoutez... je vous ai menti... Je sais où est Izaya. »
Cette phrase eut comme l'effet d'une bombe pour Shinra. Sursautant, il regarda Kine avec de grands yeux, ayant du mal à y croire. Il savait... il savait où était Izaya... Alors... ça signifiait que...
« Donc il... il est en vie ?
— Oui. »
Ce ne fut qu'au moment où il sentit tout son corps se détendre que Shinra se rendit compte de la tension qui l'habitait jusque-là. Il ne put s'empêcher alors de sourire largement, plus que soulagé.
« Où est-il ? J'aimerais le voir, ce soir si c'est possible, commença-t-il tout en sentant l'excitation prendre complètement possession de son corps.
— Avant ça, je dois vous avouer quelque chose, répliqua Kine. Je ne devais pas vous donner ces informations, mais je pense que vous pouvez m'aider. Malheureusement, Izaya ne va pas bien. Pas bien du tout...
— Comment ça ?
— Il refuse de se soigner. »
Kine lui raconta alors les détails, tout en expliquant ses inquiétudes sur l'instabilité mentale d'Izaya. Shinra l'écouta, pensif. Il avait du mal à croire ce qu'il entendait. Certes, Izaya n'avait jamais fait beaucoup attention à lui-même, mais il n'avait jamais négligé pour autant ses blessures, encore moins si elles étaient graves et handicapantes.
« Je vais vous dire où il est, mais seulement si vous me promettez de tout faire pour l'obliger à se soigner.
— Bien sûr. Je vais faire de mon mieux. Quand puis-je le voir ? Comme ça, je pourrai juger moi-même de son état.
— Ce soir. Laissez-moi juste un peu de temps pour le prévenir. Il vaut mieux qu'il le sache à l'avance, pour qu'il ne se sente pas piégé. »
Même si en disant ces mots, Kine savait que c'était perdu d'avance. Peu importe la façon dont il s'y prendrait, Izaya se sentirait forcément piégé...
Quelques minutes plus tard, Shinra se retrouva à nouveau dans la rue. L'air frais frappait son visage dans une tendre caresse. Rejoignant Celty d'un pas presque sautillant, Shinra se hâta de tout lui raconter.
« Alors il est bel et bien en vie... Tu dois être content ?
— Oui...
— Mais tu es inquiet, n'est-ce pas ? Pourquoi ? Tu devais bien te douter qu'il serait blessé, non ?
— Oui, mais je trouve ça bizarre qu'il refuse de se soigner... Ça ne lui ressemble pas... »
Celty ne répondit pas. A vrai dire, elle avait beaucoup de mal à compatir. Izaya avait causé tant de dégâts autour de lui qu'elle n'était pas mécontente d'apprendre qu'il avait enfin eu un retour de flamme. Et si elle avait fait en sorte que le coup de poignard qu'il avait reçu de Vorona ne soit pas mortel, c'était uniquement parce qu'elle estimait avoir une part de responsabilité dans tout ça. Mais, elle ne comptait pas pour autant éprouver de la pitié pour un tel être. Elle se retint, cependant, de tout commentaire, sachant que Shinra n'apprécierait pas. Celty avait toujours eu beaucoup de mal à comprendre l'amitié qui le liait à Izaya, mais elle n'avait rien à en dire. Après tout, si Shinra tenait à lui, alors elle ferait tout pour que les choses se passent bien. Elle ne voyait pas, de toute façon, l'intérêt de souhaiter le malheur d'Izaya.
« Tu veux qu'on aille dans le petit café d'en face en attendant ? tapa-t-elle.
— Oui, je veux bien, même si ce n'est que pour quelques minutes... »
Souriant légèrement, Shinra suivit Celty et s'engouffra dans le lieu qui semblait particulièrement accueillant. Ils s'assirent face-à-face à une petite table. Après avoir commandé, Shinra laissa ses yeux trainer sur les murs oranges qui étaient parsemés d'étranges tableaux.
« Dis-moi Celty, commença-t-il d'une voix lointaine, est-ce que ça te dérangerait qu'on reste quelques jours ici ?
— Non... Pourquoi ?
— J'ai un mauvais pressentiment avec tout ce que m'a dit Kine... Je n'ai pas envie de repartir tout de suite. J'aimerais m'assurer qu'Izaya va bien avant...
— Ça ne me dérange pas. Si tu veux, je vais nous trouver un hôtel pendant que tu iras le voir.
— Tu ne veux pas venir avec moi ?
— Je doute qu'il ait envie de me voir, écrivit Celty avec indifférence. De toute façon, c'est surement mieux que tu y ailles tout seul.
— Tu as raison... Merci Celty, tu es un ange. »
Shinra lui sourit grandement, soulagé de pouvoir compter sur elle. Avec Celty à ses côtés, il avait toujours l'impression de se sentir pousser des ailes. Et il en avait plus que besoin ce soir où il n'était plus aussi sûr de lui que d'habitude...
De l'autre côté de la rue, Kine sortait tout juste de l'immeuble et se dirigeait à pied vers la maison. Il n'avait pas peur de la réaction d'Izaya – il n'avait jamais eu peur de lui – mais il savait malgré tout qu'il allait vivre un moment particulièrement pénible. Cependant, il n'avait aucun regret. Parce qu'il savait qu'il avait pris la bonne décision. Lorsqu'il rentra dans son salon, il aperçut directement la silhouette d'Izaya derrière son écran d'ordinateur. Ce dernier semblait s'amuser, à en juger par le sourire mesquin qui s'affichait sur son visage. Kine secoua la tête. Décidément, Izaya n'apprendrait jamais de ses erreurs...
« Tu rentres tôt, remarqua alors l'informateur sans quitter des yeux son écran.
— Oui... J'ai rencontré quelqu'un au bureau. Quelqu'un que tu connais.
— ... Comment ça ?
— Shinra Kishitani. »
Izaya ne put s'empêcher de tressaillir légèrement. Mais qu'est-ce qu'il racontait ? Shinra était à Yokohama ? Mais pourquoi ? Et, surtout, pourquoi avait-il parlé avec Kine ?
« ... Qu'est-ce qu'il voulait ... ?
— Te retrouver.
— Vraiment ? murmura Izaya, plutôt surpris. C'est étonnant... mais tu ne lui as rien dit, n'est-ce pas ? »
Kine ne dit rien, s'asseyant face à Izaya. Ce dernier leva alors les yeux vers lui et comprit aussitôt. Son sang ne fit alors qu'un tour. Il ne revenait pas. Kine l'avait trahi ! Comment avait-il osé ... ?!
« ... Dis-moi que ce n'est pas vrai, siffla presque Izaya.
— Je n'avais pas le choix. Ton état ne cesse d'empirer. Shinra, lui, pourra peut-être te remettre les idées en place.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu te rends compte au moins de ce que tu as fait ?
— Cesse d'être aussi dramatique, Izaya. Il est là pour t'aider. »
Mais ces mots n'avaient aucun sens pour Izaya. Sans attendre, il mit ses mains sur les roues de son fauteuil et se détourna de son bureau. Il devait partir. Partir le plus vite possible. Kine ne comprenait pas... Et si Shinra n'était pas venu seul ? Et si... Et s'il était accompagné par Shizuo ? Malgré lui, Izaya tourna les yeux vers la fenêtre, s'attendant presque à voir le blond, le nez collé à la vitre. Mais il n'y avait personne... Evidemment qu'il n'y avait personne... Izaya perdait vraiment la tête. Shizuo n'était pas là. Shizuo ne pouvait pas être là, c'était impossible, n'est-ce pas ... ?
Mais il n'allait pas prendre le risque de rester ici. Il commença alors à rassembler ses affaires importantes, bien décidé à partir d'ici au plus vite. Mais à peine eut-il rangé son ordinateur portable que des coups brefs résonnèrent sur la porte.
« Je ne veux pas le voir, déclara-t-il aussitôt. Dis-lui de partir. »
Et sur ces mots, Izaya partit s'enfermer dans sa chambre. Il était furieux contre Kine. Jamais il n'avait cru qu'il aurait pu le trahir. Mais au moins, ça démontrait qu'Izaya avait eu raison de ne jamais faire confiance à qui que ce soit auparavant. Mais pourquoi Kine avait-il fait ça ? Ça n'avait strictement aucun sens... Tout tournait dans sa tête. Pourquoi fallait-il que tout aille de travers ? Etait-ce à cause de ce foutu coup de téléphone que Shinra était remonté jusqu'à lui ? Izaya savait qu'il avait fait une sacré erreur en appelant Shizuo. Mais de là à voir débarquer Shinra ici... Que lui voulait-il ? Pour rien au monde le brun ne voulait revoir son ancien ami. Izaya avait décidé de rayer Ikebukuro de sa vie et ça impliquait également le médecin illégal. L'informateur ne voulait pas voir son passé le rattraper. Il voulait juste tourner la page... mais personne ne semblait disposer à le laisser faire...
De l'autre côté de la porte, Shinra avait fini par entrer. D'une voix lasse, Kine lui expliqua ce qui s'était passé. Hochant la tête, le médecin illégal se dirigea sans attendre vers la chambre d'Izaya. Il se sentait assez sûr de lui, ayant préparé à l'avance ce qu'il comptait lui dire. Mais quand il poussa la porte et qu'il aperçut Izaya, assis près de la fenêtre, toutes ces paroles disparurent de son esprit.
Izaya lui était toujours apparu comme un homme fort que rien ne pouvait atteindre. Pourtant, à présent, rien ne semblait plus éloigné de cette image. Peut-être que c'était le fauteuil roulant qui faisait cet effet ou alors le regard de l'informateur qui restait résolument tourné vers la fenêtre comme s'il y voyait un spectacle particulièrement prenant.
« Bonsoir Izaya... Ça faisait longtemps...
— Je n'ai rien à te dire, Shinra. »
Izaya s'était complètement refermé sur lui-même lorsque le médecin était entré dans la pièce. Il était en colère et ne voulait pas lui parler. Il ne supportait pas non plus que Shinra puisse le voir dans un tel état. Tout s'embrouillait dans sa tête. Il n'arrivait pas à savoir s'il avait honte ou s'il se sentait triste. Mais que Shinra le voie dans une situation si déplorable le touchait plus qu'il ne l'aurait cru.
« Ha ha, toujours aussi sympathique à ce que je vois. »
Shinra força un sourire sur son visage et s'assit sur le lit, face à Izaya. Il prit un moment pour l'observer. Izaya était étrangement pâle, ce qui faisait encore plus ressortir ses cernes. Il avait également perdu du poids. Les os de ses poignets étaient clairement visibles. Après un rapide examen, il ne faisait aucun doute pour Shinra qu'Izaya se laissait aller.
« J'ai parlé avec Kine, il dit que tu n'arrives plus marcher. Ça doit être dur à supporter... Je suis désolé Izaya.
— Ne raconte pas n'importe quoi, je sais très bien que tu veux juste me manipuler pour que je fasse mes séances de rééducation.
— Je suis sincère, Izaya. Je suis vraiment désolé... »
Izaya croisa alors son regard et fut surpris par la sincérité qu'il lut dans les yeux de Shinra. Ce dernier avait du mal avec ce qu'il voyait. Il ne supportait pas de voir Izaya dans un tel état. Shinra avait presque l'impression d'être en face d'une toute autre personne. Il ne reconnaissait plus du tout son ami. Il se fit alors la désagréable réflexion que Shizuo avait peut-être bel et bien réussi à tuer Izaya...
« J'aurais dû te retrouver plus tôt, soupira-t-il.
— Ça n'aurait rien changé à mes blessures.
— Peut-être, mais... mais j'aurais pu te soutenir mentalement. Je t'ai laissé tomber... Pardonne-moi, Izaya.
— ... Je n'ai rien à te pardonner, Shinra. Et de toute façon, je n'avais pas besoin de toi, j'avais Kine.
— Je sais, mais... J'aurais aimé être à tes côtés malgré tout... »
Izaya fronça légèrement les sourcils. Il avait beaucoup de mal à croire en ces paroles.
« Qu'est-ce qui t'est arrivé, Izaya ? »
La voix de Shinra était basse et incertaine.
« A ton avis ? Tu n'es pas au courant de ce que ton cher ami m'a fait ?
— Celty m'a raconté votre combat... Mais je ne parlais pas de ça. Pourquoi te laisses-tu aller comme ça ? Ça ne te ressemble pas...
— Peut-être que ça me ressemble au contraire. Et puis, n'inverse pas les rôles. Celui qui ne se comporte pas comme d'habitude ici, c'est toi. »
Shinra sentit directement qu'Izaya se mettait sur la défensive. Le médecin décida alors de laisser de côté ses reproches et tenta une nouvelle approche.
« Est-ce que tu veux bien que je t'examine, s'il te plait ? J'aimerais me faire ma propre idée sur l'étendue des dégâts.
— Comme tu veux. »
Izaya haussa les épaules, peu intéressé. Un médecin de plus ou de moins... Il laissa alors Shinra faire ce qu'il voulait. Au bout d'un moment, ce dernier soupira légèrement. Ce qu'il voyait confirmait les dires de Kine. Il était fort possible qu'Izaya puisse remarcher avec de la rééducation. Si seulement il voulait bien se donner cette peine...
« Je sais ce que tu vas dire, mais ça ne m'intéresse pas, le devança Izaya. Maintenant que tu as satisfait ta curiosité, tu peux t'en aller. »
La voix d'Izaya était acerbe. Shinra décida de ne pas insister. Il se leva alors, le salua et quitta la pièce. Izaya n'était clairement pas disposé à discuter. Shinra, le connaissant bien, savait qu'il était inutile d'essayer de le forcer. Quelque peu ébranlé par cette rencontre, il retrouva Kine dans le salon.
« Comment ça s'est passé ? demanda ce dernier.
— Mal, soupira Shinra. Il m'a rejeté, il ne voulait vraiment pas que je reste auprès de lui... Enfin... Est-ce que je pourrais voir les rapports du dernier médecin que vous avez vu ?
— Bien sûr. »
Kine alla lui chercher les documents. Shinra se mit aussitôt à les lire. Toutes les données confirmaient ce qu'il avait lui-même observé. Izaya avait donc une réelle chance de pouvoir remarcher, alors pourquoi restait-il si hermétique à cette idée ?
« Le médecin a parlé de douleurs psychosomatiques, lui répondit Kine quand Shinra lui posa la question. Je pense qu'il a raison. Izaya n'arrive pas à s'en remettre.
— C'est étonnant... Vous êtes sûr de ça ?
— Je l'entends faire des cauchemars plusieurs fois par semaine... »
Shinra resta interdit un moment. C'était étrange... Izaya n'avait jamais eu peur de Shizuo... Shinra avait du mal à imaginer l'autre brun être traumatisé. Pourtant, tout semblait l'indiquer.
« Je reviendrai demain, déclara alors Shinra. Ça ne sert à rien d'insister pour l'instant.
— Très bien. Merci de votre venue.
— C'est normal. »
Shinra afficha un petit sourire un peu forcé, avant de s'éloigner. Il était retourné. Il pensait s'être attendu à tout, pourtant jamais il n'aurait cru découvrir un Izaya dans un tel état... Il avait honte de lui-même maintenant. Dire qu'il avait espéré le retrouver dans une situation difficile juste pour pouvoir l'aider et se montrer sous son meilleur jour... Le pire, c'était qu'il ne comprenait vraiment pas l'attitude du brun. Ce repli sur lui-même, ce refus de se soigner, ce n'était pas Izaya...
L'esprit ailleurs, il jeta un coup d'oeil à son téléphone. Celty lui avait envoyé l'adresse de leur hôtel. Un peu dépité, il se hâta d'aller la rejoindre. Il avait du mal à s'en remettre. Il n'aurait jamais cru voir un jour Izaya comme ça... Ça ne lui plaisait pas, mais alors là pas du tout...
De son côté, Izaya n'avait pas bougé d'un centimètre. Le regard toujours perdu dans le vide, il essayait de se concentrer sur sa respiration. Inspirer, expirer. Il ne voulait penser à rien d'autre. Pourtant, les pensées ne cessaient de forcer son esprit. La venue de Shinra avait été rapide. C'était étonnant, tout comme le simple fait qu'il soit venu. Il était sans doute juste intéressé par l'état de son corps... Après tout, Shinra n'avait jamais montré la moindre inquiétude pour lui auparavant.
Izaya entendit alors les bruits de pas de Kine s'éloigner dans les escaliers. Bien. Pendant un moment, Izaya avait pensé qu'il reviendrait lui parler. Heureusement, ce ne fut pas le cas. Ayant enfin la certitude qu'on le laisserait tranquille, Izaya bougea son fauteuil jusqu'au lit et se glissa dans les draps avec des gestes douloureux. Encore une fois, il ne dinerait pas ce soir, mais ça n'avait pas d'importance. Il n'avait même pas faim à vrai dire. Il voulait juste oublier. Oublier sa souffrance, sa peur. Oublier Ikebukuro, oublier Shinra. Mais c'était impossible.
Etait-ce le malchance qui s'acharnait sur lui ou était-ce lui qui la provoquait sans cesse ? Et là, allongé sur son lit, essayant de fuir la douleur de ses jambes, il repensa à son client devenu un meurtrier (par sa faute ?). Il repensa aussi à Shizuo qui était devenu fou de colère (par sa faute ?). A ce moment-là, et sans doute pour la première fois de sa vie, Izaya se rendit compte que tout partait toujours de lui. Il aimait les humains, mais il n'arrivait qu'à faire sortir leur pire côté. Peut-être était-ce son propre côté monstrueux qui déteignait sur les autres. Ou peut-être, qu'inconsciemment, il aimait les rendre comme lui... Mais aujourd'hui, il ne se sentait plus juste monstrueux. Il avait plutôt l'impression d'être comme mort de l'intérieur. Il avait la certitude à présent que quelque chose était brisé en lui. La seule chose qu'il ignorait, c'était depuis quand. Peut-être que ça avait commencé à cause de ce combat perdu contre Shizuo. Mais peut-être aussi que ça durait depuis bien plus longtemps que ça.
Il repensa ensuite aux paroles de Shinra. Ça ne lui ressemblait pas... Mais qu'est-ce qui lui ressemblait au fond ? Après tous ces années à faire semblant, à cacher ses vraies émotions, il s'était perdu en route. Peut-être que lui-même ne savait plus ce qui lui ressemblait ou non. Depuis qu'il était né, il s'était toujours senti à part. Et les humains, dans leur obsession de classer chaque comportement dans une case bien précise, n'avaient eu de cesse d'essayer de mettre un mot sur son étrange attitude. Izaya ne comptait plus les fois où on l'avait pris pour un psychopathe (il savait juste qu'elles étaient plus nombreuses que les fois où on l'avait traité de sociopathe). Ses propres parents parlaient de ses troubles d'humeur comme d'une espèce de bipolarité. Où était vraiment la vérité ? Il ne le savait pas lui-même. Mais il avait toujours plané au-dessus des gens. Au départ, c'était presque agréable, mais, maintenant, ça lui donnait le tournis Il ne savait pas comment s'arrêter, il ne savait pas comment redescendre sur terre. Il essayait pourtant, sans grand succès.
Seul Shinra avait su trouver les mots qui avaient un sens pour Izaya. "Je pense juste que tu es trop intelligent pour ton propre bien." Il lui avait dit ça un jour à la sortie de l'école. Ce n'était pas grand-chose, mais ça l'avait rassuré. Shinra, son seul ami... Shinra qui avait débarqué à Yokohama pour lui venir en aide... Izaya ne savait plus qu'en penser. Il était épuisé par cette vie passée qui ne cessait de se rappeler à lui. Et ce fut sans doute pour ça qu'il s'endormit rapidement pour une fois...
Le lendemain, à une centaine de mètres de là, Shinra quitta l'hôtel de bonne heure. Après avoir déjeuné en compagnie de Celty, il s'avança vers la maison d'Izaya. Lorsqu'il était venu là pour la première fois la veille, il avait été surpris de se retrouver à un tel endroit. Le cadre était vraiment beau. C'était reposant et à l'écart de la population. Ça ne ressemblait donc en rien à l'ancien appartement de l'informateur. Ce changement de décors était pour le moins particulier...
Lorsque Shinra entra dans la maison, il retrouva Izaya dans le salon, assis derrière son bureau, les yeux rivés sur son écran. L'espace d'un instant, Shinra eut l'impression de retrouver l'ancien Izaya. En dehors du fauteuil roulant, rien ne semblait avoir changé. Même en l'entendant arriver, l'informateur afficha un petit sourire moqueur, comme à son habitude, sans quitter son écran des yeux.
« Encore là ? Je suis étonné, Shinra.
— Allons, c'est normal que je me préoccupe de la santé d'un de mes plus vieux amis, non ?
— Ha ha, arrête ce rôle, ça ne te va pas du tout.
— C'est vrai, sourit Shinra. Comment vas-tu ?
— Ça va. Je suis sur une affaire juteuse. »
Izaya sourit longuement, alors qu'il finissait d'écrire un message sur un forum parlant de suicide. Puis, il tourna enfin ses yeux sur le médecin et le regarda, faussement amusé. Posant son visage dans sa paume droite, il affichait son petit sourire méprisant habituel. Il y avait bien réfléchi ce matin. Si Shinra revenait le voir, Izaya devrait faire semblant que tout allait pour le mieux. Il n'avait pas envie de paraitre une nouvelle fois pathétique aux yeux de son ancien ami.
« Pourquoi tu viens perdre ton temps ici ? demanda-t-il alors d'une voix volontairement trainante.
— Je ne vois pas ça comme une perte de temps. Tu m'avais manqué.
— Vraiment ? Eh bien, la prochaine fois, préviens-moi au lieu de me piéger en venant en douce.
— Si j'avais un moyen de te contacter, je l'aurais fait, Izaya. Mais tu as changé de numéro. »
Izaya secoua sa main droite, comme pour balayer ses paroles qu'il trouvait absurdes. De son côté, Shinra sourit, amusé. Il retrouvait bien là l'Izaya qu'il avait toujours connu. Ce dernier avait l'air en forme d'ailleurs, bien loin de l'image qu'il avait montré la veille. Mais Shinra n'était pas dupe malgré tout. Parce qu'il savait qu'Izaya avait une parfaite maitrise du mensonge et de la comédie. Le médecin avait l'habitude de tous ses faux-semblants. Et là, il était plus que convaincu qu'Izaya essayait de le persuader – voire de se persuader lui-même – que tout allait bien.
« Comment vont tes jambes ? finit par demander Shinra, voyant qu'Izaya ne semblait pas vouloir reprendre la conversation.
— Elles sont un peu douloureuses par moment, mais ça va. Tant que je n'ai pas à les bouger, elles me laisseront tranquilles.
— Et tes bras ?
— Oh, eux, ils se sont bien remis. »
Pour prouver ses dires, il secoua ses bras avec un large sourire. Mais Shinra ne comptait pas le laisser sans tirer si facilement. Il était venu ici avec une idée très claire en tête. Il allait tout faire pour qu'Izaya change d'avis et accepte de se soigner. Seulement après ça, il pourrait rentrer chez lui sans inquiétude.
« Est-ce que tu veux bien qu'on ait une conversation sérieuse ? demanda-t-il alors de façon directe.
— J'imagine que tu ne partiras pas tant qu'on ne l'ait pas fait, n'est-ce pas ? ricana Izaya.
— Exact. »
Izaya sourit longuement, mais intérieurement, il n'était pas si à l'aise que ça. Il ne voulait pas parler de tout ça, encore moins avec Shinra. Pourtant, il savait qu'il n'avait pas le choix s'il souhaitait avoir la paix. Alors, comme très souvent ces derniers temps, il prit sur lui et décida d'accepter la conversation. Avec un peu de chance, après ça, Shinra le laisserait enfin tranquille.
« Très bien, soupira alors Izaya de façon délibérément théâtrale. Que veux-tu me dire ?
— Entre nous, pourquoi ne veux-tu pas suivre ta rééducation ? N'as-tu pas envie de remarcher un jour ?
— Tu ne peux pas comprendre, Shinra.
— Alors explique-moi. Je ne demande qu'à comprendre.
— ... Les médecins ne parlent jamais qu'au conditionnel. Oui, j'ai des chances de remarcher, mais ce n'est pas une certitude ! Et si ça ne fonctionnait pas ? A quoi ça servirait de souffrir si ça ne menait à rien du tout ?
— Tu ne dois pas voir ça comme ça, déclara Shinra tout en secouant la tête. C'est vrai que c'est possible que ça ne fonctionne pas, mais il vaut mieux essayer malgré tout. Ça vaudra le coup dans tous les cas. Tu as besoin de la rééducation pour soigner non seulement ton corps, mais aussi ton esprit. Tu verras, ça te fera beaucoup de bien.
— Je n'en suis pas sûr... Tu oublies la douleur... Si je ne force pas sur mes jambes, je n'ai presque pas mal.
— Je t'en prie, Izaya, depuis quand as-tu peur de la douleur ? Tu ne te souviens pas de la fois où tu t'es laissé enlever volontairement ? Tu étais prêt à te faire arracher les ongles de la main si ça te permettait de mener à bien ton plan.
— Oui, je m'en souviens, ricana l'informateur. J'ai été étonné que ça marche aussi bien ce jour-là d'ailleurs, je n'ai même pas été blessé.
— Mais tu étais prêt à l'être.
— Ce n'est pas pareil, Shinra. Ce n'est pas la même douleur.
— Sans doute, avoua le médecin, mais tu ne devrais pas en avoir peur. Tu es plus fort que ça.
— Ce n'est pas si simple... »
Shinra le regarda un moment. Il n'arrivait pas très bien à le suivre. Pourquoi était-ce si difficile pour Izaya de faire face à ses blessures ? Bien sûr, la rééducation serait surement éprouvant autant physiquement que mentalement, mais ... Shinra se figea. Mais bien sûr ! Pourquoi n'y avait-il pas pensé avant ? C'était pourtant évident ! Ce n'était pas la douleur physique que redoutait Izaya...
« Je comprends, dit-il alors d'une voix précipitée. Tu ne veux plus penser à ce qui s'est passé, n'est-ce pas ?
— Laisse tomber... Ça n'a pas d'importance...
— Ecoute Izaya... Je ne vais pas te mentir. C'est évident que ta rééducation sera longue et pénible. Tu souffriras surement beaucoup également. Mais crois-moi, ça en vaut la peine. Ne veux-tu donc pas aller mieux ? »
Izaya ne répondit pas. Il mentirait s'il disait qu'il n'avait jamais rêvé de remarcher à nouveau... Mais il ne pouvait pas... Shinra ne comprenait pas. Pas plus que Kine. D'ailleurs, pourquoi ces deux-là perdaient-il autant le temps avec lui ? N'avaient-ils toujours pas compris qu'Izaya n'en valait pas la peine ? Ils se montraient bien trop conciliants avec lui...
La vérité, c'était qu'Izaya estimait qu'il méritait ce qui lui était arrivé. Cette douleur, cette infirmité, tout ça, il le méritait plus que de raison. C'était son châtiment. Alors pourquoi Kine et Shinra s'inquiétaient-ils autant pour lui ? Pourquoi voulaient-ils l'aider ? Izaya n'avait jamais rien fait qui puisse mériter une telle sollicitude. En toute honnêteté, si la situation était inversée, Izaya se serait probablement moqué d'eux, les tourmentant plus que de raison...
« Izaya, reprit Shinra. Laisse-moi t'aider...
— Tu ne peux pas...
— Bien sûr que si. Je suis disposé à t'aider dans ta rééducation. Tu pourrais même venir vivre avec Celty et moi. Je te soutiendrai du mieux possible.
— Non ! Je ne reviendrai jamais à Tokyo... Jamais, Shinra...
— D'accord, d'accord... Alors... je pourrais me déplacer moi. Ça ne me dérange pas de venir ici tous les jours. Qu'en penses-tu ? »
Izaya n'arrivait décidément pas à comprendre pourquoi Shinra voulait autant l'aider. Pourtant, une part de lui était presque tentée d'accepter. Avec Shinra à ses côtés, peut-être qu'il trouverait la force d'aller de l'avant, mais une autre partie de lui refusait tout net d'avancer. Et il n'arrivait pas à savoir quel sentiment était le plus fort.
« Shinra... Tu ne devrais pas t'investir autant...
— Je m'investis dans ce que je veux et comme je le veux, répliqua Shinra avec un petit sourire.
— Est-ce que tu sais, au moins, que c'est moi qui ai gardé la tête de Celty quand elle a été retirée du laboratoire de Nami ? Alors que je savais parfaitement que tu voulais savoir où elle était. Je me suis amusée avec elle, je voulais la réveiller. Et je n'en avais rien à faire de ce que toi tu souhaitais.
— ... Je sais... Enfin, je m'en suis toujours douté. Mais ça n'a plus aucune importance à présent. Celty ne veut plus récupérer sa tête de toute façon. Elle m'a choisi.
— Tant mieux pour toi... »
Izaya n'en revenait pas. Shinra ne le lâcherait donc pas, peu importe ce qu'il dirait ?
« Ecoute, Izaya, j'aimerais vraiment que tu réfléchisses à ma proposition. Tu ne crois pas que ça en voudrait la peine ?
— Je ne sais pas...
— Eh bien, j'imagine que c'est toujours mieux qu'un non direct. Très bien, je vais te laisser un peu de temps pour réfléchir. »
Izaya acquiesça. Il ne voulait toujours pas se soigner, mais l'idée de voir Shinra venir ici tous les jours était très tentante... Mais il restait un point qui devait être éclairci... et pas des moindres.
« Shinra... Il y a quelque chose que je dois te demander...
— Je t'écoute.
— J'aimerais vraiment que tu ne dises à personne, en dehors de Celty bien sûr, que je suis toujours en vie. Restez discrets, s'il vous plait. »
Par personne, Shinra savait qu'il entendait surtout "Shizuo". Le médecin illégal fut tenté de lui dire que Shizuo se sentait mal à l'idée de l'avoir tué, mais il se retint. Izaya n'avait pas besoin de savoir ça. Shinra sentait, de toute façon, que l'informateur était encore trop fragile pour entendre parler des états d'âme du blond.
« Ne t'en fais pas, Izaya, je ne le dirai à personne. Tu peux me faire confiance. »
Et voilà pour ce chapitre. Merci de m'avoir lue! Je vous avoue que c'est difficile de ne pas faire se rencontrer Shizuo et Izaya, mais je pense que ce ne serait pas cohérent que ça vienne trop vite. Et puis, j'ai bien aimé écrire sur la relation Shinra/Izaya. En tout cas, n'hésitez pas à me laisser une review, c'est pour moi le seul moyen de connaitre votre avis sur cette histoire.
A bientôt pour le chapitre 5!
