Chapitre 2 : Une longue journée pour Balsa
Balsa fut l'une des premières à terminer son examen et après un autre cours complémentaire, sur les langues et la traduction Yogoese, elle sortit à l'extérieur pour retrouver sa cousine qui était sans doute en train de s'entrainer contre Lany, une autre lancière très douée. Balsa alla chercher un petit contenant d'eau et regarda dans sa trousse de premier soins : elle avait toujours des bandages, des serviettes, des plantes séchées et un mini mortier en sa possession. Elle prit place sur une des marches sculptées à même la pierre de la montagne et regarda Alika combattre tout en écrasant des herbes médicinales. Alika se fit couper le front par la pointe de la lance de Lany. C'était une blessure superficielle qui ne nécessitait pas de points de suture, mais les coupures au niveau du front étaient portées à saigner beaucoup, alors le visage de sa cousine ne prit pas long pour se couvrir de sang.
De plus, malgré le fait que la jeune adolescente ne pouvait plus rien voir, Lany continua ses assauts. C'est à ce moment-là que Balsa vit quelque chose de très surprenant. Alika fit un salto arrière, évitant l'attaque de son adversaire, avant même d'avoir essuyé le sang de ses yeux. Lany soupira. Elle venait du clan Muto, avait des cheveux bruns courts, toujours avec un ruban bleu poudre en guise de serre-tête et de grands yeux bruns. Elle avait des formes généreuses, faisait 5'4", possédait un très fort caractère et avait dix ans de plus que son adversaire, la cousine de Balsa. Alika ne sembla pas savoir où se diriger et essuyait son sang maladroitement.
« Alika, suis ma voix ! annonça Balsa alors que Lany se retirait un moment. »
Sa cousine suivit sa voix, les mains devant elle, les yeux toujours embués de sang. Balsa tendit ses bras et attira sa cousine proche d'elle avant de l'asseoir proche d'elle, dans les escaliers en pierre.
« Ne bouge pas, je vais essuyer le sang de tes yeux. »
Elle mouilla une serviette et essuya les yeux d'Alika qui put finalement rouvrir les paupières, timidement.
« Lany n'a pas retenu ses coups, commenta Balsa.
- Elle a toujours été comme ça... mais aujourd'hui, je crois que je ne suis pas vraiment concentrée... ce pourquoi elle est parvenue à me couper au front.
- Ça arrive. Pourquoi n'es-tu pas concentrée ? Est-ce que Eishi y est pour quelque chose ? la taquina doucement sa cousine.
- Je ne comprends pas comment tu fais pour le tenir ! s'exclama Alika, alors que Balsa essuyait sa plaie. Ouch ! Ça fait mal...
- Prends une petite pause, alors. Tu es chanceuse d'avoir une cousine "Oneesama" qui peut penser tes blessures gratuitement, sourit Balsa. »
Après avoir retiré le surplus de sang et désinfecté la plaie, Balsa sortit un petit pot. Ce dernier était en fait une petite citrouille séchée. Elle retira le couvercle qui donna sur une préparation couleur beige et en enduisit sur la plaie avec ses propres doigts. Cela aurait dû être très douloureux, mais Alika ne montra qu'une légère grimace. Pendant ce temps, ça faisait mal à Balsa rien que de la regarder, mais elle parvenait à se couper de ses émotions et ne pas se laisser envahir par l'empathie, le temps des soins. Elle extirpa de son sac une bande de tissus et l'attacha au niveau de son front.
« Voilà, sourit Balsa. Pour répondre à ta question concernant Eishi—
- Ça ferait longtemps que je lui aurai donné la gifle du siècle ! la coupa Alika. Tu as tellement de patience... et tu es tellement calme... comme avec Jay... J'ai essayé de t'écouter le concernant, vraiment...
- Tu voulais t'améliorer, la rassura-t-elle.
- Comment tu fais pour rester si calme ? Je suis certaine que tu as dû retenir ça de ton père, Karuna. Pas comme moi et Maman...
- Je suis faite comme ça. C'est ainsi, dans cette vie-ci, du moins... peut-être que dans une vie antérieure, j'étais plus comme toi et tante Yuka, mais cette vie antérieure ne me concerne plus.
- Peut-être que tu n'es pas comme moi ou Maman avec beaucoup de cran, mais le regard-qui-tue que tu fais quand tu en as vraiment assez... »
Alika fit expression terrifiée.
« J'espère te voir un jour l'utiliser sur Eishi.
- Peut-être. Mais tu sais, on peut toujours essayer d'être les gens plus sympas et gentils avec des personnes comme Eishi, plutôt que de se rabaisser à leurs niveaux et être agressifs.
- ... Je sais que je suis agressive et rancunière de nature, mais le jour où Eishi te fera un sale coup bas et poignarderas dans le dos, de façon figurative, tu vas vraiment regretter de ne pas l'avoir rembarré plus tôt.
- Et si jamais ça arrive, je m'en remettrais. Il faut faire confiance à la ligne du temps. Seul le temps peut nous permettre de guérir et de se redresser. Comme maintenant ! Voilà, tu es prête à retourner au combat.
- Où est Lany ?
- Je crois qu'elle aiguisait sa lance avant de rentrer dans la salle d'entrainement.
- Merci, Oneesama ! »
Alika lui fit un câlin rapidement et disparut aussi vite que sa coupure avait été faite en criant « Lany, attache ta ceinture, j'arrive ! ». Balsa se redressa et fit quelques emplettes. Elle revint à son appartement et décida de faire une chaudrée de laroo, de la viande avec des gashas, mijoté dans du lait de chèvre assaisonnée d'herbes. Son ventre commença à gargouiller alors que les bulles remontaient et éclataient à la surface. Trente minutes plus tard, Balsa se servit un bol et prit place à sa table avant d'y plongée une cuillérée, lisant un livre pour se détendre. Elle n'avait pas fini d'avaler sa seconde cuillérée qu'on cogna frénétiquement à sa porte. S'il y avait une chose que Balsa détestait et qui la rendait furieuse c'était de se faire déranger pendant qu'elle mangeait. Au dehors, la lueur du ciel indiquait que le soleil était proche du crépuscule. Elle se leva en soupirant et ouvrit sa porte.
« Oui ? Oh ! »
La personne qui se tenait devant sa porte était nul autre que l'assistant de sa tante Yuka, Kyo.
« Désolée de te déranger, Balsa, mais on m'a envoyé te chercher.
- Que se passe-t-il ? s'alarma-t-elle soudainement.
- Une de nos clientes est au pris avec des difficultés avec son accouchement. Le travail n'avance pas et nous avons besoin d'une autre aide. Karuna est au château, il est donc trop loin pour le moment.
- Tante Yuka est donc à la capitale ?
- Oui, elle est descendue aujourd'hui, car elle avait de gros doutes sur la naissance imminente. Elle a un très puissant instinct.
- Ne bouges pas, j'arrive. »
Balsa prit sa cape et sa trousse de soins et en deux temps trois mouvements, elle se retrouva au dehors. L'assistant la guida dans les rues et elle arriva devant une maisonnée, plus éloignée des autres rangées de bâtiments. Elle ignora son estomac qui grognait de famine en entrant dans la maison et fut dirigée dans une pièce, au fond d'un couloir. L'assistant lui expliqua que le mari de la cliente n'était pas encore revenu d'un voyage à Yogo et qu'elle avait seulement la nounou, du nom d'Asaeda, comme assistante pour l'aider avec sa fille unique âgée de huit ans. Balsa pénétra la chambre. Les naissances faisaient aussi partie de sa profession.
« Maîtresse Yuka, votre nièce Balsa est ici.
- Balsa ! Yoram soit loué ! s'exclama Yuka.
- Qu'est-ce qui se passe ? se renseigna la jeune femme en retirant sa cape. Comment va le travail ?
- On a essayé de retirer tous les facteurs de stress et on a essayé la position accroupie, ainsi que les positions en vertical. Les eaux se sont perdues il y a peu de temps, mais le bébé n'a pas l'air de vouloir sortir et Kalissa est épuisée. »
L'étudiante alla proche de Kalissa. Elle avait de longs cheveux blond d'or et des yeux bleus foncés. Elle palpa son ventre fortement et parvint à deviner la position du bébé.
« Le bébé est en siège ?! s'exclama Balsa.
- Bien vu, confirma Yuka. »
Balsa mit Kalissa sur ses quatre pattes, dans le lit et tenta de retourner l'enfant à travers son gros ventre, mais ce fut un échec. Yuka et sa nièce étaient stressées, mais elles ne le laissèrent rien paraître. Elles lavèrent les mains avec un savon très fort. Trop exténuée pour maintenir une position verticale qui nécessitait un appuie sur les jambes et les cuisses, Kalissa finit par pousser, couchée sur le côté. Enfin, l'enfant sortit dans une mare de sang, dans les bras de Balsa. Elle sentit que l'enfant était bien vivant, ayant les yeux grands ouverts, mais il ne parvenait pas à prendre sa première respiration. Les secondes étaient critiques à ce stade. Elle lui frictionna vigoureusement la poitrine et même le dos, donnant de petites tapes pour l'aider.
« Aller, mon ange, respire... respire, murmura Balsa. »
Il n'y parvenait toujours pas. Elle essuya son visage avec un linge doux et c'est alors que Balsa, instinctivement, couvrit le nez et la bouche du bébé avec sa propre bouche et souffla, doucement mais surement, à l'intérieur pour ouvrir les poumons. Elle décolla sa bouche et continua de le frictionner rapidement.
« Aller, tu es capable... »
Yuka, Asaeda et Kyo regardaient Balsa, le souffle coupé. Balsa refit ce manège deux fois jusqu'à ce qu'un faible son retentisse. Et enfin, le bébé devint rouge et se crispa alors qu'un premier cri se faisait entendre. Des larmes de soulagement inondèrent brusquement ses joues.
« Dame Yuka, murmura Kyo en regardant la mère qui avait perdu conscience, elle a les doigts tout bleu et ses mains sont froides...
- Des couvertures, vite. Balsa, occupe-toi de l'enfant. »
Balsa hocha positivement la tête et s'occupa de couper le cordon et donner les soins au bébé lorsque son champ de vision attrapa, dans le coin de son œil, une petite silhouette dans l'entrebâillement de la porte. Une petite fille, avec les mêmes cheveux que la patiente et aux yeux vert pomme, se tenait cachée dans la pénombre. Doucement, Balsa lui fit signe d'approcher.
« Comment t'appelles-tu ? demanda Balsa.
- ... Lori...
- C'est un joli prénom. Es-tu la grande sœur du bébé ?
- Oui... est-ce que Maman va mourir ? »
Terminant d'enrouler le bébé dans une couverture, Balsa se baissa au niveau de la fillette et s'assit au sol.
« Ça n'arrivera pas, ma belle. Viens rencontrer ton petit frère. »
Lori s'assit au sol, mais Balsa l'invita à s'asseoir entre ses jambes, assises en tailleur. Lori trouva sa place et Balsa lui déposa son petit frère dans les bras, lui montrant comment bien le tenir. S'il y avait une chose qu'elle désirait faire c'était de faire en sorte que les pensées de la fillette n'aillent pas sur sa mère, dont l'état inquiétait beaucoup Yuka. Elles restèrent chez leur cliente jusque tard dans la soirée. Kalissa avait repris conscience et avait allaité le bébé, mais le verdict de son état tomba comme une douche froide.
« C'est la fièvre puerpérale, murmura Yuka. Je vais faire de mon mieux possible pour l'en sauver.
- Il n'y a plus de morceaux restants dans l'utérus ?
- Non, aucun...
- Et... et moi ? demanda Balsa. Qu'est-ce que je peux faire, tante Yuka ?
- ... Tout ce que tu peux faire c'est de prier la déesse du destin, et ta mère... »
Balsa ne rajouta rien de plus afin de ne pas mettre de pression sur sa tante. Prier ? Était-ce là tout ce qu'elle pouvait faire en tant qu'étudiante en médecine ? Elle n'y croyait pas et refusait de rester là, à ne rien faire pour sauver une mère. Si elle mourait, Lori se retrouverait orpheline d'une mère avec pour seul soutiens son père qui serait autant dévasté d'avoir perdu sa femme. Comme elle quand elle avait perdu sa propre mère – de maladie, mais c'était le même affreux sentiment de perte. C'est la mine grise que Balsa repartit à son appartement. Elle était épuisée, inquiète et stressée. Elle déposa son pot de laroo dans un compartiment frais, pour se servir plus tard et se changea pour enfiler une robe de nuit blanche en coton avant de se coucher dans son lit, sans réfléchir. Maman, si tu es là avec moi, oh s'il te plait... aide-moi à trouver une solution pour sauver cette patiente..., pria-t-elle. Elle était en transition entre l'état de veille et l'état du sommeil, alors ce ne fut pas très clair dans son esprit, mais il lui sembla un moment sentir quelqu'un lui caresser les cheveux doucement et entendre un faible bourdonnement ressemblant à une berceuse, au creux de son oreille.
Balsa rouvrit les yeux au milieu de la nuit, une heure après la corne de minuit. Elle se leva rapidement dans son lit et observa sa chambre un moment. Son regard se posa sur sa deuxième armoire. Elle repoussa la couverture prestement et ouvrit les portes qui donnèrent sur sa réserve d'herbes, de plantes médicinales et tout autre produit naturel. Elle alluma une bougie, trouva son mortier, ses récipients et se mit en tâche. Elle savait ce qu'elle avait à faire. Elle ne put fermer l'œil du restant de la nuit, prenant des notes, calculant les quantités et faisant bouillir la préparation dans un petit chaudron. L'aube était levée lorsque Balsa se redressa de son bureau, une fiole contenant sa préparation improvisée.
Elle prit sa trousse, se changea rapidement et mit sa cape sur ses épaules avant de sortir dehors et prendre la direction de la maison de sa cliente. Elle cogna à la porte rapidement, un peu malaisée de déranger à une heure aussi tôt, mais elle n'avait pas le choix : c'était une question de vie ou de mort. La nounou Asaeda répondit, endormie.
« Balsa-San ?
- Bonjour. Puis-je rentrer ? J'ai un remède... »
Le visage d'Asaeda s'illumina et l'invita rapidement à entrer.
« Mais tu n'as pas beaucoup dormi, ma jeune enfant ! »
Balsa sourit intérieurement. Bien qu'elle avait seize ans et était en âge de se marier, les vieilles dames un peu trop gâteau continuaient avec une certaine affection de la prendre pour une enfant. La nounou réveilla Kalissa qui peina à ouvrir les yeux. Balsa s'assit rapidement sur une chaise proche, ouvrit sa trousse et en ressortit un petit gobelet en métal dans lequel elle versa sa préparation.
« Une fois aux deux heures, dit-elle à la nounou avant de reporter son attention vers la cliente. Buvez maintenant. »
La première gorgée sembla amère car Kalissa avait juste envie de recracher, mais elle l'avala quand même.
« C'est bien. Continuez de lui donner de l'eau régulièrement et si elle a trop chaud, retirer une épaisseur de couverture.
- D'accord, merci Balsa, répondit la nounou. Vas-tu retourner chez toi ?
- Pas pour le moment. J'irai m'asseoir à la cuisine pour m'assurer que l'état de Kalissa se stabilise.
- Fais, mon enfant. »
Une fois ses notes lut de nouveau, Balsa fut prise de somnolence, assise dans la cuisine. Elle était sur le point de s'assoupir un moment lorsque Lori se pointa dans la pièce.
« Ça va bien, Balsa ? Tu as sommeil ? demanda la fillette.
- Bonjour Lori... un peu. Je n'ai pas beaucoup dormi... tu fais quoi, debout à cette heure-là ?
- Je voulais aller au petit coin... et puis, j'ai de l'école aujourd'hui, donc je dois me lever de bonne heure. »
Lori s'approcha et Balsa la prit dans ses bras pour l'asseoir sur ses cuisses. Ne désirant pas discuter de l'état de sa mère, la fille de Karuna décida de ressortir un très vieux conte Kanbalese afin de divertir Lori.
« As-tu déjà entendu parler de la légende d'Haruka Yonsa, la garde-du-corps errante ?
- Oh oui ! Tu connais ce conte, toi aussi ?! s'exclama Lori.
- Je le connais par cœur. »
