Chapitre 7 : Courtiser
Balsa suivit Tanda dans le boisée derrière son refuge. Elle savait qu'elle ne devait pas être surprise par le paysage, mais la verdure qui régnait dans les environs avec les rizières fertiles et les denses forêts l'impressionnaient toujours autant. Kanbal avait beau avoir des prairies verdoyantes à perte de vue, avec des fleurs sauvages et quelques sous-bois, sa terre n'était pas comme celle du Nouvel Empire de Yogo. Tout semblait grand et prospère ici. Tanda s'arrêta devant quelques plantes.
« Ceci est une herbe appelé roga. Je l'utilise dans la confection de mes maikas maisons.
- Des maikas ? demanda Balsa.
- Il s'agit d'un fruit rouge. Je suis en train de développer une recette qui donne de l'énergie quand on est totalement vidé de ses forces. »
Il alla plus loin sur le chemin et pointa une plante verte à la cime d'un arbre.
« Celle-ci est l'une des plantes que je préfère le plus.
- Qu'est-ce que c'est ?
- C'est du suga. Comme tu peux le voir, il s'agit d'un type d'herbe à larges tiges et distinctes. Elle sert de canalisateur pour envoyer et guider l'âme des défunts au repos dans l'au-delà.
- Comment tu fais ça ?
- Le nom y est gravé dessus. C'est une cérémonie solennelle et sacrée effectué normalement par les magic-weavers. Une fois l'incantation prononcée, nous la lançons dans les airs. L'herbe se met alors à briller d'une lumière blanche, puis se transforme en oiseau dans le ciel jusqu'à ce qu'il disparaisse de vue.
- Oh... je me demande si les bergers de Kanbal ont des cérémonies semblables à celle-ci, dit Balsa pensivement. »
Elle aida Tanda à remplir son sac tout en prenant des notes.
« Quelles plantes médicinales trouvons-nous à Kanbal ? demanda-t-il à son tour.
- Oh... il y a l'okkul. C'est une fleur qui pousse sur le haut des pentes des montagnes de Kanbal... Ce sont des plantes robustes qui peuvent prospérer même au milieu de l'hiver Kanbalese. Crois-moi, elles sont assez courantes et bon marché dans mon pays... hum... mais je sais qu'elles sont utilisées dans la confection de précieux médicaments. Nous avons aussi de bonnes épices bonnes pour le rhume...
- Intéressant.
- Nous avons aussi une variété d'arbre appelée yukka...
- Yukka ? répéta Tanda. Hum... comme le nom de ta Tante ?
- Tu as bonne mémoire ! Oui. Sauf que son prénom ne s'écrit qu'avec un "k".
- J'espère qu'elle ne s'est pas trop faite agacer plus jeune à cause de ça.
- Je ne sais pas... Mais Tante Yuka était vraiment impulsive lorsqu'elle était enfant et même adolescente... alors je pense qu'elle a donné la claque à tous ceux qui se moquaient d'elle...
- Pardon, je t'ai interrompu. Tu allais dire quoi à propos de ces arbres ?
- Ils donnent de beaux fruits rouges sucrés... et le jus est pareil. Une soupe créée à partir de leurs racines offre un médicament très efficace contre la fièvre. »
Après avoir fait la tournée des plantes et des fleurs, Tanda proposa à Balsa de l'accompagner au bas-ougi afin d'acheter les ingrédients nécessaires pour qu'il puisse cuisiner son ragoût sauvage et ainsi, le lui faire goûter.
« Je vais aussi en profiter pour acheter les ingrédients pour faire des lossos, ajouta-t-il. De la viande séchée pour les fourrer devrait faire l'affaire.
- Je pense aussi... on peut fourrer les lossos de divers ingrédients. Même avec des fruits confits. Je sais que les produits laitiers ne sont pas... généralement consommé à Yogo, donc, il n'y a pas de fromage ni de lait...
- Ce pourquoi la cuisine peut s'adapter et se modifier dépendant les régions. »
Il lui sourit et Balsa tourna la tête pour cacher ses joues qui devaient avoir pris une teinte rosée, encore une fois. Elle replaça ses mèches de cheveux et semblait se soucier de son apparence extérieure pour bien paraître au bas-ougi.
« Ça va aller, la rassura Tanda. Les Yogoese sont habitués de voir différents peuples et nations. Tu passeras inaperçue.
- D'accord. »
Les marchés Yogoese étaient énormes à ses yeux. La nourriture semblait presqu'infinis et les gens ne semblaient manquer de rien – même les plus pauvres roturiers vivant dans la rue. Il y avait des enfants qui couraient par-ci et par-là. Ça devait être plaisant d'être un enfant Yogoese dans de telles conditions.
« Les gens semblent si... si..., dit Balsa en cherchant ses mots.
- Détendus et relaxes, n'est-ce pas ? comprit l'apothicaire.
- Oui.
- Ce n'est pas toujours comme ça, en fait. Mais à ce temps-ci de l'année, on peut savoir le nombre de jours avant le festival à la façon dont les paysans se relâchent et sont détendus.
- Ah ! oui. Le fameux festival... Alika-Chan m'a emmenée en voyage pour un mois dans l'espoir de vivre ce festival du solstice... qu'est-ce que vous faites lors des festivités ?
- Il y a des tournois de rucha, et pleins de marchands de tous les coins du pays viennent et se réunissent pour en profiter. Nous allumons des flambeaux qui rappellent la nature opposé des esprits élémentaires. Ce sont les esprits qui me l'ont dit.
- Hein ? »
Balsa semblait totalement confuse avec les thèmes qu'employaient Tanda.
« Les esprits élémentaires sont classés en quatre grande famille : le feu, l'eau, la terre et l'air. L'eau est plus faible que la terre; la terre est plus faible que le feu.
- Donc... le feu doit être plus faible que l'air ?
- Je crois oui. Tu es brillante ! Et en soirée, ils organisent un spectacle qui raconte la fondation du Nouvel Empire de Yogo. Personnellement, les costumes et le jeu des acteurs sont supers, mais pour être franc, je n'aime pas du tout comment c'est interprété.
- Ah ? Pourquoi ?
- Je ne peux pas l'expliquer en fait... c'est juste un sentiment... comme si quelque chose avait été falsifié. »
Ils avaient enfin fini leurs achats principaux lorsque Tanda sentit une délicieuse odeur sucrée dans l'air. Il savait qu'il devait faire goûter ces friandises à sa nouvelle amie.
« Hey Balsa. J'aimerai arrêter à un kiosque particulier. Il me reste assez d'argent pour acheter une dernière chose avant de retourner à mon refuge.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Suis-moi. »
Elle le suivit sur les talons et arriva devant le kiosque. Un monsieur tira sur une poignée et fit apparaître une rangée de six petites boules blanches gonflé à l'air, qu'il fourra d'une crème aux haricots rouges, puis les tassa de sa lame de hachoir pour les faire cuire en les roulants sur la plaque chaude. Tanda commanda deux paquets pour six lugals et en offrit un à Balsa.
« Qu'est-ce que c'est ? répéta Balsa.
- Goûte en premier, et je te le dirai ensuite. »
Elle le dévisagea, soudain méfiante, mais elle se convainquit que Tanda ne lui ferait jamais une plaisanterie malintentionnée. Elle prit la boule cuite entre son pouce et son index, la sentit et croqua légèrement dedans. Le goût était sucré et la garniture emplit sa bouche. Ses yeux bruns s'agrandirent de surprise.
« Alors ? Tu aimes ?
- Oui ! J'adore.
- Alors maintenant, tu es officiellement une cliente digne du bas-ougi qui raffole des hekimooms ! Tous les enfants roturiers et même les adultes et adolescents en mangent ici. »
Balsa mit son paquet de côté et suivit Tanda sur le chemin du retour.
Elle aida Tanda à couper les légumes et le regarda préparer son ragoût sauvage en même temps de panser la blessure de sa cousine. Il souleva le couvercle et jugea le contenu d'un air satisfait. Il prit une poignée de champignons séchés dans un panier.
« On appelle ça des kankui. Ce sont des champignons. Ça donne du goût aux plats mijotés, mais il ne faut pas les faires cuire trop longtemps, sinon, ils prennent un goût amer. Alors je les rajoute au dernier moment. »
Balsa regarda les champignons reposer sur le dessus du bouillon. Elle fouilla dans sa sacoche et en ressortit des morceaux de tissus, une bobine et un fil ainsi qu'une aiguille.
« Tu fais de la couture ? s'étonna Tanda.
- Oui... il s'agit d'un de mes passe-temps... Je suis des cours en privé avec quelques amis.
- En même temps, ça pratique les points de suture.
- C'est bien vrai.
- Qu'est-ce que tu couds ?
- Oh... c'est de la broderie. L'insigne ne sera pas plus grand que ma main. »
Elle se concentra avec minutie et son air concentré en devint presqu'effrayant. Elle eut toutes les peines du monde à délaisser son projet quand il fut temps de manger, mais par politesse, elle déposa sa création de côté et goûta timidement le ragoût sauvage de Tanda. Elle était si habituée aux produits laitiers et de chèvre que la nourriture Yogoese – en dehors des hekimooms – ne lui semblaient guère appétissante au premier coup d'œil. Mais dès que le bouillon inonda sa bouche de saveurs salées et assaisonnées, ce n'était en rien à ce qu'elle avait pu imaginer comme goût.
« Font-ils tous des ragoûts comme ceux-ci à Yogo ? demanda-t-elle. Je veux dire, à la capitale ?
- Non très chère. Il s'agit d'une de mes spécialités et je ne donne pas ma recette. C'est un secret. »
Il lui fit un clin d'œil et Balsa détourna les yeux, soudainement timide.
« Ce soir, on essaiera les lossos. »
Comme Tanda l'avait prédit, Alika émergea de son coma temporaire en après-midi. Cependant, elle ne se réveilla pas tranquillement. Elle sursauta.
« Papa ?! s'exclama-t-elle, avant de se tenir le ventre en gémissant alors que Balsa se rua vers elle. Oneesama... Pourquoi tu es ici ? »
Balsa ne répondit pas redéposa la serviette humide contre son front.
« J'ai encore perdu contre Papa, c'est ça ?
- Euh... tu es gravement blessée, ma belle, dit-elle. À un tel point que ta mémoire est perturbée, je crois bien. Fais un petit effort... nous étions en route, en vacances lorsque des bandits nous ont pris par surprise et que tu m'as dit de fuir. »
Sa cousine ferma les yeux à demi. La souffrance l'avait ramenée en arrière, au temps de son enfance, quand son père, qui l'avait formée aux techniques de combat, était parfois si sévère à l'entraînement qu'elle en perdait connaissance. Jiguro était d'une force redoutable, et il ne retenait pas ses coups de bâton et coup de poing sous prétexte qu'il se battait contre une enfant – même si ce dernier était sa propre progéniture. Il poussait son élève jusqu'à ses extrêmes limites. Yuka avait été très souvent contre l'idée que son mari fasse de tels entraînements, mais Alika était naturellement douée pour l'art du combat et en demandait toujours plus.
« Ah oui, c'est vrai... désolée... »
Alika tenta de se redresser à nouveau, paniquée.
« Combien de temps ai-je dormi ?! On a manqué nos vacances ?!
- Du calme, Alika, pas même une journée s'est écoulée depuis.
- Une journée... »
Elle tâta son propre vêtement, puis décela enfin la présence de Tanda parmi eux. De violentes rougeurs prirent naissance sur ses pommettes. Elle emprisonna rapidement le bras de Balsa dans les siens, grimaçant légèrement.
« Ne me dis pas que tu m'as changé devant lui, ou que tu l'as laissé me soigner !
- Calme-toi, ma belle, rit Balsa. Je sais respecter ta pudeur. Il est sorti et il n'y a que moi qui ai vu ton corps, d'accord ?
- Ouuuff... »
Néanmoins, elle continua de jeter des regards méfiant à Tanda tout le long que Balsa lui résumait ce qu'elle avait fait pendant qu'elle était inconsciente. Alika regarda sa cousine, triomphante : son expression indiquait qu'elle avait vu juste en essayant de les mettre ensembles. C'était sa punition pour avoir insinué qu'il aurait pu se passer de quoi entre Tanda et Alika, alors que cette dernière était toujours en couple avec Amaya.
Vers l'heure du souper, Tanda commença à faire chauffer l'eau et la viande alors que Balsa pelait les pommes de terre pour les faire bouillir. Il nota tout ce qu'elle faisait : les écraser en purée avant de rajouter du sel et de la farine petit à petit jusqu'à former une boule de pâte qu'elle pétrit. Elle lui montra comment elle rajoutait la garniture, avant de passer le losso non-frit dans de la panure. Ils vérifièrent l'huile qui chauffait dans un second chaudron et en mettant un petit morceau de préparation, Balsa déclara que la température était parfaite pour commencer la friture. C'est alors qu'ils entendirent les couvertures d'Alika bouger.
« Je vais prendre de l'air, annonça-t-elle en se redressant doucement.
- Alika, bon sang, tu n'y penses pas ! s'écria Balsa en se ruant vers elle, parlant instinctivement Kanbalese et la forçant à se recoucher. Tu viens à peine de te réveiller de ton coma.
- Mais je te dis que je vais bien, continua d'insister sa cousine. Je n'ai pas aussi mal...
- Pas aussi mal ? Tu devrais me remercier pour les dix-sept points de suture que j'ai dû te faire.
- Combien de temps penses-tu que ça va prendre à mes blessures pour guérir ?
- Dix jours, au mieux, une semaine. Les muscles ne cicatriseront pas aussi vites !
- Je ne peux pas attendre aussi longtemps ! Nous sommes en vacances et nous allons manquer de temps pour visiter tout ce qu'il y a ici. »
Balsa appuya sur sa blessure et sa cousine poussa un gémissement plaintif.
« Tu n'as pas aussi mal ? répéta la jeune médecin en arquant un sourcil. Ton visage ne me paraît pas du tout convainquant, Miss.
- ... S'il te plait Balsa-Oneesama...
- Non, c'est non, Alika. Et puis pour la visite de Yogo, nous avons déjà un guide volontaire, en plus d'un hébergement gratuit pour tout notre séjour. »
Elle pointa Tanda qui ne fit qu'un sourire radieux.
« Ah... il fallait bien que je m'en doute, marmonna Alika.
- Repose-toi, nous allons bientôt manger de toute façon. Ne m'oblige pas à utiliser mon regard. Ou préfères-tu que je dise à Tante Yuka et Oncle Jiguro ce que tu as fait pour te retrouver dans ce sale état ? »
Sa cousine pâlit légèrement.
« Non, s'il te plait...
- Alors écoute-moi et reste ici sagement. Nous avons cuisiné un repas qui t'aidera à reprendre des forces et je vais également te protéger. Alors arrête de t'inquiéter et concentre-toi sur ta guérison. »
Alika ne put qu'obtempérer et bouda légèrement jusqu'à ce que les lossos soient prêts. Balsa laissa Tanda y goûter en premier. D'abord un peu gêné, il mordit timidement dans la croûte croustillante du lossos. Il n'y avait pas fromage à l'intérieur, mais la viande et les légumes mélangés ensembles offrait un alternatif qui plaisait à tout le monde.
« Wow. Je ne pensais pas qu'on pouvait utiliser les pommes de terre de cette façon-là, s'étonna Tanda. Ça ne goûte même pas en plus !
- La garniture n'est pas l'original... mais dans l'ensemble, l'important c'est la pâte à l'extérieur et la friture. Tiens Alika, dit Balsa lui tendant une assiette, c'est pour toi. »
Sa cousine dévisagea son assiette.
« Ne commence pas à faire ta difficile ! s'exaspéra Balsa. Tu n'as pas mangé depuis presqu'une journée. Il n'y a pas de fromage ici et la viande est différente qu'à Kanbal. Je croyais qu'avec tous les voyages que tu avais fait, tu étais plus excitée que ça d'essayer de nouvelles choses... et puis, ce n'est pas comme si tu ne savais pas comment on faisait des lossos, hein ?
- Elle boude peut-être encore de ne pas avoir pu sortir avant le souper, émit comme hypothèse Tanda qui se mangea un regard sombre de la part de la blessée. »
Alika ravala une remarque désobligeante, jeta un œil dans un coin du refuge un moment et mordit dans le losso pour uniquement faire taire son estomac qui grognait de famine. Tanda aurait aimé terminer son second losso, mais il n'y parvint pas.
« J'ignorai que c'était aussi bourratif, admit-il.
- L'huile et les pommes de terre sont les ingrédients principaux des lossos... Je suppose que quand tu vis dans un endroit aussi froid et aride que Kanbal, tu fais tout pour ne pas mourir de faim lors des grosses tempêtes hivernales.
- C'est probablement ça... comment as-tu trouvé tes lossos, Alika ? C'est quand même ta cousine qui les a cuisinés.
- Pas pire, répondit Alika, boudeuse.
- Alors essaie-moi ça. »
Tanda tendit le paquet d'hekimoom à Balsa pour qu'elle puisse les faire goûter à sa cousine, comme s'il avait peur qu'Alika le morde. Il était donc plus prudent qu'une personne habituée à elle la nourrisse.
« C'est quoi ?
- Une friandise, l'informa Balsa. Comme les marro. Mais ce n'est pas dur comme ceux-ci. Fais juste en goûter un. »
Alika prit un hekimoom et le tâta pour voir sa solidité. Elle faisait exactement comme Balsa lorsque Tanda le lui avait présenté. Puis, elle finit par soupirer et se le mit complètement dans la bouche, sous le regard intrigué des deux autres personnes. Alika, qui était jusque-là, grognonne, finit par esquisser un mince sourire.
« Alors ? la pressa sa cousine.
- ... C'est bon, murmura-t-elle.
- Bon ! Enfin ! »
La soirée se déroula dans la bonne ambiance. Balsa et Tanda se prenaient des fous rires incontrôlables la plupart du temps et n'étaient pas en mesure de s'arrêter, même lorsqu'ils étaient enroulés dans leurs couvertures et cherchaient le sommeil.
Alika ne souriait que discrètement, le visage tourné au mur. Elle attendit que leurs énergies s'apaisent graduellement et qu'ils soient tous deux endormit pour se redresser doucement et sortir dehors se dégourdir les jambes.
