Harry se dirigeait en direction de la grande salle d'un pas traînant, peu enchanté à l'idée d'être de nouveau au centre de toutes les attentions, objet des regards de ceux qui ignoraient qu'il ne recevrait pas meilleure gratitude que s'il était enfin traité comme un élève comme les autres.
Tous croyaient bien faire, en le félicitant continuellement pour ses exploits durant la guerre, seulement ces paroles ne cessaient de lui rappeler qu'il n'était en rien ce « héros national » qu'ils décrivaient sous ce besoin perpétuel de démontrer à quel point ils l'idolâtraient. L'adolescent ne cessait de revoir les visages de ceux qui avaient péris parce qu'il avait été incapable de protéger tous ceux qui s'étaient battus à ses côtés.
Et cela, les Serpentard le ressassaient en continu. Eux-mêmes rongés d'une rancoeur qu'ils ne savaient surmonter, ils s'en prenaient à Harry, chaque fois que quiconque lui exprimait des louanges, un Serpentard était juste là, prêt à lui rappeler tout ce qu'il avait perdu.
Si d'abord, il ne s'était pas laissé atteindre par ces mots dignes de leurs auteurs, cela avait rapidement dégénéré lorsque ces phrases avaient commencé à lui suivre jusque dans ses rêves. Il était incapable de passer une nuit stable, complète, reposante, depuis son retour à Poudlard.
Le jeune homme hésitait même à quitter le château, s'il avait accepté de refaire une dernière année, c'était bien parce qu'Hermione avait insisté pour qu'ils obtiennent leurs diplômes, et s'il n'avait pas craint de la mettre en rogne, jamais il ne serait revenu, ces lieux contenaient des souvenirs trop douloureux à recevoir de pleine face chaque fois qu'il se réveillait, comme au moindre de ses couchers.
— On rêvasse, Potter ? s'amusa une voix glacée à ses côtés, appartenant à un garçon dont l'air revêche ne scintillait plus de sa sincérité d'antan.
— Laisse-le, il réfléchit à sa prochaine victime, ricana Pansy en le dépassant, ne manquant pas de le bousculer, de sorte qu'il failli se rétamer sous les regards satisfaits de l'ensemble de la maison Serpentard.
La rage emplit la cage thoracique du brun, qui se contenta de pénétrer dans la grande salle, en silence. Il avait cessé de répondre suite à de nombreux échanges qui n'avaient pas manqué de passer près de le faire craquer. Il s'était pourtant promis de ne jamais verser la moindre larme devant un Serpentard, il comptait bien honorer cette promesse.
Dès lors qu'il eût passé la porte, des éclats de voir lui parvinrent à quelques mètres, et la voix de son meilleur ami atteignit ses oreilles.
— Mais vous allez arrêter de vous prendre pour des êtres supérieurs, vous autres ? C'est facile, de jouer aux martyres pendant la guerre, rampant à la recherche de la moindre protection de la part de Poudlard, mais dans ce cas, ayez au moins la décence de ne pas vous pavaner comme des héros de la nation après nous avoir tous trahis ! hurlait-il, les yeux flamboyants.
— La ferme, pauvre tâche. Qui joue aux héros, depuis la fin de la guerre ? Que dis-je, depuis même la répartition ! Les Gryffondor sont si attentionnés, comme ils sont courageux, regardez-les tenir tête à ces crapules de serpents ! répliqua Blaise avec ironie, la baguette pointée en direction de Ron, prêt à lui refaire le portrait.
Le roux rit faussement, ses traits exprimant une haine qu'aucun ne lui avait jamais vu.
— Pauvres mangemorts... dit-il d'une voix faussement peinée, ce qui déclencha une fureur dévastatrice chez le métis.
Les sorts fusèrent, desquels Ron parvenait à se protéger à l'aide d'Hermione, qui tentait vainement de calmer la situation. Harry ne bougeait pas, sentant ses muscles incapables d'agir de quelque façon que ce soit. Il se sentait si frêle, si impuissant. Il détestait se retrouver minable face à toutes ces choses qui le dépassaient. Comment pouvaient-ils encore se crêper le chignon comme des enfants après tout ce qui s'était produit ?
Les cris résonnaient encore dans la tête d'Harry, et il s'appuya contre le banc le plus proche pour ne pas tomber à la renverse. Sa vue commençait à se troubler, quand il perçut la voix de McGonagall, tempérant avec autorité la situation, plus en colère que jamais.
Le survivant sentit sa conscience le quitter, quand une main le releva brièvement, avant de lui tendre un verre d'eau qu'il avala d'une traite, des étoiles dansant sous ses yeux. Le garçon mit quelques secondes à retrouver la vue, et ne sut repérer qui lui était venu en aide.
— Viens t'asseoir, Harry, le professeur McGonagall va faire une annonce, je pense que nos querelles l'ont vraiment poussée à bout, cette fois, souffla Hermione en l'aidant à s'installer à sa place habituelle, Harry étant encore légèrement sonné, mélange du manque de sommeil, de son angoisse permanente, et de l'absence de nourriture, qu'il semblait incapable d'avaler.
Le jeune homme cherchait encore des yeux la personne ayant pris soin de lui, sachant pertinemment qu'il ne s'agissait pas de l'un de ses amis, autrement celui-ci n'aurait pas eu à préserver son identité.
Soudain, la voix forte de la directrice retentit, faisant sursauter les moins attentifs.
— Il est clair que de nombreux conflits opposent encore Serpentard et Gryffondor, ce qui cause chaque jour davantage de querelles au sein du château. Ce comportement est inacceptable. C'est pourquoi j'ai pris une décision drastique. Je vous ai laissé la chance de régler ce problème en privé, mais étant donné que vous en semblez incapable, je me vois dans l'obligation de me mêler à cela.
Une élève de Serdaigle interrogea McGonagall, visiblement peu décidée à annoncer ce qu'elle prévoyait, ce qui augmenta l'inquiétude de ceux qui craignaient un renvoi.
— J'espère que l'expérience que vous vivrez vous permettra de nouer des liens, cela durera un mois. Je vous souhaite un bon appétit !
Beaucoup d'élèves continuèrent de chercher des informations auprès de la vieille femme, mais celle-ci se contenta de sourire sans un mot. Les discussions reprirent finalement à la normale, et les élèves dégustèrent leur repas, animé de nouveau.
— Il faut vraiment que tu te nourrisses, Harry, tu n'auras pas de forces, autrement, lui conseilla Hermione en tendant au garçon son verre de jus de citrouille, en une demande silencieuse qu'il avale au moins ça.
Harry soupira mais obtempéra, ses yeux accrochant soudain deux prunelles aciers qui semblèrent l'envoûter, un court instant. Il reposa enfin son verre vide, légèrement plus en forme.
— Que pensez-vous qu'il va se passer ? les interrogea Hermione, la mine pensive, avant de prendre une gorgée à son tour.
— J'espère que ce ne sera pas des dortoirs communs... dit Ron avec effroi.
Harry ne suggéra rien, exprimant sa méconnaissance. Ce genre de choses lui importait bien peu. À ce stade, rien ne pourrait permettre d'arranger les relations entre Gryffondor et Serpentard, elles étaient bien trop tendues. Seul un miracle saurait changer cela.
— Cet idiot de Blaise me fout la gerbe... marmonna Ron en lançant un regard noir au garçon, qui le lui rendit bien.
— J'aimerais bien te voir t'entendre avec lui, comme l'espère le professeur McGonagall, s'amusa Hermione avec un petit sourire.
— Vous ne pensez pas que nous devrions tenter de nous rapprocher d'eux ? dit soudain Harry, la voix étonnamment calme.
Hermione fronça les sourcils, et Ron recracha une partie du contenu de son verre, ce qui lui valu des réprimandes.
— Sérieusement, Harry ? Tu as de la fièvre ? Ton verre est empoisonné ? Ils t'ont jeté un sort ?
Le brun jeta un nouveau regard à la table des Serpentard.
— Peut-être qu'ils m'ont ensorcelé, oui... murmura-t-il, les yeux dans le vague.
Une exclamation forte brisa soudain le calme ambiant, et Neville se leva brusquement, plein de conviction. Ginny lui demanda ce qui lui prenait, mais le garçon ne répondit rien, fonçant jusqu'à la table des Serpentard. Harry se leva, intrigué.
— Tu veux quoi, gros lourdeau ? s'énerva Pansy de sa voix stridente, les yeux noirs comme des balles de pistolet.
Le jeune homme lui prit la main, les yeux pétillants.
— Je ne sais pas ce qui me prend, ni même si je regretterai ce geste demain, mais je suis incapable de me taire. Pansy Parkinson, je suis fou amoureux de toi, je t'aime plus que je ne l'ai jamais fait ! Voudrais-tu être ma petite amie ?
La brune le repoussa soudain, une mine de dégoût collée au visage. Toute la salle observait la scène, les yeux écarquillés. Neville éclata en sanglot, et nombre de Serpentard explosèrent de rire.
Luna de hâta de prendre la main de son petit ami, soucieuse de son état. Elle ignorait pourquoi ses sentiments semblaient s'être modifiés si soudainement, mais savait qu'il devait y avoir une raison à cela. Elle sécha les larmes du garçon et le fit quitter la salle.
Pansy finit par quitter son air dégouté et éclata d'un rire moqueur en compagnie de ses camarades. Draco ne faisait pas partie de ceux-ci, trop occupé à regarder Harry d'un air interrogateur. En effet le brun ne cessait de l'observer en coin, depuis quelques minutes.
— Qu'est-ce que tu disais, Harry, au fait ? lui redemanda Hermione en se tournant vers son ami.
— Oh, rien, ça m'est sorti de la tête, affirma-t-il avant de se lever, quittant la salle précipitamment, le cœur battant la chamade.
Que lui prenait-il ? Il pesta en sentant que tout son être désirait revenir dans cette pièce étouffante, rien que pour avoir l'occasion d'apercevoir Draco de nouveau. Le jeune homme comprit que ce qui venait de se produire avec Neville n'était pas le fruit du hasard, et qu'il était visiblement touché par le même phénomène.
Harry respirait rapidement depuis quelques minutes, quand McGonagall passa les portes de la grande salle, seule. Il se précipita à sa suite, et l'apostropha, paniqué de tout son être.
— Professeur McGonagall, aidez-moi. Que s'est-il passé avec Neville ? Que m'arrive-t'il ? dit-il prestement, le visage pâle.
La vieille femme l'observa, un fin sourire collé aux lèvres.
— Ça, mon garçon, c'est votre punition, aux Serpentard et aux Gryffondor.
Perdu, Harry souhaita l'interroger de nouveau, mais elle se détourna, reprenant sa route.
— Attendez ! Qu'avez vous fait ?
— Bonne chance avec Mr Malfoy, Potter, dit-elle simplement, laissant un Harry désorienté au possible au milieu du couloir, qui commença peu à peu à se remplir d'élèves, certains agités, d'autres moins.
Harry pressentit que les choses ne seraient plus jamais simples, à Poudlard.
