Gays of thrones

Chapitre 3

Selyse et Melisandre

Melisandre avait des doutes. En dépit des apparences, cela pouvait lui arriver, bien qu'elle n'en montrât jamais rien. Elle se demandait si Stannis Baratheon avait été un pari judicieux. Depuis qu'elle avait intégré ce qui lui faisait office de cour, sur son caillou rocheux de Peyredragon, elle n'avait que de la seiche en bouillon à manger tous les jours, et elle commençait à trouver cela monotone. Le pire était qu'à chaque repas, la reine Selyse lui parlait du temps où Stannis assiégeait Accalmie, et où ils avaient dû faire bouillir les cuirs des livres pour s'en nourrir. Ah, c'était le bon temps, disait Selyse, on crevait de faim pour la bonne cause, qu'est-ce qu'on était bien ! Melisandre n'en avait rien à cirer des misères passées, elle avait connu pire, mais elle faisait semblant de s'intéresser à ce récit des plus déprimants possibles, et à vanter le courage viril du roi de la lose. Le Maître de la Lumière n'était décidément pas clément avec elle. Certes, elle avait connu la famine, l'esclavage, la prostitution, les tentatives de lynchage par lapidation dans les rues des cités d'Essos du temps où elle faisait des prêches devant des serfs tatoués et incrédules, mais depuis qu'elle dormait sur des matelas de plumes, elle commençait à prendre goût au luxe et à adopter la mentalité des gavés, c'est-à-dire qu'elle se plaignait d'avoir un verre à moitié vide, oubliant que certains, comme elle autrefois, n'avaient même pas de quoi s'offrir un verre, alors pour ce qui était de le remplir…

Bien entendu, ces réflexions sur l'insatisfaction permanente qui constituait son existence la tourmentaient quand elle prenait un bain d'eau chaude parfumée, avec pour se détendre en fond sonore les cris d'un hérétique qui tournait à la broche dans sa cheminée (un honneur pour ces arriérés : mourir par le feu, avec pour dernière image celle de son corps nu dans une baignoire… franchement, que demander de plus après ça ?).

Heureusement pour elle, un autre tourment vint l'arracher à ces réflexions : la reine Selyse entra sans s'annoncer.

« Oh, dit-elle en baissant les yeux et en rougissant, pardon, je ne voulais pas vous déranger ! »

C'est ça, songea Melisandre, vieille vicieuse, va, je sais bien que tu fais exprès de rentrer dans ma chambre à la même heure tous les soirs !

« Vous ne me dérangez jamais, votre Majesté ! », répondit-elle en lui décochant son plus beau sourire – lequel était, comme son maquillage au demeurant, le plus discret possible. Eh oui, que voulez-vous, c'est à ça qu'on reconnaît la vraie classe !

Selyse n'ajouta rien. Au vrai, elle n'avait jamais grand-chose à dire. « Pas étonnant que son époux la fuie, se disait Melisandre, c'est la femme la plus chiante des Sept Couronnes ! ». Le problème était que c'était vers elle que se reportaient les désirs de Stannis. Au début, cela ne lui posait pas problème : cela faisait partie du plan divin, des gros seins pour un grand dessein. En outre, après quelques années à vendre ses charmes, Melisandre était parée pour supporter les étreintes de ce roi à l'haleine de requin sur les tables en fer froid, avec en guise de coussins les petits soldats des armées ennemies à écraser. Melisandre portait encore au niveau de la hanche la marque des crocs d'un loupiot des Stark, toutefois le pire restait la tour Frey sous sa colonne vertébrale, qui avait manqué de lui déplacer une vertèbre tandis que le roi, haletant et indifférent, l'empalait comme un soldat déflore une pucelle après un siège de six mois. Non, vraiment, l'un des pires coups de sa carrière. S'il ne portait pas déjà une couronne, du moins sur le papier, elle lui en aurait décerné une. Les étreintes à la hussarde de Stannis, les sujets de conversations neurasthéniques à table, la monotonie du bouillon de seiche, tout cela incitait Melisandre à envisager d'autres régions à convertir. Mais elle se gardait bien d'en laisser paraître quoi que ce fût. Cela déplairait au roi, et aussi à la reine.

Car Selyse, pour silencieuse qu'elle fût, restait là, debout dans la chambre de Melisandre, à regarder avec envie et désespoir ce corps jeune et frais qui attirait toute l'attention de son époux, et aussi la sienne. Il fallait bien le dire : Melisandre allumait des feux dans les cœurs. Cette dernière, passablement agacée par ce manège lubrique, ne prenait même plus de gants avec la reine : « Asseyez-vous ! » lui enjoignait-elle.

Selyse obtempérait aussitôt, la brave fille, et s'asseyait sur le lit de plumes, qu'elle se mettait en général à caresser sans même s'en rendre compte. Au début, Melisandre avait eu pitié d'elle : la reine n'avait jamais rien connu d'autres que les étreintes de Stannis, et Melisandre, qui cherchait désormais à les esquiver, était bien placée pour savoir à quel point c'était terrible. Elle avait tenté de lui apporter un peu de rêve : elle se promenait nue dans sa chambre, sous les yeux de la reine et des cameramen, mais elle dut vite se rendre compte que le rêve ne suffisait pas à Selyse. Elle en voulait toujours plus. Ah, ces gavés, je vous jure…

Alors, elle décida de la tenir à distance. Pour commencer, elle ne s'approchait plus d'elle. Fini, les mains amicalement posées sur la joue, les « ma pauvre chérie, je compatis, mais ne t'en fais pas, bien que ton mari me saute toutes les nuits, il n'a pas l'intention de te répudier, tu restes toute à lui ! ». Encore plus fini, les sollicitations comme « apportez-moi ce flacon », parce que Selyse, une fois la lotion entre les mains, insistait pour enduire elle-même le corps de Melisandre, et il eût été inconvenant de refuser quelque chose à la reine. A chaque fois, il fallait ruser : non pas, j'ai la grippe aujourd'hui, attention, c'est vénéneux. C'était lassant.

Las, rien n'arrêtait l'ardeur de Selyse. Or, après une journée passée à esquiver le harcèlement sexuel du roi, la dernière chose dont Melisandre avait besoin pour décompresser, c'était de subir celui de la reine. Mais comme celle-ci s'acharnait à ne rien vouloir comprendre, Melisandre passa au niveau supérieur :

« Le Maître de la Lumière m'a parlée aujourd'hui. »

« La chance ! », dit Selyse.

« De grands sacrifices se préparent. »

« Ah oui ? »

Melisandre revêtit une robe de chambre, parce que, ma foi, Selyse en avait assez vu pour aujourd'hui, et à part un nanomètre de poil en plus, quelle différence par rapport à la veille, hein ?

Elle s'approcha d'un brasero, et la reine, aussitôt, en profita pour s'approcher d'elle et la coller.

Oh la la, songea Melisandre, elle ne fait même plus semblant de me frôler par mégarde !

Selyse avait plaqué ses seins minuscules contre le bras de Melisandre, et son pubis se frottait contre la hanche de celle-ci. Les seins minuscules ont leurs avantages. Elle posa son menton sur l'épaule de la prêtresse. Sa respiration bourdonnait dans les oreilles de Melisandre, qui constata qu'elle avait la même haleine que son mari. Vingt ans de vie commune, ça vous fusionne un couple.

Ne sachant où mettre ses mains, Selyse se décida à passer ses bras autour du corps de sa Melisandre adorée. Pas d'ambiguïté, pas d'échappatoire.

« Regardez les flammes », ordonna Melisandre plus sèchement que convenu. Il est vrai que l'odeur de Selyse la rendait un peu rance.

Celle-ci, bonne fille, s'exécuta. Mais sa main commença à errer sur le ventre de la religieuse, avant de se glisser, tant bien que mal car le nœud avait été très serré (par précaution ?), dans la robe de chambre.

Melisandre tâcha de ne pas paraître troublée, cela risquait de générer des quiproquos.

« Que voyez-vous ? »

« Un feu m'anime », susurra la reine.

Son autre main se posa sur le fessier généreux de Melisandre.

« Restez concentrée ! », ordonna celle-ci sèchement.

Les mains de Selyse arrêtèrent leur mouvement, mais ne décollèrent pas.

Elle soupira, réfléchit, fixa les flammes à en avoir mal aux yeux, et, soudain inspirée, dit : « Nous allons nous diriger vers le Nord… »

Sa main remonta alors le long du ventre de Melisandre.

« De rudes combats nous y attendent », dit cette dernière.

« De terribles corps à corps », admit la reine, en resserrant son étreinte. « Mais nous vaincrons ! »

L'espoir fait vivre, songea Melisandre en se demandant comment échapper à cette pieuvre qui sentait la seiche. Une chose est sûre, si elle devait partir prêcher ailleurs, elle n'irait pas aux Îles de Fer.

« Nous prendrons Moat-Cailin ! », s'exclama Selyse.

Et vlan ! Sa main empoigna le sein de Melisandre. Cette dernière reconnut là la méthode de Stannis. Vingt ans de mariage, on vous dit.

« Vous voyez ça où ? », demanda Melisandre d'un ton méprisant, qui fit sentir à la reine combien elle était petite et insignifiante. Elle en retira sa main.

« Là où nous allons, poursuivit Melisandre, bien décidée à ne pas perdre son avantage, il n'y aura que le froid. La neige. La glace. »

Selyse, enfin, retira sa main de l'intérieur de ses vêtements.

« Il n'y a… aucun moyen ? », demanda-t-elle d'une toute petite voix.

Melisandre écrasa ce qui restait de pitié en elle (c'était facile, car il n'y en avait jamais eu beaucoup), mais sa victime était tenace : « Nous allumerons des feux, là-bas, n'est-ce pas ? »

C'est pas vrai, se dit Melisandre, mais elle en redemande !

Elle décida de jouer la carte de la cruauté : « Oui, dit-elle, il y en aura un… »

Les yeux de Selyse s'illuminèrent d'espoir.

« Le roi va faire un barbec' ! » annonça la prêtresse.

« Hein ? »

« Avec ta fille dans le rôle du bifteck ! » trancha Melisandre.

La reine resta un instant sans voix. Elle commençait à comprendre que Melisandre n'avait pas du tout compris de quels feux elle parlait. Elle s'écarta de dépit. Quant au sort de Shireen…

« Si c'est ce que veut le Maître de la Lumière… » dit-elle alors humblement.

Melisandre ferma les yeux : quelle conne, mais quelle conne, ma parole !

Eh ben, songea-t-elle, et moi qui me plaignait de ma mère parce qu'elle m'a vendue à un bordel...