Gays of thrones

Chapitre 7

La renarde et l'écureuil

Melisandre avait fini par s'enfuir de Peyredragon. Oh, pas pour très longtemps, juste trois mois, le temps d'aller retrouver ses contacts quelque part dans les Sept Couronnes. Elle avait été déposer un ordre de mission à l'intendant du roi, afin de pouvoir puiser allègrement dans les caisses de l'Etat et se faire ensuite rembourser ses frais sur les bas de laine du contribuable. Le pouvoir est une charge, que voulez-vous. Heureusement, Melisandre avait la foi.

Bon, allez, parce que c'est vous, on va vous avouer la vérité : Melisandre fuyait. Pas le roi, ni la reine, ni leur ennui mortel, non, elle fuyait celle qui avait véritablement brisé son cœur (car oui, Melisandre avait un cœur, même si elle l'oubliait souvent dans le brasero) : la princesse. Si Melisandre avait posé ses valises, ainsi qu'une malle mystérieuse (parce que c'est ce que font tous les immigrés d'Essos : débarquer avec une malle mystérieuse), un beau jour sur les rives de Peyredragon, ce n'était pas seulement parce que ce trou se situait dans le détroit, mais aussi parce que la fille du roi avait gagné son cœur. Certes, Shireen était un peu jeune, mais cela la rendait fraîche, pure et innocente. Et surtout, contrairement à ses deux parents, et même ses oncles, et sans doute aussi ses aïeux, elle était intelligente, bonne et gracieuse. Un vrai petit faon. Shireen était la perle de cette famille de bourrins. Avouez que ça relève du miracle.

(Melisandre aime la jeunesse. Ne faites pas les effarouchés : si vous avez tenu jusque-là, c'est bien parce qu'à la base, vous êtes fans d'une série remplie de gamines qui se font violer ou brûler vives.)

Hélas, Shireen restait sourde aux charmes de Melisandre. Ça aussi, c'était étonnant quand on voyait la promptitude avec laquelle s'étaient soumis ses deux parents. Non, vraiment, c'était bien la gamine la plus mal née des Sept Couronnes (et pourtant, quand on voit le nombre de familles dégénérées, il y a de la concurrence pour le titre). La prêtresse avait bien essayé de la convertir à sa religion, lui avait promis la Lumière et la Chaleur de ses feux, mais rien à faire, Shireen gardait son joli petit nez dans L'Etoile à Sept Branches, et va te faire foutre, Melisandre !

A la fin, cette dernière avait craqué. Bon sang, elle n'était plus une esclave péripatéticienne, c'était fini le temps où les hommes faisaient semblant de l'aimer, maintenant, elle représentait le Maître de la Lumière sur terre, elle brandissait son brandon pour éclairer les peuples, merde, à la fin, ce n'était quand même pas une enfant gâtée qui allait la renvoyer à sa nuit sombre et pleine de terreurs !

Donc, pour se venger, Melisandre avait distillé dans l'esprit naïf et sadique des Baratheon l'idée qu'il faudrait un jour jeter leur môme dans le brasier, puis, sur ces entrefaites, leur avait annoncé la nécessité de partir quelques temps. Cela leur avait porté un de ces coups, tant mieux, Melisandre serait sûre qu'à son retour, ils l'accueilleraient la queue entre les jambes. Pour sa part, à présent que les effluves du large se dissipaient, Melisandre se prit à de douces rêveries. Elle prévoyait de rejoindre la Fraternité sans Bannière. Rien de tel qu'un gang bang avec des hommes qui sentaient la fraise des bois pour oublier le bouillon de seiche.

Au terme de plusieurs jours de voyage, et de chasteté, Melisandre atteignit leur repaire au milieu de la forêt.

Elle fut cependant désappointée lorsqu'elle reconnut le prêtre rouge qui s'avançait vers elle.

« Thoros de Myr ! » s'écria-t-elle.

Le seul homme dans sa vie qui avait réussi à la faire changer de bord, et c'était un fiasco complet. Pour une fois que Melisandre ne craquait pas sur une enfant trop jeune, mais sur un homme mûr, son cœur, ou plutôt le Maître de la Lumière parce que Melisandre ne fait jamais qu'obéir au soleil, c'est bien connu, avait élu un tocard. Un type qui, loin d'être parvenu à convertir le roi Robert à la Vraie Foi en le détournant de sa blondasse, avait fini par le suivre dans sa chasse à la gueuse et ses descentes alcoolisées. Sa seule consolation était de se dire que les hommes de la Fraternité sans Bannière avaient les mêmes goûts qu'elle, et s'étaient aussi laisser séduire par Thoros de Myr.

« Salut, Meli ! », dit ce dernier, pas gêné le moins du monde de la revoir après toutes ces années.

« Tu oses paraître devant moi ! »

« Oh, je t'en prie ! Ne remets pas nos histoires sur le tapis ! »

« Je parle de ton échec avec Robert ! »

« C'était dans une autre vie… »

« Sers ça à tes Robins des bois ! »

« Si, si, je t'assure : je me suis fait égorger dans les bas-fonds de Cupulcier et le Maître m'a ressuscité. »

« Ben voyons ! »

« Femme de peu de foi ! Descends plutôt de ton cheval, que je te montre mon chef d'œuvre ! »

Piquée, Melisandre accéda tout de même à sa demande. Elle suivi son ex dans son antre. C'était une grotte où s'infiltrait l'eau de pluie, éclairée par un foyer fumeux. La lose, songea Melisandre, mais ma foi, après les Baratheon de Peyredragon, elle n'était plus à ça près. Elle fut tout de même impressionnée par Béric Dondarrion.

« Cet homme est mort combien de fois ? » s'écria Melisandre en examinant ses cicatrices, ce qui lui permit de constater que ledit Béric était bien musclé (comme quoi on ne le dira jamais assez : tirez, c'est bon pour la santé !).

« Je ne sais plus », dit Thoros.

« Au moins huit ou neuf fois, répondit Béric. Je me suis pris un poignard dans le torse, une hache dans les côtes, les Lannister m'ont crevé un œil et pendu, le Limier m'a tranché en deux de la clavicule jusqu'à la rate… »

« Mais… pourquoi tu t'es acharné à faire revivre un pauvre type qui s'en est déjà pris plein la gueule ? » s'écria Melisandre, frappée d'incompréhension devant cet acharnement thérapeutique.

« L'amour, dit simplement Thoros de Myr. Quand je suis arrivé à Westeros, j'avais perdu la foi. Je buvais, je me tapais des filles de joie, je sniffais les rails de coke… j'ai failli rivaliser avec Tyrion Lannister, d'ailleurs on disait de nous qu'on formait une sacrée paire, le barbu en robe rouge avec son lutin qui visitent toutes les cheminées… C'était les fêtes ! Mais là, j'ai rencontré Béric et… ma vérité, que j'avais si longtemps refoulée, a refait surface. Hélas ! Il se fit tuer. J'étais désespéré, j'ai failli descendre aux Sept Enfers pour l'en ramener… mais je suis resté sur terre à réciter ce que je pouvais entre deux pintes : des prières, des hymnes, mes tables de multiplication… Et là, miracle ! Le Maître me l'a rendu. Depuis, j'ai repris du service, je me suis sevré, je suis devenu clean. Tu peux me croire, Melisandre, je suis un autre homme ! »

Melisandre écoutait, l'air grave, Thoros lui parler de sa flamme. Comme elle, il s'était converti. Elle n'avait plus rien à espérer de lui. Elle se sentit nostalgique. Les hommes de la Fraternité sans Bannière avaient vieilli depuis leur dernière mêlée (elle se rappelait la douceur de la mousse sur laquelle ils l'avaient étendue, tout heureux de pouvoir s'offrir une vraie femme après tant de temps passé au milieu des bêtes). Ils avaient plus de rides, ou plus de cicatrices, à la lueur du foyer, on ne distinguait pas très bien. La prêtresse d'Asshaï se sentit un peu déçue : elle allait devoir partir prêcher ailleurs.

C'est alors que son regard se porta sur une frêle silhouette. « Une nouvelle recrue ? », songea Melisandre, en cambrant instinctivement les reins. En la fixant un peu plus attentivement à travers les flammes, elle s'aperçut qu'il ne s'agissait pas d'un jeune garçon, mais bien d'une fille. Une enfant d'une douzaine d'années, aux cheveux courts, à l'œil clair et farouche. Elle sentait le sang. « Une meurtrière ? » se demanda Melisandre, « à moins que ça ne soit les premières règles ? » - cette idée la fit frissonner. Elle ne pouvait détacher son regard de cette jeune fille en pleine puberté, habillé en garçon, à mi-chemin entre les âges, à mi-chemin entre les sexes, toute en ambigüité.

« Melisandre, annonça soudain Thoros, j'ai ce que tu m'as commandé ! »

« Pardon ? », demanda celle-ci, troublée par ce retour à la réalité.

« Un toy boy aux yeux bleus. Sang royal, manières plébéiennes, intouché, la vingtaine. Une affaire ! »

« Ah, parfait ! », dit simplement Melisandre, tout en jetant des regards à la fille-garçon de l'autre côté du foyer, assise sur son rocher comme la petite sirène de Copenhague.

Cette dernière avait réagi : « Vous parlez de Gendry ? »

« Ça ne te regarde pas, la fille. », répondit l'autre Frankenstein.

« Mais… il voulait vous rejoindre ! », protesta l'enfant.

« Eh bien, moi, je ne veux pas de lui. », répondit simplement Béric.

Thoros intervint : « Melisandre d'Asshaï, que tu vois ici, s'en occupera très bien ! »

La fille regarda alors Melisandre. Celle-ci tenta un sourire, le plus beau possible. Las, ses sourires étaient fort discrets. Pour toute réponse, elle se prit un regard de tueuse dans les dents.

Melisandre, un peu ébranlée, ne se découragea pas et entama une conversation : « Le Maître de la Lumière a de grands projets pour lui. »

« J'en ai rien à foutre, de ton chandelier ! », grogna la môme.

« C'est le seul vrai Dieu… »

« Des nèfles ! Il n'y a qu'un seul dieu ! »

« Oui, intervint Béric, fais gaffe, Melisandre, c'est une intégriste ! »

« Lequel ? », demanda Melisandre avec curiosité.

L'enfant la regarda, et, froidement, lui répondit : « Death. »

« Plaît-il ? »

« Pardon, dit l'enfant en faisant toujours la gueule, ça passe mieux en V.O. : la Mort. »

« Hum, songea Melisandre, une ado en crise, tendance nihiliste. »

Voilà qui allait lui faire oublier Shireen.

Alors que Thoros et Béric allongeaient et ligotaient Gendry dans une carriole (chacun ses fantasmes), Melisandre gagna sa monture, s'éloignant un peu du groupe. Comme elle l'espérait, une menotte lui tapota alors le dos. Elle se retourna : la jeune fille l'avait suivie. Elle sentit son cœur s'enflammer comme sur les étendards du père Baratheon.

« Vous allez le tuer ! »

Sa voix était aigue, tremblante de chagrin et de fureur.

Et c'est toi qui me le reproches ? songea Melisandre en regardant la mine assassine de la jeune fille. Mais comment aborder une ado perturbée ? Elle saisit l'enfant au visage. Elle avait de jolies joues rondes encore pleines, qui molletonnaient sous les doigts, de vraies joues de princesse !

« Je vois une noirceur en vous… », commença-t-elle.

Black is beautiful.

Pas possible, songea l'enfant, j'ai les yeux bleus !

« … des yeux bleus, des yeux verts, des yeux bruns… Des cœurs que vous allez prendre… »

Comme tu as pris le mien, petite folle !

Elle eut envie de l'embrasser, de croquer ces joues rondes comme des petites pommes, ou comme des joues d'écureuil - d'ailleurs Arya ressemble un peu à un écureuil, non ? Avec sa manie de se faufiler partout… Melisandre, telle une renarde rousse et rusée (et cruelle), rêvait de ne faire qu'une bouchée de la petite Scratch… euh, Stark !

Mais Arya conservait son regard de tueuse. La séduction n'était vraiment pas son fort. Melisandre battit en retraite… pour le moment.

« Nous nous reverrons ! », promit-elle.