Chapitre 11 : la soirée de Slug

La neige tourbillonnait à nouveau contre les fenêtres couvertes de givre. Noël approchait rapidement. Hagrid avait déjà apporté à lui tout seul, les douze sapins de Noël destinés comme d'habitude à la Grande Salle. Des branches de houx en festons et des guirlandes argentées s'entrelaçaient autour des rampes d'escalier. Des chandelles éternelles éclairaient de l'intérieur les heaumes des armures et de grosses touffes de gui avaient été suspendues à intervalles réguliers le long des couloirs. L'inconvénient fut que la plupart des élèves convergeaient par groupes entiers pour se placer sous le gui, ce qui provoquait des encombrements dans les couloirs.

Alors qu'Hermione se rendait à son cours d'arithmancie du lundi, elle se hâta d'éviter une foule de filles hystériques qui attrapaient quiconque passait à proximité du gui, lorsqu'elle sentit qu'on lui agrippa le bras. Elle se retourna en direction de l'individu, et s'aperçut qu'il s'agissait de Cormac MacLaggen, élevant une branche de gui au-dessus de leurs têtes.

-Hé bien Granger, aurais-tu l'obligeance de m'accorder un baiser ? C'est la tradition tu ne peux refuser.

Pour toutes réponses, elle lui donna un coup d'épaule pour se dégager de son emprise. Mais celui-ci ne bougea pas d'un centimètre, sa carrure trop lourde pour la jeune fille.

-Ne me dis pas que les garçons ne t'intéressent pas ? Nargua-t-il, toujours en tenant le bras d'Hermione

Au loin dans le couloir, elle aperçut Malefoy, le dos contre le mur et ses bras croisés en train d'observer la scène d'un œil noir. Involontairement, elle croisa son regard, avant de se retourner à nouveau vers MacLaggen.

-Tu veux venir avec moi à la soirée de Slughorn ? Lâcha-t-elle sans réfléchir.

L'idée lui était venue subitement, partagée entre son désir d'oublier Malefoy, et de donner une bonne leçon à Ron. Surpris, le Gryffondor la regarda avec les yeux ronds avant de répondre déconcerté :

-Heu très bien, je t'attendrai dans le Hall d'entrée.

Il se pencha pour embrasser la jeune fille, mais à l'instant même, il trébucha et tomba à terre sans trop savoir comment. Hermione regarda en direction de Malefoy qui rangea sa baguette dans sa veste avant de s'éloigner du couloir. Profitant de cet instant, elle prit congé de MacLaggen pour continuer son chemin, cherchant Drago des yeux. Mais ce dernier avait déjà disparût dans la foule d'élèves se rendant à leurs cours.

Elle était presque arrivée à la salle de classe du professeur Vector lorsque quelqu'un lui saisi la main, l'entraînant dans placard à balai qui se trouvait au fond du couloir. Elle se retourna, et vit Drago fermer la petite porte. Lorsqu'il lui fit face, elle vit le visage du jeune homme, beaucoup plus creux qu'à l'ordinaire, ses yeux soulignés par des cernes.

-Je dois te parler, lui dit-il en réponse à son regard.

Le placard était assez étroit, les obligeant à se serrer l'un contre l'autre. Son cœur battait de plus en plus fort au contact de son torse contre sa poitrine. Cela faisait plusieurs semaines qu'elle ne s'était plus retrouvée si près de lui. Depuis qu'il s'était retrouvé ensemble dans la salle de bain… pensa-t-elle. Malgré le souvenir douloureux de ce dernier rendez-vous, elle éprouvait de plus en plus de difficulté à ne pas fixer ses lèvres, à quelques centimètres des siennes.

-Je n'ai rien à te dire, réussit-elle à articuler en évitant son regard, ses yeux fixant un balai posé contre le mur du fond.

-S'il te plaît écoute-moi Hermione, le regard implorant. Je… je n'arrive pas à vivre sans toi… Je ne supporte pas de te voir avec un autre ! Dis-moi qu'il n'y a rien avec cet abruti de MacLaggen ?

-Drago tu es ridicule, répliqua celle-ci, même si au fond d'elle-même, elle adorait le voir jaloux, ses entrailles prenaient feu tout d'un coup.

-Tu vas avec lui à la soirée de Slughorn finalement ? demanda-t-il, une déception s'entendait dans sa voix.

Ils avaient prévu depuis quelque temps qu'elle irait avec Ron. Malefoy n'étant pas invité, elle aurait faussé compagnie à son ami, prétextant un mal de tête, pour le rejoindre dans la Salle sur Demande. Les choses ayant changé, sa dispute avec Ron ainsi que sa rupture avec Drago, Hermione avait abandonné leur projet du vendredi soir.

-Oui répondit-elle, le regardant franchement dans les yeux. Il n'a pas la marque des Ténèbres sur le bras lui ! Répliqua-t-elle sèchement, dans un murmure à peine audible.

Elle avait frappé en plein cœur, elle le savait d'après l'expression de profonde tristesse que Drago affichait sur son beau visage froid.

-Pardonne-moi Hermione, je t'en prie lui, dit-il en lui caressant la joue, les yeux remplis de larmes.

Le contact de sa main si douce, si virile pour son âge lui fit perdre le fil de ses idées. Se ressaisissant, elle lui répondit le cœur lourd :

-Je n'y arriverais pas… pas avec ça, dit-elle en désignant son avant bras gauche. Il y a trop de secrets entre nous. Je ne sais pas ce que tu prépares, mais les choses ont été beaucoup trop loin… je suis désolée, les larmes coulant désormais sur son visage, c'était une erreur, on doit oublier ce qu'il s'est passé !

Elle dégagea délicatement sa main de sa joue, et sortie du placard. Hermione s'essuya les larmes avec la manche de sa robe, et partit suivre son cours d'arithmancie qu'elle était incapable de comprendre.

Cette semaine-là, ils s'évitèrent le plus possible dans l'école, ne se croisant uniquement qu'aux cours qu'ils avaient en commun. Il ne venait plus prendre ses repas à la Grande Salle, il ne se déplaçait presque plus dans les couloirs et par-dessus tout, manquaient à ses séances d'entraînement de Quidditch.

Quelques fois, quand elle était à la bibliothèque, qui était à présent son seul refuge – Ron étant constamment dans la Salle commune en compagnie de Lavande - elle crut entendre quelqu'un l'observer à travers les rangées de livres. Elle regardait autour d'elle fréquemment, n'apercevant personne.

L'emploi du temps d'Hermione était si chargé que Harry ne parvenait à lui parler que le jeudi soir, la rejoignant au fond de la bibliothèque où elle avait coutume de s'asseoir avec Drago. Harry détourna timidement la conversation pour parler de sa relation avec Ron.

-Il a parfaitement le droit d'embrasser qui il veut, dit Hermione pendant que la bibliothécaire, Madame Pince, rôdait derrière eux, le long des étagères. Je m'en fiche complètement.

Elle leva sa plume et mit un point sur un i d'un geste si féroce qu'elle en perça le parchemin.

Cette situation lui tapait sur les nerfs. Comment peut-on être aussi puéril ? Elle pensait que leur amitié était clairement définie entre eux, comme avec Harry. Mais à l'évidence, Ron éprouvait plus que des sentiments amicaux envers elle. Alors à quoi joue-t-il avec Lavande ?

Harry ne répondait pas, plongé sur son Manuel avancé de préparation des potions et continuant de prendre des notes sur les élixirs éternels, s'arrêtant parfois pour déchiffrer les utiles ajouts du Prince au texte de Libatius Borage. Ce qui n'améliora pas l'humeur massacrante d'Hermione.

-Je te signale en passant, reprit Hermione au bout d'un moment, que tu ferais bien d'être prudent.

-Pour la dernière fois, répliqua Harry qui parlait dans un murmure légèrement rauque après trois quarts d'heure de silence, je n'ai pas l'intention de rendre ce livre. J'ai appris beaucoup plus avec le Prince de Sang-Mêlé que ce que Rogue ou Slughorn m'ont enseigné en…

-Je ne parle pas de ton idiot de soi-disant Prince, coupa Hermione en jetant un regard mauvais au livre, comme s'il avait été grossier avec elle, je parle de ce que j'ai vu tout à l'heure. Je suis allée dans les toilettes, juste avant de venir ici, dit la Gryffondor sans préciser qu'elle s'y était rendue pour pleurer en silence. Et il y avait là une douzaine de filles, dont Romilda Vane, qui cherchait un moyen de te faire boire un philtre d'amour. Elles espèrent toutes que tu vas les emmener à la soirée de Slughorn. Apparemment, elles ont acheté des potions chez Fred et George, et j'ai bien peur qu'elles soient efficaces…

-Pourquoi ne les as-tu pas confisquées ? demanda Harry, surpris que la manie d'Hermione pour le respect du règlement l'ait abandonnée en un moment aussi crucial.

-Elles n'avaient pas emporté leurs philtres aux toilettes, mentit-elle d'un air dédaigneux. En réalité, elle ne voulait pas être surprise sortant des toilettes, les yeux rouges et bouffis. Elles parlaient simplement de tactique. Comme je doute que le Prince de Sang-Mêlé lui-même – elle lança à nouveau au livre un regard noir – ait pu imaginer un antidote à une douzaine de philtres d'amour différents, à ta place, j'inviterais tout de suite quelqu'un à m'accompagner à la soirée de Slughorn, comme ça les autres sauraient qu'elles n'ont plus aucune chance. Elle a lieu demain soir, alors elles sont prêtes à tout.

-Il n'y a personne que j'aie envie d'inviter, marmonna Harry sur un ton peu convaincant.

-Alors, fais simplement attention à ce que tu bois parce que Romilda Vane paraît vraiment décidée, dit Hermione d'un air sombre.

Elle remonta d'un cran le long rouleau de parchemin sur lequel elle rédigeait son devoir d'arithmancie et recommença à écrire dans un grattement de plume. Harry l'observa, l'esprit complètement ailleurs.

-Attends un peu, dit-il lentement. Je croyais que Rusard avait interdit tous les produits en provenance des Farces pour sorciers facétieux ?

-Et qui a jamais tenu compte des interdictions de Rusard ? demanda Hermione, toujours concentrée sur son devoir.

-Mais je pensais que tous les hiboux étaient contrôlés ? Comment ces filles arrivent-elles à introduire des philtres d'amour à l'école ?

-Fred et George les envoient sous forme de parfums ou de potions contre la toux, répondit Hermione. Ça fait partie de leur service de vente par hibou.

- Tu as l'air d'être très au courant.

Hermione lui jeta le même regard noir qu'à son exemplaire du Manuel avancé de préparation des potions.

-C'était écrit sur les flacons qu'ils nous ont montrés, à Ginny et à moi, quand on est allés les voir cet été, dit-elle avec froideur. Seulement, moi, je ne m'amuse pas à verser des potions dans les verres des gens… ou à faire semblant, ce qui est tout aussi déplorable…

-Oui, bon, mais peu importe, répliqua Harry, l'important, c'est que Rusard se laisse berner. Ces filles reçoivent des produits interdits déguisés en autre chose ! Dans ce cas, pourquoi Malefoy n'aurait-il pas pu introduire le collier à l'école ?

Son cœur se serra subitement, comme si une main glacée l'avait empoigné. Harry n'avait pas abandonné son obsession pour Malefoy. Cherchant à éviter le plus possible le sujet, elle répondit :

-Oh, Harry, tu ne vas pas recommencer…

-Vas-y, dis-moi pourquoi ? Insista Harry.

-Écoute, soupira Hermione, les Capteurs de Dissimulation détectent les maléfices, les mauvais sorts et les charmes de camouflage, d'accord ? Ils permettent de découvrir tout ce qui a trait à la magie noire. Ils auraient forcément repéré en quelques secondes un maléfice aussi puissant que celui du collier. En revanche, une potion qu'on met dans un autre flacon passerait inaperçue – d'ailleurs, les philtres d'amour n'appartiennent pas à la magie noire et ne sont pas dangereux.

-C'est toi qui le dis, marmonna Harry en pensant à Romilda Vane.

-Ce serait donc à Rusard de s'apercevoir par lui-même qu'il ne s'agit pas d'une potion contre la toux et comme il n'est pas un très bon sorcier, je doute qu'il puisse distinguer une potion d'une…

Hermione s'interrompit. Harry avait entendu, lui aussi. Quelqu'un avait bougé derrière eux, dans l'ombre des étagères. Ils attendirent un instant et la silhouette de vautour de Madame Pince apparut à l'angle d'un rayon, ses joues creuses, sa peau parcheminée et son long nez busqué soulignés par l'éclairage peu flatteur de la lampe qu'elle tenait à la main.

-La bibliothèque ferme, dit-elle. Prenez soin de remettre ce que vous avez emprunté à la bonne… Qu'avez-vous fait à ce livre, espèce de dépravé ?

- Il n'appartient pas à la bibliothèque, c'est le mien ! protesta Harry, saisissant son exemplaire du Manuel avancé de préparation des potions au moment où elle tendait une main en forme de griffes.

-Dégradé ! dit-elle d'une voix sifflante. Profané ! Souillé !

-Quelqu'un a simplement écrit dedans ! s'exclama Harry en lui arrachant le livre des mains.

Elle paraissait au bord de l'attaque. Hermione, qui s'était hâtée de ranger ses affaires, attrapa Harry par le bras et l'entraîna de force.

- Si tu n'es pas plus prudent, elle va t'interdire l'accès à la bibliothèque. Pourquoi a-t-il fallu que tu apportes ce stupide livre ?

-Ce n'est pas ma faute si elle est complètement cinglée. Peut-être qu'elle t'a entendue dire du mal de Rusard ? J'ai toujours pensé qu'il pourrait bien y avoir quelque chose entre eux…

- Oh, oh, ha, ha ...

Profitant de ce qu'ils pouvaient à nouveau parler normalement, ils retournèrent dans la salle commune, le long des couloirs déserts éclairés par la flamme des lampes, en se demandant si oui ou non Rusard et Madame Pince étaient secrètement amoureux l'un de l'autre.

-Babioles, dit Harry à la grosse dame, le nouveau mot de passe pour la période des fêtes.

- Vous-même, répliqua-t-elle avec un sourire coquin.

Et elle pivota pour les laisser entrer.

- Salut, Harry ! lança Romilda Vane dès qu'il eut franchi l'ouverture. Tu veux un verre d'eau de giroflée ?

Hermione lui lança par-dessus son épaule un regard qui signifiait : « Qu'est-ce que je te disais ? »

-Non merci, s'empressa de répondre Harry. Ce n'est pas ce que je préfère.

- Alors, prends plutôt ça, je te l'offre, dit Romilda en lui mettant une boîte dans les mains.

Des chaudrons en chocolat avec du whisky Pur Feu à l'intérieur. C'est ma grand-mère qui me les a envoyés, mais je n'aime pas tellement.

-Ah, oui, merci beaucoup, répondit Harry qui ne trouva rien d'autre à ajouter. Heu… je vais là-bas, avec…

Il se hâta derrière Hermione, sa voix s'évanouissant en un faible murmure.

-Je t'avais prévenu, commenta brièvement Hermione. Plus vite tu demanderas à quelqu'un de t'accompagner, plus vite elles te laisseront tranquilles et tu pourras…

Mais son visage se figea soudain. Elle venait d'apercevoir Ron et Lavande entrelacés dans le même fauteuil. N'ayant aucune envie de passer la soirée à contempler ce spectacle ridicule, Hermione prit congé de son ami.

-Eh bien, bonsoir, Harry, lança-t-elle, bien qu'il fût tout juste sept heures du soir. Et elle monta dans le dortoir des filles sans ajouter un mot.

Le matin de leur dernière journée de cours avant les vacances de Noel, Hermione s'habilla rapidement, avec un sentiment de nostalgie au creux de l'estomac. Le lendemain de la soirée de Slughorn, elle rentrerait chez ses parents, loin de Poudlard pendant deux semaines, loin de lui, pensa-t-elle.

Comme à son habitude, elle emprunta le couloir du septième étage pour descendre prendre son petit déjeuner. Passant devant la Salle sur Demande, elle avait le pressentiment que le Serpentard était à l'intérieur. Que faisait-il tout ce temps ?

Elle regarda furtivement des deux côtés du couloir, et posa délicatement sa main, à l'endroit où apparaissait habituellement la grande porte. Savoir que Drago se trouvait-là, juste derrière ce mur la rendait malheureuse.

-Drago… murmura-t-elle, comme si ce dernier pouvait l'entendre.

Elle eût soudain une idée. Se rappelant de l'entrée forcée de la brigade Inquisitoriale dans la salle l'année précédente, elle pensa de toutes ses forces dans sa tête la phrase suivante :

-« Je veux voir ce que Drago fabrique ici, je veux voir ce que Drago fabrique ici, je veux voir ce que Drago fabrique ici ».

Mais rien ne se produisit. Elle essaya encore une fois :

-« Montre-moi la pièce qu'utilise Drago Malefoy » répéta-t-elle trois fois dans sa tête.

A nouveau, le mur resta intact. Elle dut se résoudre à admettre, comme elle l'avait pressenti, que la porte n'apparaîtrait pas. A l'évidence, elle n'arrivera jamais à y entrer, ne sachant pas en quoi la salle se transforme quand Drago s'y rend.

Déçue, elle se rendit seule au petit déjeuner. La matinée fût très difficile, particulièrement pendant le cours de métamorphose qu'elle du subir en compagnie de Ron et Lavande.

Ils venaient d'aborder le sujet extraordinairement complexe de la métamorphose humaine : travaillant face à des miroirs, ils étaient censés modifier la couleur de leurs sourcils. Hermione éclata d'un rire peu charitable en voyant la première tentative désastreuse de Ron qui s'arrangea pour se faire pousser une spectaculaire moustache en guidon de vélo. Ron répliqua par une imitation cruelle, mais fidèle d'Hermione sautant sur sa chaise chaque fois que le professeur McGonagall posait une question. Lavande et Parvati s'amusèrent beaucoup, mais Hermione était au bord des larmes. Dès que la cloche eut retenti, elle se rua hors de la salle en laissant derrière elle la moitié de ses affaires.

Elle se dirigea précipitamment vers les filles à l'étage au-dessous, son refuge favori entre deux cours. Elle tomba nez-à-nez avec Luna, qui sortait à ce moment précis, l'esprit ailleurs comme un touriste durant une visite guidée d'un lieu particulièrement intéressant.

-Quelque chose ne va pas Hermione ? Lui demanda gentiment son amie.

-Ce…ce n'est rien Luna, répondit-elle entre deux sanglots. Je me suis simplement disputée avec mon ami Ron Weasley… Elle fut prise d'un autre sanglot quand elle prononça son nom

Luna s'approcha d'Hermione, et lui tapota amicalement le dos, pour la consoler. Au moment où les deux filles sortaient des toilettes, Harry arriva à leur hauteur, les bras chargés des affaires qu'Hermione avait oubliées en cours.

- Oh, bonjour, Harry, dit Luna. Est-ce que tu sais que tu as un sourcil jaune vif ?

-Salut, Luna. Hermione, tu as laissé ça sur ta table…

Il lui tendit ses livres.

-Ah oui, murmura Hermione d'une voix étouffée par les sanglots.

Elle prit ses affaires et se tourna pour cacher qu'elle s'essuyait les yeux avec sa trousse de crayons.

- Merci, Harry. Bon, il faut que j'y aille…

Et elle s'éloigna en hâte sans laisser à Harry le temps de lui offrir le moindre réconfort, bien qu'il n'eût sans doute rien trouvé à lui dire.

Lorsqu'arriva l'heure du dîner, Hermione apprit qu'apparemment, Harry avait invité Luna à l'accompagner pour la soirée de Slughorn qui aura lieu le soir même. Contente de retrouver des visages familiers, elle appréhendait beaucoup moins le déroulement de la soirée, même si elle sera accompagnée de MacLaggen, pensa-t-elle lugubrement en jouant avec son ragoût du bout de sa fourchette.

Au bout de la table, elle entendait Harry et Ron discuter au sujet de Luna.

-Tu aurais pu emmener qui tu voulais ! s'exclama Ron, incrédule, au cours du dîner. Qui tu voulais ! Et tu as choisi Loufoca Lovegood ?

-Ne l'appelle pas comme ça, Ron, lança sèchement Ginny qui s'était arrêtée derrière Harry en allant rejoindre des amis. Ça me fait plaisir que tu l'aies invitée, Harry, elle est tellement ravie.

Et elle s'éloigna pour aller s'asseoir à côté de Dean, sous le regard déçu d'Harry. Tout au long du repas, elle sentait Ron lui lancer des regards furtifs. Sans surprise, elle entendit Harry suggérer à Ron :

-Tu pourrais lui dire que tu es désolé.

- C'est ça, et recommencer à me faire attaquer par une bande de canaris ? Marmonna Ron.

-Qu'est-ce qui t'a pris de l'imiter ?

-Elle s'est moquée de ma moustache !

-Moi aussi, c'était la chose la plus stupide que j'aie jamais vue.

Mais Ron ne semblait pas avoir entendu. Lavande venait d'arriver avec Parvati. Se glissant entre eux, Lavande prit Ron par le cou.

- Salut, Harry, dit Parvati qui, comme lui, paraissait un peu gênée et lassée de leur conduite.

-Salut, répondit Harry, comment ça va ? Finalement, tu restes à Poudlard ? J'ai entendu dire que tes parents voulaient que tu t'en ailles.

- J'ai réussi à les en dissuader pour l'instant, dit Parvati. L'histoire de Katie les a mis dans tous leurs états, mais comme il ne s'est plus rien passé depuis… Ah, salut, Hermione !

Parvati eut un sourire radieux, se sentant coupable de s'être moquée d'Hermione au cours de métamorphose. Cette dernière garda la face, et lui rendit un sourire encore plus éclatant, si toutefois c'était possible.

- Salut, Parvati, lança Hermione sans accorder la moindre attention à Ron et à Lavande. Tu vas à la fête de Slughorn, ce soir ?

-Je ne suis pas invitée, répondit Parvati d'un air mélancolique. Mais je serais enchantée d'y aller, ce sera sûrement très bien… Tu y vas, toi, non ?

-Oui, j'ai rendez-vous avec Cormac à huit heures et ensuite, on ira…

Il y eut un bruit semblable à celui d'une ventouse qu'on retire d'un évier bouché et Ron refit surface. Hermione sembla n'avoir rien vu ni entendu.

-… on ira à la soirée ensemble.

- Cormac ? S'étonna Parvati. Tu veux dire Cormac McLaggen ?

- Exactement, répondit Hermione d'une voix suave. Celui qui a failli – elle appuya lourdement sur le mot – devenir le gardien de Gryffondor.

- Tu sors avec lui ? demanda Parvati, les yeux ronds.

- Oui… Tu ne savais pas ? dit Hermione avec un gloussement de rire qui n'avait rien d'hermionien.

- Non ! s'exclama Parvati, surexcitée par cette confidence qui avait de quoi alimenter les ragots. Toi, au moins, on peut dire que tu aimes les joueurs de Quidditch ! D'abord Krum, maintenant McLaggen…

-J'aime les joueurs de Quidditch qui sont vraiment bons, rectifia Hermione, toujours souriante. À plus tard… Il faut que je me prépare pour aller à la soirée…

Elle se leva et quitta la table. Lavande et Parvati penchèrent aussitôt la tête l'une vers l'autre pour commenter la nouvelle, récapitulant tout ce qu'elles avaient entendu dire sur McLaggen et tout ce qu'elles avaient deviné d'Hermione. Ron, le visage étrangement dénué d'expression, ne prononça pas un mot.

Vers sept heures trente, Hermione se prépara pour la soirée organisée par Slughorn. Elle choisit une robe bleu marine fluide, qui descendait gracieusement le long de ses courbes. Lâchant ses cheveux en une longue crinière brune, elle appliqua plus généreusement son maquillage. Elle se regarda rapidement dans le miroir qui se trouvait dans la salle de bain et jugea l'effet plutôt réussi.

Sans aucun enthousiasme, elle descendit rejoindre MacLaggen qui l'attendrait dans le Hall d'entrée. Ce dernier patientait au bas des marches, reluquant quelques jolies filles au passage, lorsqu'Hermione descendait le rejoindre. Se ressaisissant, il regarda avec les yeux ronds la jeune fille se diriger vers lui.

-Tu es ravissante, dit-il galamment en tendant son bras vers Hermione.

-Merci Cormac, heu... tu n'es pas mal non plus, répondit-elle timidement. Il était habillé d'une chemise gris perle, en dessous de son veston noir. Alors, où se passe la fête ?

-Dans le bureau de Slughorn, j'ai entendu dire que ses réceptions sont grandioses ! Cela ne m'étonne pas quand on connaît ce bon vieux Slug…

Ils prirent le couloir menant au bureau du professeur. Hermione ne s'était jamais rendu compte à quel point ce chemin lui paraissait long. Elle écoutait à moitié MacLaggen énumérer le nom de chaque personnalité importante qu'ils fréquentaient, ce dont il se vantait déjà durant les soupers de Slughorn.

Ils approchaient enfin du bureau de Slughorn et la rumeur des rires, de la musique et des conversations s'intensifiait à chacun de leurs pas.

Qu'il ait été conçu ainsi ou aménagé par un procédé magique, le bureau de Slughorn était beaucoup plus grand que ceux des autres professeurs. Le plafond et les murs étaient drapés de tentures émeraude, cramoisies et dorées qui donnaient l'impression de se trouver sous une vaste tente.

La pièce, bondée, étouffante, baignait dans la lumière rouge que diffusait une lampe d'or ouvragée accrochée au milieu du plafond et dans laquelle voletaient de véritables fées, chacune formant un point de lumière étincelante. Dans le coin opposé, on chantait une chanson à tue-tête, accompagnée par ce qui ressemblait à des mandolines. De la fumée de pipe flottait comme une brume au-dessus d'un groupe de vieux sorciers absorbés dans une grande conversation, et des elfes de maison se faufilaient en couinant entre les genoux des invités comme entre les arbres d'une forêt, cachés par de lourds plateaux d'argent portés à bout de bras, qui leur donnaient l'air de petites tables ambulantes.

Hermione cherchait Harry des yeux, ne sachant pas si ce dernier était déjà arrivé quand elle vit Slughorn, se diriger vers eux en poussant maladroitement quelques élèves sur le côté avec son énorme ventre.

-Cormac, Hermione ! Quel plaisir de vous voir à ma petite fête.

Slughorn portait un chapeau de velours à pompons assorti à sa veste d'intérieur. Tous les deux le remercièrent poliment de son invitation, complimentant la décoration de la salle. Le professeur leur souhaita une bonne soirée, accompagnée d'un clin d'œil complice qui déplut fortement à Hermione. Elle attendait impatiemment l'arrivée d'Harry et de Luna. Pendant plusieurs minutes qui lui parurent interminables, Hermione écouta d'une oreille distraite les exploits de MacLaggen au Quidditch. Elle répondait de temps à autre par pure politesse, mais celui-ci prit ses réponses comme de l'intérêt de la part de la jeune fille.

A nouveau, Cormac profita de la présence d'une branche de gui pour tenter d'embrasser Hermione. Réussissant à s'enfuir en prétextant de devoir se rendre aux toilettes, elle passa entre deux filles qui ressemblaient à des membres de l'orchestre des Bizarr' Sisters lorsqu'elle entendit la voix de son ami l'appeler :

- Hermione ! Hermione !

-Harry ! Tu es là, Dieu merci ! Salut, Luna !

- Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Demanda Harry en voyant Hermione passablement échevelée, comme si elle venait de s'arracher à grand-peine d'un buisson de Filet du Diable.

- Oh, je viens juste d'échapper à… je veux dire, je viens de quitter Cormac, répondit-elle. Sous la branche de gui, ajouta-t-elle en guise d'explication devant le regard interrogateur de Harry.

-Ça t'apprendra à venir avec lui, dit-il d'un ton grave.

- J'ai pensé qu'il agacerait Ron plus que les autres, expliqua Hermione, la voix dénuée de toute passion. Pendant un moment, j'avais songé à Zacharias Smith mais tout bien considéré…

- Tu as envisagé de sortir avec Smith ? s'exclama Harry, révolté.

- Oui, et je commence à regretter de ne pas l'avoir choisi. À côté de McLaggen, Graup a l'air d'un gentleman. Viens, allons par là, on pourra le voir venir, il est tellement grand…

Tous trois se dirigèrent de l'autre côté de la pièce, prenant au passage des coupes d'hydromel et s'apercevant trop tard que le professeur Trelawney se trouvait là, toute seule.

-Bonsoir, lui dit poliment Luna.

-Bonsoir, ma chère, répondit le professeur Trelawney qui eut du mal à concentrer son regard sur elle, une odeur de xérès bon marché se dégageant du professeur. Je ne vous ai pas vue dans ma classe, dernièrement…

- Non, cette année, j'ai Firenze, dit Luna.

-Ah, bien sûr, lança le professeur Trelawney avec un petit rire aviné et furieux. Dites plutôt Percheron, c'est comme ça que je l'appelle. On aurait pu penser, n'est-ce pas, que maintenant que j'ai repris mes cours, le professeur Dumbledore se serait débarrassé du cheval ? Mais non… Nous nous partageons les classes… Franchement, c'est une insulte, une véritable insulte. Rendez-vous compte…

Le professeur Trelawney semblait trop éméché pour avoir reconnu Harry et Hermione. Pendant qu'elle disait pis que pendre de Firenze, celui-ci s'était approché de son amie et lui glissa :

- Mettons les choses au net. Est-ce que tu as l'intention de raconter à Ron que tu es intervenue le jour des épreuves de sélection des gardiens ?

Hermione haussa les sourcils.

-Tu crois que je m'abaisserais à ce point ?

Harry la fixa d'un regard pénétrant.

-Hermione, si tu es capable de sortir avec McLaggen…

- Il y a une différence, répliqua Hermione avec dignité. Je ne dirai rien à Ron sur ce qui aurait pu se passer ou non le jour des essais.

- Tant mieux, approuva Harry avec ferveur. Sinon, il s'effondrerait à nouveau et on perdrait le prochain match…

-Le Quidditch ! s'exclama Hermione, courroucée. C'est donc tout ce qui intéresse les garçons ? Cormac ne m'a pas posé une seule question sur moi, non, j'ai simplement eu droit au récit intégral des Cent-Plus-Grands-Arrêts-de-Tir-De-Cormac-McLaggen… oh, le voilà !

Elle fila aussi vite que si elle avait transplanté. En un instant, elle avait disparu, se glissant entre deux sorcières qui riaient bruyamment.

- Vous n'avez pas vu Hermione ? demanda McLaggen une minute plus tard, après s'être frayé un chemin parmi la foule.

-Non, désolé, répondit Harry.

Et il se tourna vers Luna pour participer à sa conversation, oubliant pendant une fraction de seconde à qui elle était en train de parler.

Hermione essaya de mettre le plus de distance possible entre elle et Cormac. Elle continua à se faufiler discrètement entre les invités, se dirigeant vers la sortie qui se trouvait à l'autre bout de la pièce. Elle était sur le point de franchir la porte, lorsque celle-ci s'ouvrit à la volée, laissant passer Rusard qui tenait Drago Malefoy par l'oreille et le traînait vers Slughorn qui se trouvait au milieu de la salle.

Apeurée, elle croisa le regard de Drago, qu'elle fuyait depuis plusieurs jours. Ses yeux gris se posaient sur elle, comme s'il l'appelait silencieusement, avant de disparaître vers la foule.

Elle suivit de près Rusard et sa cacha derrière un pilier, recouvert d'un drapé de tentures émeraude pour observer la scène, d'un œil terrifié.

-Professeur Slughorn, dit Rusard de sa voix sifflante – ses bajoues frémissaient et le plaisir d'avoir surpris un élève en faute animait ses yeux globuleux d'une lueur démente, j'ai trouvé ce garçon qui rôdait dans un couloir. Il prétend avoir été convié à votre soirée et être arrivé en retard. Lui avez-vous envoyé une invitation ?

Malefoy, furieux, se dégagea de la main de Rusard.

- D'accord, je n'ai pas été invité ! dit-il avec colère. J'ai essayé d'entrer en douce, voilà, vous êtes content ?

-Non, je ne suis pas content du tout ! s'exclama Rusard, une affirmation contredite par la jubilation qu'exprimait son visage. Vous allez avoir des ennuis, je peux vous le dire ! Le directeur n'a t-il pas bien précisé qu'il était interdit de rôder dans les couloirs la nuit à moins d'en avoir la permission, hein ?

-Ça ne fait rien, Argus, ça ne fait rien, dit Slughorn en agitant la main. C'est Noël et ce n'est quand même pas un crime de vouloir aller à une fête. Pour une fois, passons l'éponge, vous pouvez rester, Drago.

La déception indignée qu'on lisait sur le visage de Rusard était parfaitement prévisible, mais Drago gardait son mécontentement inscrit sur son visage, énervé de s'être laissé prendre bêtement. Cependant, la jeune fille observait l'expression de Rogue d'un peu plus près. Était-ce possible que le professeur regardait Malefoy avec de la colère, mais aussi de la peur ?!

Rusard avait tourné les talons et s'éloignait en marmonnant, de sa démarche traînante. Malefoy s'était composé un sourire et remerciait Slughorn de sa générosité. Quant à Rogue, son visage était redevenu parfaitement lisse, impénétrable.

-Ce n'est rien, ce n'est rien, assura Slughorn avec un geste de la main pour mettre un terme aux remerciements de Malefoy. Après tout, j'ai connu votre grand-père…

-Il a toujours dit le plus grand bien de vous, monsieur, répondit aussitôt Malefoy. Il répétait que vous étiez le meilleur spécialiste des potions qu'il n'ait jamais connu…

Hermione aperçut au loin Harry en train d'inspecta Malefoy d'un œil soupçonneux, elle était sûre qu'il se poserait des questions sur son aspect maladif que celui-ci affichait depuis plusieurs jours. Son le teint nettement grisâtre et les cernes sombres sous ses yeux était assez préoccupant…

-J'aimerais vous dire un mot, Drago, déclara soudain Rogue.

Hermione eu un sursaut au cœur, écoutant plus attentivement la voix de Rogue qui était très difficilement audible.

- Allons, Severus, intervint Slughorn, la voix toujours hoquetante, c'est Noël, il faut être indulgent…

- Je suis directeur de sa maison et je jugerai moi-même du degré d'indulgence dont il convient de faire preuve, répliqua sèchement Rogue. Suivez-moi, Drago.

Ils s'éloignèrent, Rogue marchant devant, Malefoy le visage amer. Harry resta là un moment, indécis, puis adressa quelques mots à Luna avant de sortir de la pièce en fouillant dans sa poche à la recherche de sa cape d'invisibilité sans doute. Le connaissant, elle savait qu'il allait suivre Malefoy et Rogue.

Elle était frustrée de ne pouvoir le suivre aussi, mais Harry se serait aperçu de sa présence. Qui plus est, ce dernier était sous la cape d'invisibilité et elle n'aurait pu le voir... Mais l'idée qu'Harry entende quelque chose de compromettant entre Rogue et Malefoy l'horrifiait. Une boule au ventre, elle se résolut à rentrer dans son dortoir après cette soirée désastreuse.