Une horde de roux se précipitait dans leur direction.

C'était, au premier regard, une famille prolétaire. Le père, presque chauve, était vêtu d'une simple combinaison bleue unie d'ouvrier à l'usine, la mère d'une jupe longue et d'un tablier rouge de paysanne. Parmi les enfants, le plus âgé arborait un costume-cravate bon marché, les trois garçons plus jeunes des t-shirts à l'effigie de Che Guevara, et la petite fille d'une dizaine d'années la même combinaison de travailleur que son père. Ils avançaient d'un air confiant et déterminé et brandissaient une pancarte : "Non au racisme anti-roux !".

Quelques passants les dévisageaient, surpris. Cela ne semblait pas affecter plus que ça la petite famille, qui le leur rendait en les défiant du regard.

« Camarade Hagridov ! répéta l'homme chauve, le père de famille, faisant signe à ses enfants d'interrompre leur manifestation contre le racisme pendant un moment, le temps des retrouvailles.

- Camarrade Weasley ! s'exclama Boris dès qu'il les eut reconnus. Bonjourr à vous, camarrades ! C'est un plaisirr de vous rrevoirr ! »

Et il entreprit d'étreindre la main de chaque membre de la famille, écrabouillant au passage le malheureux organe. Deux des fils roux, des jumeaux, eurent même le droit à une accolade bourrue qui manqua de propulser leur cage thoracique hors de leur abdomen, mais ils ne s'en soucièrent pas plus que cela, éclatant d'un rire bienveillant en blaguant sur la force démesurée du géant à la chapka, qui se joignit joyeusement à eux. Visiblement, ils se connaissaient bien et semblaient même partager une certaine complicité.

Lorsqu'il eut fini, il se tourna de nouveau vers Harry et le fit se rapprocher en le poussant vers le centre du groupe.

"Camarrrrrades Weasley, voici Harrrrry Potterrrrevitch. C'est un camarrrrrrade."

Les Weasley se regardèrent, surpris. Jusque là, le plus jeune des fils avait discrètement lorgné avec admiration et émerveillement la magnifique chouette rouge perchée sur l'épaule du jeune camarade, et à présent il le dévisageait avec des yeux ronds, la bouche entre-ouverte.

"Le… le camarade Potterevitch ?! s'écria bruyamment la mère de famille. Vous voulez dire… le fils des défunts camarades Potter ?... »

Avant de brusquement s'interrompre, la main sur la bouche, une expression de pitié et de compassion dans les yeux. Après une seconde d'hésitation, elle se jeta sur Harry et l'étreignit chaleureusement dans ses bras grassouillets, secouée de sanglots, sans que le pauvre bolchevik ne comprenne ce qui lui arrivait.

« P…p…p…pauvre petit…, parvint-elle à articuler. Si…si jeune…snif… et déjà orphelin… snif… Ces horribles fachos… que t'ont-ils infligé… si jeune et déjà tant de malheurs…

- Allons, allons Molly, tenta son mari d'apaiser ses pleurs et de l'éloigner du camarade Potterevitch qu'il voyait suffoquer dans son étreinte maternelle. Les fachos ne sont désormais plus que des menaces dans l'ombre… Il n'arrivera plus rien au camarade Potter !

- Potterevitch, camarade, murmura Harry. Mais… s'il vous plait… expliquez-moi : j'ai toujours cru que mes parents étaient des ouvriers morts dans un accident de travail. »

Molly Weasley avait relâché son étreinte et se tenait maintenant face à lui, les mains posées sur ses épaules en signe de réconfort. Elle afficha une expression de surprise et d'indignation à sa dernière phrase :

« QUOI ?! On t'a donc caché la vérité ?! Mais c'est ignoble !

- Tes parents sont morts honorablement, camarade, intervint le plus âgé des fils, celui avec des lunettes et vêtu d'un costume bon marché (Harry remarqua qu'il tenait un livre de Sartre sous son bras). Ils ont péri en vrais révolutionnaires, sous l'étendard sanglant de l'égalité et du prolétariat.

- Qu… quoi… ? »

Harry réfléchissait frénétiquement : durant cette dernière heure, il avait vécu plus d'événements étranges que durant tout le reste de sa vie jusqu'alors : son arrivée mystérieuse à la gare, le géant russe, ces histoires d'école de magie et à présent tous ces roux qui affirmaient connaître l'histoire tragique de sa famille ! Peut-être… peut-être que finalement, tout était lié à son passé, qui lui avait toujours semblé si obscur ? Comment un humble prolétaire avait-il pu se retrouver adopté par des capitalistes ? Par quel hasard incroyable avait-il pu avoir la chance de tomber sur le Capital de Marx – enfin, pour être plus précis, par quel hasard le Capital lui était-il tombé dessus ? Et puis, cette lettre du CCCP… Il semblait être prédestiné pour devenir un communiste – mais pourquoi ?

« Tout cela… cette gare, l'école, le Vojd, la chouette rouge… c'est lié, n'est-ce pas ? » interrogea-t-il les roux, incertain.

Les Weasley hésitèrent. Même Boris, qui n'avait rien dit depuis quelques minutes, ne semblait pas très à l'aise et se dandinait sur place en fuyant son regard. La chouette sur l'épaule de Harry, qui s'était quelque peu assoupie, choisit ce moment pour sortir de sa sieste et hululer (son qui, s'il devait être transcrit, ressemblait étrangement à un « Soyouuuuuuz ! » victorieux). Ils ne savaient pas vraiment par quoi commencer, sans parler du fait que le Vojd leur avait interdit de trop en dire pour ne pas perturber son nouveau petit protégé.

Finalement, ce fut la petite fille, la plus jeune de la famille, qui se dévoua pour lui donner une réponse :

« Tu es un sorcier, camarade !

- Un quoi ? s'étonna Harry, pris au dépourvu.

- Un communiste, rectifia précipitamment Boris Hagridov. Tu es un communiste, Harrry.

- Aaaah, bon ! souffla Harry, rassuré. J'avais dû mal entendre...

- Et tu es aussi un sorcier, compléta soudainement le plus jeune des fils Weasley, le regard rivé dans le sien d'un air résolu. Et aussi l'Élu de la Prophétie des Peuples.

- ... … QUOI ?! »