Une heure environ s'était écoulée, durant lesquelles plusieurs bouteilles de vodka furent ingurgitées un peu partout dans le train, principalement par des Gryffondors ou de futurs Rouges ; en effet, la vodka était distribuée gratuitement sous ordre du Vojd du CCCP par la Dame au Chariot qui passait dans les wagons. Et bien évidemment, les camarades Ron et Harry, n'ayant pas d'argent et donc pas accès aux autres produits, ne s'étaient pas privés de trinquer à la gloire du Prolétaire.

Les deux jeunes communistes avaient entamé un chant victorieux, dont la mélodie se rapprochait le plus de la comptine Une Souris Verte et les paroles de l'Internationale. Porté à plusieurs décibels de plus que nécessaire, l'étrange résultat de cette combinaison audacieuse, pourtant moins inesthétique qu'on ne s'y attendrait, parvint toutefois au bout de plusieurs dizaines de minutes à attirer l'attention, sinon le courroux, d'un bourgeois siégeant dans le wagon voisin dont le sommeil avait passablement été perturbé par ces tonalités si peu communes à l'oreille humaine.

Que leur visiteur était capitaliste, Harry et Ron le comprirent tout de suite lorsque la porte de leur compartiment coulissa pour laisser passer un jeune homme en costume et cravate vert sombre orné d'argent et au visage pâle en pointe surplombé de cheveux couleur or blanc coiffés à la mode du dix-neuvième siècle. Ses lèvres étaient tirées en une moue pincée, comme si l'action même de respirer était trop vulgaire à son goût, et ses yeux gris ennuyés ne faisaient transparaître que son extrême indifférence. Tout dans sa posture hautaine et sa gestuelle pleine de suffisance laissait voir qu'il se déplaçait exclusivement en flânant.

Il flâna donc d'un pas noble vers Harry et Ron, manquant de se prendre les pieds dans sa cape de velours (mais se rattrapant de justesse et conservant un visage tellement impassible qu'il aurait été impossible de deviner qu'il venait presque de perdre toute sa crédibilité) et, après les avoir toisés de haut (chose assez aisée, sachant que les deux camarades étaient affalés par terre entre leur vomi et les bouteilles vides), leur adressa finalement la parole d'une voix trainante :

"Hmm ! Je vois... des pauvres..."

Il avait prononcé le dernier mot en baissant un peu la voix, comme si ç'avait été un terme obscène.

"Dumbledore a donc bel et bien décidé d'appliquer son fameux plan quinquennal à la lettre, continua-t-il. Je me demande ce que ça va donner... à quel moment il se rendra compte de la chute de niveau de l'éducation que sa politique aura provoquée."

Harry Potterevitch, surpris, darda ses yeux sur le bourgeois, et lâcha d'une voix un peu pâteuse :

"Hmgmfffl ?..."

Ce qui, bien évidemment, dans sa tête signifiait :

"De quel droit pense-tu que le socialisme est voué à l'échec dans le domaine de l'éducation ?"

Le jeune noble se contenta de se dresser sur la pointe de ses pieds pour le toiser d'un peu plus haut, et manqua de s'étaler sans grâce sur le sol souillé des fluides anciennement contenus dans les appareils digestifs des deux communistes à cause d'une secousse du train.

"Les pauvres", marmonna-t-il encore une fois en soupirant, "j'espère que mon père, le compte De la Mauvayse Foy interdira bientôt cette pratique", rajouta-t-il encore avant de s'en aller avec grâce et splendeur, s'imaginant avec satisfaction que les deux prolétaires regretteraient sa présence lumineuses après avoir entendu son nom de famille et iraient dans son wagon se prosterner à ses pieds en implorant de pouvoir devenir ses elfes de maison.

Mais c'était bien mal connaître le camarade Potterevitch : sitôt le blond sorti du compartiment, le jeune communiste, retrouvant toute sa lucidité, se redressa fièrement et brandit un poing vers la porte :

"Un jour, les âmes des travailleurs chanteront d'une même voix, et ce jour, nous seront libérés des chaînes ces créatures visqueuses qui se sont crues impunies pendant tous ces siècles !"

Un long silence suivit cette courte harangue, un silence que conclut un Ron au regard éperdu d'admiration :

"Ouah...c'était beau...Buvons à la chute du Capital !"

Et ils s'enfilèrent une dernière rasade de vodka, qui les fit plonger dans le coma éthylique.