Tous les élèves ainsi que tous les professeurs étaient demeurés muets. Dans ce silence lourd de sens, Harry s'avança comme dans un rêve vers la tribune la plus à gauche de la Grande Salle, décorée de pancartes rouges et or à l'effigie d'un lion derrière lequel se dressait un visage moustachu.

Le jeune prolétaire s'assit à une place vide à côté de Ron, qui le regardait sans rien dire comme tous les autres. Puis, soudain, il se mit à applaudir son voisin, bientôt imité par tous les Communor de la table et enfin par certains professeurs n'hésitant pas à afficher leur parti pris pour les défenseurs des idées de Marx ouvertement. Les applaudissements durèrent près de dix minutes, et Harry en comprit bientôt la raison : tous lorgnaient d'un oeil craintif une silhouette à moitié dissimulée par l'ombre, sur un piédestal au milieu de la table des professeurs, dont seules les extrémités blanches de sa moustache étaient clairement discernables. Personne n'osait interrompre ses applaudissements en premier en sa présence.

Inutile pour le jeune Potterevitch d'avoir des doutes quant à l'identité de ce dirigeant mystérieux : c'était sans aucun doute le Vojd du CCCP.

Son intuition se confirma bientôt, lorsque les applaudissements - à présent douloureux - cessèrent d'un coup : la haute silhouette moustachue venait de lever un bras en signe d'apaisement bienveillant, et sortit un peu de l'ombre dans laquelle elle était drapée grâce à sa position surélevée.

C'était un homme d'âge indéfinissable, aux cheveux et à la moustache blancs, quelques rides paternelles encadrant ses yeux bleus mis-clos luisant derrière une paire de lunettes en demi-lune. Il était vêtu d'un genre de veste militaire passée par-dessus ce qui semblait être une robe de chambre rouge ornée de marteaux et de faucilles dorés - comme s'il avait oublié de se changer le matin en se réveillant. Sa longue et soyeuse moustache blanche frémissait légèrement tandis que son visage s'éclairait d'un sourire lumineux adressé à tous les élèves - sauf aux Capitards, aux Aristaigles et aux Centrouffles, auxquels il ne réserva qu'un bref coup d'oeil ennuyé.

Harry put ajouter à toutes les qualités du Vojd qu'il venait de vanter dans sa brève intervention lors de la Répartition un sens inné de l'égalitarisme et de l'impartialité, ce qui l'émut encore davantage qu'il ne l'était déjà.

Rubrus Dumbledacier prit alors la parole d'une voix suave :

"Chers élèves, commença le Vojd avec une bienveillance infinie. Nous voici réunis pour une nouvelle année dans notre magnifique Collège et Centre Culturel de Poudlard, dont je suis le fortuné directeur ! Je vous prie d'accueillir avec joie et respect les nouveaux élèves, en particuliers ceux admis à Communor, et à harceler consciencieusement tous les sales bâtards de Capitard - en particulier le baron Jean-Dracouille De la Mauvayse Foy, venu saboter la scolarité de nombreux prolétaires. Fort heureusement, le Ministère de l'Education nous a récemment alloué un budget pour la rénovation de la guillotine dans le Parc de Poudlard, qui était malheureusement tombée en panne il y a une cinquantaine d'années : ainsi, vous saurez que faire de tous nos chers camarades d'Aristaigle, lorsqu'ils auront à nouveau raflé la Coupe des Quatre Tribunes grâce à leur insupportable culture bourgeoise inculquée par leur éducation d'aristocrates ! Mais bref, je m'égare... Comme chaque année, il est de mon devoir de vous rappeler que l'accès à la Forêt Interdite est, comme l'indique son nom, formellement interdit, sous peine de passer le reste de l'année au goulag. Cette année, il en va de même pour le troisième étage du château, et ce pour la simple raison que les escaliers et les ascenseurs sont en panne dans cette zone. Ceux qui objecteraient en me disant qu'il en va de même pour les premier et deuxième étages seront priés de sortir de cette pièce par la petite porte là-bas au fond - oui, celle avec marqué "Danger - Risques potentiels de mort imminente" en gros caractères. Sachez-le, pour ceux qui ne le sauraient pas encore : j'ai toujours raison, et je n'ai jamais tort. Ceux qui ont raison à ma place n'ont jamais l'occasion d'en profiter pendant plus de quelques heures... Bien, à présent que vous êtes informés de l'essentiel, chantons donc notre hymne !"

Et il entonna d'une voix grave et profonde une mélodie victorieuse, que tous les autres s'empressèrent de rejoindre :

La magie rouge des élèves prolétaires
A été unie pour toujours par le grand Rubrus.
Que chantent à travers notre glorieux campus
Les fils d'ouvriers et des laboureurs de terre !

Sois glorieuse, notre libre Poudlard,
Face au capitalisme, tu es notre rempart !
De rouge et d'or se dresse notre étendard
Lion Communor, mène-nous à la victoire !

Le premier couplet se répéta plusieurs fois, entrecoupé de strophes décrivant les "pleutres Centrouffles" et les "perfides Capitards", sans oublier les "Aristards bons pour la guillotine". Si Harry n'avait pas tant été obnubilé par la vue du Vojd, il aurait remarqué que certains de ses camarades assis aux autres tribunes avaient manifestement pâli en entendant ces menaces à peine dissimulées à l'égard de leurs Maisons.

Ce ne fut qu'une bonne heure plus tard que le Vojd accorda sa permission pour que les élèves puissent se sustenter : d'un geste, il fit apparaître tout un festin sur la tribune de Communor, et une cruche d'eau accompagnée d'un panier de pain sec pour toutes les autres tables. Bientôt, Harry Potterevitch fut pleinement repu, mais surtout inconsidérément reconnaissant envers ce dicta... hum, directeur si magnanime.