"Buffy... Ne sois pas trop inquiète ; c'est un soldat, il saura se débrouiller !"
Buffy acquiesça, sirotant distraitement son troisième café de la matinée. Willow s'attabla en face d'elle.
"Je sais... Mais je n'ai pas eu de nouvelles de lui depuis cette nuit, et... enfin... je ne peux pas m'empêcher de penser que Walsh a lancé ses sbires à ses trousses." Elle soupira, parcourant des yeux la cafétéria, qui se remplissait doucement d'étudiants bavards.
"Elle m'a fait visiter ce qu'elle appelle la zone de détention des HST. C'est affreux, tous ses démons enfermés ; et les expériences qu'ils leur font subir... Ça me fait peur."
Le visage de Willow s'assombrit. Son amie semblait vraiment bouleversée.
"Tu es la Tueuse, Buffy. Tu t'en sortiras."
"Oui... La Tueuse, je sais. Comme si je pouvais oublier !"
"Je crois que tu vas bientôt te sentir mieux..."
"Qu'est-ce que tu dis, Willow ?"
"Regarde vers là-bas..."
Un flot d'émotions submergea la jeune fille : il était là ! il était vivant ! Elle rougissait à vue d'oeil, tandis que Riley s'approchait d'elle. "Tu es là..." ne put-elle que murmurer. Elle luttait contre l'envie de se jeter dans ses bras, de l'embrasser jusqu'à l'étouffer, de le déshabiller et de lui faire l'amour sur-le-champ, et cette lutte laissait de charmantes et indécentes lueurs dans ses yeux. Riley sourit, les pupilles dilatées.
"Ça va ? Demanda-t-il."
Willow s'éclipsa discrètement, en adressant un petit salut coquin à Riley.
"Je vais bien, oui. Et toi ?"
"Ça va mieux maintenant que je te vois..."
Buffy redevint sérieuse. "Qu'as-tu-fait, hier soir, après que... Enfin, tu sais !"
"Je suis parti le plus vite possible, ça je peux te l'assurer ! J'ai pris mes cliques et mes claques et je me suis pris une chambre au Sunnydale Motor Inn."
"Et... Que vas-tu faire maintenant ?"
"Je ne sais pas trop." Le jeune homme vint s'asseoir à côté de Buffy, qui ne put résister plus longtemps : elle l'embrassa fougueusement. Riley la serra dans ses bras, et la frêle demoiselle répondit à son étreinte.
"Doucement, tu me fais mal !" la rabroua Riley.
"Excuse", sourit-elle.
*****
"Bon, euh, Anya... On ne discute plus. C'est toi qui t'y colles."
"Ah non, je ne suis pas d'accord ! Pourquoi ça devrait être moi ?", fit Anya, furibonde.
"Ecoute, euh... J'ai plus l'habitude que toi de ce genre de choses ; j'ai des souvenirs de militaire, rappelle-toi !"
"Et alors ?"
"Et bien, je serai plus discret pour piquer..."
"Piquer ! T'as d'ces mots, toi !"
"C'est mieux comme ça, je t'assure !"
Offusquée, Anya sortit en trombe de l'ascenseur - et s'arrêta net. Alex, surpris, trébucha en voulant l'éviter et atterrit la tête la première dans un fauteuil de la salle d'attente du service d'hématologie.
"Eh... Qu'est-ce qui t'as pris ?" rouspéta-t-il en se relevant sous les quolibets des patients.
"Ça n'ira pas !" fit-elle, triomphante. "Viens, que je t'explique !"
Sans aucune douceur, elle traîna Alex dans un recoin de la pièce, et lui assena cette sombre vérité : "Je suis un ex-démon !"
"Chic."
"Ça veut dire que mon sang est peut-être différent de celui des simples humains !!!"
La jubilation se lisait sur le visage d'Anya, à mesure que celui d'Alex se décomposait.
"Je suis forcé de reconnaître que tu as raison", admit-il, dépité.
"Tu m'étonnes..."
C'est une Anya triomphante qui suivit Alex à l'accueil.
"Mademoiselle..." commença-t-il d'une voix pas très assurée. "Mademoiselle..."
Le dragon qui tenait lieu d'hôtesse leva le nez de son écran d'ordinateur. "Madame !" vociféra-t-elle. "Quoi ?"
"Je souhaiterais donner mon sang..."
"J'aime autant vous prévenir tout de suite, il n'y a pas de compensation financière." Elle se replongea dans sa tache précédente, s'attendant à ce que le morveux détale à ces simples mots.
"Ça m'est égal... Je tiens vraiment à donner mon sang !"
Anya étouffa un gloussement.
"Et la minette, à côté ? Elle veut quoi ?"
"Je l'accompagne. Il a peur, tout seul."
"... Bon... Pfff..." Elle se pencha vers un interphone, et dit de sa voix suave :
"Docteur Needle ? Y'a un donneur à l'accueil !"
En désignant le fauteuil sur lequel Alex s'était étalé, elle ordonna : "Asseyez-vous là !"
C'est un Alex pas du tout fanfaron qui serra la main du docteur Needle. Il fut à peine rassuré par l'aspect débonnaire du petit homme.
"Alors, c'est la première fois que vous donnez votre sang ?"
"Heu... oui... bafouilla Alex."
«Si l'on excepte les fois où je me suis fait mordre par mes potes les vampires...», pensa-t-il.
"Avant toute chose, je vais pratiquer quelques examens médicaux de routine. Pourriez-vous vous déshabiller, s'il-vous-plaît ?"
"Hmm hmm."
Le docteur Needle alla chercher quelques ustensiles - tensiomètre, stéthoscope et bonbon à la menthe - et adressa un sourire timide à Anya, qui attendait gentiment, non loin du congélateur. " Prenez place..."
Après quelques instants, il ajouta, satisfait : "Vous avez l'air en parfaite santé, jeune homme !"
"Merci..."
"Bien ! Passons aux choses sérieuses ! Ne vous inquiétez pas, vous ne sentirez presque rien !" assura-t-il en sortant une longue aiguille de son emballage.
*****
La colère de Buffy n'était pas étrangère au fait qu'elle ait du quitter Riley précipitamment. En rechignant, elle avait fini par accepter de suivre Willow, Alex et Anya, qui avaient refusé de dire ce qu'il se passait, et contemplait maintenant, les bras croisés, le vampire endormi.
"C'en est trop... On l'aide une fois, et hop ! Il s'incruste ! Il nous prend pour les petites soeurs de la Charité, ou quoi ?"
"Où pourrait-il aller d'autre ?" lui répondit Willow.
Anya tendit à Giles les sachets de sang qu'elle avait volés chez le docteur Needle, profitant du moment où Alex avait tourné de l'oeil. Le bibliothécaire s'en saisit avec soulagement, et les plaça dans le congélateur.
"Buffy... Il faut qu'on prenne une décision", dit-il.
"Un morceau de bois bien placé et on n'en parle plus", grommela Alex.
"Alex..." intervint Willow, avec un ton de reproche.
"Ce serait stupide de le tuer après avoir pris tant de risques pour récupérer du sang", remarqua Anya.
"Eh oh ! C'est moi qui ait pris les risques, je te signale !" rouspéta Alex.
Spike gémit et se tourna sur le côté. "Doucement..." tempéra Giles. "Vous allez le réveiller !"
Buffy explosa : "Mais regardez-vous ! Vous êtes tout sucre tout miel avec lui ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Il a essayé de me tuer, il a essayé de tuer Willow ! Vous ne vous rappelez pas ?"
Spike, tiré brutalement de son sommeil, rencontra le regard de la Tueuse - et n'eut qu'une envie : s'évanouir à nouveau. Replonger dans l'oubli. Giles, qui lui tournait le dos, continuait tant bien que mal à défendre son protégé, le croyant toujours endormi.
"Peut-on vraiment reprocher à un démon de faire le mal ? Je veux dire... Ce n'est pas comme s'il avait le choix..."
"C'est ça... On les laisse tous vivre, alors ?"
"Buffy..." murmura Willow.
"Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire", se défendit Giles.
"Buffy, s'il-te-plaît..."
"Pour moi, un bon démon est un démon mort !" déclara la Tueuse.
"Merci !" s'offusqua Anya.
Soutenant le regard grave de Spike, Buffy répondit : "Toi ce n'est pas pareil, Anya. Tu as choisi ton camp. Celui-là... C'est juste par intérêt. Il se sert de nous pour survivre, mais dès qu'il en aura l'occasion... Il nous tuera !"
"Laisse-lui une chance, Buffy", murmura Willow.
Buffy s'accroupit devant le vampire. "Donne-moi une seule bonne raison..." fit-elle.
Spike continuait à la fixer sans mot dire ; Giles remarqua enfin qu'il était conscient.
"Alors... ?" poursuivit la Tueuse.
"Je ne peux rien te promettre", admit Spike.
Tant de franchise, de la part d'une aussi vile créature, désarçonna la jeune fille : "Bon. Je te tuerai une autre fois !"
*****
Déçu d'avoir été séparé si vite de Buffy, Riley marchait sans but précis dans les couloirs de l'Université. Que faire, maintenant ? Retourner à la base ? Il ne pouvait s'empêcher de regretter sa fuite précipitée, la veille ; il aurait au moins du laisser Maggie s'expliquer. Tout cela n'était certainement qu'un énorme malentendu...
Buffy... Une fois encore, elle s'était éclipsée, enrobée de mystère. Pour aller... chez Giles. Devait-il la rejoindre ? Il se souvenait bien de l'adresse du bibliothécaire, tout près de l'endroit où... C'est alors que l'évidence se fit en lui - il avait tenté, tant bien que mal, de repousser au plus loin les conclusions que son inconscient avait tirées. Oui, il avait voulu se cacher la vérité.
Mais maintenant... C'était impossible. Les accusations de Buffy, à propos de Maggie, étaient beaucoup trop graves. Il ne pouvait plus se voiler la face : Buffy avait quelque chose à cacher.
Quelqu'un, plutôt.
L'Hostile 17 s'était réfugié chez Giles.
*****
Willow était restée chez Giles, pour l'aider à soigner Spike. Les autres s'étaient séparés après une discussion houleuse sur la conduite à tenir par rapport à Walsh, mais aussi par rapport à Riley. Spike, avec sa douceur habituelle, avait proposé de faire exploser tout le complexe du projet Initiative. Après s'être fait retirer la puce, évidemment.
«Tenez-vous prêt... Je vois quelque chose bouger !»
«Non... Ne tirez pas. Ce n'est pas ce que nous cherchons.»
«Pourtant...»
«J'ai dit non !»
Le vampire avait retrouvé une partie de ses forces, grâce au sang humain ramené par Anya. La nuit tombait enfin. "Je vais y aller. Où est mon manteau ?"
"Et le traditionnel "merci" ?...", demanda Giles.
"Oh... Oui... Merci", fit négligemment Spike.
On le sentait piaffer d'impatience.
«J'en ai assez d'attendre ; on a dû se tromper.»
«Non... Quelques minutes encore... Prépare-toi !»
«N'oubliez pas... Ils peuvent être dangereux.»
«On nous a dit...»
«Je croyais que...»
"Est-ce que tu t'en sortiras ?" demanda Willow.
"Je me débrouillerai."
"Attends..." fit Giles. "Rends-moi service, s'il-te-plaît : raccompagne Willow chez elle. Les rues ne sont pas très sûres en ce moment."
"Et vous croyez vraiment qu'elle sera plus en sécurité avec moi ?!!"
"Giles, je peux rentrer seule !"
"Et vous pourriez la raccompagner vous-même !"
Giles s'extirpa de son fauteuil. Il avait l'air épuisé : nuit blanche après nuit blanche... Tout cela n'était plus vraiment de son âge.
"Bon. D'accord", soupira le non-mort. "Je la ramène !" Spike saisit Willow par le bras et ouvrit la porte.
«A l'attaque !»
Le petit groupe armé, obéissant à l'ordre de Forrest, repoussa violemment le vampire et la jeune fille à l'intérieur.
"Plus un geste !"
"Cause toujours !" gronda Spike - un grondement qui n'avait pas grand-chose d'humain. Il se rua sur deux des soldats, et réussit à en renverser un ; mais à ce moment, Forrest, suivi de trois de ses hommes, entra à son tour. Le jeune chef verrouilla la porte ; Spike fut forcé de reculer à nouveau. Il se replia aux côtés de Giles et de Willow, au milieu du salon.
"Ça va, on ne bouge plus !" cria le bibliothécaire en levant les mains.
"Hey, qu'est-ce qui vous prend ?" répliqua Spike en chuchotant. "On ne va pas les laisser nous emmener, tout de même !"
"Regarde autour de toi, Spike. Ils sont neuf !"
"Agenouillez-vous et mettez les mains derrière la tête !" ordonna Forrest.
"Ne me touchez pas !" hurla Willow à l'attention d'un grand brun qui tentait de l'asseoir de force.
Spike jeta un coup d'oeil à la jeune fille : elle semblait hors d'elle. "Willow..." D'un regard, il désigna la fenêtre. Willow avala sa salive, et commença à réciter une incantation.
"Par tourbillons et tornades
Et par les créatures des ombres..."
Giles fronça les sourcils ; il ne connaissait pas cette formule.
"Qu'est-ce qu'elle raconte ?" ricana un des soldats.
"Vent du Nord et Vent de l'Ouest
Donnez-moi le souffle sacré..."
Qu'espérait-elle ? se demanda Giles. Cette partie-là correspondait à un sort tout à fait mineur ! Mais peut-être que l'incantation complète, telle que semblait la réciter Willow, avait un pouvoir dévastateur... Un souffle de vent frais prit subitement vie dans la pièce, glaçant la nuque de tous ceux qu'il rencontrait.
"C'est une sorcière !" cria quelqu'un, terrifié.
"Brises et tempêtes
Créatures des airs..."
Les militaires eurent un mouvement de recul ; Spike en profita pour se relever. Avec une facilité déconcertante, il souleva un fauteuil et le lança sur deux soldats, leur procurant ainsi un aller simple pour le pays des songes. Giles n'était pas resté immobile, pendant ce temps, et avait entamé une distribution gratuite de coups de poing et coups de pied à qui en demandait - et surtout à qui n'en demandait pas ! Les jeunes gens, malgré leur entraînement, rencontraient quelques difficultés à maîtriser l'observateur.
"Qu'est-ce qu'on fait, Forrest ? On leur tire dessus ?"
"On n'a pas la place, idiot !"
Willow continuait à invoquer le vent, qui se mit à souffler plus fort : les pages d'un livre se mirent à tourner à toute allure, et des objets légers volèrent à travers la pièce, dans un vacarme épouvantable. Ceci eut l'effet escompté : les hommes s'écartèrent bien loin de la sorcière, craignant pour leur vie.
"Maintenant !" cria-t-elle.
La voie était libre. Grognant comme une bête fauve pour attirer l'attention sur lui, Spike courut vers la fenêtre et se jeta à travers, la fracassant en mille morceaux. Il se releva rapidement et se cacha à l'angle de la maison, attendant que les soldats sortent. Un, deux, trois... non... quatre ! Plus deux en train de roupiller... Giles saurait bien s'occuper des trois qui restaient à l'intérieur ! Il était temps de jouer un peu.
"Où est-il passé, bon sang ?"
"Là !"
Spike s'était mis à courir en pleine rue, escomptant bien que ses ennemis se mettent à sa poursuite. Il les essouffla un peu en les perdant dans le quartier - tours, demi-tours, impasses et ruelles, puis revint sur la route principale. Il sentait cependant que ses forces commençaient à décliner, et qu'il ne pourrait plus se sauver bien loin.
"Srados, tire !" entendit-il crier.
Il se retourna, et fut touché en plein ventre par une fléchette anesthésiante. Mais il eut le temps de voir ce qu'il voulait : Willow, toute petite silhouette, en train de s'enfuir dans l'autre direction. Vers le centre-ville. Elle était déjà loin : l'Initiative n'avait plus aucune chance de la rattraper. Il éclata de rire avant de s'évanouir.
