On frappa à la porte. Giles alla ouvrir ; il scruta un moment le vide en face de lui, avant de baisser la tête et d'apercevoir le petit garçon qui attendait sur le perron. D'apparence frêle, il était pieds-nus et vêtus d'habits d'un autre âge. Ses yeux étaient embués de larmes.

"Qu'est-ce que... balbutia Giles."

"C'est lui !" s'exclama Willow. "C'est lui qui était dans mon rêve ! Giles, laissez-le entrer."

"Je ne sais pas si c'est très prudent, Willow..."

Le garçonnet répéta : "Willow..." Puis, sans plus de cérémonie, il se faufila à l'intérieur.

"Bonjour, comment t'appelles-tu ?"

"Will. Je m'appelle Will, madame. J'ai dix ans."

En souriant, Willow l'invita à s'asseoir à côté d'elle sur le canapé ; l'enfant se pelotonna contre la jeune sorcière avec un air de soulagement, et ferma les yeux. Il pleurait doucement.

"Willow, peut-être que tu ne devrais pas t'approcher autant de lui", chuchota Buffy. "On ne sait pas qui il est."

"C'est un enfant", répondit-elle. "Il a besoin de moi !"

Buffy fronça les sourcils : certes, son amie avait parfois un comportement étrange, avec ses histoires de sorcières, et tout ça... Mais là, elle dépassait les bornes ! Giles s'approcha de Will : "Que fais-tu ici ? Pourquoi es-tu venu ?"

"Je me suis enfui. Je jouais avec ma cousine."

"Ta cousine ?"

Les pleurs de l'enfant redoublèrent.

"Pourquoi pleures-tu ?" demanda Willow.

Il l'observa un long moment avant de se décider à répondre : cette phrase, cette voix, il les reconnaissait ! Il lui semblait avoir déjà vécu cette scène, mais où ? et quand ? "Je vous l'ai déjà dit, madame..."

"C'était il y a longtemps ; je ne me souviens plus."

Buffy voulut intervenir : ce dialogue obscur l'inquiétait. Mais Giles lui fit signe de ne pas bouger. Les traits tendus, l'enfant essuya ses larmes. Il ne savait pas s'il fallait parler, s'il pouvait faire confiance à ces gens. Il ne se souvenait plus de quelle façon il était arrivé là. Quel lieu étrange, d'ailleurs ! Etait-il arrivé en enfer ? Il frémit, sûr à présent de devoir payer pour ce qu'il avait fait.... Mais il y avait Willow, la voix de Willow, et son odeur si douce... La regardant droit dans les yeux, il finit par avouer : "J'ai tué Anne. J'ai tué ma cousine."

Pensant que Willow allait le chasser après ce qu'il venait de dire, il voulut se lever - mais la jeune fille le retint dans ses bras et commença à le bercer. "Ça va aller, Will. Tu verras, tout va s'arranger."

Le petit, surpris, se mit à gémir doucement, s'abandonnant à la protection de Willow.

"Je n'ai pas l'impression qu'il soit mauvais, ou démoniaque", fit Giles. "Il a surtout l'air traumatisé. Willow, de quoi te souviens-tu ?"

"Je crois qu'on se connaît depuis très longtemps, lui et moi, d'une façon ou d'une autre ; mais je n'en sais pas plus."

"Willow, lâche-le. Il a quand même tué quelqu'un", plaida Buffy.

"J'ai pas fait exprès !" réagit Will.

"Je sais, bonhomme, je sais", le consola Willow.

Giles s'approcha de lui et voulut poser la main sur son épaule - pour constater, surpris, qu'il ne pouvait pas le toucher : sa main passait à travers le corps de l'enfant !

"C'est un fantôme..."

Mais l'enfant affirma gravement : "Je ne suis pas un fantôme. D'ailleurs, ça n'existe pas, les fantômes."

"Peut-être qu'il vit sur un autre plan astral ?"

"Ou peut-être que Giles est un fantôme", proposa cyniquement Buffy.

"Alex commence à avoir une mauvaise influence sur toi, Buffy. Regardez ses vêtements, les enfants. Vous ne remarquez rien ?"

"J'ai perdu mes galoches en courant", fit Will, l'air honteux.

"Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire... Ce sont des vêtements très anciens ! Je pense qu'il s'agit d'un fantôme qui ne trouve pas le repos parce qu'il a tué cette... Anne."

Buffy sursauta, se sentant soudain très mal à l'aise - bien plus encore qu'une minute auparavant. "Est-ce qu'il peut être dangereux ?"

"Probablement pas ; de ce point de vue, je crois que Willow a raison : avant tout, il a besoin de notre aide."

"Je te protège, maintenant", assura Willow. "Tout ira bien."

"Ça ne suffit pas...", gémit Will.

Giles soupira. "Bon, Buffy, il fait nuit, tu vas patrouiller. Willow et moi, nous allons chercher comment aider ce garçon."

"Mais..."

"Pas de «mais», Buffy. Nous nous débrouillerons très bien sans toi. De toute façon, Alex doit arriver d'une minute à l'autre."

"Ah oui, alors là je me sens tout de suite plus rassurée !"

Giles, grommelant, saisit la Tueuse par les épaules et la mit dehors, lui fourguant au passage un sac de sport rempli d'armes. Eberluée, la jeune fille se dirigea telle une automate vers l'un des douze cimetières de Sunnydale.

"J'ai tué Anne..." entendit-elle encore.

"Dis-moi, Spike, y a-t-il une personne en particulier que tu voudrais tuer ?"

Le vampire avala sa salive et une lueur de désir s'alluma dans ses yeux. "Buffy. Ma Tueuse..."

"J'en étais sûr ! Tu ne t'attaques pas à n'importe qui, petit !"

"J'en ai déjà tué deux avant celles-là. Mais elle est un peu plus coriace que la moyenne. Maintenant, je crains de ne plus avoir aucune chance ; je peux la bousculer un peu, mais dès que je veux vraiment lui faire du mal, paf ! La douleur revient. Et j'ai l'impression que ça empire avec le temps."

"Si elle se trouvait ici, et que tu ne souffres plus de ton affliction ?"

"Comment pourriez-vous... ?"

"Ne me sous-estime pas, Spike. Ceux qui ont fait cette erreur sont morts. Il n'y a guère de plus grand sorcier que moi ; aucun artefact humain ne saurait me résister."

"Admettons. Si c'était possible... je n'en laisserais pas une goutte !"

Le roi eût un sourire mauvais, révélant ses dents gâtées. "Qu'il en soit ainsi..."

La Tueuse farfouilla dans son sac et en tira un pieu particulièrement bien taillé. "Voilà. Celui-ci est parfait !"

Un bruit provenant de derrière une tombe attira son attention. Elle s'approcha silencieusement, puis s'envola d'un bond et atterrit de l'autre côté de la pierre tombale. Une jeune femme s'y cachait, dentition en avant, les yeux hagards. Buffy, pas impressionnée, la saisit au collet et la souleva du sol.

"C'est pas bien de traîner dans le coin, la nuit, par les temps qui courent !"

"Rerrere... repose-moi j'ai peur oh j'ai peur !"

"Mais bien sûr. Comme ça tu pourras prendre la poudre d'escampette."

"Ççççça ne sert à rien ! Ils sont partout, partout ! On ne peut pas fuir. Ohh protège-moi par pitié !"

"De quoi ???", demanda Buffy après avoir examiné rapidement les horizons. "La seule chose qui m'ait l'air dangereuse pour toi en ce moment, c'est le pieu que je tiens à la main !"

"Là ils sont là ! Tu ne les vois pas ? Regarde ils approchent ils sont partout !"

"Qui ?"

"Les hommes-soleils ! Oh non il m'a vue oh non aaaaaahhh !!" Buffy lâcha la vampire, préférant nettement se boucher les oreilles et la laisser fuir plutôt que de supporter son cri strident une seule seconde de plus - certes, une Tueuse avait des devoirs, mais il y avait des limites, tout de même ! Elle s'attendait vaguement à ce que la femme-démon prenne les jambes à son cou. Mais non ! Celle-ci écarquilla les yeux de terreur et s'arrêta net de hurler, suffoquant. Elle commença à fumer, puis s'enflamma, sans raison apparente. Et disparût.

"Hey ! Ça va pas, ça !" se vexa Buffy.

La jeune fille entendit un autre cri - un homme, cette fois, qui courait dans le cimetière, enjambant les tombes, avec l'air d'avoir le diable aux trousses. Il jetait de fréquents coups d'oeil par-dessus son épaule, et, à voir son expression de terreur grandissante, son poursuivant invisible n'était pas cul-de-jatte. Le vampire trébucha en débouchant sur l'allée et, plof ! Plus personne.

"Ah ben non, alors ! Je vais être au chômage technique, si ça continue. Qu'est-ce qu'ils ont, tous ?" La Tueuse continua sa patrouille, croisant plusieurs autres vampires affolés ; enfin elle mit la main sur un défunt copain de fac, qui bâillait tranquillement. Celui-là, au moins, avait l'air normal.

"Salut, Enrico. Tu ne viens plus en cours ?"

"Buffy ! Charmante rencontre ! Joli pieu, aussi !"

"Merci, j'apprécie beaucoup. Avant que j'l'essaye sur toi, tu pourrais m'expliquer ce qui arrive à tes copains ?"

"Tu me laisseras partir ?"

"On verra."

"Je ne sais pas grand-chose", fit Enrico en reculant prudemment de quelques mètres. "Ça a commencé il y a quelques jours ; des potes ont commencé à disparaître - pas seulement des vampires, d'autres démons aussi. Oh, pas beaucoup au début, alors on ne s'est pas méfié."

"Hmm ?" Buffy attrapa un vampire qui passait à proximité en hurlant et lui planta son pieu dans le coeur. "Continue, on s'entend mieux maintenant."

"Heu... merci. Puis, deux des gars sont revenus ; et ils étaient comme fous ! Ils hurlaient et couraient dans tous les sens ! Ben tiens, comme la nénette qui vient de passer, là. A la fin, ils sont... morts de peur, ou quelque chose comme ça. Il y en a de plus en plus, comme eux. On les a cachés jusqu'à présent, mais maintenant ils sont trop nombreux."

"Tu as une idée de ce qui peut provoquer ça ?"

"Nan. J'espère juste que ça ne se propage pas comme la grippe."

"J'espère que si !"

"Ah oui ? T'as pensé que ça pourrait aussi atteindre les humains ?"

Buffy réfléchit quelques instants, faisant tournoyer son pieu dans la main. Il pouvait s'agir d'un coup de l'Initiative, et dans ce cas les humains n'étaient pas en danger. Mais si jamais quelque chose de démoniaque se cachait là-dessous... une créature de l'Enfer... alors, oui, les conséquences pouvaient être dramatiques.

"Bon, je vais voir ce que je peux faire", décida-t-elle. "T'aurais pas vu Spike ? Il sait toujours tout sur tout, lui."

"L'édenté ?" ricana Enrico. "Bof, ça fait quelques nuits qu'on ne le voit plus. Faut dire qu'il a plutôt intérêt à se la jouer discret, tu piges ?"

Buffy ne pût s'empêcher de pâlir.

"Ah, ça te chagrine, on dirait ?"

"Non... A vrai dire, je serais très contente que cela lui arrive. Mais c'est une bonne source d'infos."

"On dit ça..."

"T'as rien d'autre à me dire ? Non ? Bon, alors tu dégages avant que je ne change d'avis et que je t'enfonce ça là où je pense !"

"Te fâche pas, j'y vais !" Enrico détala en riant.

"Est-ce que les gendarmes vont m'arrêter ?" demanda Will.

"Non, ne t'inquiète pas pour ça."

Giles fourrageait dans ses bouquins. Il en empila quelques-uns qu'il posa sur la table basse, et en plaça un d'office dans les mains de Willow. "Bon, arrête un peu de pouponner, s'il-te-plaît, et cherche là-dedans pour voir."

"Les raisons de la mé... tem... psy... cose", déchiffra Will. "Qu'est-ce que ça veut dire ?"

"Oh... Euh... ça concerne la communication avec... avec les morts", expliqua le bibliothécaire, un peu gêné.

"On pourrait parler à Anne avec ça ? Comme ça je pourrais lui dire que je n'ai pas fait exprès. Oh, je vois... Vous pensiez à moi. Pourtant je vous assure, je ne me souviens pas d'être mort !"

"Parle-nous d'Anne", fit Giles.

"C'est... c'était ma cousine. Enfin, à vrai dire, c'est la nièce de ma nourrice, mais on a toujours fait comme si elle était ma vraie cousine, et que Abigail était ma soeur." L'enfant s'adressa à Willow, l'air désespéré : "Elle voudra plus me parler, Abigail, si elle apprend que j'ai tué Anne..."

"Tu es anglais", constata Giles après ce long discours.

"Bien sûr que oui !"

Alex entra en trombe. "Ta da ! Bonsoir tout le monde ! Alex le pourfendeur de démons arrive pour vous sauver !"

"Qu'est-ce que tu racontes ?" demanda Willow, qui ne put s'empêcher de rire.

"Figure-toi, ma chère, que je me baladais tranquillement sans penser à mal, quand soudain un machin horrible m'est tombé dessus - une bestiole immense, toute rouge, avec des pustules, des ailes, et des griffes longues comme des sabres ! Une vraie gargouille ambulante, quoi !"

"Mon Dieu..." fit Giles. "Tu n'es pas blessé, au moins ?"

"Mais non ! Quand je l'ai vu, là, avec ses grande guiboles, je me suis dit que je ne pourrais pas m'enfuir, parce qu'il avait l'air de pouvoir cavaler vite !"

"Qu'est-ce que tu as fait, alors ?" demanda Willow.

"Et bien, je lui ai dit comme ça : «Dégage de mon chemin, vieille boule puante !» Ouais, parfaitement !"

"Et... ?"

"Ben, il a détalé comme un lapin, qu'est-ce que tu crois !"

Giles et Willow firent de gros yeux, ne sachant trop que croire ; Will, qui riait aux éclats, dit : "Tu n'as pas l'air très effrayant, pourtant !"

Alex réalisa soudain la présence du petit garçon. "Oh... Bonjour, toi... Tu sais, c'est pas pour du vrai, ce que j'ai dit, hein. Je raconte toujours des histoires, moi, je suis comme ça ! Hé hé !"

"Ne t'en fais pas, Alex. Tu peux lui dire la vérité, c'est un fantôme."

"Aaahhh... C'est gentil de vouloir me rassurer, Giles. Et je... je peux m'asseoir ?"

"Arrêtez avec ça ! Je ne suis pas un fantôme !" répéta Will en détachant chaque syllabe.

"Dis-nous ce que tu es, dans ce cas !" s'énerva Giles.

L'enfant se renfrogna.

"Excuse-moi, Will. Ce n'est pas ce que je voulais dire... C'est juste que... pff ! Willow, je ne sais pas comment faire avec les enfants, qu'est-ce que je suis censé dire, là ?"

"A mon avis vous feriez mieux de vous taire", intervint Alex.

Le gamin opina.

"Raconte-nous ce qu'il s'est passé exactement", fit Willow. "Je sais que ça risque d'être un peu difficile, mais ça peut nous aider à comprendre pourquoi tu es là."

"Anne et moi, on jouait au loup ; elle est grande, elle va avoir 16 ans, mais des fois elle joue... jouait encore avec moi. On était sur le pont de bois et après j'ai voulu l'attraper et et et... je l'ai un peu poussée, mais c'était pas exprès ! Et la poutre du pont... je veux dire le... le garde-fou a craqué."

"Elle est tombée ?"

"Oui, sur la tête. Il y avait du sang partout. C'est à cause des cailloux ; en été il n'y a jamais assez d'eau à cet endroit, s'il y avait eu un orage, jamais... jamais... elle serait pas..."

"Chut... pleure, ça fait du bien."

"Cette histoire me dit quelque chose", marmonna Giles.

"Moi, c'est ce gosse qui me dit quelque chose !" fit Alex.

Obéissant inconsciemment à son rêve, Willow détacha son pendentif, le pentacle que lui avait offert Tara - et l'accrocha au cou de l'enfant.

"Ça ne suffit pas..." chuchota celui-ci.

"Je sais ! C'est l'évidence même !" s'exclama soudain Alex. "Tu peux me redire ton nom ? Will ? Will comme William, c'est ça ?"

Giles et Willow dévisageaient Alex, perplexes.

"Bon sang, vous ne voyez rien ? C'est pourtant évident ! Regardez son visage... Là, de profil on le voit bien... Et l'accent anglais... Vous ne comprenez pas ?" Il se leva et annonça, théâtral : "Mesdames et Messieurs, je vous présente... William le Sanguinaire !"

"Spike ?!!" s'écrièrent en choeur le bibliothécaire et la sorcière.

"Et oui, Spike !"