Grommelant, Buffy laissa filer Enrico. Elle se dirigea vers le fourré où elle avait caché son sac ; la chasse était bel et bien finie pour ce soir, il fallait prévenir Giles de ce qu'il se passait. Peut-être aurait-il une explication à fournir. Elle réduisit deux vampires en poussière sur le chemin, avec la nette et désagréable impression que ceux-ci lui en étaient reconnaissants. Quel sortilège pouvait donc faire espérer la mort à ces créatures ?
"Buffy !"
Elle se retourna, pieu pointé vers l'avant. Elle avait reconnu la voix moqueuse de Spike. "Tu tombes bien. Je te cherchais, justement."
Où était-il ? "Hé, Spike ! Montre-toi ! Je te promets que je ne t'empalerai pas, ce soir."
"Buffy !"
Elle aperçut une silhouette, loin devant - manteau noir, cheveux blonds. Elle tenta de s'approcher de lui, mais le vampire se mit à courir. "Attends !"
Etait-il également atteint par cette peur insensée ? "Spike, arrête ! Je ne te ferai rien !"
Mais le vampire continuait de courir, et le bougre était rapide - on sentait qu'il avait de l'entraînement. Il disparut finalement dans une crypte. Buffy stoppa net, un peu essoufflée.
"Sors de là, Spike. S'il-te-plaît." Elle était nerveuse : le vampire l'avait-elle entraînée dans un piège ? Certes, il ne pouvait plus la mordre, ni même se battre efficacement, mais il avait peut-être réussi à refaire alliance avec ses semblables. "Spike... C'est important. J'ai des choses à te demander."
Serrant plus fort son pieu, elle se décida à pénétrer dans le tombeau, prête à frapper. "... Spike ?"
Il n'était pas là. Ni lui, ni personne d'autre d'ailleurs. La pièce était vide. Prudemment, la Tueuse s'approcha de la tombe, seule cachette possible en ce lieu. Elle fit voler le couvercle et...
"... Evidemment..." murmura-t-elle.
Il n'y avait ni squelette, ni vampire à l'intérieur, mais un escalier en pierre qui semblait s'enfoncer dans les entrailles de la Terre. Bon sang, combien de ces passages secrets trouverait-elle encore dans cette ville infernale ?
Buffy se glissa dans la tombe et descendit quelques marches. L'escalier aboutissait à un couloir éclairé par de nombreuses torches, signe que quelqu'un entretenait l'endroit. La Tueuse s'arrêta, attentive - mais elle n'entendait rien d'autre que le bruit de sa propre respiration, et le crépitement des flammes.
Elle suivit le couloir pendant un long moment, s'attendant à chaque instant à tomber nez à nez avec une créature de l'enfer, ou pire : à parvenir à un croisement, réduisant à zéro ses chances de remettre la main sur Spike. Mais non, rien de tout cela ; le couloir était long et sinueux, mais désert, et surtout il semblait isolé du dédale souterrain de Sunnydale, creusé par les hommes et les démons.
Elle commençait à s'ennuyer lorsqu'enfin elle vit de loin l'extrémité du couloir, qui s'achevait en impasse. Une niche était creusée à cet endroit et Buffy descendit les quelques marches qui y conduisaient, apercevant le corps de Spike allongé là.
"Spike ? C'est moi, Buffy." Il ne réagit pas. Buffy s'agenouilla près de lui, méfiante ; elle s'attendait toujours à un mauvais coup de sa part. Le vampire semblait rêver, vu les mouvements de ses paupières. Il avait des traces de griffure sur le visage. En observant plus attentivement, Buffy remarqua que ses ongles étaient incrustés de sang ; il s'était probablement blessé lui-même. Ses vêtements et ses mains étaient souillés par la terre légèrement boueuse qui recouvrait le sol de la pièce ; elle avait séché en plaques grisâtres sur sa peau. Tout semblait indiquer que Spike était là depuis trop longtemps pour être la créature que Buffy avait poursuivie dans le cimetière.
La jeune fille, anxieuse, secoua son ancien ennemi : "Spike ! Réveille-toi. Y'a quelque chose qui cloche... Bon sang, émerge !"
Le vampire ne réagissait toujours pas. Buffy le souleva alors du sol et le prit dans ses bras ; elle se releva sans difficulté et s'apprêta à sortir de la pièce, dans l'espoir que Spike se réveillerait une fois dehors.
Soudain les ténèbres se firent ; hurlant de terreur, Buffy lâcha brutalement le vampire et courut vers l'endroit où, quelques secondes auparavant, se trouvait l'accès vers le couloir. Mais il n'y avait plus rien, rien qu'un mur que la Tueuse martela de toute ses forces, juste avant de s'évanouir, terrassée par la peur.
"C'est impossible..." murmura Willow, décontenancée.
"Qui est Spike ?" demanda innocemment l'enfant. "Pourquoi il m'a appelé William le Sanguinaire ? C'est parce que j'ai tué Anne ?"
Giles s'agenouilla devant Will et passa encore une fois sa main à travers lui.
"S'il-vous-plaît, vous pourriez éviter de faire ça ?" demanda Alex en se tordant les mains.
"Mon Dieu... cela voudrait dire... si tu es le fantôme de William..."
"Il serait l'âme de Spike ?" compléta Willow.
"Oui, Willow, il pourrait être une survivance de son âme... Ça ouvre des possibilités immenses..."
Willow serra le garçon un peu plus contre elle. "Il est peut-être là pour qu'on l'aide à rendre son âme à Spike", supposa-t-elle, pleine d'espoir.
"Ou bien c'est encore un de ces coups fourrés dont il a le secret..." rétorqua Alex. "C'est marrant qu'il ne ressemble pas à Spike, je veux dire à William, à l'âge adulte - juste avant qu'il ne se fasse vampiriser. Il ne voulait peut-être pas qu'on le reconnaisse."
"Vampiriser ?" Will fronça les sourcils. "Si je puis me permettre, messieurs, tout ça c'est des fariboles ! Les vampires, les fantômes... Ce sont des histoires pour les bébés ! Pas vrai ?" conclut-il en se tournant vers Willow.
"Je crains que non, Will. Tu as vu par toi-même que Giles ne peut pas te toucher."
"Mais toi, tu peux..." Les lèvres de l'enfant tremblaient légèrement, et il suppliait Willow du regard de lui dire qu'il était en train de rêver, que tout ceci n'était que sornettes. Qu'il n'était pas là, dans cette maison bizarre, parmi des gens bizarres. Qu'il n'était pas un fantôme, ni un vampire. Et surtout, qu'il n'avait pas tué Anne.
"Je ne suis pas un fantôme", balbutia-t-il, de moins en moins sûr de son fait.
Giles prit une soudaine inspiration et retourna fourrager dans sa bibliothèque, tout en marmonnant : "Voyons... il est assez jeune... 19ème Siècle... C'est ça !" Il s'empara finalement d'un gros ouvrage et brandit fièrement devant lui la «Chronique des Tueuses» des années 1850-1900.
"Dîtes, je ne voudrais pas vous contrarier", fit Alex, dubitatif, "mais je suis au moins sûr d'un truc : ce gosse n'est pas une Tueuse !"
"Oui oui, Alex. A vrai dire je pense comme toi qu'il s'agit de Spike, mais ce n'est pas ça que je voulais vérifier... ça doit être assez au début... là, voilà !"
Il ajusta ses lunettes. "En juillet 1858, Gordon Fenth a écrit, je cite : «J'avais enfin trouvé la trace de l'Elue, dans la campagne anglaise du comté de Berkshire. La jeune fille s'appelait Anne Skittrow, elle était charmante et respirait la joie de vivre.» Il s'agit bien de ta cousine, n'est-ce pas ?"
Accablé, Will enfouit sa tête contre la poitrine de Willow.
"Je continue...
«Après l'avoir suivie pendant plusieurs jours, guettant le moment propice pour lui parler, je pensais qu'enfin j'aurais ma chance, par ce bel après-midi d'été ; elle était partie cueillir des simples, seule, au bord de la forêt, et c'était un crève-coeur de la voir, là, si pure et innocente, et de devoir lui annoncer la lourde tâche qu'elle allait devoir
porter. J'allais sortir de ma cachette lorsqu'un garçonnet est venu la rejoindre - le destin laissait à Anne un court répit. Ils avaient l'air de se connaître, et ont rapidement entamé une de ces course-poursuites insouciantes dont les enfants ont le secret... J'ai eu quelque mal à les suivre. Lorsqu'enfin je les ai retrouvés, ils se trouvaient sur un pont en assez mauvais état. Le garçon a bousculé Anne en voulant l'attraper ; hélas, elle a été projetée contre le parapet, qui s'est brisé sous son poids. La malheureuse est tombée dans le lit de la rivière. J'ai entendu l'enfant hurler son nom en regardant en bas - avant de s'enfuir. J'ai couru au
bord de la rivière, espérant pouvoir sauver Anne, mais sa tête avait violemment heurté les pierres du lit presque à sec. Je pense, j'espère !, qu'elle n'a pas eu le temps de souffrir. J'ai essayé de retrouver le garçon, mais il était trop tard. Le petit avait disparu sans laisser de traces.
Je ne saurais dire s'il s'agissait d'un accident, ou si l'enfant que j'ai vu était guidé par une puissance démoniaque. Je ne peux rester plus longtemps dans la région, les risques que je sois suspecté sont trop importants, et je ne connais toujours pas l'identité de ce petit. Je pars dès demain à la recherche de la nouvelle Tueuse.»"
Il y eut un moment de silence. Will se leva et se campa devant Giles : "Arrêtez s'il-vous-plaît... Que suis-je pour vous ? D'abord un fantôme, puis un vampire ; maintenant on me soupçonne d'être un démon. Je ne suis qu'un petit garçon, vous savez. J'ai tué Anne, ma cousine Anne qui riait tout le temps et que j'aimais plus que moi-même. Ça ne suffit pas, comme faute ? Dois-je aussi rendre compte de toutes les horreurs dont vous m'accusez ?"
"Je suis désolé, Will. Vraiment désolé." Giles enleva ses lunettes, gêné, et se retourna pour remettre le livre en place. Il resta un instant appuyé contre la bibliothèque. "Écoute... heu... Tu n'es pas là par hasard, d'accord ? Peut-être que c'est l'occasion pour toi... de... te racheter..."
"Comment ? Il ne peut pas la ramener à la vie, tout de même !" s'exclama Alex.
"Anne... Will... Spike..." Willow avait fermé les yeux, récitant l'interminable litanie : "Spike... Anne... ça ne suffit pas..."
Elle caressait le pentacle, le pentacle de Will. "Anne... Will... Buffy ! Buffy est en danger ! C'est pour ça qu'il est là !"
"Comment ça ?" demanda Alex.
"Anne Skittrow... Buffy Anne Summers... Il vient nous prévenir que Spike va tuer Buffy !"
"Lève-toi", ordonna Ossënor.
"Hmm ?" Un peu honteux, Spike se rendit compte qu'il avait piqué du nez. Il se leva paresseusement. "Qu'y a-t-il ?"
"Rien. Recule."
Le sorcier se leva lui aussi et s'éloigna de la table. Soudain la pièce fut plongée dans l'obscurité la plus totale ; cela ne dura qu'un instant, mais cela suffit à Spike pour connaître un moment de terreur pure : il faillit succomber lorsqu'une main squelettique l'agrippa, le griffant, commençant déjà à l'entraîner sous terre... Quel effet cela fait-il de rester enfermé pendant un siècle ? Spike se mordit les lèvres, presque jusqu'au sang - et les torches se rallumèrent.
"Tu as survécu ? Bien !"
Le vampire se frotta les yeux, surpris : la table et les chaises avaient disparu, mais un trône de pierre s'était matérialisé à un bout de la pièce. Ossënor s'y installa.
"Tu voulais la Tueuse ? La voilà !"
Spike se retourna vivement, craignant que Buffy ne se rue sauvagement sur lui ; il n'en fut rien. La jeune fille était bien là, mais solidement enchaînée à un mur. Bien qu'elle ait perdu conscience, elle tenait toujours son pieu à la main. S'approchant silencieusement pour ne pas la réveiller, Spike lui prit son arme et la jeta vers le trône. Était-ce bien elle ? Oui, sans aucun doute ; il aurait reconnu son odeur entre mille.
"Tu es content ? J'ai essayé de ne pas lui faire trop peur en te l'amenant ; je pense qu'elle n'aura pas de séquelles à son réveil. Vas-y, je te la laisse !"
"Je ne peux pas lui faire de mal..." se plaignit-il.
"Si. Je t'ai déjà expliqué que cet artefact qui t'empoisonne l'existence n'est qu'un jouet pour moi."
Spike grogna de plaisir : il était enfin en position de force. Il allait pouvoir la saigner à blanc - mais pas tout de suite. D'abord il allait s'amuser un peu. Il effleura des doigts le visage de la jeune fille et caressa ses cheveux, si légèrement qu'elle resta endormie.
"Qu'est-ce que tu fais ? demanda Ossënor."
Spike ne répondit pas. Il la caressa encore quelques instants, puis décida qu'il était temps de réveiller sa proie, avant de la goûter.
"Bonjour, ma Belle au bois dormant", lui susurra-t-il à l'oreille. Il l'embrassa sur les lèvres, tendrement, si tendrement que Buffy eût l'impression que son rêve se réalisait.
"Angel..."
"Loupé, chérie !" ricana Spike.
"Spike ?!" Buffy, par réflexe, essaya de le frapper ; c'est alors qu'elle remarqua qu'elle était enchaînée. "Qu'est-ce que... ?"
"Tu es à ma merci, petite souris !"
Ils échangèrent un long regard, et ce que Buffy lut dans celui de Spike lui fit peur. Excitation, désir, folie. Et surtout la rage, cette rage contenue depuis des semaines, qui commençait à monter et ne demandait qu'à se libérer. Spike l'embrassa de nouveau, fougueusement, et Buffy tenta de le mordre. Sans succès.
"Eh, c'est moi le vampire !" rit celui-ci. "C'est à moi de faire ça !"
"Tu ne peux pas... Tu ne peux plus...", murmura-t-elle, incertaine.
"Qui sait ?" Spike l'embrassa dans le cou et la mordilla comme un homme l'aurait fait, sans chercher à la blesser. Il se colla contre elle et passa ses mains derrière le dos de la jeune fille.
"Spike... non..."
Le vampire ricana ; accompagnant ses baisers de coups de langue, il descendit le long du bras de la Tueuse, tout en la caressant. Sa respiration s'accélérait. Buffy suffoquait de terreur.
"Tu ne peux pas..."
Spike gronda lorsque son visage se transforma, et il mordit Buffy au bras, si fort qu'elle crût s'évanouir. Elle hurla d'horreur quand le démon commença à boire son sang.
