Accablé, le Père Gordon trempa les lèvres dans le verre rempli à ras bord d'eau de vie.

"Et Will ?" demanda-t-il à sa soeur.

"C'est le vieux Bart qui l'a retrouvé, au bord de la rivière. Il m'a dit que Will avait l'air... comme absent ; il a juste dit : «J'ai tué Anne», puis il s'est évanoui", répondit Angelina.

"Ensuite ?"

"Il a déliré de fièvre pendant trois jours ; c'était étrange, il parlait sans arrêt d'un saule, de vampires, de fantômes... J'en étais moi-même effrayée. Il va mieux depuis ce matin, mais il ne se souvient plus de rien ; il a même demandé à voir Anne."

"Mon Dieu... Tu lui as dit ?"

"Pas encore." Elle soupira. "Tu sais... J'ai écrit une lettre à sa mère. Je veux qu'elle le reprenne."

"En es-tu vraiment sûre ? Will... Je veux dire... C'était sans doute un accident. Tu sais bien que ce pont est vieux."

"A chaque fois que je le vois... Non, c'est impossible... Il me fait horreur !"

"Angelina, réfléchis bien ! Tu l'as élevé comme s'il avait été ton propre fils, rappelle-toi du nombre de lettres que tu as envoyées à sa mère pour la convaincre de te le laisser après son premier âge ! Tu t'es même arrangée pour qu'un précepteur vienne s'installer au village, rien que pour l'enfant - et pour Abigail, aussi !"

Angelina secoua la tête. "De tout façon, c'est trop dur... Depuis que John est mort..."

"Tu sais très bien que nous sommes tous là pour t'aider. Et as-tu pensé à Abigail ? C'est une enfant sensible. Sera-t-elle capable de supporter, coup sur coup, la perte de sa cousine et celle de son frère de lait ?"

Gordon prit la main de sa soeur. "Tu sais, je ne veux pas te juger... Je comprends fort bien ce que tu ressens. Mais pense à l'avenir de ce petit ; c'est un enfant brillant, mais il n'est pas fait pour vivre en ville. Et tu connais sa mère..."

"Tu critiques les gens, maintenant ?" sourit faiblement Angelina.

"Force m'est de constater que cette femme n'est pas capable d'élever un enfant. Elle ne sait même pas quoi lui dire quand elle vient le voir. Au mieux, elle en fera un dandy, mais certainement pas un homme !"

"Elle apprendra."

"Et toi, supporteras-tu de ne plus le voir ? Que tu le veuilles ou non, il est devenu ton fils, après tout ce temps. Les liens du coeur sont parfois plus forts que les liens du sang... Et notre religion nous a appris le pardon !"

"C'est Anne qu'il a tuée, Gordon. Anne. Je ne peux pas héberger un assassin sous mon toît plus longtemps."

"Je t'en prie, réfléchis encore à ce que tu vas perdre... à ce que Will et Abigail vont perdre..."

"Non. Il s'en va", décréta-t-elle en retenant ses larmes.

Il n'y avait plus rien - rien qu'une petite pièce sombre, perdue dans le labyrinthe de Sunnydale. Spike, épuisé, s'écroula sur le sol en terre battue. "Je crois que c'est fini", dit-il.

"Tu mériterais que je te tue..." répondit Buffy.

Spike fouilla à l'intérieur de son manteau. "Tiens !" fit-il, en lui lançant un pieu.

Buffy l'attrapa au vol, surprise. "Tu avais un pieu ? Pendant tout ce temps tu avais un pieu ??? Il m'aurait suffi de... Oh merde !"

Spike s'approcha d'elle et l'aida à se relever, faisant attention à ne pas toucher son poignet. "Tu devrais le passer sous l'eau courante", dit-il. "C'est ce que je fais quand le soleil me brûle."

"Je sais, merci !" grommela-t-elle.

Spike chancela ; Buffy le retint et ils sortirent dans le couloir.

"On est où exactement ?" demanda-t-elle, clignant des yeux. Elle avait beau s'être habituée à l'obscurité, elle ne distinguait pas grand-chose. "Ça ne ressemblait pas à ça quand je suis arrivée tout à l'heure", ajouta-t-elle.

"Je connais bien le coin. Où veux-tu qu'on aille ?"

"Chez Giles."

Ils marchèrent lentement, en silence, se soutenant l'un l'autre. Finalement Spike souleva une plaque d'égout, et ils se retrouvèrent dans une arrière-cour. "C'est à deux rues d'ici. Je te raccompagne ?"

"Non, merci. Je vais y aller seule ; je commence à me sentir mieux."

"Bon. Dans ce cas..."

Il y eut un long moment de silence.

"Je te tuerai une autre fois", finit par dire Buffy, en guise d'au-revoir.

"Non, c'est moi qui te tuerai !" répliqua Spike en souriant.

Et il s'en alla.

Epilogue

Il faisait beau. Willow, assise sur un banc, devant l'université, prêtait une oreille distraite aux oiseaux, tout en révisant. Elle fut à peine surprise de le voir lorsqu'elle leva le nez de son livre. Il la prit par la main, l'emmena vers l'arrière du bâtiment et ouvrit une porte ; derrière elle se trouvait le chemin qui longeait la rivière. Il n'était plus infesté de serpents, ni de ronces, et les fleurs sentaient bons. Au bout d'une longue marche, ils parvinrent à une barrière de bois.

"On est chez le vieux Bart", déclara Will.

"C'est là ? Je veux dire... le saule ?"

"Oui."

"Je craignais de ne jamais te revoir..."

Will réfléchit un moment avant de répondre. "Je suis Spike... Quand tu vois Spike, c'est moi que tu vois. Le jour où j'ai tué Anne, j'ai scellé mon destin. La vie que j'ai... que William a menée par la suite, n'a été qu'un bref sursis."

"Est-ce que Spike te connais ?"

"Il m'a déjà oublié."

"Tu n'es pas Spike, Will. Ce n'est pas possible."

"Alors c'est que je ne suis rien."

Il pointa la barrière du doigt ; Willow passa de l'autre côté. Une larme coula sur sa joue lorsqu'elle réalisa que Will ne l'avait pas suivie. Le saule était toujours là, inerte. Spike dormait au bord de la rivière, qui était calme à cet endroit. Le soleil créait dans l'eau des reflets aussi beaux que des cristaux.

La jeune fille prit dans sa poche le pentacle, ce même pentacle que le vampire lui avait rendu. Elle s'allongea à côté de lui, et, entrecroisant ses doigts avec ceux de Spike, elle plaça le pendentif dans sa main, juste avant de s'endormir.

C'est à peine si elle sentit la caresse du vent sur sa joue.

* * *