Hello !
Me revoilà pour un OS sur un nouveau fandom.
C'est un OS qui a été écrit il y a un petit bout de temps, à présent. Il est censé être un morceau d'une fanfiction que j'écrirai peut-être un jour... En attendant, je me suis finalement décidée à le relire et à le poster.
Je tiens à préciser que les dialogues sont en italiques lorsque les personnages parlent en français.
Bonne lecture !
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Disclaimer : l'œuvre originale appartient à P.C. et Kristin Cast. Je ne suis en aucun cas rémunérée pour ce que je poste.
Enfant de Nyx
Jour 1
La voiture prit un énième virage, laissant apparaître, au bout de la rue garnie de lanternes, un somptueux manoir de briques sombres. De terribles frissons se saisirent de mon corps, et je baissai le regard jusqu'à trouver mon billet d'avion. Au cours des dernières heures, je l'avais tant et si bien plié, déplié, serré, froissé, trituré de mes mains exsangues, que le texte qui le couvrait était devenu illisible. Ce n'était pas un problème. Je me souvenais de chaque mot comme si je les avais personnellement rédigés.
Distinction importante : connaître ne signifie pas comprendre.
Or, je ne comprenais rien.
Pour la millionième fois en douze heures, je me remémorai le moment où ma vie avait basculé.
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La montagne achevait à peine d'avaler le soleil, ne laissant dans le ciel crépusculaire que des trainées roses et mauves, lorsque je m'échappai sur le balcon, laissant derrière moi le buffet riche en petits-fours, les invités et leurs conversations rendues vives par l'alcool.
Je n'étais pas encore sortie, aujourd'hui. Il avait fait grand soleil toute la journée, et la lumière vive me donnait la migraine depuis quelques jours.
J'inspirai profondément l'air frais du soir, qui soulagea agréablement ma gorge irritée. Il n'y avait que moi pour tomber malade en été.
Mes yeux se promenèrent avec curiosité dans les jardins, en contre-bas. Les parterres de fleurs, les fontaines de marbre, les bancs de pierre… Tout était parfaitement agencé. Mère avait payé les meilleurs jardiniers du pays pour ce résultat. Dire que je m'y aventurais si rarement !
Une envie irrépressible de tousser me saisit et j'enfouis mon nez dans le creux de mon coude. Il me fallut ensuite plusieurs secondes pour reprendre le contrôle de ma respiration sifflante. Mes poumons me brûlaient et la douleur lancinante dans mes tempes avait repris de plus belle.
Les mains tremblantes, j'essuyais les larmes qui pointaient au coin de mes prunelles lorsque je le vis. Vêtu de noir des pieds à la tête, il observait le parc, comme moi.
Il ne me semblait pas l'avoir vu entrer, mais mes parents avaient invité tant de monde que je ne pouvais en être sûre.
— Bonsoir, Monsieur, fis-je en retenant une nouvelle quinte de toux.
Il tourna vers moi son œil impassible, silencieux.
De l'autre côté de la baie vitrée, quelqu'un alluma le plafonnier, qui déversa sa lumière à l'extérieur. Le visage de l'inconnu étincela. Intriguée, je plissai les yeux.
Sa peau était couverte d'étranges volutes saphir. Le plus marquant, cependant, était le croissant de lune qui luisait sur son front. Un croissant de lune qui ne possédait qu'une signification.
Paniquée, je fis un pas en arrière et j'ouvris la bouche pour crier, mais il dressa un doigt dans ma direction, et je me sentis réduite au silence.
— Destiny Leroy ! La Nuit t'a choisie ; ta mort sera ta renaissance. La Nuit t'appelle ; prête l'oreille à sa douce voix. Ton destin t'attend à la Maison de la Nuit !
Un instant, rien ne bougea. Les lèvres ouvertes sur un hurlement silencieux, je le regardais, lui, son index vengeur et ses tatouages mystiques. Ses paroles semblaient flotter entre nous, aussi tangibles que l'était la pierre de la balustrade, sous mes doigts, ou la soie de ma robe.
Soudain, une douleur aiguë s'empara de mon front, et je m'effondrai.
Quand, un long moment plus tard, je me redressai, tremblante, endolorie, bouleversée, j'étais seule sur le balcon. Il avait disparu comme il était apparu. Si leste, si discret que je fus tentée de croire qu'il n'avait jamais existé.
Ma toux reprit, et je me pliai en deux, l'estomac au bord des lèvres.
— Destiny ?
Entendre cette voix familière me tira des larmes, mais je me trouvai incapable de me tourner vers ma sœur.
— Destiny, c'est bien toi ? Tu ne devrais pas sortir, avec ton rhume.
— Da… Dana…
Surprenant la détresse dans ma voix, elle se précipita vers moi et posa une main inquiète sur mon épaule.
— Qu'y a-t-il, Tiny ? Que t'arrive-t-il ?
— Je… Je…
Incapable de verbaliser ce qui m'arrivait, je redressai finalement la tête.
Danaé hoqueta, perdit l'équilibre dans un sursaut et tomba sur les fesses, réduisant mes espoirs à néant.
— Dana…
— Ne… Ne bouge pas ! Ne parle pas ! Je… Il faut que…
Elle se mit debout tant bien que mal et partit en courant. Obéissante, je restai assise par terre, le regard posé sur la dalle mouillée de mes larmes. Mon cœur battait la chamade, me hurlant que je devais fuir. Vite. Loin. Avant qu'elle ne prévienne nos parents, avant que les invités ne me remarquent. Avant qu'il ne soit trop tard.
Mais c'était déjà trop tard, et des sanglots secouèrent mes épaules. Je n'avais pas vu le croissant, mais je le sentais. Il rendait ma tête lourde, si lourde… et ma peau douloureuse, si douloureuse…
J'étais Marquée.
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Plusieurs minutes s'écoulèrent avant qu'une autre voix ne me tire de mon inertie désespérée. La voix de mon aînée. Prudente.
— Destiny ?
J'hésitai, mais je me doutais qu'elle n'était pas venue d'elle-même. Il était vain de cacher ce que, bientôt, toute ma famille saurait. Je relevai la tête.
Dalila, d'abord perplexe, prit une expression dégoûtée en me découvrant. Elle recula d'un pas, et ce mouvement se grava dans mon cœur telle une lame, glacée et meurtrière.
— Dali…
— Danaé m'a prévenue, mais je ne parvenais pas à y croire. Que tu nous trahisses, toi !
Mes yeux s'écarquillèrent, et je me jetai en avant.
— Dali, non ! Je… je ne voulais pas…
— Ne m'approche pas. Monstre !
Je tressaillis, et mon regard se voila de larmes.
Ce n'était pas possible. Elle ne pouvait pas… Je n'avais trahi personne ! Je ne voulais pas rejoindre les Abominations ! Je n'avais pas demandé à devenir un vampire !
Je n'avais rien fait de mal.
— Dali, je… s'il te plait… je… Je suis désolée ! Je ne…
— Tais-toi ! Je t'avais prévenue ! Je t'avais prévenue que tu serais punie ! Tu ne voulais pas te battre pour nous ? Te voilà récompensée ! Tu es l'une des leurs, à présent.
Elle se détourna et j'eus l'impression que ma poitrine était lacérée par des griffes empoisonnées.
— S'il te plait, Dali, aide-moi ! Je t'en supplie, ne m'abandonne pas ! Nous… nous sommes sœurs !
— Désormais, tu n'es plus ma sœur, tu n'es plus mon amie. Pour moi, tu n'es plus rien, rien d'autre qu'une Abomination. Toutefois, prévenir nos parents maintenant gâcherait la fête. Je te laisse donc jusqu'à demain matin pour déguerpir. Je les avertirai de ta défection à l'aube.
Elle se tut, ébaucha l'amorce d'un pas, et s'arrêta à nouveau. Je levai dans sa direction mon regard, assailli par une dernière étincelle d'espoir.
— Sache que tu accables la famille de honte.
Ses talons claquèrent et elle sortit de ma vie, me laissant seule et suffoquée sur le balcon d'une maison qui ne voulait plus de moi.
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Les heures suivantes s'écoulèrent sans que je m'en rende vraiment compte. Les joues mouillées de larmes, le nez coulant, les poumons brûlant d'une toux que je réfrénais, je grelotais. Les courants d'air qui avaient secoué les arbres toute la semaine s'étaient brutalement arrêtés, mais ma tristesse avait changé mon sang en eau glacée ; c'était à l'intérieur que j'avais froid.
Il me semblait avoir plongé la tête dans du coton. Je ne perçus que vaguement les sons de la fête qui s'amenuisaient à mesure que les invités partaient, que les domestiques rangeaient, que ma famille – celle qui se considérait comme telle, quelques heures plus tôt encore – se couchait. Les lumières furent éteintes, et l'obscurité m'enveloppa.
Étonnamment, ce fut à cet instant que j'émergeai de ma léthargie. Je redressai brusquement la tête, avec l'impression qu'on avait murmuré à mon oreille. Mais il n'y avait personne.
La porte-fenêtre n'avait pas été verrouillée, heureusement, et je me glissai discrètement dans le salon. Les femmes de ménage avaient fait du bon travail : si je n'y avais pas assisté, je n'aurais pu deviner qu'un anniversaire de mariage fastueux avait été célébré dans la soirée.
Les couloirs se révélèrent déserts et je regagnai ma chambre sans encombre. Elle était dans le même état que lorsque je l'avais quittée plus tôt. Un coin du tapis avait été relevé par la porte de ma penderie, ma brosse luisait doucement sur ma coiffeuse, les robes délaissées sommeillaient sur mon lit.
Je me dirigeai vers celles-ci comme un automate. Avec des gestes machinaux, je rangeai les vêtements, retirai méticuleusement les fils d'or qui couvraient ma brosse, replaçai le tapis. Enfin, je m'immobilisai devant ma fenêtre ouverte, le regard posé sur la lune argentée.
Les cieux perdaient leur noir velouté lorsque je me décidai finalement à faire mes valises.
Évitant scrupuleusement les miroirs, je fourrai dans une besace des vêtements propres, ma trousse de toilette, mon porte-monnaie et mon passeport. J'enfouis mon visage dans l'oreiller qui me servait de doudou, et inspirai profondément l'odeur familière. L'odeur de la maison.
Enfin, je refermai mon bagage, hissai la bandoulière sur mon épaule et m'en allai.
Dans mon esprit, les minutes suivantes sont floues : lorsque j'y repense, j'ai l'impression qu'un brouillard persistant flottait autour de moi. Quant aux émotions qui m'habitaient alors, elles sont aussi nombreuses qu'embrouillées.
Peut-être croisai-je le regard effrayé de Danaé, par l'entrebâillure de sa porte. Peut-être mes larmes revinrent-elles en force. Peut-être m'encoublai-je sur un seuil, peut-être roulai-je sur le tapis, peut-être que seul le murmure réconfortant d'une femme qui n'existait pas me permit de me relever.
Je me rappelle surtout la stupéfaction qui me saisit lorsque, de l'autre côté de la grille qui marque la frontière du domaine Leroy, je découvris le vampire qui m'attendait.
Il portait les mêmes habits noirs et le même air impassible. Dans un silence pesant, il m'ouvrit la portière du véhicule patientant derrière lui, et je montai.
Ensuite, il y eut le trajet en voiture, les regards horrifiés qui suivirent notre traversée de l'aéroport, le vol, les passants qui parlaient anglais, désormais, et la limousine. La limousine, avec son moteur ronronnant à l'ancienne, comme si elle roulait avec ce que les livres d'histoire nomment essence. La limousine, avec ses vitres teintées qui me permettaient d'observer un univers stupéfiant de nouveauté.
Je posais pour la première fois mon regard sur le sol américain. J'avais visité les trente-sept pays qui constituaient aujourd'hui l'Europe, mais Père n'avait jamais accepté que je quitte le continent Pur. Lui-même n'était venu qu'une fois en Amérique : lors des pourparlers qui avaient été organisés, une dizaine d'années plus tôt. Ceux qui avaient échoué.
Ceux qui gâchaient à présent ma vie.
À première vue, l'Amérique n'était guère différente de ma patrie d'origine. De la terre, des points d'eaux, des villes, des villages, des gens et des bêtes.
Mon cœur s'affola lorsque, après avoir traversé un romantique pont de pierre, la voiture dépassa un panneau de bois sur lequel était gravé un laconique « Tulsa ».
— Nous… Nous allons à Tulsa ? Pourquoi ?
Mon chauffeur détourna brièvement les yeux du pare-brise, un pare-brise où se reflétaient ses tatouages saphir, et annonça dans un français approximatif :
— Nous aller à la Maison de la Nuit. La… prêtresse insister pour voir toi.
Mes yeux s'arrondirent et je plaquai une main sur mes lèvres, comme pour apaiser les nausées qui m'avaient saisie.
Tulsa. Je me rendais à la Maison de la Nuit de Tulsa. Tulsa, la capitale des Abominations. Tulsa, où résidait la grande prêtresse Zoey Redbird.
Je m'enfonçai aussi profondément que je pus dans mon siège, les oreilles sifflantes. Mes doigts resserrèrent leur étreinte sur mon billet d'avion jusqu'à blanchir. Pourtant, mes yeux furent attirés malgré moi par le décor qui défilait derrière la vitre.
Tulsa, la ville hors du temps. Tulsa, la Mère du monde. Tulsa l'Eternelle.
Je connaissais ses nombreux surnoms, n'aurais jamais imaginé qu'elle les portait si bien.
Tulsa est le parfait mélange de ce que souhaite Zoey Redbird pour la planète. Une vision qui stupéfie, puis ravit ceux qui la visitent.
Trois heures du matin approchaient, mais la ville semblait aussi vivante qu'en plein jour. Les immeubles étaient ornés de lampions qui permettaient aux vampires de se promener sans lunettes de soleil. Les boutiques, portes ouvertes et vitrines illuminées, voyaient passer humains et vampires discutant, courant, marchandant. Sur la large route se mêlaient dans un joyeux capharnaüm des véhicules de toutes époques : ici, une calèche, là un drone biplace. Sans parler de la limousine dans laquelle je me trouvais.
Des avenues résidentielles remplacèrent bientôt la rue marchande, puis les espaces verts grandirent et, enfin, un haut manoir apparut. Mon chauffeur n'eut pas à me l'indiquer pour que je comprenne. Ce bâtiment était ma nouvelle école, mon nouveau foyer.
Les grilles s'ouvrirent suffisamment tôt pour que la voiture pénètre dans le parc sans s'arrêter. Les yeux baissés, je remarquai à peine le soin accordé aux pelouses qui bordaient l'allée, les élèves qui quittaient leurs salles de classe, qui riant, qui somnolant, les multiples bâtisses qui offraient le confort d'un collège luxueux.
La limousine se gara à côté des autres véhicules de l'école – des antiquités – et des élèves. Le vampire coupa le moteur et quitta l'habitacle. Je pris plusieurs inspirations avant de m'en extirper à mon tour. J'ignorais si j'étais sur le point de vomir ou de faire une crise d'angoisse.
Mon cœur s'arrêta lorsque je vis la direction que prenait mon guide : un porche proche, auquel on accédait grâce à quelques marches polies par le temps. Et, devant les battants clos, une vampire que je n'eus aucun mal à reconnaître. Il ne passait pas une semaine sans que sa photo ne soit publiée dans les journaux ou sur le web.
Ma gorge s'assécha et le sang me battit les tempes. Les jambes flageolantes, je me dissimulai à moitié derrière le vampire lorsqu'il s'arrêta au pied des escaliers. Il s'inclina respectueusement, le poing sur le cœur. Sa congénère lui adressa la parole en anglais, une langue que je parlais couramment. Elle était empreinte d'une telle puissance, cependant, qu'il me fallut plusieurs secondes pour traduire. « Joyeuses retrouvailles ! »
— Joyeuses retrouvailles ! répondit le vampire dans la même langue. Je suis accompagné de Destiny Leroy, comme prévu, prêtresse.
— Merci, Blaise. Je vais prendre la relève, à présent. Sois béni.
— Soyez bénie.
Il ne daigna pas m'adresser un dernier regard avant de s'éclipser, me laissant seul avec la grande prêtresse. Celle-ci resta immobile plusieurs secondes, se contentant de m'observer, et je rougis sous le poids de ses prunelles. Soudain, j'avais l'impression d'être une souris entre les griffes d'un chat. Les multiples cours que j'avais suivis concernant la sauvagerie des vampires me revinrent en mémoire.
Puis ses traits se détendirent pour prendre une expression réconfortante et j'oubliai toutes les mises en garde dont on m'avait bassinée depuis ma naissance.
La prêtresse se mit en marche, et je me pétrifiai. Elle descendait les marches avec la grâce d'une ballerine.
Elle n'était pas très grande : nous faisions la même taille. Son regard se planta dans le mien, et je manquai rester bouche-bée. Il y avait dans ses yeux une lumière que nulle photo, nulle description, aussi précises fussent-elles, n'auraient pu révéler.
Cette femme avait beau posséder le visage d'une jeunette de vingt ans, elle était vieille, plus vieille que tout ce que j'aurais pu imaginer. Et bienveillante, plus bienveillante que toutes les personnes que j'avais croisées dans ma courte vie. Enfin, elle était sage, et paradoxalement, aussi candide qu'une enfant.
Elle me sourit, et mon souffle se coupa. Ses dents blanches étaient dépourvues des crocs que mes professeurs de biologie, année après année, avaient affirmé existants.
— Bienvenue à la Maison de la Nuit de Tulsa, Destiny Leroy, annonça-t-elle dans un français parfait.
Lorsqu'elle me tendit la main, mes yeux s'attardèrent sur ses paumes couvertes de trainées saphir.
« Ainsi, la légende est vraie, » songeai-je.
Je tendis les doigts, et elle attrapa mon avant-bras. Je ne compris pas, mais j'avais la gorge trop nouée pour l'interroger. Surtout que… enfin… l'interroger, elle ?!
— Destiny, saurais-tu parler anglais ?
J'avalai nerveusement l'air qui, pour un temps, avait remplacé la salive dans ma bouche.
— Oui, bredouillai-je.
— Merveilleux !
Elle était repassée à son anglais natal avec une facilité déconcertante.
— Blaise ne sait malheureusement pas grand-chose du français. Je suppose que tu dois avoir des tonnes de questions. Je suis prête à répondre à chacune d'entre elles.
Soudain, elle s'immobilisa, et je me crispai, craignant…
En fait, j'ignorais moi-même ce que je craignais.
— Oh ! Désolée, j'ai oublié de me présenter. (Elle secoua la tête, comme s'en voulant d'être aussi étourdie.) Je suis Zoey Redbird, la grande prêtresse de la Maison de la Nuit de Tulsa.
— Je sais.
Mon indiscrétion m'enflamma les joues, mais elle se contenta d'esquisser un nouveau sourire. Elle avait un sourire qui bouleversait les convictions de celui à qui elle l'adressait.
— Cela simplifiera bien des choses. Tu nous viens de France, Destiny, n'est-ce pas ?
Je me raidis. Elle ne semblait pas avoir fait le lien entre mon nom et mon identité. Cela avait beau être heureux, cela m'étonnait. On prétendait Zoey Redbird si intuitive ! Père s'en mordait encore les doigts.
— Oui, Madame.
— Je t'en prie, appelle-moi Zoey.
— D'accord… Zoey.
— Tu n'ignores pas, je suppose, que depuis quelques années, les tensions entre l'Europe et l'Amérique ont atteint un seuil critique.
— En effet… Zoey.
— Il était un temps où l'on trouvait des Maisons de la Nuit aux quatre coins du monde. Le principe de nos écoles a d'ailleurs été inventé en Europe. Dire qu'aujourd'hui, il n'y en a plus une seule sur le continent…
Elle soupira.
— Ce nouvel état de fait a bouleversé la vie des novices européens. Ceux-ci doivent, malheureusement, venir étudier en Amérique. Ils sont ensuite répartis selon leur langue maternelle.
— C'est pour ça que… que je suis ici ? Parce que je parle français ?
Elle opina, mais lorsqu'elle me regarda, je compris qu'il y avait plus que cela.
— Destiny, j'imagine que ce doit être difficile pour toi. Tu viens d'être marquée, tu as dû quitter ta famille, ta maison, ta patrie. Pour venir ici. Sache toutefois que je tiens à ce que tu t'intègres et que ta nouvelle vie te plaise. C'est pourquoi je serai moi-même ton mentor.
— Mon… mentor ?
— Chaque novice se voit attribuer un mentor, un professeur qui est à sa disposition pour répondre à ses questions et le soutenir tout au long de sa Transformation – quelle qu'en soit l'issue.
Je frissonnai à ce rappel. Je pouvais devenir une Abomination, oui. Mais je pouvais tout aussi bien mourir.
— Destiny, je ne dis pas cela pour t'effrayer, mais pour que tu connaisses tes options.
— A ceci près que les décisions sont prises par quelqu'un d'autre.
— Pour le moment. Tu as été marquée par notre déesse. Ce que tu vas faire de ces quatre prochaines années de formation, puis de ta vie de vampire, en revanche, n'appartient qu'à toi. N'oublie pas que la Transformation, nous l'avons tous vécue. N'hésite pas à me confier le moindre de tes tracas. Je suis là pour t'écouter et te conseiller.
— Comment vous l'avez vécue, vous, votre Transformation ? rebondis-je machinalement.
Devant son silence soudain, je craignis d'avoir été indiscrète. La chair de poule couvrit mes bras et je m'apprêtai à m'excuser. Elle me coupa l'herbe sous le pied.
— J'étais terrifiée. Mais je me suis fait des amis. Je me suis habituée aux changements de ma nouvelle vie. Et, surtout, j'ai placé toute ma confiance en Nyx.
— Nyx ?
Ce simple nom lui arracha une moue radieuse, et mes battements de cœur s'accélérèrent.
— Je te propose, Destiny, que nous visitions le collège tout en parlant.
— D'accord… Zoey.
Cela me faisait vraiment bizarre de l'appeler par son prénom. Après tout, j'avais grandi entourée par son visage, impassible sur les multiples coupures de journaux dont elle faisait la Une, jour après jour. J'avais certainement appris son prénom avant le mien… Et Père l'évoquait avec une telle hargne dans la voix !
Elle posa une main sur mon épaule, me tirant de mes pensées, et m'entraîna avec elle. Nous gravîmes les marches et elle m'ouvrit la porte avec galanterie. Celle-ci donnait sur un hall d'entrée. Les murs, le sol et même le plafond étaient ornés de mosaïques colorées qui miroitaient sous les flammes des lampes à huile. Nous traversâmes la pièce jusqu'à rejoindre un vaste couloir donnant sur une multitude de portes.
— Au fait, Destiny ! Sache que la Transformation est considérée comme une forme de renaissance. Ainsi, chaque novice peut, s'il le désire, modifier son identité.
— Vous… vous voulez dire que je peux changer de nom ?
— Oui. Nom et prénom.
— Et… ce sera officiel ?
— Nous modifierons tes papiers d'identité, en effet.
— C'est… c'est cool. J'ai un peu de temps pour y réfléchir ?
— Tu as quatre ans devant toi, Destiny ! affirma-t-elle avant de changer de sujet. Ce bâtiment est la bâtisse principale du collège. On y trouve le réfectoire, la bibliothèque, l'infirmerie, et à peu près tout ce que désirent les novices à un moment ou un autre de leur formation. N'hésite pas à venir visiter lorsque tu auras le temps. Nous nous dirigeons à présent vers la porte arrière, qui donne sur le parc intérieur du domaine.
Elle poussa un autre battant et, tout à coup, nous nous retrouvâmes mêlées aux novices. Ils échangeaient en petits groupes avec bonne humeur, un sac de cours sur l'épaule ou un livre à la main. S'il n'y avait eu le croissant sur leur front, saphir pour certains, écarlate pour d'autres, j'aurais pu les confondre avec les camarades qui peuplaient mes journées de cours, en France.
Lorsqu'ils croisaient le chemin de Zoey, ils la saluaient avec déférence, et certains en profitaient pour me sourire doucement. Ils paraissaient si aimables… Mon estomac se contracta à l'idée qu'ils découvrent qui j'étais.
Inconsciente des angoisses qui me saisissaient, Zoey poursuivait ses explications.
— La nuit de cours vient de s'achever. Comme tu l'auras remarqué aujourd'hui, les lumières fortes nous indisposent. Certains d'entre nous vont jusqu'à se brûler lorsqu'ils sont exposés au soleil. Tulsa étant ce qui se rapproche le plus d'une capitale vampirique, elle est entièrement équipée en conséquence. Notre Maison de la Nuit ne fait pas exception. Outre les rideaux épais et les lampes à huile, les horaires sont également adaptés à notre mode de vie nocturne. En été, les cours commencent à vingt-et-une heures, et se terminent à quatre heures du matin.
Abasourdie, je tentai d'assimiler ce que j'avais entendu. La ville entière vivait sur un rythme nocturne ? Je n'aurais jamais pensé une telle chose possible.
Zoey dut sentir que j'étais perplexe, car elle se tourna vers moi, une expression ouverte sur les traits. Je ne sus que balbutier :
— En été ?
— Oui. En hiver, nous avançons le début des cours d'une heure. Ces nouveaux horaires ont été mis en place lorsque l'existence des novices et des vampires rouges s'est avérée.
Je manquai m'étrangler avec ma propre salive. « Ces nouveaux horaires » ? Les vampires rouges étaient apparus plus de quatre-cents ans plus tôt !
— Voici les appartements des professeurs. Au rez-de-chaussée, une salle commune est aménagée. C'est là que tu peux te rendre si tu dois discuter d'une urgence avec un enseignant. Et juste à côté se dresse le pavillon contenant les salles de classe. Ta camarade de chambre te fera visiter demain.
Une camarade de chambre ? Je ne voulais pas de camarade de chambre !
Un éclat blanc me poussa à tourner mes yeux sur la droite. Je me figeai aussitôt, sonnée, comme si on m'avait assené un coup de poing.
Une splendide sculpture de marbre blanc scintillait sous les rayons lunaires. Elle représentait une femme vêtue d'une toge ancienne qui, avec ses bras ouverts et son sourire doux, m'évoqua la Vierge Marie. Je dévisageai d'un œil éperdu son visage, représenté dans les moindres détails, à commencer par les tatouages qui l'ornaient. Il me semblait que ses prunelles pâles me gardaient prisonnière.
Le tout exsudait une bienveillance qui me réchauffa toute entière.
— Qui est-ce ? soufflai-je en me tournant vers mon mentor.
Zoey, qui avait patiemment attendu que je me détourne de la statue, se contenta d'un mot.
— Nyx.
Ses lèvres s'étirèrent alors, et je lui trouvai une ressemblance effarante avec la femme qui nous caressait de son regard de pierre, là-haut.
— Nous nous trouvons devant l'entrée du temple de notre déesse, le seul monument qui reste ouvert à tout instant du jour et de la nuit. Mes appartements se trouvent à l'étage. N'hésite pas à monter si tu ressens le besoin de me parler.
— Oh ! Mais, je… Je ne…
— Je suis ton mentor, Destiny. Pour toi, je suis disponible à tout instant. N'hésite pas.
— … Merci, Zoey.
— Et si nous poursuivions la visite ? La prochaine étape est le dortoir. Tu dois être fatiguée, après les événements de ces dernières heures.
Comme elle en parlait, je réalisai qu'effectivement, j'étais épuisée. Je m'endormirais sur le premier siège qu'on me proposerait.
Tandis que nous approchions desdits dortoirs, elle m'expliqua :
— Le bloc de droite est réservé aux filles, celui de gauche aux garçons. Ils sont conçus de la même manière, comme tu pourras le remarquer : au rez-de-chaussée se trouvent les pièces communes, ainsi que des escaliers. Les novices bleus sont logés à l'étage, et les novices rouges, au sous-sol.
Je haussai les sourcils. Qu'avaient fait ces malheureux pour mériter un tel sort ?
— Ce n'est pas une punition, rit Zoey, comme si elle avait lu dans mes pensées. Ils se sentent plus en sécurité lorsque la terre les protège.
— Oh !
Vu ainsi, je comprenais. Si je m'enflammais à la moindre caresse du soleil sur ma peau, j'apprécierais également de savoir que plusieurs mètres de terre me séparaient de l'extérieur lorsque je me reposais.
— Je ne vais pas m'appesantir plus longtemps sur ce sujet. Ta camarade de chambre t'expliquera tout ce qu'il y a à…
Elle s'interrompit subitement et fit volte-face avec sa grâce perfectionnée au fil des siècles. Ses traits s'adoucirent. Suivant son regard, je découvris, au loin, un vampire qui se dirigeait vers nous. Ses larges enjambées laissaient transparaître sa hâte.
Je le détaillai à mesure qu'il approchait. C'était un homme, fin et musclé, vêtu d'un ancien costume écossais que je n'avais jusque-là aperçu que dans les livres – un kilt. Un arc et un carquois dépassaient de son épaule, et, à-demi dissimulés par sa frange soyeuse, ses tatouages chatoyaient, aussi rouges que ceux de Zoey étaient bleus.
Parvenu à notre hauteur, il s'inclina respectueusement devant sa prêtresse, avant de me lancer une œillade polissonne. Son charme de mauvais garçon me fit perdre le contrôle de mon cœur.
— Tu as fini l'entraînement des quatrième, Stark ?
— Pour aujourd'hui. Qui est-ce ? s'enquit-il en me désignant du menton.
— Notre nouvelle novice, Destiny Leroy. Destiny, je te présente Stark, mon combattant.
Je n'aurais probablement pas relevé le « mon », si elle n'avait, à ce mot, posé une main légère sur le biceps du vampire. Un geste innocent, et pourtant chargé de toute la tendresse du monde.
On comprenait aisément que ce Stark était plus proche d'elle qu'aucun des vampires croisés jusque-là.
— Enchanté, Destiny.
Il me tendit la main et attrapa mon avant-bras. Il faudrait que j'interroge Zoey au sujet de cette coutume.
— De même, M. Stark.
— Juste « Stark », me corrigea-t-il avant de reculer, se plaçant légèrement en retrait.
— Comme je le disais, ta camarade t'expliquera tout plus en détails, reprit Zoey comme si rien ne nous avait interrompues. À la Maison de la Nuit, nous favorisons l'autonomie des élèves.
Tout en embrayant sur un autre sujet, elle me fit signe de reprendre ma route. Stark nous emboîta le pas, aussi souple, aussi discret qu'un ninja. Pourtant, l'aura de mon mentor, déjà impressionnante, s'était encore intensifiée depuis qu'il l'avait rejointe.
Nous traversâmes en quelques pas la véranda qui abritait le porche du dortoir féminin. Une élève nous tint le battant avant d'entrer à son tour.
La porte d'entrée donnait directement sur une salle commune. Des novices déambulaient entre les tables et les fauteuils, et les lampes à huile faisaient danser leur ombre sur le lambris des murs. Les fenêtres étaient pourvues d'épais rideaux qui ne tarderaient plus à être tirés, et on apercevait des escaliers au fond de la pièce.
L'arrivée de Zoey fut remarquée aussitôt et, le temps de couper le son de la télévision ou de relever le nez de ses devoirs, un silence entrecoupé de « soyez bénie » s'installa. Zoey les salua d'un grâcieux sourire – visiblement, elle n'en était pas avare – avant de poser une main chaude sur mon épaule.
— Bonsoir à toutes ! Je vous présente Destiny, votre nouvelle camarade. Je vous prie de lui offrir un accueil chaleureux.
Les plus lèche-bottes s'empressèrent de me sourire ou d'agiter la main.
— Ashlyn ? Ashlyn Abbott ?
Une magnifique rousse se détacha d'un groupe. Elle salua Zoey, le poing sur le cœur, avant de se tourner vers moi. Ses prunelles noisette n'exprimaient aucun sentiment positif et je sentis mon estomac se tordre.
— Bonsoir, Destiny. Tu es ma nouvelle camarade de chambre, je suppose ?
Je lançai un coup d'œil à Zoey avant d'opiner.
— Tu veux bien lui faire visiter la maison, Ashlyn ? demanda Zoey avec, dans la voix, une prévenance qui me surprit.
L'adolescente eut un instant d'hésitation imperceptible, puis elle accepta.
— Avec joie, fit-elle sur un ton qui suggérait le contraire.
— Parfait, merci beaucoup. Souhaites-tu que je reste encore un peu, Destiny ?
Les valeurs du collège me revinrent à l'esprit et je déclinai sa proposition. Elle s'en alla après nous avoir tous bénis, et Stark prit ma place dans l'instant. Il se pencha à son oreille et elle éclata d'un rire euphorisant, à la fois sauvage et enfantin. Puis le battant se ferma derrière eux et je me retrouvai seule, seule face à la lippe sévère d'Ashlyn.
— Tu dois être fatiguée, remarqua celle-ci d'une voix plate.
Je hochai la tête, timide subitement, et elle me montra les escaliers d'un geste raide de la main. Sur le chemin, plusieurs adolescentes m'abordèrent, mais j'oubliai leur nom à mesure qu'elles se présentaient. Elles nous abandonnèrent finalement au pied des marches et notre ascension se fit en silence.
Nous débouchâmes dans un long couloir jalonné de portes, chacune ornée d'un chiffre doré. Ashlyn s'arrêta au numéro seize, et je la suivis après un instant d'hésitation. Si nos quatre années de cohabitation se révélaient aussi enjouées que cet accueil, c'était mal parti.
Pénétrer dans la pièce procurait une sensation étrange, dans la mesure où elle était aménagée de manière symétrique. Cela donnait l'impression qu'un miroir avait été placé sur l'une des parois pour refléter celle d'en face. À ceci près que la moitié droite était habitée et que la gauche ressemblait à une chambre d'hôpital.
De ce que je pouvais observer, Ashlyn était une fille passionnée de livres – ils couvraient chaque surface disponible – et plutôt désordonnée. Ouille. Mon penchant maniaque allait souffrir.
— Notre salle de bain est là, précisa-t-elle en désignant une porte, à demi-dissimulée par mon bureau.
J'acquiesçai, le cœur morcelé par des émotions contradictoires. Une chambre et une salle de bain, c'était généreux de la part de l'école, mais l'espace disponible semblait si… si restreint, par rapport à mon ancien foyer.
Ashlyn se rendit près de la fenêtre dans l'intérêt manifeste de tirer les rideaux. Au lieu de cela, elle s'immobilisa, une main sur chaque pan de tissu, son regard vide déambulant dans le parc de l'école, et un silence inconfortable s'installa. Je me dandinai bien vite, gênée par l'immobilité absolue de ma camarade.
Sa brusque prise de parole me fit sursauter.
— Tu te couches à quelle heure, habituellement ? fit-elle en fermant enfin les rideaux, nous plongeant dans l'obscurité.
— Euh… Vingt-deux ou vingt-trois heures… ?
Comme je ne voyais plus rien, je ne vis pas son expression, mais je pus jurer qu'elle s'était figée l'espace d'une seconde.
— Oh. C'est vrai. Navrée. Tu penses que tu parviendras à dormir maintenant ?
Elle alluma une bougie, posée sur sa table de chevet et, devançant ma question, ajouta :
— Il est cinq heures. Du matin.
— Je… Pas de soucis. Je suis plutôt fatiguée.
Elle acquiesça, satisfaite, et s'enferma dans la salle de bain pour ses soins du soir. Je n'osai la suivre et patientai, debout au milieu de la pièce. Je ne désirais pas m'approcher de ce lit qui m'appartenait désormais et qui me paraissait pourtant plus étranger qu'aucune autre pièce de mobilier.
De retour dans la chambre, Ashlyn enfila un pyjama, se glissa sous sa couette et se pencha sur la mèche enflammée. S'immobilisa. M'adressa un coup d'œil intrigué.
— Tu es d'accord de te coucher, ou pas, du coup ?
Mon maigre bagage serré maladroitement contre ma poitrine, j'avouai :
— Je… Je n'ai pas emporté de pyjama.
Elle se frappa le visage, comme si elle aurait dû y penser.
— Bien sûr, je comprends. Tu trouveras tout ce dont tu as besoin dans l'armoire.
Je fronçai les sourcils. Je venais d'arriver, je n'avais pris aucune toilette de nuit, et elle espérait que des vêtements soient apparus dans ma penderie comme par magie ?
Elle répondit à ma moue interdite par un sourire mystérieux qui illumina ses traits et fit luire son croissant de lune. Déterminée à ne pas m'attarder sur ce dernier détail, je suivis son conseil.
Effectivement, il y avait de tout, dans l'armoire. Chaussures, uniformes, pyjamas… Et tous à ma taille.
— Que… Comment est-ce possible ? Je viens d'arriver !
— Nous sommes dans une école régie par des vampires, des êtres intuitifs par nature. Et notre grande prêtresse, Zoey Redbird, est sans doute le vampire avec l'intuition la plus développée de la planète.
Tandis que je me changeais, elle enclencha son réveil. Puis, les yeux tournés vers le mur, elle demanda :
— Tu viens d'Angleterre ?
— Pardon ?
— Ton accent. C'est un accent britannique.
— Oh. C'est… Ma mère est anglaise, éludai-je, peu pressée de révéler le nom de mon père.
Zoey le savait-elle ? Était-ce pour cela qu'elle ne l'avait prononcé devant aucun novice ?
Ashlyn n'ajouta rien. Elle me suivit du regard tandis que je me glissais à mon tour sous mes draps. Une lueur indéfinissable brillait dans ses prunelles.
— Bonne nuit ! dit-elle encore avant de souffler la flamme.
— Bonne nuit ! répondis-je dans un murmure.
J'enfonçai mon visage dans l'oreiller de plume, emmaillotai mon corps dans mon duvet et resserrai ma prise sur mon doudou. J'inspirai profondément et fermai les yeux.
Je n'eus pas le temps de craindre que mes souvenirs, mes soucis et mes réflexions ne m'assaillent et me privent de sommeil. Je m'endormis dans l'instant.
.
Un bruit familier, désagréable et incessant, me tira de mon sommeil. Papillonnant des paupières, je sentis quelque chose couler sur mes joues. Un doigt léger me permit de comprendre qu'il s'agissait de larmes.
Tout d'abord, je crus qu'un quelconque cauchemar me les avait tirées. Ensuite, je réalisai qu'une musique bien connue flottait dans l'air. La chanson qui rythmait la fin du dernier film tragique d'Erik Night, réalisateur illustre, acteur hors du commun… et vampire.
Je refermai mes paupières, mon esprit tentant de chasser mes fantasmes passagers. J'étais une novice et imaginer une carrière fabuleuse qui n'aurait lieu que si je survivais me terrifiait. Et puis, avant d'être une Abomination, j'étais une Leroy, malgré ce qu'avait affirmé ma sœur. Je ne me sentais pas le droit d'espérer réussir en tant que vampire.
Après tout, les vampires n'étaient-ils pas des monstres, froids et malveillants, qui abusaient les esprits innocents pour se repaître de leur sang et de leur mort ?
Je secouai violemment la tête. J'étais si jeune lorsque j'avais soupçonné la réalité moins noire que mes parents la décrivaient… Et les vampires croisés n'avaient-ils pas accru ces soupçons ? Zoey, les novices qui m'avaient salué… et Ashlyn. D'accord, cette dernière n'était pas un exemple de joie de vivre, mais je ne la voyais pas égorger un enfant.
— Destiny ?
Je m'essuyai rapidement les yeux avant de me tourner vers ma nouvelle colocataire.
— Désolée, c'est cette chanson. Comment fais-tu pour l'écouter au réveil, chaque matin ? Elle ne te fait pas pleurer, toi ?
— Si.
Surprise par cette réponse, je me concentrai sur ses traits et découvris sur ses joues pâles les trainées laissées par les larmes.
— Mais… pourquoi t'infliges-tu pareille punition ? m'écriai-je spontanément. Je tomberais en dépression, si je pleurais tous les matins en me levant ! Il faut changer de musique !
Elle me dévisagea avec gravité et, lentement, opina.
— Tu as raison, Destiny. Il est temps.
Je n'eus pas l'occasion de demander des précisions sur cette déclaration énigmatique. Une boule de feu s'abattit sur Ashlyn et je retins un hurlement. Elle rit et embrassa le nid de flammes mouvant.
— Destiny, il faut que je te présente le troisième être qui occupe notre chambre : Carole. Carole, voici ma nouvelle camarade de chambre, Destiny.
— Mais c'est… un chat ! Les animaux sont autorisés, ici ?
— Bien sûr ! Nous avons des chevaux, et même un chien – Duchesse, le labrador de Stark. Quant aux chats, ils sont les plus fidèles alliés de Nyx et de ses enfants. Beaucoup de novices en possèdent un – même si je ne suis pas sûre de pouvoir utiliser ce verbe… – et la plupart des vampires également. Carole m'a choisi il y a quelques semaines. Tu veux le caresser ?
Je considérai les prunelles flamboyantes du chat, qui hurlaient : « Si tu essaies ne serait-ce que de m'effleurer, j'arrache tes globes oculaires abjects, » et m'apprêtai à décliner l'offre.
Jamais, toutefois, Ashlyn n'avait été aussi détendue, aussi ouverte au partage, et je tendis une main hésitante vers la fourrure rousse. Elle était douce et chaude, et ne révéla ni griffes, ni crocs.
L'animal en eut vite assez, cependant, et l'adolescente le déposa au sol tandis qu'il se tortillait.
— C'est l'heure où je le nourris. Il doit être affamé.
— Tu le nourris avec quoi ?
— Les croquettes fournies par l'école.
— Par l'école ?
— Je te l'ai dit : les chats font partie intégrante de notre vie, ici, à la Maison de la Nuit.
— C'est l'école, aussi, qui t'a donné de quoi payer tout ça ?
Je balayai d'un geste du bras son côté de chambre, avec ses posters, ses livres et ses draps à l'effigie d'un drôle de poisson clown.
Elle secoua la tête.
— Non, ma mère m'a tout amené la dernière fois qu'elle m'a rendu visite.
Mes traits se contractèrent et je froissai les draps, sous mes doigts. Devant le regard intrigué et légèrement inquiet d'Ashlyn, j'expliquai :
— Je ne pense pas que mes parents accepteront de m'apporter quoi que ce soit.
Elle m'offrit son tout premier sourire réconfortant.
— Je suppose que ça ne va pas t'aider, mais… cette Transformation est une renaissance – et même une bénédiction, pour certains. Ceux-là trouvent souvent un foyer et une famille, ici... Et les autres aussi, je suppose.
Elle n'explicita pas sa déclaration, mais je compris aisément. Ses proches avaient beau l'aimer à la folie, comment ne pas s'éloigner de personnes qui ne comprenaient pas ce qu'elle traversait, les mutations qui s'opéraient en elle, et qui mourraient bien avant elle ?
— Bon, fit-elle sèchement. Je ne veux pas être en retard, donc je vais aller me doucher. Si Carole vient se plaindre, ne cède pas ! Il est déjà en surpoids.
Sur ce, elle attrapa des habits propres et s'enferma dans notre salle de bain sans m'accorder un regard. Je soupirai en me rasseyant sur mon lit. La distante Ashlyn qui m'avait accueillie la veille était de retour.
Lorsque nous quittâmes la chambre une heure plus tard, nous avions échangé quelques mots seulement – juste ce qu'il fallait pour que je comprenne le système des uniformes et des symboles. J'espérais trouver en d'autres camarades des amies prêtes à échanger. Je me trompais du tout au tout. À l'instant où nous pénétrâmes dans la salle commune, un silence pesant s'abattit. Ashlyn, insensible au changement d'humeur évident, m'entraîna en direction de la salle à manger.
Tandis qu'elle m'expliquait ce qui se trouvait derrière chaque battant d'armoire, je me recroquevillai progressivement sous le poids des dizaines de regards noirs qui m'étaient adressés.
J'arrivais à peine à garder les idées claires. Était-ce un accueil habituel, une sorte de… bizutage… ou s'était-il passé quelque chose durant la nuit – euh, le jour ?
— Tu n'as pas faim ?
Je sursautai et tournai la tête vers Ashlyn. Elle me dévisageait, les sourcils froncés.
— Euh… Si. Mais, euh… (Je baissai ma voix d'un ton.) C'est normal, tout ça ?
Elle secoua la tête, puis ajouta :
— Ne fais pas attention à elles. Quoi qu'il se passe, elles finiront par s'approcher pour nous expliquer. Tout vient à point à qui sait attendre.
Je levai les yeux au ciel en entendant le dicton… et me servis un bol de céréales.
Comme Ashlyn l'avait prévu, une adolescente vint se dresser devant nous alors que nous mangions. Ma colocataire la salua d'un sourire sincère.
— Hemera, tu as bien dormi ? Au fait, je te présente ma nouvelle camarade de chambre, Dest…
— Je sais qui elle est, siffla l'autre.
Ashlyn fit comme si elle n'avait pas entendu le venin dans sa voix. Elle hocha la tête d'un air entendu, et continua :
— C'est vrai, désolée. J'avais oublié que Zoey nous l'a présentée à toutes, hier. Eh bien, ça simplifie les choses. Destiny, je te présente Hemera, une très bonne amie.
Je marmottai un « enchantée, Hemera, » qui fit plisser les yeux à la concernée. Elle ne s'attaqua pas à moi, cependant.
— Ashlyn ! Comment peux-tu accepter de traîner avec elle ?
— Je te le répète, c'est ma nouvelle…
— Je ne parle pas de ça, mais de sa famille !
— Sa famille ? s'étonna Ashlyn.
De mon côté, je tressaillis et plongeai mon nez dans mon bol, consciente toutefois que mon appétit ne reviendrait pas avant quelques jours.
Ma famille…
Comment savaient-ils ? Qui leur en avait parlé ? Zoey ?
Le goût amer de la trahison envahissait ma bouche, mais mon cœur était agité par une émotion bien différente : le soulagement.
Je savais depuis l'instant où j'avais été marquée que je devrais faire face à mon passé, un jour ou l'autre. Et ce jour était arrivé… Même si j'aurais vraiment apprécié que ce ne soit pas le lendemain de mon arrivée seulement.
— Sa famille, oui ! Son identité ! Son nom !
Ashlyn se contenta de hausser les sourcils et Hemera grimaça, comme prise d'un doute.
— Tu ne vas pas me dire que tu n'es pas au courant de qui elle est ?!
— Qui, Destiny ?
— Oui, Destiny Leroy ! La fille d'Auguste et Leonore Leroy, les détracteurs de vampire les plus virulents et les plus influents du siècle ! La fille de ceux qui ont banni les vampires d'Europe ! Destiny. Leroy.
— Ah. C'est donc pour ça que tout le monde nous fusille du regard, depuis que nous sommes descendues… Comment l'information a-t-elle filtré ?
Un instant, Hemera et moi-même dévisageâmes Ashlyn avec le même air ébahi. Elle semblait… si décontractée.
À croire que c'était évident... et que ça n'avait rien de dérangeant.
— Ils ont fait une conférence de presse, où ils expliquent la situation. Qu'elle a entamé la Transformation, qu'ils la renient… mais ça ne change rien. C'est une Leroy ! Elle n'est pas des nôtres.
Je me raidis et sentis les larmes me monter aux yeux. J'avais beau m'y attendre, cela n'adoucissait en rien la dureté de l'annonce.
Mes parents, mes sœurs, mon frère, et le reste de ma famille… ceux qui m'avaient aimée… ceux que je ne pouvais m'empêcher d'aimer… ils m'avaient reniée. Jetée. Oubliée. Bannie de leur existence.
Parce que je me métamorphosais en Abomination.
Mes doigts se crispèrent autour de ma cuiller à la courber.
En arrière-fond, Hemera continuait à commérer. « Et ses parents ci… et ses sœurs ça… et son frère a dit… et le peuple français s'insurge… et patati… et patata… » Il y avait aussi les prunelles assassines des autres novices. Les murmures qui commençaient à poindre. Et l'avenir. La mort ou la Transformation.
J'étais un paria, dans les deux univers.
Je serrai les paupières, le plus fort que je pus, espérant me réveiller dans mon lit, en France. Retrouver mes sœurs au petit-déjeuner, entendre la voix de Père à la radio, me faire réprimander par Mère pour avoir posé mes coudes sur la table et ronger mon frein en silence.
Une main se posa sur la mienne, et, l'espace d'une nano-seconde, je crus que mon vœu avait été exaucé.
— Viens, Destiny. Je vais te faire visiter les salles de classe avant le début des cours.
Elle avait conservé une voix neutre, ni engageante, ni dégoûtée, et je me levai sans broncher, une énorme boule dans la gorge m'empêchant de parler.
— M-mais… Pourquoi, Ashlyn ? explosa Hemera.
Ses boucles brunes semblaient s'être dressées d'indignation sur son crâne.
— Parce que, Hemera, Destiny est ma nouvelle camarade de chambre. Zoey Redbird, notre grande prêtresse, me l'a confiée. Parce que, Hemera, Destiny a été marquée par notre déesse, Nyx, et qu'elle est désormais une novice, comme moi, comme toi, comme nous tous. Parce que, Hemera, je sais qui est inscrit à la Maison de la Nuit de Tulsa. Dois-je évoquer ma situation ? Ou la tienne, peut-être ?
Elle fit une courte pause pour dévisager chacune des adolescentes qui nous entouraient et poursuivit à leur intention :
— Dois-je évoquer la situation de chaque personne qui se trouve dans cette pièce au moment présent ?
— Cela n'a rien à voir avec… commença Hemera.
— Remettrais-tu en cause le jugement de notre déesse et de sa plus fidèle servante ? s'enquit Ashlyn, et sa voix grondait comme le tonnerre.
Elle parcourut la salle d'un nouveau regard flamboyant que nulle ne soutint.
— Bien sûr que non, balbutia finalement Hemera.
— Parfait. Je t'invite donc à nous accompagner. Je suis sûre que Destiny sera ravie de se faire une autre amie.
Hemera, abasourdie, nous suivit machinalement quand ma colocataire se mit en route. Les novices s'écartaient sur notre passage et une adolescente, le visage dissimulé par ses mèches blondes, nous ouvrit la porte.
Je sortis, déboussolée par la scène absurde qui s'était jouée devant moi – par ma faute.
Hemera garda le silence tandis qu'Ashlyn m'expliquait le plus calmement du monde le fonctionnement des salles de classe et des casiers et me confiait mon emploi du temps.
— Tu n'as pas d'inquiétudes à avoir, assura-t-elle, les professeurs sont tous très professionnels, très empathiques, et de toute manière, à l'exception de la leçon de sport, nous serons ensemble toute la journée.
En effet, je faisais du taekwondo, là où elle avait une leçon d'escrime. En revanche, nous étions toutes deux inscrites au cours d'arts visuels.
Par la suite, ses paroles s'avérèrent. Je n'eus pas à m'inquiéter. Bien que l'école toute entière connaisse mon patronyme, le discours d'Ashlyn avait fait son petit effet. Les murmures nous suivaient où que nous allions, mais les regards se détournaient sur notre passage. Quant aux professeurs, ils me traitèrent comme une nouvelle élève lambda, et leurs cours me passionnèrent, les branches scolaires que j'avais toujours eues en horreur comprises.
Lorsque la pause de midi arriva, j'étais affamée et c'est avec bonheur que je découvris le magnifique réfectoire du lycée. Ashlyn me guida jusqu'à sa table habituelle, où patientaient déjà deux garçons. L'un, le visage plongé dans un bouquin, ne nous remarqua pas. L'autre, un gaillard baraqué coiffé d'un chignon brun, esquissa une grimace de pur dégoût.
— Ashlyn, je refuse que tu amènes ça à notre table. Si ça veut manger, que ça aille manger hors de ma vue.
Le regard orageux de ma protectrice le réduisit au silence.
— Elle s'appelle Destiny, ce que tu ne peux ignorer, vu que le collège tout entier est au courant. Rappelle-toi également que Destiny est une novice, aujourd'hui. Elle est bénie par Nyx et protégée par Zoey Redbird. Elle est notre sœur et tu lui dois un minimum de respect.
Lorsqu'elle plissait ainsi le front, son croissant de lune se changeait en un joyau éclatant.
Le garçon s'excusa à mi-voix et se rassit. Son compair, le nez relevé, observait la scène avec un regard pétillant et un demi-sourire.
— Bien. Destiny, je te présente Sacha. À côté, celui qui est trop bête pour penser par lui-même, c'est Alois.
— Bienvenue à Tulsa, Destiny Leroy ! clama Sacha en attrapant mon avant-bras pour l'agiter avec énergie.
Je le remerciai d'une grimace et m'assis devant mon plateau, imitée par les autres. Dès que nous eûmes commencé à manger, Sacha prit la parole, évoquant ses rêves, ses cours, la visite prochaine de sa grand-mère… Il semblait intarissable. Alois ne tarda pas à le charrier, suivi par Hemera. Ashlyn éclata de rire et je me trouvai fascinée par sa beauté, habituellement dissimulée par sa morosité.
Le repas ayant pris une tournure des plus ordinaires, je parvins à occulter la mauvaise réputation qui me suivait. Un sentiment de détente et de bien-être m'envahit progressivement et la sonnerie qui retentit, annonçant la fin de la pause de midi, me fit sursauter. J'étais impatiente de découvrir ce qu'avaient préparé les professeurs, et tout particulièrement Zoey Redbird, qui enseignait le cours de sociologie, en première heure. Malgré tout, l'idée de quitter ma bulle de bonheur simple pour traverser des couloirs grouillant de novices furieux ne me réjouissait guère.
J'avais à peine passé le seuil de la cafétéria lorsqu'elle m'appela.
— Destiny !
Je m'arrêtai net, de même que l'ensemble des élèves présents dans le couloir. Zoey fendit sans peine la foule d'étudiants pour parvenir à ma hauteur.
— Destiny ! Je voulais te croiser plus tôt, mais j'étais…
— Eh bien, Zoey, dis-nous donc : où étais-tu ?
— Oui, Zo, ça nous intéresse.
Zoey s'empourpra et nous nous tournâmes toutes deux vers les voix. La première remarque avait été lancée par Stark, nonchalamment appuyé contre le mur. La seconde venait d'un homme aux cheveux très blonds et aux yeux très bleus. Sa peau pâle n'était ornée d'aucun tatouage.
Il était humain.
— Destiny, tu as déjà rencontré Stark. Laisse-moi te présenter Osher, mon consort.
Je tendis ma main en avant et fus surprise de remarquer qu'Osher la serrait à la manière vampire. Comme s'il faisait partie des nôtres.
— Comme je le disais, je voulais te voir. J'espère que ta matinée s'est bien passée… ?
— Très bien, Zoey, merci.
— Parfait ! D'ailleurs, félicitations ! J'ai discuté avec Mme Doner et elle m'a confié qu'en quatre-cents ans de carrière, elle n'avait jamais admiré un aussi beau trait de crayon.
Ce fut à mon tour de rougir. Je virai carrément à l'écarlate lorsque l'humain blond s'esclaffa :
— Je crois que tu la gênes, Zo.
Mon mentor lui donna un coup joueur sur l'épaule, puis me gratifia de son plus beau sourire.
— Bien, je suis rassurée. Si tu as besoin de quoi que ce soit, Destiny, passe me voir.
— Ne serait-ce pas du favoritisme, ma belle ? ricana Stark en se penchant, de sorte que seul le petit groupe que nous formions l'entendit.
Elle secoua la tête.
— Je souhaite à tous une bonne après-midi de cours ! Soyez bénis.
Tandis que les élèves lui répondaient en cœur, elle se tourna vers moi et je pus jurer qu'elle me fit un clin d'œil. Puis elle s'éloigna et disparut, trop petite pour dépasser les enfants sous sa responsabilité.
Si Stark et Osher ne la talonnèrent pas, ils la rejoignirent avant qu'elle tourne à l'angle du couloir, après quelques autres blagues qui les faisaient passer pour moins matures que les élèves qui les observaient.
Dès que le trio eut disparu, les novices s'égaillèrent et bientôt, je me retrouvai entourée seulement de mes quatre camarades.
— Stark est craquant, soupira Hemera.
— J'ai une préférence pour Osher, commenta Ashlyn.
Un gloussement me chatouilla la gorge : ainsi, elles ressemblaient en tous points aux adolescentes que je côtoyais dans mon lycée français.
— Comment ça se fait qu'un humain traîne avec notre grande prêtresse ?
Ashlyn se tourna vers moi et son expression insouciante s'évapora dans l'instant.
— Osher est son consort.
— Et qu'est-ce que c'est, un consort ?
— Un compagnon humain.
— Un compagnon ? Tu veux dire, un petit-ami ?
— C'est ça.
Je repensai aux regards qu'avaient échangé Zoey et Stark, la veille. Je peinais à croire qu'ils ne soient pas amants.
— Mais Zoey n'est pas avec Stark ?
— Si. (Elle fit une pause.) Aussi.
Je buggai.
— Tu veux dire qu'elle… qu'elle a deux petits-copains ?
— Deux compagnons, oui. Stark la protège, et Osher…
Ses sourcils s'agitèrent d'une manière particulièrement suggestive et une bouffée de chaleur enflamma mes joues.
— Tu veux dire qu'on… on ne peut pas faire ça avec un vampire ?
Hemera explosa de rire, et Sacha lui lança un regard exaspéré avant de me répondre.
— Si, bien sûr. Ce qu'Ashlyn sous-entendait, c'est qu'Osher donne à Zoey ce que seul un humain peut fournir à un vampire.
Il découvrit brièvement ses dents – je fus incapable de dire si c'était volontaire ou pas – et je compris. Je fermai les yeux tandis que mon visage passait du rose au blanc puis au vert en quelques instants. Ma réaction sembla inquiéter les autres et une petite voix, au fond de mon esprit, se réjouit de leur attitude.
Aidée d'Ashlyn, je m'assis sur le parquet verni et plaçai mon visage contre mes genoux.
— Du sang ? Les vampires boivent réellement du sang ?
— Malheureusement, oui. C'est ce qui fait que, une fois notre Transformation achevée, nous ne pouvons plus être considérés comme des humains… entre autres.
Je relevai la tête et mon expression horrifiée arracha une exclamation à Sacha :
— Nous ne faisons de mal à personne ! Les vampires ne tuent pas, rares sont ceux qui s'abreuvent sur des humains ! Et ceux qui le font ne mordent qu'un donneur consentant ! Destiny…
— Je te crois.
Soupirant, je secouai la tête en un geste d'excuse.
— Désolée. Sur le coup, ça m'a secoué. Mais je te crois. Vous savez… Je n'ai jamais pensé que mes parents avaient raison.
« Du moins, cela fait une dizaine d'années que ce n'est plus le cas. »
— Selon moi, leur haine est bien trop extrême. J'étais un boulet pour ma famille. Ils n'attendaient qu'une excuse pour me renier… ma Marque était l'occasion rêvée. Je ne suis même pas surprise.
— Oh, lâchèrent Alois, Hemera et Sacha d'une même voix.
Il y eut un long silence, puis je me relevai et époussetai mon jean. Je détestais les regards qui me dévisageaient sous un jour nouveau, empreints de pitié. Je ne savais même pas pourquoi je leur avais raconté cela.
— Bref. Il est temps d'y aller, ou nous allons être en retard en cours.
Ils grimacèrent et nous repartîmes à toute vitesse.
.
Comme prévu, je retrouvai Zoey quelques minutes plus tard, dans la salle de sociologie des vampires. Osher avait disparu, mais Stark était planté sur le seuil. Tandis que nous rejoignions deux places libres, Ashlyn me chuchota :
— Stark est le protecteur de Zoey. C'est l'un des derniers Fils d'Erebus. Il ne la quitte jamais, à moins qu'il ne doive donner ses cours de tir à l'arc aux quatrième année.
— Cela ne pose pas de problème ? Je veux dire… qu'il la suive partout.
Ses lèvres s'agitèrent étrangement, d'une manière qui ne voulait dire ni oui, ni non. Ses iris impassibles balayèrent les bureaux, occupés par des étudiants qui faisaient mine de ne pas nous écouter, et elle baissa la voix d'un ton encore plus bas pour me répondre.
— Je propose qu'on en parle plus tard.
J'acceptai, et nous retournâmes nous asseoir. Zoey attendit que nous nous soyons installées pour prendre la parole. Elle accorda un large sourire à ses élèves et j'eus la satisfaction de voir que je n'étais pas la seule à frôler l'arrêt cardiaque lorsqu'elle me réchauffait de son regard bienveillant.
— Aujourd'hui, nous allons étudier le lien particulier qui a uni de tous temps les chats et les vampires. Pour ceci, je vous prie d'ouvrir vos manuels à la page cent-cinquante-trois.
Je m'exécutai en coulant un bref regard en direction d'Ashlyn. Celle-ci, déjà tournée vers moi, me retourna un clin d'œil complice.
Le comportement lunatique de ma camarade de classe avait beau être déboussolant, ce simple échange perça la vague d'hostilité qui me fouettait à chaque instant depuis que les élèves avaient découvert mon identité. Je me sentis réchauffée des pieds à la tête.
Zoey prit alors la parole et la passion dans sa voix me frappa. Une telle puissance avait un caractère divin. Chaque mot dansait devant elle, se métamorphosant en un personnage coloré qui transformait le cours d'histoire en une véritable épopée. Je fus presque déçue lorsque, finalement, elle se tut et nous laissa ranger nos affaires. J'atteignais le seuil lorsqu'elle me héla. Ashlyn me fit comprendre qu'elle m'attendait dans le couloir et je fis demi-tour. Je saluai Zoey comme j'avais vu tant d'élèves le faire, ce qui lui tira un éclat de rire argentin. Elle se tourna vers moi, délaissant le chat aux allures de chaton qui s'était perché sur son bureau pendant le cours.
— Nul besoin de me saluer comme cela, Destiny. Je veux que tu voies le mentor en moi, lorsque nous discutons ainsi. Pas la grande prêtresse.
— Oh ! Je… Pardon, M… Zoey.
Le matou miaula désespérément, et elle reprit ses caresses.
— Comment se passe cette première journée, Destiny ?
— Je… Bien. Très bien.
— Vraiment ? Les élèves ne te causent pas d'ennuis, depuis cette pitoyable conférence de presse ?
Je la fixai avec des yeux ronds.
— Destiny… je ne suis pas née de la dernière pluie. Mon statut de directrice ne m'autorise pas à oublier que j'ai sous ma responsabilité plusieurs dizaines d'adolescents. Or, adolescente, je l'ai été aussi, même si cela commence à remonter. Les rumeurs, les moqueries… je les ai subies également.
— Tout se passe bien, m'empressai-je d'affirmer pour chasser l'ombre qui traversait son visage.
— Tant mieux, dans ce cas ! N'hésite pas à venir me voir, si on te dit quelque chose que tu juges inacceptable.
— Je le ferai.
— Et avec Ashlyn ? Comment cela se passe-t-il ?
Je jetai un coup d'œil vers la porte close, derrière laquelle patientait sans doute l'adolescente.
— Elle est… déconcertante.
Zoey hocha le menton, la mine concernée.
— Elle est comme nous tous, marquée par la dureté de la vie. Mais ne te fie pas à son regard impassible ! je peux t'assurer que si elle remarque quelqu'un d'un peu trop véhément, elle viendra m'en parler à ta place… ou elle réglera le problème elle-même.
Il y eut un instant de silence durant lequel elle me dévisagea, consciente qu'elle ne m'avait pas convaincue. Je sursautai quand elle attrapa mes mains pour les presser.
— Tu es une novice, marquée par Nyx. A l'instant où tu as posé un pied dans cette école, ton passé n'a plus eu d'importance. Tu es l'une des nôtres et tu as le droit de le faire remarquer.
Les yeux de mon mentor pétillèrent et je compris qu'elle avait entendu parler du coup d'éclat, au petit-déjeuner.
— Je place de grands espoirs en toi, Destiny Leroy.
J'aurais dû sursauter en entendant mon nom dans sa bouche ; j'aurais dû me sentir intimidée ou incomprise – j'étais détestée par tout le collège et elle m'expliquait que je devais me battre pour me faire une place ? Pourtant, sans même comprendre le sens de ses dernières paroles, je me sentis revigorée.
Enfin, elle redressa la tête et mon souffle s'accéléra. Quand son regard plongea dans le mien, elle semblait avoir mille ans.
Une plainte féline interrompit cet instant solennel. Le chat roux, dressé au bord du plateau de bois, tendait le museau dans ma direction.
— Nala aime peu de gens, déclara Zoey. Si tu as l'heur de lui plaire, profites-en.
— Nala… Une femelle ?
Elle acquiesça tandis que je grattais le cou poilu de la chatte. Je me reculai à regret.
— Il faut que j'aille en cours. Je suis déjà…
— Ne t'en fais pas, je vous ai excusée, Ashlyn et toi. Ton professeur ne te dira rien.
Sur un dernier échange de sourires, je quittai la salle de classe. Ashlyn m'attendait, appuyée contre le mur de briques, et ne parut nullement surprise que notre retard ait été prévu.
— Tu n'as pas retenu la leçon avec ta garde-robe ?
.
Le souper terminé, je m'engouffrai dans ma chambre avec soulagement. La journée s'était mieux passée que prévu, ce qui n'empêchait pas la fatigue et, surtout, l'angoisse du lendemain.
— Alors, verdict ? s'enquit Ashlyn, qui me suivait.
— J'ai besoin d'une douche.
— Dans la salle de bain.
Je récupérai une serviette dans mon armoire avant de faire l'état des lieux. Nous disposions d'une cabine de douche pour deux, ainsi que de toilettes et d'un lavabo… surplombé d'un miroir, que j'évitai avec application.
Le corps réchauffé par l'eau bouillante et camouflé sous un pyjama, je m'occupai de mes cheveux dégoulinants. J'étais détendue : je me sentais redevenue moi-même, enfin ! et l'inévitable se produisit. Je croisai mon reflet dans le miroir.
Ce n'était pas un reflet dont on pouvait se détourner facilement. Ma brosse dans une main, mes mèches dans l'autre, je fus contrainte de contempler la Marque qui transformait mon visage.
Comme je l'avais imaginé, elle étincelait sur mon front, illuminant mes traits. Elle renvoyait une impression aussi sauvage que le rire de Zoey : magnifique mais dangereuse. Cette Marque, représentation physique de la bénédiction d'une déesse, balaya sans effort les mensonges parentaux rabâchés des années durant. Ma main se leva pour l'effleurer, s'arrêta bien vite. Elle demeurait étrangère.
Hors d'atteinte.
Ashlyn, en me rejoignant pour sa routine du soir, frôla par inadvertance mon épaule. Libérée de ma tétanie passagère, je m'arrachai à la contemplation du croissant saphir. Sans prendre la peine de terminer mes préparatifs, je quittai la pièce et m'enfonçai dans mon lit, les paupières étroitement serrées, comme pour effacer la vision qui me hantait désormais.
Je m'endormis avant le retour d'Ashlyn, mais ne trouvai pas le repos. Les rêves s'enchainèrent sans trêve, insensés, intenses. Ma famille me rendit visite, des phrases venimeuses aux lèvres, veillée par une lune de saphir brillant au firmament. Et il y avait Ashlyn avec son regard mauvais, et Stark qui me menaçait de son arc, et Sacha qui passait sa langue sur ses dents, et…
— Destiny !
J'ouvris péniblement les yeux, découvrant Ashlyn penchée sur moi, l'air ravagée par l'inquiétude. Elle tenait toujours entre ses mains mes épaules.
— Qu'est-ce que… soufflai-je après quelques secondes d'un silence inconfortable.
— Tu as fait un cauchemar. Je n'arrivais pas à te réveiller, expliqua ma camarade de chambre.
Elle me lâcha. Je pus me redresser et décoller les mèches plaquées sur mon front en sueur. Ensuite, je plaquai mes genoux contre ma poitrine et les entourai de mes bras ; Carole vint s'y coller. Parallèlement, Ashlyn s'occupa d'allumer une bougie et me chercha un verre d'eau. Tandis que je le vidais cul sec, elle se percha au bord de mon lit et traça des arabesques tendres dans mon dos jusqu'à ce que je cesse de trembler.
À peu près remise de mes émotions, je me tournai vers elle. Et explosai.
— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu fais comme si tu t'inquiétais pour moi ! Pourquoi tu fais tout pour que je puisse me réintégrer, alors que j'ai bien compris que tu ne pouvais pas me supporter !
Elle ouvrit de grands yeux surpris.
— Qu'est-ce qui te fait croire que je ne t'aime pas ?
Je lui lançai un regard entendu.
— Ton attitude distante. Tes regards sombres. Tes paroles sèches. Je sais que mon nom n'aide pas, et je ne te demande pas de m'apprécier, mais si tu pouvais cesser de souffler le chaud et le froid, ça m'arrangerait !
Ashlyn eut la dernière réaction à laquelle je m'attendais : après m'avoir dévisagée un moment, l'air abasourdi, elle éclata de rire. Je me raidis, blessée sans comprendre pourquoi.
Il lui fallut plusieurs minutes pour se calmer. Lorsqu'enfin, elle se redressa et attrapa ma main avec douceur, je réalisai que des larmes roulaient sur ses joues.
— Je me fiche de ton nom, Destiny. Chaque novice, ici, à Tulsa, a eu une enfance particulière. Tu n'échappes pas à la règle… et moi non plus.
Elle prit une expression plus grave avant de poursuivre.
— Si je me suis montrée froide avec toi, c'est parce que je suis arrivée il y a bientôt trois mois. J'ai été placée dans la chambre de Lorie, que nous avons partagée pendant huit semaines. Jusqu'à ce qu'elle rejette sa Transformation.
De larges perles d'argent s'échappaient toujours de ses prunelles et elle renforça son étreinte sur mes doigts. Je me sentis minable de lui avoir hurlé dessus une seconde plus tôt.
— Oh. Je… Je suis désolée…
Rejeter la Transformation… cela avait beau être une possibilité, elle ne me paraissait pas réelle jusque-là. J'eux tout à coup l'impression que l'air inspiré n'était plus qu'une brume réfrigérante qui brûlait mes poumons et changeait mon sang en glace.
— J'aurais voulu… Je ne voulais pas te paraître désagréable. Mais quand je te vois, avec ton sourire timide et ton croissant de lune, je me dis que ç'aurait dû être une autre à ta place. Quand tu refermes la porte derrière toi, quand tu caresses le bois de ton bureau avant de te glisser dans notre salle de bain, quand tu t'assieds sur ce lit, j'ai l'impression de la revoir. Et ça fait mal.
— Je suis désolée… répétai-je, parce que je ne savais que dire d'autre.
— Mais je n'ai rien contre toi, Destiny. Tu renvoies l'impression d'être une fille sympa, un peu fêlée par ton passé. Je sais que Zoey nous a réunies pour m'aider à surpasser ma peine, et je vais le faire. Je vais apprendre à te connaître et à t'apprécier. Je vais t'aider et te conseiller. Je vais devenir ton amie. Il va juste me falloir un peu de temps.
À l'entendre, j'avais l'impression de n'être qu'un objet, une photo ou un doudou offert sur un plateau d'argent par Zoey Redbird, dans le seul but de raccommoder l'âme déchirée d'Ashlyn.
Dans une autre vie, je me serais peut-être sentie vexée, ou furieuse. Seulement, être instrumentalisée commençait à être une habitude. Je me contentai de me couler dans ce rôle.
— Je comprends, murmurai-je.
Un long moment, nous restâmes ainsi, la novice désespérée et la novice désillusionnée, silencieuses, tranquilles, des larmes au coin des yeux, baignées dans la lumière douce d'une bougie.
— Alors, ce cauchemar ?
Croisant mon regard surpris, elle haussa les épaules et grimaça :
— Je crois que c'est mon côté maternel qui se réveille.
Un instant, je l'observai, avant de songer à mes rêves… et d'abandonner aussitôt. Je ne voulais pas me les remémorer. C'était trop tôt et je le fis comprendre à Ashlyn en secouant la tête. J'ajoutai tout de même, face à son expression inquiète :
— Rien de bien surprenant, lorsqu'on a une famille comme la mienne.
— Oui, je connais ça… murmura-t-elle.
— Je croyais que tes parents avaient bien accepté ta Transformation ? m'étonnai-je.
— Ma mère, oui.
— Oh.
Il y eut un instant de silence, avant qu'elle ne souffle profondément. D'une main, elle me demanda de lui faire de la place. Bientôt, nous nous trouvâmes étendues face à face, couvertes par mon duvet. En découvrant les éclats dorés dans ses prunelles noisette, un sentiment de gêne m'envahit. À l'exception de mes sœurs, personne ne s'était trouvé si proche de moi, jamais.
— Puisqu'on en est au déballage pourri de nos vies… Lorsque Blaise…
— Blaise ?
— Le Traqueur de notre Maison de la Nuit, pour quelques années. C'est lui qui t'a amenée ici. Normalement, le Traqueur se contente de marquer l'adolescent, qui se débrouille seul pour rejoindre la Maison de la Nuit la plus proche. Mais nous nous trouvons à Tulsa, sous la protection de Zoey Redbird. Tu comprendras vite, en discutant avec nos camarades, que ce collège regroupe ceux pour qui, comme nous, l'apparition de la Marque a provoqué des conséquences… difficiles.
Je me souvins qu'elle y avait effectivement fait allusion, un peu plus tôt.
— Donc… Blaise m'a marquée, puis il est reparti, comme à son habitude. Zoey, saisie d'un mauvais pressentiment, l'a renvoyé chez moi quelques heures plus tard. Mon père m'avait enfermée dans notre cave en découvrant mon statut de novice. Blaise a dû défoncer la porte pour me retrouver. Je me vidais de mon sang.
Elle fit une courte pause pour avaler difficilement sa salive, avant d'avouer :
— Zoey m'a confié qu'à quelques heures près, je serais morte. Avant même d'avoir commencé ma vie de novice.
— C'est possible ?
— Il y a quelques années, selon Niklaus – un novice de dernière année – un novice a été immolé par sa mère et son beau-père... Le Traqueur n'a rien pu faire. Mais cela reste extrêmement rare. En revanche, depuis que les tensions entre vampires et humains se sont ravivées, le nombre de novices qui arrivent à la Maison de la Nuit blessés ou traumatisés est en hausse. Certains se font tirer dessus, d'autres sont passés à tabac. Par les familles, par des amis, par des inconnus…
Je cillai, mes ongles s'enfonçant dans la chair de mes avant-bras. Elle me donna un coup de coude.
— Je connais cette expression. Ce n'est pas ta faute, Destiny.
— Comment peux-tu dire une chose pareille ? Comment peux-tu même le penser ? Evidemment que c'est ma faute ! Il y a dix ans, mon père aurait pu mettre fin à tout cela ! Et il a choisi de faire empirer la situation ! Ma mère l'a soutenu avec le sourire et toute ma famille continue à militer ardemment pour l'éradication des « Abominations », comme ils les appellent.
— Ton père, ta mère, tes frère et sœurs… il ne s'agit jamais de toi. Tu n'as rien à te reprocher.
— Tu es plus compréhensive que la plupart.
— Je fais seulement ce que je pense juste. Mais je dois t'avouer que je suis curieuse… comment Blaise t'a-t-il récupérée ?
La question, crue, aurait pu me braquer si elle ne m'avait pas confié son propre parcours.
— Après avoir entendu ton arrivée ici, j'ai l'impression d'être une chochotte.
— Tu t'es fait renier, tu l'as appris de quelqu'un qui voulait te faire du mal et tu as tenu bon. Je ne te qualifierais pas de chochotte.
— Peut-être... J'ai été marquée sur le balcon de notre maison. Nous fêtions l'anniversaire de mariage de mes parents. C'est ma sœur Danaé qui m'a trouvée. Elle a fui dès qu'elle a compris ce qui se passait, pour prévenir mon aînée, Dalila. C'est Dalila qui m'a retrouvée par terre, en larmes, ma toute récente Marque sur le front. Elle m'a dévisagée avant de cracher avec dégoût : « Tu l'as cherché, monstre ! ». Ah, et aussi : « Tu déshonores ta famille. »
Je frottai doucement mon nez – il me piquait – avant de reprendre, une pointe de sarcasme dans la voix :
— Elle a été gentille. Elle m'a laissée jusqu'à l'aube pour partir, avant de prévenir mes parents.
Le récit ayant réveillé les émotions qui y étaient liées, je me mis à sangloter. Au bout de quelques minutes, je cherchai le regard d'Ashlyn et fut heureuse de n'y voir que de la compréhension et de l'empathie. Ni pitié, ni mépris.
J'essuyai mes larmes, elle essuya les siennes, et nous éclatâmes de rire.
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Jour 1029
Rituel sacré
Le rituel sacré se déroule une fois par siècle. Sa date est révélée par une Prophétesse.
Il consiste en un rituel de pleine lune (Voir Rituels de pleine lune, p. 86) empreint d'une puissance hors-norme. Pour être contenu, il est réalisé dans un lieu de pouvoir (Voir Lieux de pouvoir, p. 213).
La coutume veut qu'à cette occasion, une trêve permette à l'ensemble des prêtresses de Nyx d'y assister, quelles que soient leurs relations avec leurs consœurs.
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La cloche sonna et je levai la tête à temps pour apercevoir les autres novices qui se précipitaient vers la porte. Si certains gagnaient en déférence au fil de leur scolarité, la majorité de mes camarades de classe avaient visiblement oublié comment on saluait une grande prêtresse.
Peut-être avaient-ils simplement compris que Zoey se fichait des convenances.
Je caressai tendrement le cuir tanné qui couvrait mon livre. L'instant d'après, je le glissais dans ma besace et je prenais le chemin de la porte, où Ashlyn m'attendait. Je ne souhaitais pas arriver en retard à mon prochain cours : Lenobia avait laissé entendre que nous apprendrions les bases du saut d'obstacles.
— Bonne fin de journée, Zoey !
— A toute à l'heure, répondit-elle distraitement.
Je souris de la voir absorbée dans ses notes. Elle revoyait sans doute son dernier cours de la journée.
J'adorais ces instants où elle quittait son statut de prêtresse pour redevenir Zoey Redbird.
— Oh ! Destiny ! me rappela-t-elle alors que j'approchais du seuil. Reste ici quelques minutes, s'il te plait. J'aimerais te parler.
Je fis demi-tour aussitôt, tentant de ne pas penser à ma leçon équestre qui risquait de me filer sous le nez. D'un mouvement du menton, j'indiquai à Ashlyn qu'elle n'avait pas à m'attendre. Son regard me fit comprendre qu'elle ne m'obéirait pas et je fronçai les sourcils. Elle me tira la langue avant de fermer la porte.
Appuyée au pupitre qui faisait face au bureau, je patientai. Quelques secondes, tout au plus. Elle se tourna ensuite vers moi, un sourire aux lèvres. Un sourire qui, pour n'avoir pas changé depuis mon arrivée à Tulsa, trois ans plus tôt, était devenu un repère essentiel.
— Aurais-tu des questions à propos de ce que nous avons étudié aujourd'hui ?
— Non. Ton cours était clair et passionnant, comme d'habitude.
— J'en suis flattée. As-tu une idée de la raison pour laquelle je vous en ai parlé aujourd'hui ?
Sa question me fit frissonner. Après la scène de la veille, bien sûr que j'avais ma petite idée… et je m'en réjouissais d'avance.
— Je suppose que… la date du rituel sacré de ce siècle a été fixée.
— En effet. Il aura lieu dans treize jours, précisément.
— Si vite ?
Zoey répondit à mon étonnement par une moue espiègle.
— Je suppose que notre déesse aime nous lancer des défis. J'ai envoyé les invitations hier soir, et je ferai l'annonce au souper. Les préparatifs auront lieu au cours des deux prochaines semaines.
— Tu auras besoin d'aide, je présume.
— Ce serait très généreux de ta part si tu pouvais solliciter les Fils et Filles de la Nuit, en effet. Je te fournirai une liste.
Elle se tut et jeta un coup d'œil par la fenêtre. En attendant qu'elle reprenne la parole, j'ajustai la bandoulière sur mon épaule. Elle se tourna alors si vivement vers moi que je manquai laisser tomber mon sac.
— De nombreuses prêtresses participeront à ce rituel.
Des noms et des visages, découverts dans mes manuels de cours, défilèrent devant mes yeux. Les battements de mon cœur s'accélèrent sous l'effet de l'excitation.
— Quand arriveront-elles ?
— Je te préviendrai dès que je le saurai.
Mon regard perplexe parla pour moi. Elle prit une mine sérieuse et précisa :
— Il est de tradition que chaque grande prêtresse soit accompagnée d'une novice. Généralement, ce sont les grands noms de demain. Une prophétesse… une grande prêtresse en formation… Après discussion avec le corps enseignant, j'ai porté mon choix sur toi.
— Moi ?
— Toi.
— Et… qu'est-ce que cela implique ?
— Cela ne change rien pour ce qui est du rituel à proprement parlé. En revanche, tu seras dispensée de cours les jours précédant et suivant le rituel. Tu en profiteras pour accueillir avec moi les grandes prêtresses et les saluer à leur départ. Tu participeras également aux différentes rencontres organisées dans le but de vous présenter et de faciliter les échanges entre novices. Il nous parait important que vous vous connaissiez, puisque vous devrez collaborer à notre place, d'ici quelques temps.
Elle se tut un instant, me caressant d'un regard tendre.
— Des questions ?
— Non. Je suis prête.
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Comme je m'y attendais, j'eus à peine gagné le manège que Lenobia m'annonça que nous reportions le saut d'obstacle au lendemain. Je passai donc la demi-heure restante à panser Ipomée, ma magnifique jument à la robe immaculée. Malgré ma déception, je me pris au jeu et sursautai en entendant la sonnerie.
— Destiny !
M'écartant des naseaux d'Ipomée, que je m'apprêtais à embrasser, je me tournai vers Stark. Accoudé au chambranle du box, il m'offrait l'un de ces fameux sourires.
— Bonjour, lui répondis-je, et mon ton respectueux lui arracha un éclat de rire.
Si, au fil des siècles écoulés, Zoey était devenue la grande prêtresse sage et réfléchie que beaucoup attendaient, rien n'avait pu entamer l'enthousiasme de Stark. Mon mentor m'avait d'ailleurs confié que le retour d'Osher n'avait rien arrangé.
— Zoey m'a chargé de t'annoncer que les premières réponses n'avaient pas tardé. Lucie arrivera en premier. Après-demain, aux alentours de cinq heures.
— Lucie Johnson ? ne pus-je m'empêcher de relever.
— Zoey a précisé que tu n'avais rien besoin de préparer. Mais personne ne t'en voudra si tu sèches la dernière période.
J'acquiesçai et, sur un signe de la main, il s'en alla. Je pris le temps de dire au revoir à Ipomée avant de quitter la stalle. Au dehors, je fus accueillie par une brise légère. Je souris ; j'aimais le vent plus que tout, qui permettait toujours de dégager la lune. Instinctivement, je rejetai la tête en arrière pour offrir mon visage au firmament nuageux. L'astre lunaire apparaissait déjà, transperçant de sa lumière argentine la brume, apaisant mon cœur affolé.
Comme je songeais à ma déesse, un autre de ses dons se manifesta. La Mélodie sauvage qui ne quittait jamais mon esprit gagna en force. Je n'eus qu'à ouvrir les bras pour qu'elle vienne s'y réfugier, dans un mélange de douceur ébène et de miaulements satisfaits. Je m'arrangeai pour qu'elle appuie ses pattes avant sur mon épaule, puis je repartis. Pour être à nouveau hélée quelques secondes plus tard.
— Alors ?
— Alors rien du tout. Je sais que tu m'as espionnée.
Loin de culpabiliser, Ashlyn passa son bras sur mes épaules jusqu'à s'appuyer de tout son poids sur moi. Un instant, je tentai vainement de me dégager, puis je soupirai.
— Tu vas te débrouiller comme une cheffe ! Tu es notre grande prêtresse en formation, après tout.
Je secouai la tête, mais son assertion m'avait tout de même un peu soulagée. Et elle le savait, car elle éclata d'un rire malicieux.
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Aucune invitée n'était encore arrivée. En revanche, Zoey se trouvait là, et elle téléphonait. À son côté, Stark discutait avec Darius, le combattant le plus canon de cette école et, sûrement, de toutes les autres. Je m'approchai silencieusement de celle qu'il protégeait, contre toute vraisemblance, depuis des siècles.
— N'y pense même pas ! m'avertit Aphrodite.
Elle se retourna, faisant voler sa volumineuse chevelure blanche. Son visage, à peine marqué de rides, affichait une mine sévère, mais une pointe d'amusement brillait dans ses prunelles saphir. J'avais toujours pensé que son croissant n'avait disparu que pour mieux illuminer ses iris.
Je laissai échapper un petit rire, soulagée de ne plus apercevoir aucune trace du sang qui avait envahi ses globes oculaires quelques jours plus tôt, et elle m'ouvrit les bras. Je l'enlaçai de toutes mes forces. Entre nous, Mélodie, qui m'avait rejointe en chemin, s'agita, mécontente d'être écrasée.
— Tu es de retour !
— Pensais-tu vraiment que j'allais laisser Zoey former son cercle sans moi ? Ce n'est pas parce que je l'ai prédit que je suis tranquille, surtout lorsque vous êtes toutes deux dans les environs.
Le rire de Zoey se joignit au mien. Elle avait rangé son téléphone et s'appuyait désormais contre Stark. Je remarquai avec une pointe d'angoisse qu'elle n'avait pas enfilé sa tenue de cérémonie, lui préférant un classique jean associé à une classique chemise. Un regard d'Aphrodite me fit comprendre que ma robe ne posait pas de problème.
À cet instant, le bruit d'un moteur rugissant, mêlé au crissement du caoutchouc sur la terre d'Oklahoma, détourna notre attention. Je frissonnai, mais je n'étais pas la seule : la hâte faisait frémir chacun d'eux, les deux prêtresses en particulier. Finalement, une voiture de course rouge remonta l'allée et s'arrêta pile devant nous. Ses vitres teintées ne laissaient rien voir de ses occupants. Personne ne s'offusqua qu'elle occupe trois places d'un parking bientôt surchargé.
Un indien humain, approchant la trentaine, s'échappa alors du véhicule pour le contourner. Il adressa un sourire radieux au groupe qui m'entourait. Au même instant, la portière passagère s'ouvrit. Ma respiration se bloqua dans ma gorge quand une main fine, pâle, se glissa dans celle de l'indien. Il la tira légèrement en avant, la faisant enfin apparaître.
Je ne discernai qu'un élégant tatouage écarlate ressortant sur sa peau pâle et ses courts cheveux blonds avant qu'elle rejoigne Zoey pour l'étreindre. Elle la relâcha bien vite et j'eus la surprise d'apercevoir les prunelles de mon mentor remplies de larmes. Aussitôt, Aphrodite la remplaça dans les bras de la nouvelle venue. Pendant ce temps, du coin de l'œil, j'observais son chauffeur échanger une accolade virile avec les deux combattants, puis se mettre à décharger les bagages de la prêtresse. À côté de lui se tenait une novice que je trouvai mignonne, même si elle ne quittait pas le sol des yeux.
— Lucie, je te présente notre grande prêtresse en formation, Destiny Leroy.
Je me tournai aussitôt vers la voix et retins un sursaut en découvrant la première grande prêtresse rouge de l'histoire à quelques centimètres de moi à peine. Elle me souriait avec toute la bonté que lui prêtaient les manuels d'histoires et sa posture fière entretenait de profondes similitudes avec celle de Zoey. De loin, on les pensait jeunes puis, en les voyant de près, on comprenait qu'elles avaient déjà vécu très longtemps et qu'elles vivraient certainement plus que la majorité des vampires.
Soudain, je réalisai que je dévisageais insolemment une grande prêtresse et, les joues roses, j'inclinai profondément la tête, posant en toute hâte mon poing sur le cœur.
— Prêtresse Lucie, c'est un honneur de vous rencontrer.
Lucie gloussa et tendit la main. Je m'empressai de lui attraper l'avant-bras.
— Je suis enchantée de te connaître, Destiny. Je souhaiterais te présenter mon consort et combattant, Rephaïm.
Mon regard se posa sur l'homme qu'elle désignait, celui-là même qui l'accompagnait. Enfin, je compris qui il était – certainement pas un humain. Il me salua à son tour.
Lucie, suite à un discret signe de main, reprenait déjà, à l'intention de ses meilleures amies.
— Notre grande prêtresse en formation, Amalia.
La mignonne s'avança pour saluer respectueusement Zoey, Aphrodite et leurs combattants. Enfin, elle se tourna vers moi pour échanger un regard – et un sourire.
— Et Osher ? Cela fait si longtemps que je souhaite faire sa rencontre.
— Penses-tu que l'accueil de grandes prêtresses du monde entier puisse l'empêcher de dormir ?
Elles éclatèrent de rire, puis Lucie reprit :
— Nous sommes les premiers ?
— En effet, la plupart arriveront au cours des quatre prochains jours.
— Qu'en est-il de Shaunee, de Damien, de Shaylin ?
Zoey se contenta de pointer du doigt l'allée, qu'empruntait une autre voiture. Celle-ci ressemblait plus aux limousines de notre Maison de la Nuit qu'à la Ferrari ostentatoire de Lucie et se gara convenablement. Un chauffeur aux allures de Fils de Kalona ouvrit une portière et une chatte grâcieuse en sortit. Sur son crâne fin, tranchant avec son poil couleur de nuit, des taches blanches évoquaient un diadème. Deux vampires la suivirent sans se lâcher la main. Toutes deux arboraient un élégant tatouage rouge et ma première pensée fut que la beauté exceptionnelle de l'une se trouvait éclipsée par la puissance manifeste de l'autre. Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre laquelle était Shaylin.
Cette dernière salua avec simplicité ses collègues, puis nous scruta lorsque nos mentors nous présentèrent. Je ne voyais pas d'autre mot pour désigner l'intensité du regard qu'elle posait sur nous.
Elle esquissa finalement un petit sourire et, quand elle hocha la tête solennellement, j'entendis Lucie souffler profondément. Nous fîmes ensuite la connaissance d'Eva Elliott.
— Et si nous rentrions ? intervint Nicole. Le soleil se lève dans six minutes.
Tout le monde hocha la tête, sauf Aphrodite, qui déclara :
— Darius, pourrais-tu garer le bolide de Lucie et Rephaïm, je te prie ?
Le combattant acquiesça en récupérant les clés tendues par Rephaïm.
— Ne t'avise pas de l'abîmer ! le prévint celui-ci.
Sur ce, le petit groupe prit la direction du temple, Zoey leur ayant appris qu'ils y coucheraient.
— Le sous-sol comporte maintenant une demi-douzaine de chambres confortables, précisa-t-elle à l'intention de ses consœurs aux tatouages écarlates. Toutefois, Lucie, j'ai cru bon de t'installer à l'étage.
— Tu me connais trop bien, rit la prêtresse. D'ailleurs, il nous faut nous presser, si nous ne voulons pas que tu t'envoles, chéri.
Rephaïm leva les yeux au ciel et, sur ses paroles étranges, chacun s'engouffra dans le temple. Zoey me congédia d'un sourire et, en m'éloignant, je l'entendis expliquer que Damien arriverait dans la journée, tout comme Shaunee et Erik.
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— Sois bénie, Destiny.
— Soyez bénie, Maia.
Sur ma Marque, le pentagramme huileux picotait et comme toujours, je dus faire un effort de volonté pour ne pas me frotter le front tandis que j'attendais que mes trois camarades passent à leur tour. Ceci fait, nous nous mêlâmes à la foule réunie dans le parc. Au loin, j'aperçus le parking, à présent si plein que les prêtresses seraient contraintes de partir dans un ordre précis pour ne pas emboutir les véhicules de leurs consœurs.
— Jamais je n'aurais imaginé que tant de prêtresses viendraient, chuchota Ashlyn tandis que nous zigzaguions entre novices et vampires afin de gagner nos places.
J'acquiesçai d'un rapide mouvement du menton, avant de m'incliner devant Kramisha, grande prêtresse et prophétesse de Nyx. Elle ne me remarqua pas, trop occupée à appeler « Noor ». Vu la façon dont elle fixait le sol, je supposai qu'il devait s'agir de son animal.
— Je dirais même plus, reprit Hemera lorsque la prophétesse rouge se fut éloignée, je n'aurais jamais imaginé que tant de prêtresses existaient.
— Elles sont toutes célèbres, fit remarquer Sacha.
— Oui, mais quand on ne fait que rabâcher leurs noms, je trouve qu'on ne réalise pas vraiment. Alors que là…
Elle produisit un bruit de bouche impressionné.
— Carrément, acquiesça Ashlyn.
— Prêtresse.
Mes amis ouvrirent de grands yeux tandis que je répondais au respectueux salut d'un Fils de Kalona, envahie de sensations indéfinissables.
La semaine qui s'était écoulée avait bouleversé ma vie. Être présentée aux grandes figures de ce siècle et des précédents, être désignée comme l'avenir du peuple vampire, avait des conséquences nombreuses. Je commençais à concevoir ce qui m'attendait et, loin d'en être fière, j'étais terrifiée. Comment pourrais-je, moi, Destiny, supporter une telle pression ? Je n'étais qu'une adolescente exilée qui tentait encore de se remettre de sa fuite précipitée.
Le combattant s'éloigna et un instant de silence pétrifia notre groupe. Enfin, Ashlyn éclata de rire et, me bousculant légèrement pour me dépasser, commenta :
— Moi, ce qui me frappe le plus, c'est que dans un siècle, tu seras parmi elles, Destiny.
Les trois autres opinèrent en me jetant de longs regards admiratifs. Je détournai le mien, gênée… Et manquai foncer dans mon mentor.
— Ah, Destiny ! Je te cherchais. Pourrais-tu venir quelques instants ? J'aimerais te présenter quelqu'un…
Je saluai d'un geste de la main mes amis, avant de suivre Zoey. Même en évoluant au milieu de dizaines de grandes prêtresses, elle se démarquait, avec sa sagesse candide et sa longue robe miroitante qui dévoilait la plupart de ses tatouages saphir. Comme j'admirais sa toilette, elle me dit :
— J'aime beaucoup ta tenue, Destiny. C'est un excellent choix pour ton premier rituel sacré.
Je lissai d'une main nerveuse ma longue robe rouge.
— Merci. Je me suis demandé si ce n'était pas trop… ostentatoire.
Elle me gratifia d'un coup d'œil expert.
— C'est vrai qu'on te remarque, mais c'est une bonne chose.
Je hochai la tête – si elle le disait, cela ne pouvait qu'être vrai – et elle reporta son attention devant elle, un bref instant, avant de virer à droite. Je la suivis en continuant de saluer les prêtresses, si nombreuses que je ne parvenais pas à toutes les identifier. Elles semblaient avoir abandonné l'idée de rendre leur salut à tous.
— Ah, la voilà.
Sa remarque me poussa à m'interroger. Vers qui me menait-elle ? Quelle prêtresse pourrait souhaiter un entretien individuel, quelques minutes seulement avant le début du rituel, alors que j'étais disponible depuis plus d'une semaine ?
Il s'écoula encore un temps interminable avant que je n'aperçoive celle que Zoey voulait me présenter. Instantanément, mon souffle se coinça dans ma gorge.
— Enfin de retour, Zoey !
— Oui. Je voulais te présenter notre grande prêtresse en formation, Destiny Leroy. Destiny, je te présente la reine Sgiach.
Je m'inclinai aussitôt, le cœur battant à tout rompre. Je l'avais déjà vue, en photos dans mes manuels scolaires, ou encore lorsque j'approchais Zoey tandis qu'elle discutait par Webcam avec la reine guerrière. Ce qui ne m'empêcha pas de fondre sur place lorsque je me redressai et que je croisai son regard. Si Zoey était sage et âgée, Sgiach l'était au moins… vingt fois plus.
— Enchantée, jeune reine.
Sa voix profonde sonnait aussi posée que son allure. Intimidée à en devenir muette, j'inclinai la tête avec dévotion. Une petite voix dans ma tête s'interrogea sur ce titre dont elle me gratifiait.
Comme elle n'ajoutait rien, je me creusai la cervelle afin de trouver une parole réfléchie qui meublerait le silence sans me faire passer pour une idiote immature. En vain. Quant à Zoey, elle scannait le périmètre, sans doute à la recherche de Stark, d'Osher ou de Lucie.
— Je crois qu'il serait temps de se mettre en place, Zoey, annonça Aphrodite en surgissant à nos côtés. Bonjour, Sgiach, salua-t-elle ensuite avec simplicité.
« Merci déesse, » songeai-je, « je suis sauvée. »
Zoey pencha la tête sur le côté, avant d'approuver.
— Tu as raison. Il est l'heure. Pourrais-tu prévenir Damien et Shaylin ? Je me charge de Shaunee et Lucie. Tu peux rejoindre tes camarades, Destiny.
— D'accord.
Je m'inclinai face aux deux prêtresses.
— A bientôt, jeune reine, me salua Sgiach.
Tout en m'éloignant, je l'entendis appeler de même Zoey. Encore une preuve de sa renommée. Qui d'autre aurait l'audace d'appeler la plus grande prêtresse de tous les temps « jeune reine » ?
À présent, le cercle – incroyablement large – était constitué. Heureusement, Sacha, Hemera et Ashlyn m'avaient gardé une place. Sans faire attention aux regards qui suivaient mon élégante tenue écarlate, je m'installai entre Ashlyn et Sacha.
— Alors ?
— J'ai rencontré… Sgiach.
— Sgiach ? La Sgiach ?
— Mais… Mais elle ne quitte jamais son île…
— Comment c'est possible ?
Je me contentai de hocher la tête fébrilement, les yeux écarquillés et les membres frétillants. Je n'étais donc pas folle. Seule la situation l'était.
— Petite veinarde. Je donnerais tout pour ne serait-ce qu'apercevoir Sgiach en chair et en os. Et toi, tu lui es présentée personnellement par Zoey Rebird !
— Tout ? Ce ne serait pas encore assez. Cette femme est… mythique. D'ailleurs, comment elle est ?
J'hésitai, tentant de trouver les mots justes. Quelle image avait renvoyé Sgiach ?
— Elle est… normale, soufflai-je, surprise moi-même par ma constatation. Elle paraît sage et vieille, comme Zoey. En fait, je comprends enfin ce qu'elle veut dire quand elle affirme qu'elle considère Sgiach comme son modèle – après Nyx. Elles sont… du même acabit.
— Incroyable… souffla Alois.
— Et où est-elle, maintenant ? demanda Hemera.
— Je ne la vois pas… renchérit Ashlyn.
— Chut ! ça va commencer ! aboya Sacha.
En effet, les dernières prêtresses avaient gagné leur place – comme l'avait relevé Ashlyn, je n'aperçus nulle part Sgiach – et le silence s'était abattu sur l'assemblée.
Dans le ciel noir, dépourvu de tout nuage, la lune apparaissait, ronde, étincelante, magnifique. Alors, une douce mélodie, entêtante et sucrée, s'éleva. Elle ne semblait pas s'échapper d'un haut-parleur, mais plutôt de… de partout – et de nulle part. En un instant, le parc de la Maison de la Nuit de Tulsa se trouva saturé de magie.
De deux côtés opposés du cercle, deux danseurs s'élancèrent. Je n'eus aucun mal à les reconnaitre. Stark portait un kilt écossais et ses tatouages écarlates scintillaient sous les rayons lunaires. Zoey se révélait plus gracieuse que jamais et, avec sa robe noire aux reflets de nuit, elle semblait plus qu'humaine, un être de pure énergie communiant avec le cosmos.
Ils parvinrent finalement au centre du cercle. Là, sur une table recouverte d'une nappe argentée, cinq bougies colorées, une boîte d'allumettes de rituel, un couteau au manche en os ainsi que des calices d'argent attendaient. La musique s'amplifia, bientôt rejointe par la voix puissante de Zoey Redbird, presque irréelle, vibrante de son amour pour la déesse.
— Enfants de Nyx, soyez les bienvenus au rituel divin de la pleine lune, béni par la déesse.
— Joyeuses retrouvailles ! scanda le reste du cercle.
Il me sembla que ma voix portait plus loin que celle de mes camarades. Mon corps était parcouru de frissons.
Stark passa à Zoey la bougie jaune ainsi qu'une allumette et elle virevolta jusqu'à l'extrémité est du cercle. Un vampire – un vampire mâle – s'avança légèrement et je retins mon souffle en comprenant de qui il s'agissait. Damien, le seul vampire membre d'un Conseil Supérieur.
Il attrapa la bougie que Zoey lui tendait. Tous, nous pivotâmes en direction de l'est.
— A l'est, j'appelle l'air, et lui demande de souffler sur notre cercle afin d'éveiller nos sens et de nous octroyer un nouveau siècle de liberté, entonna Zoey.
Elle alluma la bougie, que Damien dressa au-dessus de sa tête. Les cheveux des deux vampires se soulevèrent pareillement et je fermai les yeux pour apprécier la vague d'énergie qui n'allait pas tarder à me traverser. Elle fut plus puissante que jamais, fouettant mon visage, s'engouffrant sous mes vêtements et ébouriffant mes mèches blondes.
J'ignore comment Zoey avait fait pour récupérer la bougie rouge des mains de Stark, près de la table, avant de s'approcher du sud, tout cela en si peu de temps mais, déjà, elle reprenait, d'une voix encore magnifiée. Je me tournai aussitôt vers le sud.
— Au sud, j'appelle le feu, et lui demande d'éclairer notre cercle afin d'attiser nos valeurs et de nous accorder un nouveau siècle de réussite.
Du coin de l'œil, j'observai la manière dont la bougie s'alluma de sa propre volonté, éclairant les visages lumineux de Zoey et Shaunee. Tout à coup, des craquements et des feulements s'élevèrent du centre du cercle. Sous les regards stupéfaits de tous, des flammes vinrent lécher la pelouse.
Ma température interne grimpa de plusieurs degrés et mon front se couvrit de sueur. Suivant mon instinct, j'obliquai vers l'ouest.
— A l'ouest, j'appelle l'eau, et lui demande de laver notre cercle afin de diluer nos peines et de nous offrir un nouveau siècle de joie.
Perdue dans mes sensations, je ne vis pas Shaylin et Zoey allumer la bougie bleue. Mes paupières s'ouvrirent toutefois bien vite, tandis que des exclamations surprises s'élevaient. Fascinée, je tendis mon nez vers le ciel, avide de sentir y échouer quelques gouttes de cette averse inespérée.
Avec naturel, je me tournai alors vers le nord.
— Au nord, j'appelle la terre, et lui demande de soutenir notre cercle afin de nourrir notre équilibre intérieur et de nous apporter un nouveau siècle de paix.
Je devinai que la bougie avait été allumée car, soudain, la terre d'Oklahoma trembla sous mes genoux de toute sa puissance. La douceur de l'herbe printanière et l'odeur familière des arbres du parc vibrèrent en moi tandis que des fleurs parfumées s'épanouissaient entre les flammèches écarlates.
Enfin, je reportai mon attention vers l'autel. Zoey s'y trouvait déjà, la bougie violette dans une main, l'allumette dans l'autre.
Autour d'elle, séparant son cercle des spectateurs, un délicat fil argenté courait de Damien à Shaunee, de Shaunee à Shaylin, de Shaylin à Lucie, de Lucie à Damien.
— Enfin, j'appelle l'Esprit, et lui demande de fortifier notre cercle afin de consolider notre lien avec notre déesse, Nyx, et de nous adresser un nouveau siècle de grandeur.
La mèche de la bougie s'enflamma, grimpant à plusieurs dizaines de centimètres et Zoey se mit à luire : une lumière argentée semblait s'être allumée sous sa peau et gagnait progressivement en éclat.
Les yeux écarquillés, je remarquai que le même phénomène se produisait chez les autres. Damien brillait d'un éclat jaune. Shaunee flamboyait d'un éclat rouge. Shaylin miroitait d'un éclat bleu. Lucie chatoyait d'un éclat vert.
Autour d'eux, les éléments s'agitèrent encore. Les fleurs poussèrent, les flammes grandirent, le vent s'aviva, la pluie redoubla d'intensité, mais surtout, une paix infinie tomba sur l'assemblée.
Zoey, étincelante, se dressa sur la pointe des pieds lorsqu'elle leva sa bougie, comme si elle souhaitait l'offrir à la lune… et celle-ci, acceptant son présent, donna à la flamme une étrange et splendide couleur argentée.
— En cette chaude nuit de pleine lune, nous te remercions, Nyx, pour le siècle qui nous a vu nous épanouir et celui qui nous permettra d'atteindre de nouveaux sommets. Car tout n'est que contraste et évolution, et celui qui nait meurt, et celui qui meurt a grandi. En cette chaude nuit de pleine lune, nous te prions, Nyx, d'exaucer notre vœu le plus cher.
Elle se tut et je sus ce qu'elle attendait, ce qu'elle faisait peut-être elle-même. Elle nous laissait l'opportunité d'envoyer notre prière à notre déesse.
« S'il te plaît, Nyx, aide-moi à perfectionner les dons que tu m'as accordé et à les utiliser avec sagesse et bienveillance jusqu'à ce que je te rejoigne. »
Je rouvris les yeux, souriante. Trois ans que je faisais la même prière. Cela ne me posait aucun problème, et je n'imaginais pas que celui puisse en poser à ma déesse. Elle était toujours là, murmure merveilleux dans un coin de mon esprit, au fond de mon cœur, prête à me guider et à me renforcer.
Un instant plus tard, Zoey poursuivait son discours, d'une voix plus douce, mais qui nous permettait encore et toujours de réaliser qui lui soufflait les mots justes.
— Voici venu le temps de la pleine lune, voici venu le temps du rituel sacré. Tous ensemble, volons avec l'air…
Elle se tourna vers l'est. La brise s'anima fougueusement.
— Enflammons-nous avec le feu… Voguons avec l'eau… Grandissons avec la terre… Et purifions-nous avec l'esprit.
Elle attrapa le couteau par son manche en os blanc, prit la main de Stark et rapprocha le premier de la seconde.
— Notre cercle te remercie pour ton sacrifice, annonça-t-elle en posant la lame sur la paume de son combattant. Sois béni.
— Soyez bénie, répéta-t-il.
Il ne grimaça même pas lorsqu'elle lui ouvrit la paume. Puis elle plaça celle-ci au-dessus d'un des calices dans lequel tomba quelques gouttes de sang. Elle répéta l'opération avec chacune des coupes, remplies préalablement de vin.
Zoey se saisit de l'une d'elle et le porta à ses lèvres, avant de la tendre à son compagnon. Le regard plongé dans celui de sa prêtresse, Stark s'abreuva à son tour.
Quand il s'écarta, Damien, Shaunee, Shaylin et Lucie s'approchèrent. À chacun, Zoey tendit un calice dans lequel ils burent et les bénit. Enfin, ils s'approchèrent tous les cinq des spectateurs, accordant une gorgée à tous.
À l'exception des prêtresses vieilles de plus d'un siècle, nul n'avait assisté à cette cérémonie. Amusée, je remarquai que certaines des prêtresses qui m'avaient été présentées comme brillantes et respectables affichaient le même air ravi et déconcerté que les novices de première année.
Puis Zoey se dressa devant moi pour me tendre le calice. Ses prunelles étaient embrumées, comme si elle ne se trouvait qu'à moitié sur terre, comme si son âme était en ce moment dans le royaume de Nyx, au côté de la déesse… et peut-être était-ce le cas. En tout cas, son regard était empreint d'une sagesse infinie et je compris qu'il me faudrait des années encore pour saisir ce que signifiait être grande prêtresse de Nyx.
— Sois bénie, Destiny.
— Soyez bénie.
Tandis que je saisissais la coupe entre mes deux mains, nos voix, si semblables, enflammées par la volonté d'une même déesse, résonnaient encore à mes oreilles. Le mélange de sang et de vin se révéla tiède, doux et épicé. Une gorgée attisa ma soif et je compris que j'allais certainement boire plus que de l'eau, lors du buffet offert après le rituel.
Déjà, malgré notre grand nombre, les calices étaient rapportés et Zoey reprenait.
— Savourez le renouveau du siècle à venir, sans sacrifier vos apprentissages passés. L'évolution est un don de notre déesse, Nyx. Pour la prier, nous avons ouvert ce cercle et pour la remercier, nous le fermons maintenant afin de profiter de l'avenir resplendissant qu'elle nous offre.
Elle récupéra sa bougie sur l'autel. La flamme en était toujours argentée.
— Esprit, je te remercie de nous avoir fortifié. Tu peux nous quitter, à présent.
Elle souffla sur la flamme et je sentis à regret l'Esprit s'effacer. Il n'avait pas disparu, non, il s'était simplement assoupi pour un nouveau siècle.
Le volume de la musique s'atténua. Zoey passa la bougie éteinte à Stark, qui la posa lui-même sur la table, à côté des calices. Ensuite, toujours dansant, tous deux se dirigèrent vers Lucie. Les quatre bougies furent soufflées ainsi et, tandis que Stark replaçait la bougie jaune sur la table, la mélodie s'éteignit tout à fait. La voix de Zoey était néanmoins toujours baignée de la puissance de sa déesse lorsqu'elle conclut le rituel.
— Joyeuses retrouvailles, joyeuse séparation, et au plaisir de se retrouver à nouveau.
— Joyeuses retrouvailles, joyeuse séparation, et au plaisir de se retrouver à nouveau, répétâmes-nous en cœur.
— Soyez tous bénis !
Les spectateurs lui répondirent avec révérence avant de se lever, les jambes parcourues de fourmis et le ventre gargouillant.
L'atmosphère magique du rituel, si elle emplissait encore tous les vampires d'un bien-être nouveau, laissa place à une ambiance bonne-enfant. J'entendis la voix de Mme Doner, ma professeure de dessin, annoncer que le buffet serait servi dans la cafétéria. Je savais, pour avoir aidé à la décoration, que les baies vitrées avaient été ouvertes, de façon à laisser libre choix aux invités de manger à l'intérieur ou à l'extérieur.
— Destiny ! Tu rêves ?
Je relevai la tête, croisant le regard exaspéré d'Ashlyn.
— Pardon, oui, qu'est-ce qu'il y a ?
— J'ai faim.
Elle me tendit les mains et je les attrapai, avant de pousser sur mes jambes. Me voilà debout !
— Dis plutôt que tu as soif, ricana Hemera en donnant un coup de coude entendu à Alois.
Sacha leur jeta un regard sévère, mécontent de la voir traiter avec tant d'insouciance un besoin qui touchait à présent la plupart d'entre nous. Beaucoup le traitaient de problème. Ashlyn ne cachait pas sa jalousie envers Hemera, qui se contentait pour le moment d'eau et de vin. Quant à Sacha, il peinait encore à parler ouvertement de sang. Personnellement, ça ne me dérangeait plus depuis que Zoey m'avait parlé de sa propre soif, déclenchée quelques mois plus tôt que moi, à peine.
— Moi, ce que je pense, c'est que je vais prendre un grand verre de sang chocolaaaaah !
Tandis que je m'effondrais, les mains crispées contre mes tempes, j'entendis vaguement mes amis piailler de terreur.
— A l'aide ! Au secours !
— Nee, Nee, réponds-moi ! Qu'est-ce qu'il y a ?
— Non, non ! Tu n'as pas le droit de me faire ça ! On va bientôt finir nos études ! On ne peut pas se lâcher maintenant !
J'aurais voulu les rassurer, mais je ne pouvais que hurler et pleurer. La souffrance, la terreur, l'incompréhension s'agitaient en moi, annihilant toute réflexion et me coupant de la réalité.
J'aurais voulu mourir et je crus d'ailleurs que c'était ce qui se produisait. Pourtant, il ne resta soudain qu'une sorte de grésillement persistant. À côté des sifflements douloureux qui me perçaient les oreilles la seconde précédente, ça équivalait à être totalement rétabli.
Je revins doucement à la conscience. Ashlyn était là, à genoux devant moi, ses bras serrant sa poitrine pour ne pas craquer, les joues dégoulinantes de larmes. Sacha, Alois et Hemera étaient serrés derrière elle, l'air quelque peu choqués. Et une nuée de vampires, combattants, novices et prêtresses confondus, m'observaient avec des yeux inquiets, Zoey en premier plan. Dès que je relevai la tête, cependant, son visage s'illumina et son regard s'embrasa d'une lueur fière.
— Que… Qu'est-ce qu'il… s'est passé… ?
Mon mentor m'adressa son sourire tendre habituel et mon inquiétude fondit comme neige au soleil.
— Tout va bien. Tu as achevé ta Transformation.
Je ne compris pas tout de suite.
— Quoi ? Comment ça ?
Elle n'eut pas le temps de me répondre. Une main tremblante apparut soudain dans mon champ de vision et j'esquissai un mouvement de recul. Je réalisai alors qu'il s'agissait de la main d'Ashlyn et la laissai frôler mon croissant de son index, puis caresser ma tempe droite et, enfin, s'arrêter sur ma pommette.
— C'est… elle est si belle.
Alors, je réalisai.
— J'ai… J'ai vraiment… balbutiai-je en plaquant à mon tour une main sur mon front douloureux.
Zoey hocha la tête, visiblement très émue, de même que mes quatre amis.
— Passe-lui un de tes miroirs, dit un vampire en arrière-plan.
Il y eut un bruit de fermeture éclair, puis d'une main farfouillant dans un sac rempli de chenils. Enfin, un petit miroir de poche fut passé d'un rang à l'autre jusqu'à être donné à Zoey, qui me le tendit. Ma main tremblait lorsque je l'attrapai.
— Oh !
Partant de mon front, le cycle scintillant d'une lune couleur saphir. Mon souffle se bloqua dans ma gorge. Incapable d'en croire mes yeux, je me pinçai le bras, fort. Mais je ne me réveillai pas, et elle était toujours là. La preuve que ma déesse m'assiste et me protège, encore et toujours, et pour plusieurs siècles. Je clignai des paupières. Deux larmes s'échappèrent d'un même mouvement, glissant sur les pleines lunes ornant mes pommettes comme si elles avaient toujours été là.
« Elles font partie de moi. Elles ont toujours fait partie de moi. »
Je l'entendis à cet instant, la voix. Elle n'avait jamais été si enchanteresse, si encourageante, si aimante… si proche. Comme si elle était là, derrière moi, soufflant au creux de mon oreille.
« Sois bénie, Destiny Leroy. »
Et voilà ! J'espère que vous avez pris plaisir à lire. Que ce soit le cas ou pas, une petite review me fait toujours plaisir.
Il est à noter que le « Nee » utilisé par Ashlyn est un diminutif de Destiny. Normalement, j'aurais dû l'écrire « Ny », mais je trouvais le surnom plus joli orthographié ainsi… Je suis trop influencée par les anime que je regarde, il faut croire ^^.
Bonne soirée à toutes !
C.
