Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas, ils sont la propriété du MCU et de la mythologie.

Note : Ce two shot se place entre les chapitres 4 et 6 de ma fic Floraison mais il peut se lire seul puisqu'il ne fait pas référence à la fic principale. Il faut seulement savoir que Thanos est dans sa quête des pierres et que Marc Spector est déjà l'avatar de Khonshu.

Note bis : Si vous trouvez que la mythologie grecque peut être compliquée dans sa généalogie à cause des sources diverses, je peux vous assurer que c'est presque pire chez les Égyptiens parce que les dieux ont aussi une généalogie très variée en fonction des auteurs. Pour cet fic, j'ai choisi la version dans laquelle Anubis est le fils d'Osiris et Nephtys, et donc demi-frère d'Horus.

Je ne suis pas historienne, ni historienne de l'art ou des religions, je me base sur mes connaissances et mes recherches.


Fanaison - Anubis


Apparaissant en haut de l'un des multiples immeubles de New York, Anubis observe la fourmilière qu'est la ville américaine. Les gens vont et viennent entre les rues, vaquent à leurs occupations, oublient que le monde qui les entoure n'est qu'un écran de fumée face à la réalité. Avec un brin d'incompréhension, le dieu se demande de quelle manière tous ces mortels peuvent poursuivre leur existence alors qu'ils ont vécu une tentative d'invasion de la part des Chitauris. À leur place, il se poserait mille et une questions sur l'univers, sur les autres formes de conscience, et sur les risques d'une attaque de plus grande ampleur. Sans compter la fragilité de leur vie, si légère et si facile à briser, comme il l'observe tous les jours dans la Douât où les âmes errent avec des regrets ou de la colère – ou pour celles qui se reposent dans les champs des roseaux, avec une immense sérénité.

Son regard canin se pose sur le ciel, encore pâle des lueurs du petit matin. Cachée derrière la lumière matinale qui s'élève, la lune s'estompe, pour laisser la place à un nouveau jour. Anubis n'est pas à son aise, sans pouvoir savoir exactement pour quelle raison. Un étrange pressentiment enserre son cœur divin depuis plusieurs heures, il a perçu une certaine agitation dans la Douât, ce qui n'est pas habituel. Certes, les âmes qui ont subi un jugement négatif ne sont jamais en paix, remplies de tant d'émotions ingérables, mais jamais encore le psychopompe n'a eu à affronter une telle effervescence. Il craint ces événements que Khonshu a annoncés quelques semaines plus tôt, cet avenir de mort qui s'écrit en lettres d'or sur le ciel, ce futur si violent pour l'humanité. Il espère que Thot, son ami le plus sage parmi les dieux, saura lui en apprendre plus sur les visions inscrites dans les étoiles.

Comme répondant à son appel silencieux, un ibis noir et blanc survole les toits en douceur puis plane lentement jusqu'à lui avant d'arrêter son vol à quelques pas, repliant ses ailes. Une aura couleur bronze entoure l'animal tandis que sa silhouette change, prenant une dimension plus importante. Les pattes se muent en jambes, les plumes en bras de chair, le corps en un torse fin couvert d'un pectoral polychrome. Seule la tête d'ibis demeure identique, quoiqu'un peu plus grande, adaptée aux nouvelles proportions de l'être qui vient de s'incarner.

« Je ne m'attendais pas à te trouver ici, remarque Thot, je te pensais dans la Douât.

— Je n'y étais plus à mon aise, les âmes s'agitent, répond le psychopompe. Je redoute la signification d'un tel changement, la dernière fois … »

Il n'a pas besoin de terminer sa phrase pour que le dieu de la sagesse le comprenne. Plusieurs siècles plus tôt, à une époque où l'Ennéade comptait bien plus de membres, un trouble s'est saisi de la Douât. Ammit, la grande dévoreuse, a dû être enfermée dans un ouchebti pour garantir la survie de l'humanité, suivant ainsi le chemin d'autres divinités piégées dans leurs statues de pierre. Si la déesse n'est pas à craindre, car dissimulée à l'abri des regards dans un lieu secret que même les dieux ne connaissent pas, Anubis a cependant peur du présage annoncé par le caractère soudain furieux des âmes damnées. Que pourrait-il leur arriver de pire que la folie de l'une des leurs ? Quelle catastrophe serait assez violente pour être perçue par les esprits des morts dans un monde tel que la Douât ?

Semblant suivre ses pensées, Thot lui confirme cette impression grandissante de l'imminence d'un danger des plus inattendus. Anubis aurait préféré apprendre que Khonshu s'est trompé dans sa lecture des signes, qu'il n'y a rien en approche, que le monde va continuer sa course folle sans encombre. S'il y a eu des événements néfastes – les guerres, autrefois et encore maintenant – les dieux n'en ont pas subi les retombées car seuls les mortels sont concernés par tous ces conflits, sans dépasser les limites de l'humanité. Cette fois, la menace vient de l'extérieur, de Thanos, des pierres de l'infini, et le résultat n'en sera que plus destructeur, pire encore que lors de l'invasion de New York, six ans plus tôt. À l'époque où le Titan a envoyé quelques-unes de ses troupes, il ne possédait pas l'une ou l'autre des gemmes, et les Avengers suffisaient pour le repousser.

« Le destin s'est transformé, lui avoue le dieu de l'écriture après une courte hésitation. Ce que nous pensions immuable ne l'est plus, l'avenir que je voyais il y a encore plusieurs mois s'est déjà changé pour nous délivrer un autre message. Certains des nôtres vont au-devant de grands ennuis, notre immortalité n'est plus d'un grand secours.

— Khonshu a vu une perte pour l'humanité mais pas notre implication dans ce conflit.

— Dis-lui de relire les astres et il verra que son interprétation est désormais erronée. J'étais le dieu de la lune avant lui, je suis celui de la sagesse désormais, et je reconnais ce que le ciel m'apprend. Khonshu a lu les signes alors même que Thanos n'avait entre ses mains aucune des pierres de l'infini mais le Titan tient entre ses doigts celle de la réalité. Il ne s'est pas contenté d'obtenir du pouvoir, il a modifié l'avenir, et le nôtre y est lié. Demain … demain aura lieu l'impensable. »

Anubis se retient de disparaître pour fuir au loin. Il n'est pas lâche et ne l'a jamais été mais la pensée de subir bientôt une catastrophe capable de briser des dieux est en train de l'angoisser. Il pourrait y trouver un drôle de paradoxe, il est tout de même le dieu protecteur des morts, celui qui guide les âmes des défunts à travers la Douât, celui qui veille au bon respect du jugement, mais il en a peur. Parce qu'il sait sans peine que le trépas d'un dieu ne sera pas comparable à celui d'un mortel, nulle place n'existe pour eux parce qu'ils sont dépourvus d'une âme véritable et qu'ils cesseront tout simplement d'exister.

« Il faut prévenir l'Ennéade, déclare finalement le psychopompe en repoussant l'insidieuse crainte qui serpente en lui. Peut-être aurions-nous une chance contre Thanos, nous sommes assez nombreux et puissants pour …

— Anubis, les autres ne vont pas s'inquiéter pour l'humanité. Les vies humaines passent comme les grains de sable, elles s'écoulent sans que nous puissions les retenir et d'autres viennent prendre leur place. Que veux-tu que l'Ennéade fasse ?

— Si leur propre existence est en danger, ils agiront. »

L'expression presque méprisante qui se peint sur les traits du dieu ibis suffit à Anubis pour comprendre ce qu'il ressent. Autrefois, l'Ennéade ne comptait que neuf membres, les autres dieux gravitaient autour d'eux sans pour autant s'inclure dans ce conseil suprême puis des dissensions ont éclaté, des alliances se sont formées et le panthéon tout entier en a payé le prix. Le psychopompe se souvient d'une époque où le conseil des dieux se réunissait dans la Grande Pyramide avec un faste inégalé, couvrant les lieux de statues gigantesques à leurs effigies. Ils étaient si nombreux que la pièce paraissait petite, autrefois, mais désormais, elle est presque vide, immense, tant les leurs ont été persécutés. Sobek le premier a fini enfermé dans un ouchebti, pour trahison, puis d'autres ont suivi – et ils portent encore tous le poids de ce châtiment qui peut s'abattre sur eux en un instant.

Thot lui conseille de ne pas accorder toute sa confiance à l'Ennéade, car Horus et Osiris se complaisent dans leur existence et ne prendront aucune décision pour donner un coup de main à cette humanité en péril. Anubis entend le trémolo dans la voix du dieu de la sagesse, il devine un chagrin latent et se demande alors quelle raison pousse son ami à tant vouloir aider le monde des mortels. L'inventeur de l'écriture lui avoue être attaché plus que jamais à ces humains si fragiles et, en percevant la mélancolie dans ses paroles, le psychopompe comprend les mots qui ne sont pas prononcés. Thot a son cœur prisonnier d'un sentiment des plus doux mais seule la douleur l'attend au bout du chemin ; aimer quelqu'un chez les mortels, pour un dieu, revient à s'éprendre d'une image fugace, une âme que le temps emporte si vite. Plus d'un se sont risqués à aimer des humains, et plus d'un ont eu à porter des deuils que l'immortalité elle-même n'apaise pas.

« La moitié de l'univers va disparaître, soupire Thot. Et je suis tombé amoureux d'une femme qui s'effacera au claquement de doigts de Thanos. Je connais le nom de tous ceux qui subiront cet effet, et crois-moi, pour la première fois, je préfèrerais être dans l'ignorance du cours du monde.

— Mon père le sait, n'est-ce pas ? s'enquiert Anubis. Que tu as des sentiments pour une mortelle et que tu vas la perdre ?

— Osiris n'a pas ce niveau de connaissance, il est bien plus occupé à guetter le moindre mouvement des avatars successifs de Khonshu. Je te mets en garde pour cette raison, Anubis. L'Ennéade ne fera rien pour changer les événements à venir et … et je crains que cet immobilisme ne mène ton ami à la déraison. »

Sur ces paroles sibyllines, Thot reprend son apparence d'ibis aux plumes noires et blanches, battant puissamment des ailes avant de s'envoler, laissant le psychopompe seul et désemparé. Il aurait voulu en apprendre plus et non pas entendre des sentences aussi hermétiques. En un sens, il sait depuis longtemps que l'Ennéade a perdu de sa superbe mais il n'ignore pas non plus que, jusqu'à présent, Khonshu est parvenu à se tenir pour ne pas subir la colère d'Horus. Il a prévenu tant de fois son ami en lui conseillant d'être prudent, de choisir ses avatars avec parcimonie – Arthur Harrow a sans doute été une erreur que le dieu de la lune regrette encore – et de ne pas être soumis à ses émotions les plus noires. Il s'inquiète de savoir désormais que Khonshu risque de dépasser les limites – et intérieurement, il craint aussi de comprendre un sous-entendu plutôt effrayant dans les paroles de Thot. Car si son ami cède, alors cela signifie que lui, le dieu des morts, n'aura pas su le tempérer, ou n'aura pas pu le faire.

Malgré l'avertissement du dieu de la sagesse, Anubis ne peut se contenter d'attendre. Il plonge son esprit dans la Douât, en ressent les fils qui relient ce monde à celui des vivants puis délivre un message à Osiris et à Isis, quémandant la réunion du Conseil de l'Ennéade afin d'intervenir dans le conflit qui les menace. En un clin d'œil, il a quitté New York pour se rendre au Caire, traversant ensuite le voile qui sépare le monde des mortels de celui des dieux. Ses pas le mènent jusqu'à la salle du Conseil de l'Ennéade, dans la Grande Pyramide, où se tient Osiris sous sa forme divine, sans son avatar. Aucun autre dieu n'est là, surprenant Anubis qui se demande un instant si son appel à l'aide a été entendu par l'Ennéade ou seulement par le souverain du royaume des morts.

« Ton amitié avec Khonshu commence à déteindre sur tes réactions, lui annonce Osiris en dardant sur lui un regard mécontent. Nous n'intervenons pas personnellement dans le domaine terrestre.

— La catastrophe qui arrive ne touchera pas que les mortels, réplique le psychopompe avec prudence. »

Il sait que les dieux ont tendance à croire en une immortalité des plus éternelles, comme si rien ne pouvait leur faire de mal ou les anéantir. Peut-être leur forme divine est-elle assez forte pour supporter des blessures des plus violentes mais leur âme n'est pas aussi immuable. Ceux d'entre eux piégés dans les ouchebtis connaissent déjà une limite à leur existence, ils ne sont que des pensées enfermées dans une coquille de pierre sans avoir la possibilité de briser cette cage. En notant le dédain dans les yeux de son père, Anubis devine que ses propos ne trouveront aucune oreille attentive parmi les dieux – en tout cas, pas parmi ceux-là, pas parmi ce qu'il reste de l'Ennéade. Khonshu l'a pourtant prévenu et Thot a aussi essayé de le mettre en garde mais il a cru, un peu naïvement, qu'il réussirait à passer outre l'ego démesuré de ses semblables.

Osiris s'apaise, ses yeux hétérochromes – l'un bleu et l'autre vert – semblent à la fois observer les lieux et se perdre dans un ailleurs qui ne leur est pas accessible. Anubis attend avec patience, conscient de la difficulté que son père a à se stabiliser dans le monde terrestre alors que son énergie n'est liée désormais qu'au royaume des morts. Ils ont les mêmes ancrages dans la Douât, à la différence que le psychopompe remonte de temps à autre chez les mortels pour s'enquérir des changements ou pour retrouver la trace de Khonshu. Mais il préfère assurer à ses pairs qu'il ne cède qu'à une certaine curiosité personnelle, plutôt que d'avouer à quel point il apprécie tous ces instants auprès de son ami.

« Tu sais ce que dirait ton frère, remarque Osiris.

— Nous n'avons pas abandonné l'humanité, c'est elle qui a choisi de nous abandonner. »

Anubis connaît très bien le point de vue d'Horus sur ce sujet, bien qu'il ne le partage en rien. Son demi-frère estime que les mortels peuvent bien se passer de la présence de leurs divinités puisqu'ils ont fini par délaisser les cultes et les prières afin de se consacrer à leur propre existence, sans se préoccuper du domaine des dieux. Le psychopompe suppose, pour sa part, que les humains ont choisi de ne plus croire parce qu'ils n'étaient plus soutenus. Combien de fois les braséros ont-ils brûlé dans une demande de protection qui n'est jamais venue ? Combien de fois des mères ont-elles pleuré leurs enfants car aucun dieu n'avait l'âme assez bonne pour empêcher leur vie de s'éteindre ? Combien de fois les récoltes ont-elles dépéri sous la brûlure du soleil et les affres du vent sableux parce que nulle divinité ne souhaitait faire face à l'amusement de Seth ?

D'un geste de la main, Osiris l'invite à le suivre, abandonnant la salle du Conseil pour emprunter un couloir descendant. Comme à chaque fois qu'il est présent au sein de la Grande Pyramide, Anubis contemple ces lieux inviolés par la main de l'homme. Décennie après décennie, les mortels ont tenté de percer les secrets de la Grande Pyramide, en bâtissant mille et une hypothèses invraisemblables. Grâce à la magie de l'Ennéade, de nombreuses pièces sont cachées aux yeux des humains, ne leur révélant que de rares endroits comme la chambre funéraire du roi ou la grande galerie. Le reste n'est qu'ombres ou pierres sur les technologies modernes, et cela vaut mieux étant donnée l'importance de ce qui se trouve à l'intérieur.

Père et fils parviennent à la salle où sont entreposés les ouchebtis de leurs semblables prisonniers pour l'éternité dans un corps de pierre. Anubis contemple avec tristesse le nombre de dieux enfermés, son regard suivant les multiples statuettes, en commençant par celle de Sobek, le premier parmi eux à avoir subi ce sort peu enviable. Ce qui n'était qu'un acte isolé plusieurs millénaires plus tôt s'est transformé en une punition que l'Ennéade n'hésite plus à administrer aux récalcitrants.

« Il m'arrive d'avoir l'impression de les entendre, par moments, souffle le psychopompe. Comme si … comme s'ils tentaient de communiquer avec moi.

— Tu te sens coupable de leur état, comprend son père avec une moue ennuyée. Mais tu n'as rien à te reprocher, ils ont choisi seuls de se rebeller contre l'ordre. Tu ne peux pas obliger tes pairs à devenir ce qu'ils ne sont pas, aucun d'entre eux. Khonshu …

— Khonshu n'est pas responsable de mon appel. J'ai eu une discussion avec Thot et …

— Ce vieil oiseau n'est pas plus capable d'interpréter les présages que ton ami. Ils estiment que leur lien avec la lune les aide à lire le ciel mais nous ne dépendons pas des phénomènes mortels. »

Une vague de déception s'écrase sur Anubis à l'entente d'un tel dédain. Osiris est tant attaché à la Douât, au domaine des morts et à son histoire qu'il en oublie que les dieux ne sont pas des êtres d'éternité. Il a connu le démembrement et la momification, le retour à la vie, la possibilité de régner sur le royaume des morts en étant désormais un être plus sage. Cependant, aux yeux du psychopompe, il n'est qu'un dieu comme les autres, rempli d'un orgueil démesuré qui les conduira à leur perte.

« Fais attention à toi, Anubis, le prévient son père. Horus pourra fermer l'œil sur tes agissements puisque tu es son frère mais ne le tente pas.

— Je ne suis que son demi-frère, rappelle le dieu chacal en esquissant un sourire amer. Et je me soumettrai au jugement des dieux de la même manière que n'importe lequel d'entre nous.

— Dans ce cas, essaye de ne pas suivre la voie de ton si cher ami. Je ne tiens pas à déposer ton ouchebti ici mais je le ferai si tu désobéis effrontément à nos lois. »

Accompagné d'une lueur verdâtre, Osiris disparaît, laissant seul son fils face aux ouchebtis qui paraissent si ternes. Il murmure quelques paroles d'excuses à destination des statuettes, sans savoir si elles peuvent l'entendre ou non, espérant secrètement que ce soit le cas. Il leur promet de trouver une solution pour qu'ils puissent reprendre leur place dans l'Ennéade – en soit, il suffirait de briser chaque ouchebti pour délivrer le dieu ou la déesse qui s'y trouve mais ce serait une violation de la volonté d'Horus et d'Osiris, ce qui ne ferait qu'aggraver le cas de chacun d'entre eux. Anubis veut que justice soit rendue d'une manière plus équilibrée, avec des peines adaptées aux actes, et non un emprisonnement hâtif pour la moindre contrariété. Il revient sur ses pas, rejoignant la salle du Conseil de l'Ennéade avant de retourner du côté des vivants, à New York.

Si rien ne semble avoir changé depuis qu'il a discuté avec Thot, il sent dans l'air une vibration infime mais perturbante. La menace est toujours là, invisible, déroutante, et aucun des dieux n'accepte de répondre à son appel au secours. Un éclair argenté traverse le ciel puis s'abat à côté de lui, révélant la longue silhouette squelettique de Khonshu qui se forme, auréolée de lumière lunaire. Un vif soulagement étreint Anubis lorsqu'il constate qu'il y a au moins une personne pour prendre au sérieux ses avertissements, bien qu'il sache depuis longtemps qu'il peut compter sur son ami. Ami, le mot est trop faible pour exprimer l'ambiguïté de leur relation, elle qui vacille en permanence sur un flot d'émotions qu'aucun des deux ne souhaite réellement définir.

« Thanos approche, souffle le psychopompe.

— Et il réussira, confirme le dieu de la lune. Tant de vies vont disparaître, pour mieux revenir.

— Tu sembles sûr de toi, Khonshu. Thot prétend que l'humanité ne se relèvera pas. »

Il lit un agacement certain dans la posture de son ami, devinant la frustration qu'il éprouve à chaque fois que ses jugements sont remis en cause. Mais cette fois-ci, Anubis doit lui dire qu'il ressent l'imminence d'un mal profond, plus destructeur que jamais. Jamais encore les dieux n'ont eu à subir un tel événement, et il sait que les actes du Titan fou ne seront pas qu'un simple coup de vent dans leur existence immortelle.

« J'ai vu le message dans les étoiles, reprend Khonshu sur un ton irrité, et j'ai perçu l'avenir. Dans cinq ans, ils reviendront tous. Tous plus déterminés à exterminer Thanos.

— Rien n'est écrit à l'avance, leurs choix s'opposent au destin. Tu aimerais tout contrôler et protéger ce monde mais nous ne pourrons rien faire, y compris toi. Leurs chemins sont nombreux, nous ignorons lequel ils emprunteront.

— Je ne t'ai jamais vu aussi défaitiste. Qu'as-tu lu dans le ciel pour être aussi pessimiste, Anubis ? »

Le psychopompe s'apprête à répondre lorsque les nuages au-dessus de leur tête semblent devenir plus lourds, chargés d'obscurité. Traversant l'atmosphère, un vaisseau extraterrestre apparaît aux yeux de tous, entraînant des réactions en cascade. Sans doute agités par les troubles du passé, plusieurs mortels abandonnent déjà leurs véhicules en hurlant que l'invasion recommence, délaissant voitures, bus et sacs dans les rues. Quelques-uns, curieux de voir de quelle manière l'événement va se dérouler, sortent leurs téléphones afin de filmer la scène, commentant allégrement l'avancée de l'immense bâtiment gris et noir. Anubis lui-même est fasciné par ce contraste entre la clarté du jour et la noirceur de l'envahisseur, captivé par les ténèbres qui s'écoulent lentement vers le sol comme une fumée inattendue.

Lorsque des extraterrestres apparaissent en plein milieu d'une rue, bloquant la circulation, le dieu des morts comprend que la fin vient de débuter. Il regarde avec attention la réaction des mortels, remarquant assez vite l'intervention de certains super-héros ; à croire que Stark est toujours là dès qu'un extraterrestre pointe le bout de son nez. Du haut de sa position, il ne peut intervenir, il risquerait la colère d'Osiris – d'autant plus après la discussion qu'ils ont eue – et il préfère ne rester qu'un œil attentif pour éviter une transformation imprévue en ouchebti. À ses côtés, Khonshu est moins patient, il marmonne déjà contre cet envahisseur, comme s'il prenait enfin conscience de la portée néfaste de la présence de ces extraterrestres. Anubis pourrait parier que son ami est sur le point de faire appel à son avatar et il se fait un devoir de le modérer, lui rappelant leur neutralité supposée dans les conflits qui cernent ce monde.

« Comment peux-tu rester aussi statique ? lui reproche le dieu de la lune. Sans l'humanité, que serions-nous devenus ? De simples noms gravés dans la pierre des temples ? De l'encre sur des papyrus ? Nous avons pris un ancrage dans ce monde grâce à la dévotion des mortels !

— Des mortels d'une autre époque, Khonshu. Plus rien n'est comparable à la grandeur passée.

— Autrefois, nous étions respectés, admirés, ou craints. Que reste-t-il de tout cela aujourd'hui ? Veux-tu nous voir tous disparaître ? »

Anubis secoue sa tête de chacal de gauche à droite, démontrant la négation de sa réponse. Il sait que son ami a besoin d'un contact avec l'univers des humains car il s'agit du seul endroit où il n'est pas méprisé par ses pairs, bien que cette habitude de voyager si souvent chez les mortels soit sur le point de lui coûter ses dernières traces de liberté. Le psychopompe aussi aimerait revenir à une autre époque, lorsque l'avenir ne s'annonçait pas aussi noir pour eux, lorsque l'humanité n'était pas sur le point de s'effondrer, lorsque les dieux n'avaient pas à redouter d'être brisés à leur tour. Contrairement à Khonshu, il a confiance en l'interprétation de Thot – et c'est d'ailleurs sans doute le pire sentiment qu'il ait pu ressentir jusqu'à ce jour. L'Ennéade s'apprête à subir un événement contre lequel aucune divinité ne pourra agir.

Un éclat métallique vient interrompre le cheminement des pensées d'Anubis. À sa plus grande surprise, il constate qu'il n'y a pas un mais deux sorciers aux ordres de Thanos et l'un d'eux les a aperçus, Khonshu et lui, et a décidé de les prendre comme cibles à défaut de parvenir à attraper le Sorcier Suprême. D'un ample mouvement de son sceptre, le dieu de la lune crée un bouclier à la faible lueur argentée, leur offrant une protection contre laquelle s'échouent les tentatives de l'extraterrestre.

« Ils peuvent donc nous voir, s'étonne Khonshu.

— Sans doute à cause de leur nature, maugrée Anubis qui aurait préféré éviter un affrontement direct. »

L'un des sortilèges traverse le dôme invoqué par le dieu de la lune, le touchant à l'abdomen. Si cette magie n'est pas assez puissante pour tuer un être divin, elle n'en est pas moins assez forte pour les blesser, faisant ainsi goutter du sang à l'éclat doré sur les bandelettes qui ornent le corps squelettique. Un grognement colérique franchit le bec osseux de Khonshu alors qu'il se dématérialise pour réapparaître à quelques pas de leur assaillant. Comprenant le risque pris par son ami, Anubis le rejoint d'un battement de paupière, son propre sceptre brandi vers cet odieux ennemi. La lumière orangée mêlée d'ombres fuse de son bâton jusqu'à atteindre le sorcier qui évite l'attaque avant de riposter.

Cet intermède permet à Khonshu de générer une nouvelle vague de magie divine qui s'abat sur l'extraterrestre. Malheureusement, le pouvoir du dieu squelettique n'est qu'infime en plein jour, et il reste insuffisant face aux connaissances de leur adversaire. Anubis décide alors de faire appel à ses propres capacités, les plus sombres, celles qu'il n'utilise qu'avec parcimonie. Il pointe son sceptre vers le sol et murmure un mot, invoquant l'âme des damnés de la Douât. Il sait que son coup de dé est dangereux car manipuler des esprits aussi instables ne mène qu'au désastre mais il n'a pas le choix s'il tient à survivre – et s'il souhaite protéger à la fois les mortels et Khonshu. Osiris pourra bien lui reprocher sa désobéissance, il n'en fait pas grand cas en cet instant, cherchant plutôt à maîtriser le déferlement de haine qui provient du monde des morts.

Entouré par les âmes damnées et les deux dieux, le sorcier use de son pouvoir pour s'enfuir. Cependant, Khonshu est plus rapide cette fois et, d'un geste précis, il arrête le mouvement de leur ennemi en le liant par des bandelettes grisâtres qui entravent aussitôt ses membres. Anubis s'apprête à recommander une grande prudence à son ami lorsqu'une haute silhouette les surplombe, démesurée, extraterrestre. Avec ironie, le psychopompe ne peut s'empêcher de penser que les sorciers de Thanos sont tous accompagnés d'un garde du corps aux dimensions étonnantes. Mais cette ombre qui les écrase n'est en rien effrayante pour les deux dieux qui décident de se montrer sous une forme plus fidèle à ce qu'ils sont.

Dans la seconde qui suit, Khonshu et Anubis dépassent les immeubles de la ville. Le dieu de la mort est soulagé de constater que les mortels ne remarquent pas leur présence, cette illusion tissée autour de leur nature tient encore, ce qui est un avantage non négligeable – au moins, ils ne risquent pas de subir une attaque de la part d'un héros trop zélé qui les prendrait pour des adversaires coriaces.

« Retournez dans votre monde, ordonne Anubis. La Terre n'est pas votre domaine.

— Ce n'est pas cette misérable planète qui intéresse notre maître, persifle le sorcier qui a enfin réussi à se défaire de ses entraves. Seules les pierres ont son attention. Vous devriez vous en réjouir, les mortels auront bien besoin de prier leurs dieux lorsque … »

La fin de la phrase se perd dans un bruit de gargouillis alors que le croissant de lune qui orne le sceptre de Khonshu se teinte de rouge, transperçant la gorge du sorcier. Anubis entend le grognement du garde du corps de ce nouveau cadavre et il agit à son tour, envoyant les âmes damnées contre la créature. Il sait quelle soif dévorante agite ces esprits et il leur permet de la satisfaire malgré les cris inhumains de leur adversaire, dévoré vif.

Une fois la macabre tâche achevée, le psychopompe rappelle à lui les âmes, leur enjoignant de retourner dans la Douât. Il perçoit leur désapprobation ainsi que leur tentative désespérée d'échapper à son emprise mais il tient bon, puisant dans son lien avec le monde des morts pour les y renvoyer. Dès l'instant où les esprits disparaissent, le calme revient dans cette partie de la rue, comme s'il n'y avait eu aucun combat, comme si des extraterrestres n'avaient pas affronté des dieux. Anubis déplore toutefois l'état des lieux, remarquant les voitures renversées, les vitres brisées, les fissures dans le sol ; l'espace d'un instant, il ne se sent pas mieux que ces héros qui ne laissent derrière eux qu'un champ de ruines et de désolation. Contrairement aux mortels, il n'est cependant pas en mesure de réparer ce qui s'est produit, il ne peut qu'observer avec culpabilité la trace de son passage.

À quelques mètres de là, au bout de la rue, un mouvement furtif attire son attention. Le psychopompe se demande s'il s'agit d'un mortel qui aurait entendu le combat et chercherait à s'échapper ou d'un autre sorcier à la solde de Thanos mais il ne distingue qu'un humain en train de profiter de la catastrophe ambiante pour dévaliser un magasin, aux stores ouverts, dont les propriétaires ont fui au moment où le vaisseau extraterrestre est apparu dans le ciel. Bien qu'il sache depuis longtemps que la cupidité est une tare très présente chez les mortels, Anubis s'étonne de constater qu'en ce temps troublé, le besoin de voler se fasse aussi prégnant.

« Quand le monde sombre dans le chaos, plus rien ne se distingue vraiment, remarque Khonshu qui a suivi son regard.

— Et cette attaque n'est rien par rapport à ce qui les attend, soupire le psychopompe. »

Tout en reprenant une taille plus classique, il reporte son attention vers son ami. Il constate alors que sa blessure est toujours présente et qu'elle continue de laisser s'échapper un flot de sang. Un soupir franchit ses lèvres tandis qu'il se rapproche, tendant une main sûre vers l'abdomen du dieu de la lune.

« Tu offres un pouvoir de guérison à ton avatar mais tu ne l'utilises pas pour toi-même, grommelle-t-il tout en effleurant du bout des doigts les bandelettes souillées de sang. »

Une douce lueur dorée s'échappe de sa peau pour s'infiltrer jusqu'à la blessure de Khonshu, faisant disparaître les traces et refermant la plaie. À travers ce contact, Anubis perçoit la faiblesse de son ami et il s'en inquiète, devinant alors que le dieu de la lune n'est pas seulement épuisé par la lumière diurne mais aussi par tout ce temps passé dans le monde des mortels, sans se ressourcer auprès de ses pairs divins.

« Quand comptais-tu m'en parler ?

— Je n'ai pas besoin d'un chaperon, riposte Khonshu.

— Tu mets ta vie en danger pour une question d'ego ! Tu dois reprendre des forces chez les dieux, ton énergie s'effrite ici !

— La lune me suffit. Et j'ai encore assez de pouvoirs pour les partager avec mon avatar.

— Ne crois-tu pas que tu pourrais essayer de mieux gérer la répartition ? Je sais qu'il est mortel et que tu exerces sur lui une certaine forme de guérison mais ton existence prévaut sur la sienne ! »

Conscient d'en avoir trop dit en si peu de temps, Anubis recule, marmonne des injures, puis observe les environs et tente de comprendre les conséquences du combat qui vient d'avoir lieu. Il constate que certains héros manquent à l'appel et, en plongeant son esprit dans la Douât pour toucher toutes les âmes, mortes ou vivantes, de la Terre, il en conclut que le sorcier de Thanos a réussi à emmener avec lui Stephen Strange, le Sorcier Suprême, et détenteur de la pierre du temps. Thot a évoqué celle de la réalité – l'Aether – et le psychopompe n'ignore pas que d'autres ont déjà été récupérées par le Titan fou, ce qui les met dans une position extrêmement délicate. Plus Thanos aura entre ses mains les pierres de l'infini et plus il saura mettre la main sur les dernières.

Étreint par un sentiment d'urgence, Anubis les emmène, Khonshu et lui, à quelques pas du temple de Louxor. Lorsque son ami lui demande la raison d'un tel voyage si soudain, il ne répond pas, l'esprit agité par des pensées angoissantes. Jamais encore il n'a parlé de cette découverte, croyant jusque-là que l'artefact qu'il a un jour trouvé par hasard dans le sable ne serait pas l'objet d'un enjeu aussi grand que celui qui les concerne désormais. Il entraîne le dieu de la lune à sa suite, se glissant entre les visiteurs nombreux qui ignorent leur présence et qui auraient sans doute une crise existentielle s'ils venaient à découvrir leur existence.

« Thanos n'ira pas ici, fait remarquer Khonshu en tendant une main vers lui pour l'arrêter. Qu'as-tu en tête ? »

Tiraillé entre l'envie de partager une vérité qu'il juge trop lourde à porter seul et le besoin de protéger son ami d'un savoir qui le mettrait en danger, Anubis plonge son regard ambré dans les orbites creuses du dieu de la lune. Il est évident que le Titan n'a pas eu vent de cet objet, car des troupes armées seraient déjà là en train de retourner le temple si tel était le cas, mais rien ne garantit au psychopompe une sécurité absolue. Il murmure à Khonshu de patienter quelques instants, lui promettant de tout lui dire une fois qu'ils seront parvenus au point précis où il a dissimulé l'artefact. Cela lui laisse au moins le temps de trouver de quelle manière évoquer cette découverte sans se perdre dans un récit inutile.

Ils traversent ainsi la cour de Ramsès II puis Anubis s'immobile face à la chapelle-reposoir. Plus nerveux qu'à l'accoutumée, il jette un coup d'œil en coin à Khonshu dont le silence est bien plus éloquent qu'un flot de paroles. Le psychopompe n'a pas choisi cet endroit par hasard, les trois chapelles qui constituent la chapelle-reposoir ont été construites en l'honneur du dieu de la lune et de ses parents ; celle de Mout à gauche, celle d'Amon au centre et celle de Khonshu à droite. Autrefois, les trois dieux étaient célébrés à cet endroit et à Karnak, comme une triade importante, puis le culte s'est amoindri, à l'instar de tant d'autres. Anubis, pour sa part, n'a jamais oublié les fêtes merveilleuses qui avaient lieu ici, les longues processions au nom d'Amon et de sa famille, et la liesse des mortels. Pour éviter que ce calme porteur d'un lourd regret ne s'amplifie, il entre dans la chapelle de droite, écoutant le pas de son ami qui le suit après une courte hésitation.

D'un geste solennel et précis, Anubis plante son sceptre dans le centre de la chapelle, diffusant une lumière dorée qui éclaire les gravures. Les hiéroglyphes se mettent alors en mouvement, les formes évoluent, se modifient, créent de nouveaux mots. Sur le mur qui fait face à l'entrée, une porte se dessine jusqu'à prendre la taille adéquate, surmontée du nom du psychopompe. Il pose sa main sur la surface, pousse légèrement et ouvre le passage vers une pièce secrète de son invention. Sur un piédestal est posé un coussin brodé en fils de lin, avec en son centre un creux si petit qu'il pourrait ne pas être vu par un œil humain. Le dieu chacal pousse un juron, comme poignardé par une main invisible.

« Anubis ? l'interpelle Khonshu qui se tient en retrait.

— Il y avait une pierre ici, souffle le psychopompe en dardant son regard sur l'ensemble de la pièce. »

Peut-être a-t-il fait tomber l'objet en ouvrant la porte, ou peut-être un tremblement de terre dans la région est-il à l'origine de la perte soudaine. Il doit pourtant se rendre à l'évidence, l'artefact a disparu – ou a été volé. Il se retourne vers son ami et se décide à enfin lui dire la vérité sur cette pierre.

« Lorsque l'univers a été créé, ce ne sont pas six singularités qui ont reçu des pouvoirs, mais sept. Il existe une pierre blanche qui permet de se protéger des effets des autres. Je l'ai trouvée dans le désert et j'ai pensé que la cacher aux yeux de l'humanité serait une bonne solution.

— Pourquoi avoir choisi le temple de Louxor ?

— Les siècles passent, Khonshu. Et j'avais besoin d'un endroit que je ne risquais pas d'oublier. »

Il n'avoue pas avoir toujours eu l'impression de maintenir un lien entre eux en gardant un secret dans une chapelle qui lui est dédiée, ce n'est ni le lieu ni le moment. Il marmonne que ce passage est censé être inviolable étant donné qu'il a été fait de sa main, et il s'inquiète de savoir qu'une personne soit venue là. Ils n'ont plus aucune raison de patienter dans la chapelle-reposoir, le seul espoir d'Anubis s'est volatilisé, le laissant vaincu et désemparé.

Lorsqu'ils quittent enfin le temple de Louxor, la nuit les surprend dans son étreinte ténébreuse. Anubis en reste perplexe, il n'a pas eu le sentiment d'avoir passé autant de temps à l'intérieur et il sent revenir cette sourde angoisse qui ne cesse de le poursuivre depuis des jours. Khonshu semble aussi surpris que lui en découvrant le ciel obscur et, comme possédé par une vision venue d'ailleurs, il lève son bec osseux vers la voûte étoilée, son sceptre émettant une légère lueur argentée qui ne trompe pas son ami.

« Que se passe-t-il ? demande le dieu de la mort en redoutant la réponse que pourrait lui apporter Khonshu.

— Il y a du mouvement en provenance de l'Amérique, grogne la divinité lunaire.

— Cette nuit sera sans doute celle qui verra se dérouler la catastrophe.

— Nous ne sommes pas en pleine nuit, Anubis, mais au petit matin. »

En prenant conscience de la portée d'une telle information, le psychopompe cède à la panique. Ils vont bientôt vivre ce « demain » auquel Thot faisait allusion, ils sont sur le point de voir déferler sur eux une marée de souffrance à laquelle aucun d'eux n'est préparé. Il se reproche d'avoir voulu prendre part à ce conflit, d'être venu à Louxor sur un coup de tête, d'être incapable de protéger tout ce qu'il a de plus cher au monde. Si l'Ennéade avait pu retrouver cette grandeur passée qui était la leur, ils n'en seraient pas là, à se terrer avec la peur au ventre.

« Les Avengers sont au Wakanda, déclare Khonshu. Et les armées de Thanos s'en approchent elles-aussi.

— Pourquoi le Wakanda ? questionne le psychopompe. La pierre de l'esprit, celle de leur androïde, n'a aucune raison de se trouver là-bas.

— Bastet m'a parlé de cette terre. Ils ont une technologie plus développée que dans la plupart des autres pays du monde. Sans doute cherchent-ils à retirer la gemme et à la détruire. »

Ils n'ont pas besoin de se concerter pour agir d'un même mouvement, se dématérialisant de Louxor pour reprendre pied dans les terres plus au sud. Les combats ont déjà commencé entre les armées du Wakanda et celles de Thanos, le bouclier qui protège le peuple évolué est ouvert en une zone précise qui permet aux extraterrestres de filer vers les humains. En avisant le carnage qui se déploie et s'intensifie, Anubis se demande où est Bastet. Elle devrait être là pour soutenir ses fidèles, pour intervenir dans ces luttes qui versent le sang des innocents, pour prouver à Osiris qu'ils ont un rôle à jouer auprès des mortels. Les habitants du Wakanda se battent pour la survie de leur peuple, pour l'avenir incertain de leur planète, pour le futur des univers ; la déesse qu'ils vénèrent n'est pour l'heure qu'un nom qui s'étiole. Le dieu chacal sent les âmes qui quittent les corps, il entend les cris de rage des survivants qui redoublent d'ardeur en apercevant les victimes de la cruauté des armées de Thanos.

« Je vais chercher Spector, intervient Khonshu.

— Non, il ... il n'est pas ... Le moment n'est pas venu pour révéler son existence. »

Anubis ne lit pas les messages des étoiles dans le ciel ou les présages qui se peignent dans le monde mais il sait que l'apparition de l'avatar de Khonshu ne fera qu'attiser la méfiance et le doute. Faire intervenir le chevalier de la lune reviendrait à avouer qu'un homme se bat au nom d'un dieu pour rendre la justice là où les héros oublient d'agir. Il préfère éviter une situation qui risquerait de se terminer en catastrophe, que ce soit pour Spector, l'avatar, ou pour le dieu de la lune lui-même. Alors qu'il est sur le point d'exposer son argument, une silhouette féline se jette dans la mêlée, rassurant enfin le psychopompe. Contrairement à ce qu'il a cru, Bastet est bien là pour les siens, elle se bat avec la férocité d'une panthère, griffant et tuant ses adversaires sans leur laisser une seconde de répit.

En plein cœur du combat, Thor surgit avec une hache au poing, entouré d'éclairs et de colère. À ses côtés, un arbre vivant et un raton-laveur interviennent eux-aussi dans la lutte. Anubis aimerait les accompagner sur ce champ de bataille mais son esprit est déjà la proie de tous ces morts qui rendent l'âme. Il s'attend à voir Khonshu quitter leur point d'observation pour faucher l'un ou l'autre des extraterrestres, toutefois son ami ne l'abandonne pas, veillant avec lui sur ce carnage qui sera sans doute le dernier avant que ne se produise l'impensable. Soudain, sans crier gare, un étrange pressentiment saisit le dieu chacal. Il croit voir le temps se modifier, ralentir, accélérer, devenir autre que ce qu'il n'est déjà. Si la sensation est fugace, elle lui indique cependant que l'une de ses craintes s'est réalisée : Thanos vient de trouver la pierre du temps.

Un vent glacial s'abat sur le champ de bataille et, au même moment, Anubis perçoit des hurlements lointains en provenance de la Douât. Ces cris sont si puissants qu'il en perd l'équilibre, vacillant brusquement. Seule la réaction immédiate de Khonshu lui permet de tenir debout ; son ami a tendu une main secourable vers lui dès qu'il l'a vu trembler, en un geste presque réflexe. Le psychopompe le remercie d'un mouvement de la tête, détournant le regard en percevant une certaine inquisition dans les orbes creuses du dieu de la lune. Il sait à quoi il ressemble en cet instant, il n'est qu'un être à moitié désincarné, assailli par la colère et la douleur des âmes, incapable de se stabiliser tant il subit la souffrance de ces esprits.

« Ils le sentent, comprend Khonshu en pressant doucement son épaule.

— L'arrivée de Thanos est imminente, confirme le dieu chacal. Il n'y a plus rien à faire. »

Il pourrait dire qu'ils ont perdu mais ce combat ne les concerne pas vraiment. De leur point d'observation, ils voient les guerriers qui poursuivent la lutte – les bons comme les mauvais – et ils remarquent soudainement que Bastet se fige après avoir décapité un adversaire coriace. Anubis entend alors la voix impérieuse d'Osiris qui résonne dans ses oreilles et, en avisant Khonshu qui penche sa tête squelettique, il devine que son ami l'écoute lui-aussi. Le roi de la Douât ordonne à tous les dieux de le rejoindre au plus vite dans la salle du Conseil de l'Ennéade, son ton est désespéré, tant et si bien que le psychopompe en vient à se demander ce que son père a bien pu apprendre pour demander une réunion des dieux, lui qui évite le plus ces assemblées.

L'espace de brèves secondes, Anubis songe à désobéir, il considère que sa place est là, pour suivre l'évolution de la situation, pour satisfaire cette curiosité morbide qui l'anime. Cependant, il accepte de se soumettre à l'autorité d'Osiris, pour éviter un autre conflit. Khonshu et lui disparaissent en même temps du Wakanda pour se retrouver ensuite dans la salle du Conseil, dans la Grande Pyramide. Cette fois, la pièce est éclairée, les braséros révèlent la présence des divinités, illuminant leurs corps hybrides. Le dieu chacal pense avec ironie que c'est cette assemblée qu'il a voulu convoquer quelques heures plus tôt, lorsqu'il était encore temps pour eux d'intervenir. Il croise le regard de son père, à l'autre bout de la salle, et y lit un trouble qui l'étonne puis qui l'inquiète.

« Le champ des roseaux est envahi de pleurs, annonce Osiris sans préambule. »

Un murmure agite les dieux, des hoquets de surprise fusent chez certains d'entre eux. Inconsciemment, Anubis serre ses doigts sur son sceptre, percevant tous les sous-entendus derrière les paroles de son père. Le champ des roseaux est l'endroit où reposent les âmes les plus pures, celles qui ont eu le cœur aussi léger que la plume de la balance, celles qui ne découvrent qu'une paix éternelle dans la mort. Toutes les émotions néfastes, que ce soit la peur ou le regret, sont absentes du champ des roseaux et, si elles s'y trouvent désormais, alors cela signifie que la Douât tout entière est envahie par cette réalité distordue que tisse Thanos à chaque fois qu'il met la main sur une des pierres de l'infini.

« Il ne reste plus que la gemme de l'esprit, les informe Maât en dardant sur Osiris une expression où brûle une accusation silencieuse. Thanos, le Titan fou, a récupéré cinq des six pierres de l'infini, et il est sur le point d'obtenir la dernière. Dès qu'il l'aura, il claquera des doigts et ce monde, tel que nous le connaissons, ne sera plus jamais le même. Les âmes hurlent au champ des roseaux car elles sentent la puissance de l'ennemi à travers la pierre de l'âme, elles décèlent sa monstruosité et tous les deuils à venir.

— Que faire ? s'enquiert Bastet dont la tenue est maculée du sang des extraterrestres qu'elle a combattus au Wakanda. Mon peuple est en train de donner sa vie pour retarder ses armées.

— Ce sacrifice est vain, nul ne parviendra à arrêter Thanos désormais. Notre manque d'implication a provoqué la fin de cette humanité. »

Anubis éprouve un certain soulagement en comprenant que Maât aussi aurait souhaité voir les dieux intervenir. Tout comme lui, elle a dû chercher du soutien du côté d'Osiris, sans succès. Ce qu'elle prévoit, cet anéantissement inéluctable, n'apporte qu'un peu plus de ténèbres à leur situation. Plusieurs voix s'élèvent pour contester l'intervention de la déesse, arguant que les dieux n'ont rien à redouter de la part de Thanos, ajoutant pour certains que leur immortalité les protège de toute forme d'extinction. Un rire vient surpasser la cacophonie ambiante, attirant l'attention générale vers Khonshu dont le sceptre brille d'une lueur argentée très douce et pourtant menaçante. Le dieu de la lune leur rappelle qu'ils peuvent être blessés, évoquant avec un air moqueur que leur roi a été démembré dans un passé bien lointain.

La phrase de Khonshu est ponctuée par un tremblement de terre inattendu. Du sable s'engouffre dans certains interstices de la Grande Pyramide puis vient s'abattre sur les divinités, grésillant dans les braséros. Un étrange silence envahit la pièce, les dieux se regardent, pâlissent et fuient dans une dernière tentative d'échapper au coup du sort. Anubis les observe partir mais il ne suit pas le mouvement, préférant rejoindre Khonshu alors qu'une étrange sensation de déchirement l'étreint. Comme illuminé par une soudaine pensée, il comprend enfin le sens des paroles de Thot et il murmure le nom de son ami, tout en tendant une main vers lui pour rechercher un dernier contact. Pour la première fois, leurs doigts se lient, et une peine immense serre le cœur du psychopompe.

Son organisme tout entier est secoué par la magie des pierres de l'infini, une poussière dorée est déjà en train de suinter de ses membres. Sans doute parce qu'il est un dieu, il ne s'efface pas dans la seconde, mais il a le temps de sentir ses cellules qui s'effritent vers un autre univers. Anubis souffle quelques mots, ceux qu'il n'a jamais eu l'audace de prononcer, ceux qui auraient pu tout changer ; c'est un aveu depuis trop longtemps suspendu, une émotion qui éclot enfin pour se faner aussitôt. Puis il disparaît, emportant avec lui le hurlement déchirant de Khonshu.


Note : J'espère que ce petit voyage entre New York et l'Égypte n'aura pas été trop long. Petite anecdote : la chapelle-reposoir du temple de Louxor est bien dédiée à la triade à laquelle appartient Khonshu.

Il y aura un second chapitre à la suite, parce que je ne peux pas laisser Khonshu dans cet état sans traiter son ressenti.