Lorsqu'Alicent examinait en elle-même les raisons qui l'avaient conduite sur ce chemin, ses propres motivations lui semblaient parfois opaques.
Certes, elle se réfugiait derrière le vernis confortable de la morale, mais il n'en avait pas toujours été ainsi. Utilisée par son père à l'âge de 14 ans pour séduire un souverain qui ne lui inspirait aucune attirance, elle avait étouffé avant l'heure le peu d'instincts qui avait commencé à se développer en elle. Pour elle, le devoir conjugal demeurait ce qu'on lui en avait dit : un devoir.
Elle avait regardé Rhaenyra traverser la vie, colorée, insouciante, essayant de préserver une part de bonheur personnel en dépit des devoirs de sa fonction.
Une part d'elle lui soufflait confusément qu'en dépit de ce que la vie lui avait refusé, elle aurait du être heureuse pour son ancienne amie, car elle représentait, à sa manière, un avenir qui aurait pu être profitable aux femmes de la cour.
Mais cette voix, ténue, était rapidement étouffée par la rancœur, et la conviction que, quoi qu'une femme puisse faire, un homme peut la réduire à néant d'un claquement de doigts.
Il ne restait alors que le vernis de la probité et une lignée inattaquable pour faire face.
Car c'était bien pour cela que sa propre vie avait été sacrifiée, n'est-ce pas ?
Des nuits acres, abruptes, en dépit des quelques efforts que le roi faisait pour vérifier que ces moments lui étaient agréables.
Des enfants qui lui inspiraient une affection limitée. Certes, elle avait un instinct, plus matrimonial que maternel en vérité. Elle protégeait ses enfants parce que c'était ses enfants. Mais son aîné était bête à en pleurer, sa cadette était, au mieux, étrange, et son rejeton éborgné respirait le mal-être.
Lorsqu'elle repensait à ses jeunes années, il y avait eu une période où sa vie avait quelques couleurs. Une période où Rhaenyra était son amie. Certes, elle savait qu'elle serait vendue à un mari un jour où l'autre, mais elle pensait qu'elle épouserait un homme un peu plus jeune, en premières noces. Qu'elle aurait quelques interstices dans lesquels elle aurait pu se glisser pour récupérer un peu de liberté. Qu'elle cesserait peut-être d'être le pion de son père. Mais son père n'était pas Viserys. En lieu et place d'un foyer conjugal, il lui avait imposé la seule union où elle était certaine d'être encore moins libre que lorsqu'elle était jeune fille.
Si elle n'était pas parvenue à avoir la moindre affection pour son mari, elle entretenait une jalousie féroce envers le lien qui l'unissait à Rhaenyra, qui le conduisait à la laisser conserver son libre arbitre.
Elle savait que, même si son fils triomphait et remportait le trône, rien ne lui rendrait la jeune fille qu'elle avait été, morte avant l'heure, étouffée par une rage intérieure qu'elle n'avait pas les moyens d'éteindre.
