CHAPITRE 4

CHAPITRE 4

Side-2, station Island Iffish; plaine 3, 6ème district, bloc 61, Quartier résidentiel nord, 7H25 GMT

Le directeur de la station, Jean-Louis Kestrel, posa sa tasse de thé sans cesser de regarder le ciel.

«Qu'est-ce que c'est que... ? »

Un chapelet d'explosions éclairait les cumulus artificiels en altitude, plusieurs kilomètres plus loin. Kestrel se leva de son fauteuil et demanda à un domestique de lui apporter une paire de jumelles. Lorsque celui-ci revint, le directeur lui arracha presque l'instrument des mains, en proie à une vive inquiétude. Lorsqu'il reposa les jumelles vingt secondes plus tard, son visage était blême.

«Allez me chercher mon portable. » dit-il simplement.

Le domestique s'exécuta avec empressement, notant la très nette trace de panique contenue dans la voix de son maître. Kestrel était abasourdi par ce qu'il venait de voir aux jumelles électroniques. Lorsqu'on lui apporta le téléphone, il composa immédiatement le numéro du quartier général de la défense coloniale.

«Kestrel à l'appareil, passez-moi le colonel Walker, s'il vous plaît.

_Le colonel Walker n'arrivera que dans une demi-heure, monsieur le directeur. J'assume le commandement par intérim.

_Qui êtes-vous ?

_Commandant Henriette Logan, monsieur le directeur.

_Que signifient ces explosions ?

_Nous l'ignorons, monsieur le directeur. Nous n'avons lancé aucun engin dans l'enceinte de la station. Il semblerait que les Forces Fédérales aient pris la liberté de tirer.

_Contre quoi tiraient-ils ?

_Nous ne le savons pas. Nous avons sept échos sur le radar, mais nous ignorons de quoi il peut bien s'agir, les ordinateurs ne les reconnaissent pas. C'est de la même taille qu'un avion mais ça ne se déplace pas du tout de la même façon.

_Hostile ?

_Nous ne savons pas ; nous avons perdu tout contact avec les installations de proue. Spatioport, docks, nous... Attendez, on vient de me remettre un rapport... Nos communications avec le module spatioportuaire ont été partiellement rétablies, ils... Ils ont été attaqués !

_Attaqués ? Par qui ?

_Nous ne...

_Vous ne savez pas ! Je sais ! »

Kestrel s'apprêta à raccrocher violemment lorsqu'une dernière question du commandant Logan retint son attention.

«Monsieur le directeur, ai-je l'autorisation de placer nos forces en état d'intervention ?

_Le colonel Walker a-t-il été prévenu ?

_C'est fait, mais il a besoin de votre aval.

_Soit. Prenez toutes les mesures que vous jugerez utiles pour préserver la sécurité de la station.

_Bien, monsieur le directeur. »

Side-2, station Island Iffish; plaine 1, 2ème district, bloc 27, Installations militaires coloniales de Fairford, 7H27 GMT

« Alerte générale ! Alerte générale ! Pénétration intrus dans la station, tous aux postes de combat ! Ceci n'est pas un exercice ! Alerte générale... »

Les haut-parleurs et les sirènes d'alarme hurlèrent dans l'aube naissante, réveillant non seulement le personnel de la base, mais aussi les habitations civiles du voisinage. Cinq minutes plus tard, tous accouraient à leurs postes, enfilant en hâte gilets pare-balles, combinaisons de vol ou casques. Déjà, six hélicoptères de combat quittaient les aires de décollage en direction du nord alors que les véhicules lance-missiles sortaient à peine de leurs hangars bétonnés. Quatre kilomètres au-dessus de leurs têtes, une bataille acharnée semblait avoir éclaté : malgré les couches nuageuses, on pouvait distinguer de petits points noirs qui s'agitaient tels des abeilles en furie, de nombreux panaches de fumée, des explosions.

« Que se passe-t-il ? demanda Barbara Jenkins en interceptant un homme qui sortait du poste de commandement en courant.

_Nous avons une alerte niveau 1 sur les bras ! C'est Zeon qui attaque !

« Lieutenant Jenkins, fit une voix derrière elle, montez vite ! Nous allons sur l'aire de décollage ! »

Barbara se retourna, le capitaine Ryan Buttrik, à moitié engoncé dans sa combinaison de vol, était au volant d'une Jeep, accompagné d'un autre pilote. La jeune femme sauta sans hésitation et Buttrik démarra en trombe.

« C'est vrai que Zeon attaque ? demanda Barbara.

_Oui, vous n'avez pas vu les explosions ?

_J'étais à l'intérieur. Pourquoi se battent-ils contre nous ? Nous sommes des Spacenoïds, tout comme eux. Et contre quoi nous battons-nous, au juste ?

_Je n'en sais rien, répliqua le capitaine. Je ne sais même pas ce qu'on nous envoie intercepter… Tout ce que je sais, c'est que ce n'est pas un avion, mais que c'est gros, rapide et ça à l'air d'être foutrement costaud.

_Vous croyez qu'on va faire le poids ? demanda l'autre pilote. Après tout, nous ne disposons que de véhicules blindés, de chasseurs, d'hélicoptères et de scaphandres de combat. Ne vaudrait-il mieux ne pas laisser faire les Forces Fédérales ?

_Les Fédéraux sont déjà sur le pied de guerre, dit Buttrik en désignant les tirs de DCA. Et ça n'a pas l'air de marcher.

_Raison de plus ! S'ils n'y arrivent pas, comment pourrions-nous ?

_Arrêtez de déconner, Merill, ils ne sont que sept ! Nous réussirons. Et je préfère que ce soit nous qui y arrivions, pas ces culs-terreux de Feds qui seraient bien capables de foutre en l'air toute la station sans s'en apercevoir ! »

La Jeep s'arrêta en bordure de la piste de décollage où déjà plusieurs mécaniciens s'affairaient à mettre en route les avions de combat. Barbara et Merill s'absentèrent le temps d'enfiler une combinaison de vol anti-g, puis se ruèrent vers les appareils qui les attendaient, attrapant au passage des casques qu'on leur tendait. Le capitaine était déjà installé dans son appareil, fixant son masque à oxygène et abaissant la visière de son casque. Les mécanos les aidèrent finalement à boucler leurs sangles, à accorder les différents tuyaux, oxygène, cordon-radio puis refermèrent la verrière après avoir donné les dernières instructions et retirèrent les échelles d'accès. L'équipe au sol retira les cales sur signal du coordinateur et les avions roulèrent sur la piste. Les avions quittèrent leurs places de parking et se dirigèrent en file indienne sur la piste goudronnée.

« De Regulus 21 à tour de contrôle, fit la voix de Buttrik, demande permission de décoller.

_De tour de contrôle à Regulus 21, piste deux à disposition dès couloir sept, troisième tournant à quatre-vingt-dix sur la droite.

_De Regulus 21 à tour de contrôle, piste deux disponible dès couloir sept, reçu. Tournons quatre-vingt-dix degrés à droite sur troisième intersection, terminé.

_De tour de contrôle à Regulus 21, confirmation ATC pour dégagement piste. Vent au 250, 22 nœuds, rafales de 48 par le travers au niveau 70. Après décollage, procédez sur vecteur Lambda-sigma-bleu, niveau 90 ; plus quarante-deux, soixante-dix, distance approximative quinze kilomètres. Terminé.

_De Regulus 21 à tour de contrôle, paramètres d'interception bien reçus. Confirmez piste et couloirs aériens dégagés.

_De tour de contrôle à Regulus 21, confirmons piste et couloirs dégagés. Feu vert pour décollage. Attention Regulus 21, évitez vecteur Kappa-sigma-indigo pour tirs de DCA. Je répète, évitez vecteur Kappa-sigma-indigo pour tirs de DCA, terminé.

_De Regulus 21 à tour de contrôle, roger. »

Buttrik poussa à fond sur la manette des gaz, faisant hurler les turboréacteurs, puis relâcha les freins. Les trois chasseurs FF-6C Tin Codd se ruèrent sur la piste de décollage, dévorant le bitume qui s'avançait vers eux comme un mur infranchissable. Au moment précis où les avions semblaient voués à s'écraser contre cet obstacle, les roues du train avant quittèrent le sol. Jouant de leurs gouvernes de profondeur et des tuyères vectorielles orientées à fond vers le bas, les appareils décollèrent au bout de deux cents mètres et se cabrèrent brutalement afin d'adopter un angle de montée de soixante-dix degrés.

JABROW, Terre, 3h28 heure locale, 7h28 GMT

La forêt amazonienne semblait plongée dans un océan de ténèbres englouti par un abîme sans limites. Pas une lumière, pas un mouvement. Pourtant, un observateur attentif aurait décelé les multiples indices trahissant la présence d'une faune nocturne qui peuplait les inextricables profondeurs végétales, où même l'homme hésitait parfois à s'aventurer. Toutefois, aussi attentif cet observateur eut-il été, jamais il n'aurait pu soupçonner une seule fois que sous ses pieds s'étendait le plus grand complexe militaire souterrain jamais construit par l'homme : Jabrow.

Dissimulé sous des tonnes de terre, le Grand Quartier Général des Forces Fédérales constituait une criante dénégation de l'apparente quiétude qui régnait à la surface. Ici, de jour comme de nuit, des centaines de milliers d'hommes et de femmes se relayaient pour maintenir en état d'éveil permanent cette monstrueuse ruche humaine. Mais depuis une dizaine de minutes, malgré l'heure avancée, cette activité semblait avoir redoublé. L'immense salle du centre opérationnel était le cœur de cette agitation. Vaste de cinq cents mètres cube et séparée en quatre sections distinctes, la salle comportait plusieurs plates-formes de commandement secondaires, dont la coordination revenait au central de commandement général échelonné sur trois passerelles superposées.

Assis sur la passerelle de commandement supérieure, le lieutenant-colonel Wagner Konolly, commandant de la base par intérim pour le quart de nuit, conversait à l'Interphone d'une voix animée. Le visage déformé par la contrariété et l'angoisse, il s'épongeait le front beaucoup trop souvent alors que la salle était parfaitement climatisée.

« J'insiste, capitaine ! La nouvelle est suffisamment importante pour que nous réveillions l'amiral.

_Je regrette, répondit le capitaine Daniel Arlington, mais l'amiral a eu une dure journée et il est hors de question de le réveiller à une heure pareille, quelle que soit la raison.

_Capitaine, si vous ne le réveillez pas, son réveil sera infiniment plus pénible ; votre situation elle-même pourrait en être grandement affectée.

_Des menaces, colonel ?

_Oh, je vous en prie, le moment est très mal choisi ! Vous croyez vraiment que j'aurais pris la liberté de vous réveiller en pleine nuit pour vous annoncer les résultats du tournoi international de cricket ? C'est une affaire très importante qui nécessite immédiatement la présence de l'amiral.

_Puis-je connaître la nature de la nouvelle ? demanda l'aide de camp avec raideur.

_Je regrette, mais je doute que vous ayez le niveau d'accréditation nécessaire pour accéder à cette information.

_Dans ce cas il vous faudra passer par son chef d'état-major, le colonel Estevar. »

Arlington coupa la communication avant que Konolly n'ait eu le temps de protester. Ce dernier raccrocha le combiné d'un geste rageur et pesta contre la stupidité et le zèle de l'aide de camp. Quand il eut fini, il appuya sur un des boutons de l'Interphone et demanda à ce qu'on lui appelle le colonel Piotr Estevar.

Cinq mètres plus bas, sur la passerelle de commandement secondaire, un officier des transmissions composa le numéro des quartiers du colonel et fit retentir patiemment la sonnerie jusqu'à ce que quelqu'un daigne répondre. Finalement, au bout de la sixième sonnerie, un voyant vert s'afficha vers le coin supérieur gauche de l'écran, indiquant par là que l'on décrochait ; l'officier transféra aussitôt l'appel vers le poste de Konolly. Le visage d'Estevar, passablement embrumé par le sommeil, s'encadra sur le moniteur.

« Ici Estevar, j'écoute.

_Mes respects, mon colonel. Konolly à l'appareil. Je suis désolé de vous réveiller si tôt, mais nous avons intercepté il y a sept minutes une communication-laser d'une nature troublante.

_D'où cela venait-il ? demanda Estevar en se passant un main distraite sur le visage.

_De Side-3, mon colonel. Mais en vérité, la communication venait de partout à la fois. Notre réseau de satellites de transmission semble avoir été entièrement piraté de façon à ce qu'elle couvre l'ensemble du globe.

_Piraté ? Est-ce aussi grave que cela ?

_Oui, mon colonel. Je crois qu'il s'agit de ce que nous attendions depuis très longtemps. Cette fois c'est très sérieux, il n'y a pas de doute possible. »

Estevar regarda son interlocuteur avec circonspection.

«En avez-vous informé l'amiral Kessling ?

_J'ai essayé, mon colonel, mais son aide de camp a refusé de le réveiller.

_Arlington n'est qu'un crétin prétentieux. Pouvez-vous me transmettre le message chez moi par un canal sécurisé ? »

Konolly hocha la tête. Il changea de canal, tapa son code de sécurité personnel et effectua lui-même le transfert de la communication. Chez lui, Piotr Estevar avait amené une chaise près du terminal et s'y installa en attendant que la transmission lui parvienne. Dix secondes plus tard, l'écran se mit en mode de veille et une douce voix féminine l'invita à introduire son code personnel. Le chef d'état-major de l'amiral Kessling s'assura que son épouse et ses enfants dormaient bien avant d'entrer vocalement son code de sécurité et écouter le message.

Il écouta calmement, posément, fit quelques retours en arrière puis changea de nouveau de canal.

« Konolly, je m'occupe de l'amiral Kessling De votre côté, contactez toutes les personnes qui figurent sur l'organigramme hiérarchique. N'oubliez pas de contacter le gouvernement, nous procéderons à une réunion en duplex dans précisément une heure. Si vous vous heurtez à qui que ce soit, je vous autorise à invoquer le code prioritaire Un-Alpha et à prendre toutes les mesures que vous jugerez nécessaires pour les tirer du lit, j'en réponds de l'amiral !

_A vos ordres.

_Je vous rejoins dès que possible... Et merci de m'avoir réveillé, mais la prochaine fois, passez directement par moi. »

Konolly salua tandis que l'écran redevenait noir, puis appuya de nouveau sur l'interphone.

«Capitaine Ribert, contactez tous les officiers de l'état-major général. Réveillez-les tous un par un et convoquez-les tous à la salle de conférence 2 dans une heure, code d'alerte prioritaire Un-Alpha.

_Tous, mon colonel ? hésita l'officier.

_Tous. Et conseillez-leur de prendre cet appel très au sérieux, je n'hésiterai pas à leur envoyer une escouade de MP pour les réveiller si cela s'avère nécessaire ! » Le coordinateur principal acquiesça et transmit l'ordre à la passerelle secondaire qui répartit la tâche à son tour vers les étages inférieurs.

Vaisseau de ligne «Fleur de Lys», frontière de Side-2, 7h30 GMT

Stiv Parish leva la tête lorsque la communication avec le contrôleur spatial fut brutalement interrompue. Il se tourna vers le commandant de bord, mais Martygg haussa les épaules, partageant son étonnement.

« De clipper Oscar-Sierra 975 à contrôle Mike-Lima 302, nous ne vous recevons plus... Clipper Oscar-Sierra 975 à contrôle Mike-Lima 302, répondez. »

Il n'y avait rien d'autre que de la friture sur la ligne.

« Ce n'est pas normal commandant, je ne reçois même plus les signaux de guidage laser. En fait, je ne reçois plus rien du tout !

_Stiv, avez-vous quelque chose sur le radar ?

_Plus à cette distance. Depuis notre sortie de Side-2, les champs de particules Minovsky ont gagné en densité. Nous n'avons plus rien depuis dix minutes. A moins d'approcher à moins de cinq kilomètres nous... Oh ! Commandant, regardez ça ! »

Parish tendait le doigt vers le pare-brise, les yeux révulsés. Martygg suivit le regard de son copilote. A plusieurs kilomètres sur tribord flottait une importante formation de vaisseaux d'un type qu'ils n'avaient jamais vu. Mais une chose était certaine, c'étaient des bâtiments de guerre, les canons qui émergeaient des structures ne laissaient la place à aucun doute. Peints en vert sombre, les mastodontes d'acier se déplaçaient en toute impunité comme si l'espace leur appartenait ; il y en avait des centaines, de toutes tailles, de toutes les formes ; certains leur étaient vaguement familiers, mais ceux à l'aspect le plus redoutable leur étaient totalement inconnus. Martygg apercevait également des engins de plus petite taille se déplaçant entre eux : des chasseurs, des transporteurs, des engins de servitude et... Des hommes ? Non, il n'aurait pas été capable de les discerner à cette distance! Des géants, alors ? Mais ça n'existait que dans les mythes ancestraux...

« Qu'est ce que c'est que ça... ? »

L'interphone sonna tout à coup dans le cockpit.

« Oui, ici Martygg.

_Commandant ? C'est Eileen à la section avant. Les passagers sont très inquiets, nous observons en ce moment tout un groupe de vaisseaux inconnus... Que devons-nous dire aux passagers ?

_Je... Eileen, nous ignorons nous aussi de quoi il s'agit et la radio est muette. Tachez de les rassurer et...

_Commandant, interrompit Parish en désignant le navire le plus proche d'eux, je reconnais ce sigle, c'est celui du Duché de Zeon !

_Mon Dieu... Eileen, je vous rappelle plus tard ! Stiv, est-ce qu'ils nous ont vu ?

_Je ne pense pas... Ou alors ils nous ignorent. Que font tous ces vaisseaux par ici ?

_C'est un raid, dit Martygg en serrant le manche.

_Un raid ? Vous voulez dire un raid militaire ? Mais nous ne sommes pas en guerre, que je sache.

_Nous le sommes peut-être depuis quelques instants. Stiv, il faut se tirer d'ici le plus vite possible. Je vous parie ma chemise qu'ils n'apprécieraient pas de nous trouver ici. S'ils nous voient, ils n'hésiteront pas à nous abattre.

_Mais nous sommes un bâtiment civil ! protesta Parish.

_Le Lusitania l'était aussi... Désactivez le pilotage automatique et passez sur manuel, nous changeons de trajectoire. Nous allons éteindre tous les feux anti-collision, la balise d'identification et diminuer l'éclairage en cabine. Je vais avertir les passagers. »

Side-2, station Island Iffish, plaine 2, 4è district, bloc 49, Base fédérale de Blueberry Point, Bunker de commandement, 7h30 GMT

Le général Henrique Walker entra précipitamment dans la salle de commandement, sans prêter grande attention aux officiers et aux gardes qui le saluaient en hâte.

« Hornblut, quelle est la situation ? demanda-t-il au commandant de la base. »

Walker n'était pas de bonne humeur. Il prenait tranquillement son petit déjeuner avec son épouse lorsqu'un coup de fil importun lui avait gâché son agréable matinée. Attaqués ? Par qui ? Et en quel honneur, en vertu de quoi ?

« Les sept appareils non identifiés ont amorcé leur descente dans notre direction il y a cinq minutes. Nous avons tiré deux salves de missiles sol-air, sans effets. Nous avons mis sur alerte toutes les unités et fait décoller une escadrille au grand complet il y a quatre minutes.

_Savons-nous sur quoi nous tirons ?

_Non, mon général. Les premiers rapports de contacts visuels ne, euh... Ne sont pas très dignes de foi.

_Que disent-ils?

_Qu'ils sont entrés en contact avec... Avec des cyclopes!

_Des cyclopes? Ces hommes délirent... La nature hostile de ces appareils a-t-elle été confirmée?

_Oui, mon général, répondit le lieutenant-colonel Philippe De Knoxvill. Nous avons pu rétablir les communications avec certaines sections du complexe spatioportuaire de proue. On nous confirme la destruction intégrale de la tour de contrôle ainsi que des docks spatiaux numéro trois et quatre.»

Le téléphone près de De Knoxvill retentit; ce dernier décrocha immédiatement.

« Ici De Knoxvill... Oui... Tous? s'écria l'officier supérieur tandis que les autres officiers tournaient la tête dans sa direction.

_Tous mon colonel, nous n'avons plus aucun contact radar en dehors des sept intrus.

_Général Walker, héla De Knoxvill, on me rapporte que nos intercepteurs ont tous été abattus.

_Tous? Non, non, ce n'est pas possible, il doit y avoir erreur. On ne peut pas envoyer au tapis douze avions en quatre minutes.

_Général, les appareils hostiles ne sont plus qu'à une dizaine de kilomètres de la base. Doit-on faire donner la chasse?

_Oui. De quels moyens disposons-nous actuellement?

_Nous disposons de deux escadrilles de chasse et de trois unités d'hélicoptères de combat sur le périmètre même de la base. Pour la protection rapprochée, nous avons une quarantaine de véhicules blindés et des batteries de missiles. Nous ne sommes absolument pas équipés pour la lutte interne, tous nos moyens sont actuellement à l'extérieur, dans les spatioport de proue ou de poupe.

_Je sais. Nous sommes censés nous préoccuper de la sécurité extérieure alors que la défense interne est du ressort des Forces de défense coloniales. A ce propos, où en sont-ils?

_Ils ont mis leur base sur alerte et ils viennent de lâcher leurs chasseurs. Nous avons vingt-quatre signaux alliés sur le radar.

_Commandant Woodward, a-t-on la possibilité de faire pénétrer un ou deux Saramis dans la station?

_A l'intérieur de la station? demanda Danièle Woodward, médusée. Les Saramis ne sont pas équipés pour. Nous pouvons en revanche introduire un aviso ou une frégate dans la station, mais les seuls navires disponibles sont en poupe. Il leur faudra... Non, on me fait savoir que seul le RIO CUARTO est paré à la manœuvre. ETA possible dans huit minutes, pas avant.

_Bien. Faites rapatrier dans le bunker tout le personnel essentiel et les officiers non-combattants, que les autres se tiennent prêts aux postes de combat. Où en sont les intrus?

_En approche très rapide. Distance mille trois cents mètres.

_Faites tirer trois nouvelles salves de missiles!»

Pour la deuxième fois de la matinée, les rampes de lancements émergèrent de leurs silos souterrains et s'orientèrent vers la position approximative de l'ennemi. Au signal donné, les douze rampes lâchèrent une nuée de projectiles, traînant derrière eux leurs fils de guidages. A l'idée de Walker, ces fils étaient plus une gêne qu'autre chose, mais les autorités de la colonie avaient été fermes sur ce point. Dans l'éventualité d'une action sous forte densité de particules Minovsky, il n'était pas question d'utiliser des missiles radioguidés ou téléguidés. Afin d'éviter que les projectiles ne se perdent dans la station, on leur avait donc imposé l'utilisation d'antiques missiles guidés par fils ! Comme si cela allait changer quelque chose ! Ces Spacenoïds étaient stupides : une fois les fils sectionnés, le résultat était le même !

Croiseur STEPHEN DECATUR, 94è flottille de Zeon, 7h32 GMT

« Oui, enseigne?

_Un écho vient de disparaître de nos senseurs, dernier relèvement connu sur bâbord deux-sept, moins six-trois, distance zéro-sept-deux.

_Disparaître?

_Oui, capitaine. Il naviguait tous feux allumés dans le périmètre de sécurité, je... J'ai cru qu'il s'agissait d'une de nos unités. Or il vient de disparaître des senseurs visuels il y a vingt-deux secondes.

_Avez vous vérifié l'information ?

_Oui, capitaine. On ne nous signale aucun appareil manquant dans aucune unité. L'engin rapporté sur nos relevés n'est définitivement pas un des nôtres. »

Le capitaine de frégate Margaret Sturjohn grogna de mécontentement et tapota nerveusement l'accoudoir de son fauteuil. La présence de cet intrus si près de leur zone d'évolution ne lui plaisait pas du tout : ce pouvait bien être un quelconque navire civil qui passait par-là, tout comme ce pouvait être un appareil de reconnaissance ou une sonde espion ennemie. Et cette dernière éventualité ne lui plaisait pas, car cela signifiait que les Forces Fédérales connaissaient à présent leur position et pouvaient lancer une contre-attaque à tout moment. Le centre de commandement militaire n'était pas encore neutralisé; et tant que cela ne serait pas accompli, même une petite unité de la Marine Fédérale pouvait leur infliger des pertes, mineures pour le moment, mais qui s'avéreraient significatives par la suite. Le risque était trop grand pour qu'elle ignorât la menace.

« Quelle est l'unité la plus proche?

_La 1476è du capitaine Dimarko.

_Envoyez-le à la poursuite de ce fantôme. Et qu'il l'abatte! »

Quelque part sur bâbord, un groupe de trois MS accompagnés d'un appareil de détection avancée quitta le périmètre de défense. Sturjohn suivit leur progression sur le moniteur trois pendant un instant puis haussa les épaules, reportant son attention sur l'écran principal. Quelque part vers le milieu de la flotte, des équipes de techniciens extrayaient des entrailles de plusieurs vaisseaux-cargo de volumineux conteneurs frappés d'une lettre et d'un chiffre avec d'infinies précautions; plusieurs escadrilles de MS les encadraient, prêts à les réceptionner et à les convoyer vers la colonie. L'horloge indiquait H plus douze minutes.

Side-2, station Island Iffish, plaine 2, 4e district, bloc 49,Base fédérale de Blueberry Point, 7h35 GMT

Sur les sept MS qui s'étaient infiltrés dans la station, trois restaient en l'air en permanence, interceptant tout engin volant qui s'approchait de trop près, permettant ainsi aux quatre autres de prendre d'assaut les installations militaires. Le lieutenant Karadine, le sous-lieutenant Jered Thomson, l'aspirant Frantz Nourdi et le sergent Andy Strauss s'appliquaient à cette tâche, le lieutenant Larsen s'étant réservé la mission d'interdiction avec les sous-lieutenant Kaminsky et Krutvak.

L'infiltration dans la station avait commencé il y a déjà onze minutes et l'assaut de la base elle-même, depuis quatre minutes. Le plan prévoyait une attaque aérienne, l'élimination des principaux vecteurs défensifs suivie par la destruction de tout ce qui pouvait l'être. Et la base fédérale de Blueberry Point brûlait déjà au bout de quatre minutes, secouée de soubresauts tel un animal à l'agonie, exsudant de ses blessures des torrents de matériaux enflammés, hurlant sa douleur par la bouche de ses milliers d'occupants qui criaient de terreur, blessés, mourants, enfouis sous les décombres ou dévorés par le feu. Des grappes de soldats terrorisés couraient dans tous les sens, leur tiraient dessus avec des armes dérisoires, se faisant parfois piétiner par les mastodontes de métal; d'autres restaient pétrifiés de terreur, n'osant riposter. Un amoncellement de débris carbonisés, d'objets abandonnés et de véhicules de toutes sortes, renversés ou détruits, jonchait le sol. Plusieurs bâtiments étaient la proie des flammes, leurs entrailles mises à nu, méthodiquement dévastées.

Quelques véhicules blindés tentaient timidement de riposter, mais les balles de faible calibre ne faisaient que ricocher sur le blindage des MS. Les seuls risques étaient représentés par les char d'assaut et les véhicules lance-missiles, mais généralement, les MS parvenaient à éviter les projectiles sans mal. Le Zaku de Strauss arriva derrière un groupe de blindés et piétina de son pied gauche une première automitrailleuse, qui explosa immédiatement, tandis que du pied droit il donnait un violent coup dans un deuxième. Le véhicule fut soulevé de terre avec une force inouïe, décrivit un arc dans les airs avant de s'écraser lourdement vingt mètres plus loin dans une gerbe de métal, de feu et de viscères.

Karadine fit atterrir son MS et lâcha un obus en direction d'un char d'assaut qui débouchait du coin d'un bâtiment. La tourelle du véhicule blindé fut arrachée par la déflagration qui ravagea également une partie du mur du bâtiment adjacent. Très loin au-dessus d'eux, Kaminsky avait engagé un combat tournoyant avec deux chasseurs. Mais les avions, limités par leurs trajectoires linéaires, ne parvenaient pas à suivre le MS dont la manœuvrabilité ne ressemblait à rien de ce qu'ils avaient vu auparavant ! Le combat dura à peine une vingtaine de secondes...

Un hélicoptère surgit de derrière un bâtiment, juste dans le dos du MS de Jered. Le signal d'alerte hurla tandis qu'une flèche rouge se mit à clignoter en indiquant l'arrière avec insistance. Le moniteur de vision arrière renvoya à Jered l'image d'un hélicoptère de combat sur le point d'ajuster sa visée. Sans prendre le temps de trop réfléchir, Jered sélectionna le «Heathawk» et tira sur les manettes. Le MS se baissa au moment où les missiles guidés passaient au-dessus de sa tête, se retourna, dégaina la gigantesque hache en Quadrinium-B chauffée à blanc et sauta par-dessus la bâtisse, découpant l'hélicoptère sur toute sa longueur, sectionnant net la cabine. Les deux parties disjointes voletèrent un instant, cherchant à s'éloigner l'une de l'autre, puis se désintégrèrent dans un grand fracas. Les moteurs, les réservoirs et les charges explosives prirent feu; le MS de Jered dégagea aussitôt pour éviter les projections de débris.

Les citernes de propergol à l'extérieur de la base étaient encore intactes. Elles représentaient une cible de choix, vulnérable, mais le temps n'était pas encore venu de les détruire. Aussi Jered ignora la tentation de les faire sauter et concentra son tir sur les batteries antiaériennes. La plupart n'étaient plus que des cratères fumants, ayant été foudroyées dès le début de l'attaque, mais il en restait encore quelques-unes unes qui tiraient avec obstination sur les MS qui les survolaient. Krutvak et Nourdi avaient été abattus par trois d'entre elles. Les carcasses noircies de leurs MS brûlaient comme des torches.

Jered serra les dents et redoubla sa cadence de tir, vidant un chargeur complet sur une formation de trois chasseurs qui piquaient sur lui. Non pas qu'il eut voulu venger Nourdi ou Krutvak, il ne les connaissait que depuis quinze jours, mais parce qu'il réalisa qu'il pouvait très bien être le suivant. Le chasseur du capitaine Buttrik se désintégra le premier, celui de Merill vira péniblement sur la droite en laissant s'échapper une épaisse fumée noire; à cinq cents mètres d'altitude, les réservoirs de kérosène cédèrent et le chasseur s'éparpilla dans le ciel. Le FF-6 de Barbara Jenkins suivit quelques secondes plus tard: l'aile droite arrachée, le chasseur s'écrasa au sol sans que son pilote ait eu le temps de s'éjecter.

Jered se détourna de l'épave flambante et se dirigea vers l'imposant bunker de commandement et y balança un obus sans que cela n'entamât la carapace de béton pour autant. Le blockhaus résistait toujours aux obus et aux grenades offensives que les MS lui lançaient depuis le début de l'attaque. Mais le but recherché était plus de détourner l'attention de ses occupants plus que de chercher à percer les sept mètres de béton armé qui protégeaient le PC stratégique. L'abri en lui-même était inexpugnable, mais il comportait un défaut. Dans un souci de sécurité, les officiers qui avaient commandité la construction de ce bâtiment avaient exigé que soit créée une voie d'évasion. Un long couloir souterrain qui reliait la surface interne de la station, sous le bunker, à la surface externe, donnant directement sur l'espace libre; un long tube de lancement pour une navette de sauvetage, largable en cas de situation extrême. Cette issue avait été prévue pour faciliter la fuite, mais elle n'excluait pas toute possibilité d'infiltration.

Sur les cinq MS restes à l'extérieur, trois d'entre eux avaient contourné les installations spatioportuaires, longé la coque correspondant à la Plaine Deux avant de s'arrêter au niveau de la base, plus précisément devant la «sortie des artistes». A l'heure qu'il était, les trois MS sous la conduite du capitaine Steiner devaient avoir fini de poser les charges explosives.

Sept heures trente-huit minutes! Avec un minutage parfait, une immense déflagration secoua les fondations de la base. Le groupe de Steiner venait de faire sauter les charges qui ouvraient la coque, juste sous le bunker. Il ne restait plus aux trois MS qu'à s'ébattre dans les entrailles de la base, tranchant au Heathawk, dévastant aux obus incendiaires, déchiquetant les coursives, labourant les salles et abattant les murs… Finalement, le portail blindé fut soufflé par les multiples explosions internes, vomissant des torrents de flammes.

« Steiner à groupe Cyclope, mission accomplie ! Willy, fais sauter les réservoirs et tire-toi avec Micha. Stefan, suis-moi avec tes gars, on évacue les lieux ! »

Le message fusa à travers les casques des cinq pilotes. Suivant le plan préétabli, le peloton de Karadine décolla et se dirigea vers l'extrémité sud de la station afin d'attirer l'attention des forces de défense. Pratiquement au même moment, les MS de Larsen et Kaminsky se posèrent sur le sol, pulvérisèrent les citernes de propergol avec leurs derniers obus. Les six réservoirs s'embrasèrent dans un déchaînement de fin du monde, soufflant tout dans un rayon de sept cents mètres et transformant la base en porte de l'enfer. La déflagration secoua le bloc tout entier, ouvrant un trou énorme par lequel l'air, le feu, la fumée et tout ce qu'il y avait aux alentours s'engouffrèrent avec avidité! Les deux MS plongèrent à leur tour par l'ouverture, couverts par le peloton de Steiner.

Les six MS restants prirent de l'altitude comme s'ils avaient le diable aux trousses. Steiner, Karadine et les autres auraient pu s'échapper par le trou, eux aussi, mais le plan prévoyait qu'ils évacuassent la station par l'autre sortie, afin de faire taire les unités militaires des installations de poupe. C'était la partie la plus difficile et la plus dangereuse : il fallait détourner de l'ouverture l'attention des forces de défense en leur offrant une cible à poursuivre. Il était sept heures et quarante-trois minutes, la Flotte venait de pénétrer dans l'espace aérien de la colonie; plusieurs unités spéciales avaient été lancées, porteuses de conteneurs géants. Des conteneurs de G-3.

Mais Jered ignorait ce qu'était le G-3, le groupe des Cyclopes l'ignorait également; en fait, même les pilotes qui convoyaient ces conteneurs ignoraient ce qu'était précisément le G-3. On leur avait dit que c'était un gaz expérimental incolore et inodore, paralysant les centres nerveux et les muscles, aucun effet réellement létal. Mais en fait c'était un gaz mortel, et les unités spéciales allaient saturer l'intérieur d'Island Iffish avec. Il ne fallait pas que les forces de défense parvinssent à enclencher les systèmes d'urgence et obturer l'ouverture, car les deux premiers conteneurs devaient y être fixés, tandis que cinq groupes différents exécuteraient la même manœuvre sur les trois panneaux transparents. Mais Jered l'ignorait. Il savait juste qu'il devait maintenir l'attention des forces coloniales et fédérales sur eux en les attirant vers le spatioport. Le petit groupe avait à peine franchi une dizaine de kilomètres qu'une ombre gigantesque les recouvrit. Il y eu un éclair, très bref, et Jered sentit une secousse ébranler son MS. Il avait été touché !

« Lieutenant! hurla Strauss en virant de bord. Ils ont fait pénétrer un navire dans la station ! Frégate à deux heures au-dessus de nous !

_Stefan, ordonna la voix impérieuse de Steiner, foutez le camp !

_Rompez la formation, fit calmement Karadine. Thomson, abandonnez votre appareil, je vous récupère. »

Il n'avait fallu qu'une seconde d'inattention pour qu'un tir bien placé ne le touche de plein fouet ! Jered fit rapidement le tour des instruments tandis que le MS tombait en chute libre vers la surface en laissant derrière lui un grand panache de fumée noire. Le MS avait été atteint de biais par un puissant rayon à particule, lequel avait volatilisé son module de propulsion et son bras droit.

«Jered! gueula Steiner à son tour. Sors de là !

_Le système d'éjection est hors-circuit!

_Peux-tu ralentir la chute ?

_Je n'ai que mes fusées de direction, le système principal est détruit !

_Essaie un atterrissage d'urgence, n'importe où, et allume ta balise, je te récupère. Stefan, Andy, continuez sur votre route, je m'occupe de Jered. Marco, Franz, descendez-moi ce navire ! »

Steiner avait la réputation de ne jamais abandonner ses hommes sur le terrain tant qu'il restait une chance, fut-elle infime, de les récupérer vivants. Il lança sans hésiter son MS vers l'appareil en perdition. Enfermé dans son cockpit, Jered sentait la peur l'envahir petit à petit, s'insinuant dans chacune de ses cellules, réécrivant son ADN et hurlant : tu vas mourir, tu vas mourir ! Mais le jeune homme se força à rester calme et méthodique ; il fit basculer son MS en station horizontale et serra plus fort les manettes tandis que les chiffres de l'altimètre dégringolaient à une allure folle ! Cinq cents mètres, trois cents mètres, cent mètres !

L'enchaînement des événements parut infiniment lent et la chute lui parut mortellement longue, alors qu'en fait, il tombait à une allure vertigineuse. Quelque part sur la droite, deux MS s'acharnaient à éventrer le bâtiment fédéral responsable. Plaçant en son supérieur une confiance désespérée, le jeune homme maintint l'orientation de son appareil et vit le sol se ruer à sa rencontre.

Jered redressa son appareil à quelques mètres du sol avec beaucoup de difficultés, rasant les toits de plusieurs immeubles et fauchant des nids d'antennes paraboliques. Finalement, il avisa un petit bois légèrement sur la droite. Il tira légèrement sur les commandes et fit basculer son engin sur le dos dans la bonne direction avant de le plaquer au sol. Lancé à huit cents kilomètres heure, le MS percuta le sol avec une extrême violence; Jered crut que sa colonne vertébrale allait lui sortir par le sommet du crâne et serra ses dents en attendant l'arrêt complet. Mais le MS continua de glisser, fauchant les arbres et labourant le sol car le terrain descendait tout à coup en pente; finalement il émergea du petit bois, volatilisa un muret avant de percuter vingt mètres plus loin un bâtiment civil dont une bonne moitié s'effondra sous la violence de l'impact.

En dehors des dommages infligés par le navire fédéral, le Zaku était quasiment intact, le bâtiment avait absorbé la plus grande partie du choc, et à part les pans de murs qui s'étaient effondrés sur lui, l'appareil était libre de ses mouvements. Les cameras fonctionnaient encore. Jered déblaya les débris qui lui obstruaient la vue et effectua un plan panoramique pour voir sur quoi il avait atterri.

Lorsque Steiner posa son MS, il trouva Jered dans un état de catalepsie profonde, prostré aux commandes de son engin.

5ème flotte de Zeon, navire amiral, 7h47.

« Amiral, le groupe Cyclope vient de quitter la station. Le capitaine Steiner nous confirme l'achèvement de la phase un.

_Merci, enseigne. Quel est l'état des pertes ?

_Deux pilotes et trois MS, amiral. Transmission du rapport préliminaire sur le canal 52.

_Merci. La phase deux a-t-elle été amorcée comme prévu ?

_Oui, amiral. Le 115è escadron de MS procède actuellement à l'installation des conteneurs. Ils seront prêts dans trois minutes. »

L'amiral Gordon Aurillac se fit confirmer les chiffres sur son moniteur personnel et survola le rapport préliminaire de la phase un. Le vieil homme poussa un soupir imperceptible mais son regard ne cilla pas. Il continuait de fixer sombrement la colonie à quelques dizaines de kilomètres devant lui; il aurait du être enchanté que l'Opération commence aussi bien, mais au fond de lui il se disait qu'il aurait peut-être préféré qu'elle échouât, cela lui aurait évité d'avoir à la poursuivre. Avait-il servi fidèlement sa nation pendant toutes ces années pour se retrouver en charge d'une telle opération? Etait-ce là une récompense ou une punition ?

Mais c'est un honneur, avaient dit ses collègues de l'Amirauté, le couronnement de votre carrière ! Gordon n'avait pas eu le cœur de les contredire, pas devant le duc Degwin et pas devant le chef suprême de leurs armées. Une seule consolation, parmi les cinq amiraux qui l'accompagnaient pour cette mission, deux au moins partageaient son opinion; il ne serait peut-être pas le seul à supporter tout le poids de la responsabilité. Et puis tout à coup, le vieil homme songea à ce qu'il allait laisser derrière lui, une fois parti. Leur chef suprême allait-il transformer leur armée en une horde de bouchers sans conscience ni morale? Ou alors se trouverait-il un autre officier général qui, comme lui, se dresserait contre ses extravagances et tempérerait ses élans meurtriers? Probablement pas, aucun autre amiral ne jouissait de son prestige au sein des troupes. Les perspectives d'avenir pour l'armée du Duché de Zeon étaient vraiment peu reluisantes.

«Y a-t-il une réaction ennemie? demanda-t-il sans conviction »

Non, bien entendu, il savait qu'il n'y en aurait aucune. La neutralisation du centre de commandement avait été leur objectif premier; pour cela il leur avait fallu une opération éclair, d'une rapidité extrême et d'une violence inouïe. Leur flotte aurait pu se contenter de gazer la station, mais en ce cas ils n'auraient jamais pu atteindre le blockhaus de commandement, entièrement autonome et indépendant du reste de la station. Il avait donc fallu séparer l'attaque en deux : un groupe de diversion chargé de s'introduire dans la station au vu et au su de tous, l'autre groupe opérant plus discrètement, détruisant le bunker de l'intérieur après s'y être introduit en passant par l'extérieur!

Aurillac n'avait aucun mal à imaginer ce qui avait du arriver ensuite. La destruction du bunker de commandement devait avoir totalement désorganisé la hiérarchie militaire en supprimant en un clin d'œil plusieurs de ses plus hauts échelons. Ce devait être l'anarchie au sein de l'ennemi pour savoir qui devait prendre le commandement du secteur.

« Aucune, amiral, confirma l'opérateur. Nos unités de détection avancée nous font état de communications erratiques. Nos unités de MS ne rencontrent aucune résistance et n'éprouvent aucune difficulté à neutraliser les vecteurs fédéraux présents sur la colonie.

_Eh bien, amiral, nous pouvons considérer la première phase de l'Operation Eclipse comme un succès, fit une voix suave dans le dos d'Aurillac. Il faudra penser à décorer les hommes du groupe Cyclope, ils ont fait de l'excellent travail.

_En effet, excellence, acquiesça le vieil amiral avec raideur. Le rapport spécifie toutefois qu'un de leurs pilotes est blessé.

_En effet, mais rien de grave. Il sera sur pied ce soir. La médecine fait des miracles de nos jours. »

Aurillac sentit ses muscles se raidir encore un peu plus et ses cheveux se hérisser le long de sa nuque, mais l'autre ne parut pas s'en apercevoir. Sans laisser paraître son dégoût, l'amiral commandant la Neuvième flotte édicta ses ordres pour occuper son esprit. L'horloge affichait H1 plus vingt-sept minutes. Une seconde horloge, elle, affichait H2 moins trente-sept heures quarante trois minutes.