CHAPITRE 8
VON BRAUN, 6 janvier, 03H52 heure
locale, 01h52 GMT
Anaïs Macleyn venait de passer deux heures sur la Colline aux étoiles
à méditer sur l'incroyable rapidité avec laquelle les événements s'étaient
enchaînés. Elle était finalement rentrée à l'hôtel sur le coup des trois
heures et demie du matin, mais elle n'avait toujours pas trouvé le sommeil.
Appuyée sur le rebord de la fenêtre, elle regardait à présent avec tristesse
la cité lunaire qui dormait paisiblement. Il y avait un an à peine, ils étaient
encore tous là, réunis au même endroit, fêtant leur retrouvailles.
Aujourd'hui, ils étaient tous dressés les uns contre les autres. Qui aurait pu
prévoir cela ? Et quand bien même, auraient-ils pu empêcher la marche des événements
? Ils avaient chacun leurs opinions et il ne faisait pas de doute qu'à l'heure
actuelle, chacun avait décidé d'en assumer la responsabilité, se rangeant
d'un côté de la barrière ou de l'autre. La jeune femme ferma les yeux puis
retourna se coucher lorsque le téléphone sonna.
« Macleyn j'écoute ? dit-elle en décrochant.
_Anaïs
? Euh... c'est moi.
_Papa
? Tu te rends compte de l'heure qu'il est ici ? Il est presque quatre heures du
matin !
_Et
alors ? Ici il est une heure de l'après-midi, répondit son père en avisant
sa tenue. Et je ne suis pas censé savoir quelle heure il fait sur la Lune.
Enfin, trêve de bavardages, je t'appelle pour m'excuser. Je retire ce que je
t'ai dit au téléphone hier soir. Je comprends que tu cherches à perpétuer
les traditions familiales, mais ma contribution et celle de ton frère sont, à
mon avis, amplement suffisantes. Il n'y a pas de raison pour que tu aies toi-même
à porter les armes alors que ces rebelles de Side-3 s'agitent dans tous les
sens... Et puis pense un peu à ta mère...
_Papa,
je t'ai déjà expliqué mon point de vue. L'affaire est sérieuse cette
fois-ci. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une simple agitation indépendantiste,
c'est la guerre. Cela risque d'aller très loin, je suis bien placée pour
savoir à quel point Side-3 est déterminée, Zeon mènera cette guerre jusqu'au
bout s'il le faut. Je ne peux pas décemment rester les bras croisés alors que
l'union fédérale fout le camp.
_Allons,
Anaïs. Tu n'exagères pas un peu ? Où Side-3 trouverait-elle les moyens de
faire la guerre à la Fédération? Ce ne sont rien de plus que de simples
escarmouches provoquées par une poignée d'excités qui s'imaginent pouvoir défier
l'armada fédérale. Guère plus qu'une lointaine colonie, une horde
d'extraterrestres illuminés qui cherchent à se faire remarquer...
_Dois-je
te rappeler que beaucoup de mes amis font partie de ceux que tu appelles des «extraterrestres
illuminés» ? Le fait qu'ils soient nés dans les colonies ne fait pas d'eux
des êtres venus d'une autre galaxie.
_Mais
voyons, ça revient au même, ils ne sont pas nés sur Terre.
_Papa
! coupa Anaïs, exaspérée. Si tu as quelque chose à me dire, viens-en au fait
au lieu de tourner autour du pot et insulter mes amis.
_Bon,
d'accord, ne t'énerve pas. Je m'excuse de t'avoir froissé mais cela ne
changera en rien ma conception sur ces Spacenoïds. Pour en venir au fait, la
nouvelle de ta réactivation d'officier de réserve a mis ta mère dans tous ses
états et ton frère a du l'emmener prendre un petit bol d'air sur la côte nord
; Rans et elle sont partis ce matin à Cairns. Je te demande de faire marche
arrière avant qu'il ne t'arrive quelque chose. Si tu ne peux le faire pour moi,
fais-le pour elle. Si tu veux, j'ai quelques amis haut placés qui me doivent
quelques services et je pourrais demander ta démobilisation dans...
_Papa
! Tu n'as rien écouté de ce que je t'ai dit la hier soir ! Cette réactivation
n'est pas une décision de l'armée, mais la mienne. J'ai demande à être réactivée
!
_C'est
une décision stupide ! Te faire réactiver ! Pour quelques ridicules et éphémères
broutilles !
_Ephémères
broutilles ? ! C'est vraiment ce que tu penses ?
_Parfaitement
!
_Ah
bon... ? Dans ce cas tu n'as pas à te faire de soucis pour ma petite personne.
Si ce ne sont que d'éphémères broutilles, comme tu dis, tout sera terminé
avant même que j'ai eu le temps de tirer un seul coup de feu. »
L'expression de Christofer Macleyn se fit indécise. Il scruta le visage
de sa fille, tentant de déceler une quelconque trace d'ironie sur les traits de
la jeune femme. Puis, convaincu qu'elle était finalement parvenue à retourner
ses propres arguments contre lui, il décida de ne pas poursuivre la
conversation sur le sujet. Après tout, Anaïs semblait avoir pris sa décision
et rien de ce qu'il pourrait lui dire ne pouvait à priori lui faire changer
d'avis.
« Bon, d'accord, concéda-t-il à contrecœur. Puisque tu le prends comme
ça, je tacherais de convaincre ta mère lorsqu'elle sera de retour.
_Tu
ne vas pas les rejoindre ? interrogea Anaïs.
_Non,
je reste à Sydney. Ils ont besoin de moi à la base.
_Je
vois... bon, écoute papa, je te remercie de ton coup de fil mais il commence à
se faire tard et il faut vraiment que j'aille me coucher. J'essaierai de
t'appeler dès que possible, d'accord ? Allez, bonne nuit papa.
_Mouais...
C'est ça, euh... Bonne nuit. Et prend soin de toi. »
Anaïs raccrocha le combine en soupirant. Apparemment les dernières
nouvelles n'étaient pas encore parvenues sur Terre. Si son père avait su que
Zeon déplaçait une station en direction de la Lune, il y aurait eu fort à
parier qu'il serait venu la chercher lui-même avant qu'Island Iffish ne lui
tombe dessus. Et il serait venu encore plus vite s'il avait su que sa fille chérie
faisait partie de la deuxième vague d'assaut prévue pour la repousser.
5è flotte de Zeon, navire amiral, 6
janvier, 6h52 GMT
L'amiral Jeyms Hazawell plia son manteau et entreprit de déballer le
contenu de son attaché-case avant de s'asseoir. Il était cependant debout et
au garde-à-vous huit minutes plus tard lorsque Gihren Zabi fit son entrée dans
la salle d'état-major du SEIGNEUR DES ANNEAUX, suivit de l'amiral Aurillac.
Ce dernier paraissait fatigué, les épaules voûtées comme par un poids énorme
qui lui aurait fait courber prématurément l'échine. La responsabilité de
cette opération était trop lourde pour lui, ou bien la compagnie du baron
Gihren était aussi éprouvante qu'on le disait?
Mark Powland semblait perdu dans ses pensées, Arlan Garahau tapotait
nerveusement sur la table et les commandants de flottille présents autour de la
table semblaient tendus lorsqu'ils se rassirent.
Les lumières de la salle s'obscurcirent progressivement et la sphère
holographique de trois mètres de diamètre fit son apparition au centre de la
pièce. Les pupitres et claviers s'illuminèrent à leur tour d'une douce
lueur bleutée éclairant le visage de chacun des six amiraux présents. Au
centre de la sphère, l'objectif ultime de l'Opération British; à mi-chemin
du bord, la Lune, avec à peu de distance, leur propre flotte. à l'extrême
bord, beaucoup plus a l'ouest, Side-2, leur point de départ. Plusieurs séries
de triangles rouges figuraient les positions présumées des différentes
flottes fédérales mises en alerte.
« Messieurs, commença le chef d'état-major d'Aurillac, ceci est une
projection de la situation stratégique actuelle. Les informations portées
ci-dessus ont moins d'une heure et nous ont été confirmées par nos unités de
reconnaissance. Vous remarquerez la dispersion des flottes fédérales sur une
très grande superficie. Actuellement, seules deux sont en position
d'interception... La 4è et la.23è » termina-t-il en désignant
deux triangles rouges situés à proximité de l'orbite lunaire. Plusieurs croix
rouges firent alors leur apparition en divers lieux tout le long de l'équateur
lunaire.
«
Vous avez ici une estimation des différents points d'interception possibles
pour la flotte fédérale. De tous, celui-ci, poursuivit-il en éliminant tous
les points sauf un, est de loin celui qui leur offre les meilleurs possibilités.
Les Forces Fédérales disposent dans ce périmètre de trois bases militaires
dans un rayon de cent kilomètres, figurant ici, ici et ici par ces cercles
rouges; par ailleurs ce point sera à ce moment-là l'un des points les plus
éloignés de Side-3.
« Deux trajectoires s'offrent à nous pour contourner la Lune. La première
aborde l'orbite lunaire par la face visible. Elle a pour avantage de nous amener
au-dessus de Granada après avoir effectué une demi-orbite et de nous permettre
de remplacer nos effectifs éprouvés par la contre-attaque fédérale.
Cependant, cette trajectoire rallongerait notre route et nous exposerait
inutilement, en outre elle n'offre aucun avantage tactique particulier. En
raison de la nouvelle lune, nous avons opte pour la seconde approche, par la
face cachée. Cette tactique nous permettra d'abord de nous ravitailler sur
Granada et d'introduire nos renforts avant d'affronter la principale
contre-offensive adverse. La face visible étant totalement plongée dans
l'ombre, cela masquera sensiblement notre approche de la face orientale et
limitera les moyens de détection visuels des Forces Fédérales. Sa traversée
restera toutefois la partie la plus dangereuse de notre orbite et devra donc
s'effectuer dans un black-out total. Notre tactique sera la suivante. »
Le diagramme changea de forme, il y eu un plan rapproché et la Lune
remplit bientôt les deux tiers de la sphère. Des lignes courbes figurant les
trajectoires possibles zébrèrent temporairement la surface criblée de cratères
puis disparurent aussi vite, laissant la place à d'autres points, d'autres
trajectoires.
« Notre force se séparera en deux groupes avant d'atteindre la Lune,
laissant l'escorte de la station à la Flotte principale. La force de frappe A
contournera le satellite en passant par l'hémisphère austral tandis que la
force de frappe B passera par l'hémisphère boréal. Les deux flottes
effectueront leur jonction au-dessus de la Mare Foecunditatis et commenceront à
déblayer le passage pour la force principale qui atteindra le périmètre une
demi-heure plus tard. Ace moment vous devrez avoir éliminé les deux tiers,
sinon la moitié des vecteurs offensifs ennemis afin de leur ôter toute velléité
de poursuite. »
Tandis qu'il parlait, la ligne verte figurant leur progression se sépara
en trois. Alors que le cylindre représentant la station continuait sur la lancée
vers l'orbite lunaire, les deux autres triangles contournèrent l'astre, l'un
par le pole nord, l'autre par le pole sud, pour se rejoindre sur l'autre face à
la verticale de Mare Foecunditatis, ralliés peu après par la troisième
formation. Les trois lignes vertes furent réunies en une seule s'éloignant
rapidement de l'orbite pour la dernière partie du voyage.
«Les instructions s'affichent en ce moment sur vos moniteurs personnels
et vous seront intégralement transmises dans les disquettes qui sortiront à la
fin du briefing. Des questions?»
Aurillac parcourut la salle du regard mais tous les autres feignirent
d'être plongés dans leurs moniteurs respectifs. Gihren Zabi intercepta son
regard et esquissa un sourire. En tant que chef des armées, il aurait pu
commander cette opération militaire lui-même, mais les hauts-cadres de l'armée,
aussi assujettis au gouvernement qu'ils l'étaient, n'auraient pas apprécie
cette main mise sur les opérations militaires dès le début du conflit. Il lui
avait donc fallu ravaler sa frustration et nommer un officier général pour lui
servir d'intermédiaire; le choix s'était donc porté sur l'amiral Godron
Aurillac, mais pas par hasard.
Le
vieil homme était l'officier le plus âgé de l'armée et avait participé à
la réorganisation des forces de défense de Side-3 en 0058 lorsque Zeon Daikun
avait proclamé l'indépendance et la création de la République de Zeon.
Aurillac était une figure emblématique et populaire au sein de l'armée et il
constituait par conséquent un obstacle à l'hégémonie que lui-même tentait
d'imposer. L'homme approchant à grands pas de l'âge de la retraite, Gihren
n'en était que plus pressé de le voir se retirer de la scène. Or cette opération
lui fournissait un excellent moyen de régler la question de la retraite du
vieil officier. Gihren Zabi était pas sans savoir les problèmes de santé de
l'amiral et son opposition lorsqu'il avait exposé le plan de l'Opération
British devant le Haut-commandement. Mais Aurillac n'était pas un couard,
encore moins un traître, et il avait accepté le commandement des opération
sans broncher. L'Opération British était à tous les égards une
responsabilité trop lourde pour son âge, et Gihren pouvait espérer en toute légitimité
qu'une fois la mission accomplie, l'amiral prendrait définitivement sa
retraite, sous les honneurs et en pleine gloire. Bien qu'il repoussa toute idée
d'échec, il se disait également que dans une telle éventualité il n'aurait
même pas à se justifier pour le faire exécuter.
Jeyms Hazawell observa du coin de l'œil le duel visuel et strictement
silencieux que se livraient les deux officiers, puis il se replongea dans l'études
du diagramme qui s'affichait sous ses yeux.
La tactique était simple. Si l'armée fédérale tenait à stopper la
station, elle devrait mettre toutes les chances de son cote et rassembler toutes
ses forces en une seule et même offensive; par conséquent elle ne pouvait pas
se permettre de disperser ses forces tout le long de l'orbite lunaire. Cela
signifiait que les deux forces de frappes mobiles auraient le champ libre pour
contourner la Lune par les deux hémisphères, mais la perspective de devoir
affronter en première ligne cette contre-attaque avec des effectifs fatigues ne
lui plaisait guère. Les flottes de Garahau et d'Aurillac n'avaient pour
l'instant pas encore engagé le combat avec l'ennemi, mais sa flotte et celle de
Powland avaient mené la contre-offensive contre la Dixième flotte fédérale
et il y avait eu des pertes.
Un croiseur lourd de classe Tibet, cinq croiseurs Musaï, neuf
escorteurs, quarante-six chasseurs et trente-six MS avaient été perdus. Par
rapport aux effectifs totaux mis en œuvre, ce n'était qu'une fraction
infime, mais les hommes étaient sur le pied de guerre depuis trois jours et ils
étaient nerveux. On ne pouvait décemment pas leur demander de rester en alerte
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et encore moins d'attaquer les premiers.
L'adjonction de la Deuxième flotte de l'amiral Ketlynn Reymond et de la Troisième
flotte du contre-amiral Azarel Falken avait pour but de soulager les troupes
fatiguées lors de la troisième phase. Mais en fait il aurait fallu changer
l'ordre de bataille pour que cela puisse avoir réellement de l'effet. Or ce n'était
pas le cas et ces deux dernières flottes se voyaient offrir la partie la plus
tranquille du voyage tandis qu'on les remettrait, eux, de nouveau en première
ligne.
Powland
et lui se voyaient certes pour l'instant retirés de la première ligne de défense
et relégués sur la troisième, mais le délai qui restait jusqu'à Granada
était trop court à son goût pour que ses hommes aient le temps de réellement
décompresser. Gihren devait bien en avoir conscience, mais l'affectation de la
flotte Powland dans une des formations mobiles et de la sienne dans l'autre
laissait supposer qu'il préférait avoir deux flottes aguerries dans chacune
des deux. Et Hazawell savait qu'il était préférable de ne pas discuter les
ordres de l'aîné des fils Zabi.
Comme si tous les amiraux étaient donnes un signal secret, ils relevèrent
la tête pratiquement au même moment et se tournèrent vers leur chef en
secouant négativement la tête.
« Bien, acquiesça Gihren du fond de son fauteuil d'un air satisfait.
Puisqu'il n'y à pas de questions, je vous propose de clore la réunion.»
Gihren Zabi se leva et tous l'imitèrent pour le saluer. Le chef suprême
des forces de Zeon leur rendit leur salut et se retira avec Aurillac scotché
sur les talons.
4è flotte fédérale, 6
janvier, 15H07 heure locale, 9h07 GMT
Quelques kilomètres au-dessus de la surface lunaire, plusieurs
formations de vaisseaux de guerre fédéraux se plaçaient avec lenteur au sein
d'un vaste dispositif, tissant une toile infranchissable en un ballet silencieux
et démesuré sous le regard du disque terrestre.
Kenneth Marineris acheva de signer le registre que lui tendait une
enseigne de vaisseau et mordit dans son sandwich sans quitter les moniteurs des
yeux. Le lieutenant de vaisseau Kris Korolev vint se planter à cote de lui et
fit mine d'étudier le schéma tactique.
« Pensez-vous que ça va marcher? demanda le commandant entre deux bouchées.
_Je
n'en sais trop rien, répondit la jeune femme. Il est difficile de se faire une
idée précise du potentiel offensif de l'ennemi avec les informations
contradictoires que nous avons pu glaner ces trois derniers jours. Je ne sais
pas si les témoignages recueillis sont tous dignes de foi; l'ennemi à pu répandre
de fausses rumeurs.»
Marineris acquiesça d'un signe de tête et entreprit d'engloutir son
deuxième sandwich après une gorgée d'eau minérale. Les attaques de Zeon sur
Side-1, 2 et 4 avaient été fulgurantes et bien souvent, les éléments des
Forces Fédérales présents sur les lieux avaient été submergés, incapables
de remédier à une situation désastreuse. Les unités de défense coloniales
avaient été surprises au petit matin sans qu'il y ait eu un seul signe
vraiment sérieux ou seulement inquiétant indiquant qu'une offensive générale
était en préparation.
Cela faisait en effet plus de deux ans que les bâtiments de brouillage
de la Flotte de Zeon camouflés en bâtiments marchands jouaient à inonder
l'espace de particules Minovsky à proximité de ces colonies. Cela avait tout
d'abord eu pour premier effet de mettre les Forces Fédérales sur le qui-vive,
mais au bout de quelques mois, il avait été clair que rien ne viendrait et les
vaisseaux de guerre étaient retires.
Par
trois fois il y avait eu des alertes plus sérieuses impliquant l'intrusion de
croiseurs Musaï, mais pas un seul MS. Leurs experts avaient alors cru que le
but recherche était la guerre psychologique. Après quelques mois, le
Haut-commandement lui-même avait fini par s'en désintéresser et avait retiré
les effectifs surnuméraires des secteurs en question; il n'en avait pas fallu
plus pour que les unités restantes relâchent peu à peu leur vigilance
jusqu'à ne plus réagir du tout. Et le véritable objectif de cette campagne
de brouillage avait du se trouver là : leurrer la Flotte Fédérale jusqu'à
lassitude et la mener à baisser sa garde pour mieux la surprendre.
Lorsque
au matin du 3 janvier des flots de particules Minovsky avaient brouillé tous
les radars et inondé tous les canaux de communication, personne n'avait réagi,
croyant de nouveau à une de ces fausses alertes. Jusqu'aux premiers échanges
de tirs. Et même la, certains avaient cru à un canular. Mais les premiers
rapports établis dans la hâte et la déroute avaient mis en évidence
l'utilisation par Zeon d'un type d'arme tout nouveau, les Mobile-Suits,
lointaines, mais alors fort lointaines évolutions des combinaisons spatiales
mobiles! Les données restaient imprécises quant aux caractéristiques
techniques de ces engins, le nombre d'appareils en service, leur puissance de
feu... Ils étaient dans une ignorance consternante, et c'était dans de
telles conditions qu'on avait envoyé la Dixième flotte se battre; pas étonnant
qu'elle eut été défaite !
Il était devenu également évident que pour pallier son infériorité
numérique, Zeon n'avait pas hésité à faire l'usage d'ogives nucléaires et
autres moyens de destruction massive contre les éléments de l'armée fédérale.
Ce que Marineris ne parvenait pas à comprendre, c'est la raison pour laquelle
les rebelles s'en étaient pris aux populations civiles? La propagande fanatique
des Zabi n'admettait-elle donc aucune autre communauté en dehors de la leur,
vouant toutes les autres à l'extermination? Les rebelles continuaient leurs
exactions sans que quiconque soit en mesure de les arrêter.
A vrai dire, la Flotte Fédérale avait d'autres chats à fouetter:
Island Iffish représentait depuis deux jours la priorité numéro un. La
destination réelle d'Island Iffish restait toujours incertaine, mais la Lune et
Side-4 étaient à présent directement dans la ligne de mire. La Onzième et la
Douzième flotte ne pouvaient pas bouger de Lagrange 5 avant que la Neuvième et
la Quatorzième n'arrivent de Luna 2. La Sixième flotte avait déjà quitte
Side-1 malgré les combats et entamait une trajectoire d'interception qui devait
la mener à mi-chemin entre Lagrange 5 et la Lune, au cas ou la contre-attaque
lunaire échouerait. La Huitième flotte avait également quitte Luna 2 pour
Side-4 quarante-six heures auparavant tandis que sur Terre, les effectifs des
Deuxièmes, Cinquièmes, et Dix-Septièmes Flottes attendaient patiemment la
prochaine fenêtre de tir qui ne viendrait pas avant trois jours.
Pour le moment, seules les Quatrièmes et Vingt-Troisièmes flottes
seraient en première ligne, épaulées par les unités de défense lunaires et
les différents complexes militaires disséminés sur la face visible. Les
effectifs se composaient de vingt croiseurs lourds de classe Magellan, cent
quarante croiseurs de classe Saramis, quarante-deux bâtiments lance-engins,
deux cent quarante escorteurs, torpilleurs et bâtiments spéciaux de toutes
classes et soixante-dix bâtiments de support logistique pour ce qui était des
bâtiments lourds. Le nombre de vecteurs mobiles se composait, effectifs
lunaires compris, de mille cent chasseurs-bombardiers, cent vingt unités
d'alerte avancée et de reconnaissance, ainsi que plusieurs centaines d'engins
divers, des drones aux sondes-suicides automatiques.
Des unités de détection automatiques avaient été placées tout le
long de la frontière entre les deux faces pour prévenir toute incursion et
d'énormes moyens avaient été mis en place pour repérer, calculer et prévoir
quel serait l'angle d'incidence par lequel Island Iffish se présenterait, de
quel côté elle passerait en premier, et à partir de quand et vers ou la
station quitterait l'orbite lunaire.
Les bâtiments continuaient leur manège silencieux et ce fut bientôt au
tour du TRIESTE qui vint se placer à cote du STENVIJK de la 47è flottille à
l'aide de ses propulseurs latéraux, tandis qu'a sa droite se rangeaient le
MELBOURNE, l'ACAPULCO, le BEIRUT et le FIRENZE.
L'amiral Tianm, qui avait reçu le commandement de la flotte combinée,
avait opté pour une disposition linéaire, les deux flottes étant reparties en
quatre groupes équivalents dispersés dans un périmètre de deux cents kilomètres
autour de la Mare Foecunditatis. L'idée était qu'à l'annonce du passage
d'Island Iffish sur la face obscure de la Lune, les Forces Fédérales
enverraient une pluie de missiles balistiques et la flotte d'intervention à au
devant de la station pour faire diversion, tandis que le reste de la flotte
combinée se rapprocherait par arrière et la gauche, surgissant de la Mare
Undarum et de la Mare Foecunditatis.
Le flanc droit serait volontairement omis afin que la base de Tarentius
puisse lancer la deuxième vague d'assaut ainsi que ses missiles nucléaires
dont l'explosion devait pouvoir, en théorie, faire dévier la station de sa
trajectoire. Chaque groupe de combat se composait de quatre-vingt seize bâtiments,
toutes classes confondues, et devait fondre sur la station au même moment,
abondamment soutenus par les missiles balistiques intercontinentaux et les
chasseurs des différentes bases lunaires. Marineris savait qu'ils n'avaient pas
droit à l'erreur, qu'il y aurait un assaut et un seul.
Base de Granada, cratère Daedalus,Lune,
6 janvier 23h14 heure locale, 11h14 GMT
Le capitaine Reika Masarick surveillait l'embarquement de son groupe aérien
avec la plus grande attention. Elle observait le personnel du dock spatial, la
façon dont ils prenaient soin du matériel et de ce qu'ils transbordaient. Une lourde plate-forme mobile pénétra dans le monumental hangar par
l'un des vingt-huit portails, chargée de quatre Zakus flambants neufs. Le véhicule
longea le quai supérieur le long duquel étaient amarres une dizaine de
croiseurs Musaï, puis s'arrêta au bout de la jetée 47. La, une grue
s'avança jusqu'au niveau de la plate-forme tandis que des mécaniciens
s'affairaient autour des câbles d'arrimages. La grue souleva alors avec lenteur
les deux cent trente deux tonnes de métal et, après avoir assure de la
stabilité de l'ensemble, relâcha la pression des freins et repartit en
direction de l'ouverture béante du hangar à MS du croiseur à quelque
cinquante mètres derrière. Là, les grues et bras mécaniques du vaisseau
prirent le relais et se chargèrent de transborder les MS afin de les mettre en
position verticale sur leurs plates-formes individuelles de maintenance.
Le
système de gravité artificielle étant neutralisé dans les docks spatiaux,
des grappes de techniciens s'affairaient un peu partout à un sixième de G sur
les différents systèmes à entretenir ou a mettre en place. Les flancs des
fiers croiseurs étaient largement ouverts, vomissant des kilomètres de câbles
et de ferraille, tandis que sur le quai inférieur de nombreux conteneurs
attendaient d'être charges par les portes-cargo.
Ce manège durait depuis deux jours et les vaisseaux avaient succédé
les uns aux autres, les équipes travaillant sans relâche à tour de rôle afin
que les deux flottes soient prêtes lorsque Island Iffish passerait au-dessus de
leurs têtes. Lorsque le dernier Zaku de son escadrille fut embarqué, Reika
quitta son poste d'observation sur le quai supérieur et se propulsa avec ses
jambes en direction du sas jouxtant la passerelle. Elle s'aperçut un peu tard
qu'elle avait oublié de nouer ses cheveux, et ceux-ci flottaient librement,
soumis aux fantaisies de l'apesanteur; mais peu lui importait, elle était
presque arrivée. Ramenant ses jambes devant elle afin d'amortir le choc, elle
toucha la coque avec douceur puis se dirigea prudemment jusqu'aux marquages
oranges électroluminescents indiquant l'entrée du sas.
Arrivée près de l'ouverture, elle déverrouilla manuellement la poignée
libérant la trappe d'accès et le tableau de commande. Tout en appuyant sur
le bouton rouge, elle souleva les deux bras de la poignée et imprima un
mouvement rotatif vers la droite jusqu'à faire un tour complet. La trappe se
renfonça légèrement dans la coque et s'effaça sur la gauche en dévoilant
le tableau de commande. La jeune femme pianota sur le clavier numérique le code
secret à huit chiffres et entra lorsque la porte du sas s'ouvrit; une fois passée
de l'autre côté, elle appuya sur le bouton commandant la fermeture et la porte
étanche se referma en chuintant. Les docks étant eux-mêmes pressurisés,
Reika n'eut pas à attendre la repressurisation du sas et traversa directement
le vestibule situé derrière la passerelle.
«Capitaine, salua-t-elle en entrant dans le poste de commande,
l'embarquement de nos MS vient de s'achever.
_Merci
madame, répondit le capitaine de vaisseau Austin Vyper en faisant pivoter son
siège. Vos pilotes ont-elles termine leurs préparatifs d'embarquement?
_Oui
capitaine.
_Bien.
Il ne reste donc plus que nous; le chargement du navire devrait se terminer dans
une heure ou deux. Nous devrons quitter les docks à une heure zéro-zéro; si
vous avez terminé vos propres préparatifs, vous avez quartier libre jusqu'à
l'heure du départ.
_Merci
beaucoup capitaine.»
Un protocole particulier à bord des navires de la Flotte exigeait,
lorsqu'il y avait deux capitaines, l'un commandant le groupe aérien, l'autre le
navire lui-même, que seul le commandant de bord ait le droit de porter son
grade devant tous les officiers. Le chef du groupe aérien était nommé
Monsieur, ou Madame. Reika esquissa un sourire en coin et s'en fut dans les
coursives après avoir salué Vyper.
Cela faisait à peine deux semaines que son escadrille était installée
sur Granada, et trois jours qu'on l'avait assignée sur le PERSEUS, prenant
officiellement la nomination de 217è escadrille de combat. Mais depuis, rien.
L'attente avait été longue et monotone pour la flotte, et ils avaient du
rester enfermés dans les hangars casemates enfouis sous des tonnes de roche,
alors que ce qu'ils désiraient, c'étaient s'ébattre et bouffer du Fed. Au
lieu de cela, trois jours durant, la Deuxième flotte avait du se morfondre en
attendant la troisième phase de l'Opération British, tandis que d'autres se
couvraient de gloire sur d'autres champs de bataille.
Pour des questions de discrétion, le Haut-Commandement avait
formellement interdit les exercices en surface et depuis la campagne de répétition
de l'Opération British menée deux mois auparavant sur Side-3, ni Reika, ni
aucun autre pilote de MS de la flotte n'avait reçu l'autorisation de survoler
la surface lunaire. Il fallait sans doute croire que le Haut-Commandement ne
tenait pas à ce qu'une sonde de détection fédérale découvre tout à fait
fortuitement l'existence de la dernière invention de leur armée; quoique
depuis le début du conflit cette interdiction devint de moins en moins
justifiable, les combats ayant laissé suffisamment de rescapés chez les Fédéraux
pour qu'ils aient d'ores et déjà un portrait-robot du MS-06 ZAKU II.
Reika arriva finalement devant sa cabine et après avoir introduit son
code personnel, pénétra à l'intérieur. Celle-ci n'était pas très large,
quinze mètres carrés à peine, le mobilier se réduisait à un lit
encastrable, un petit bureau, une chaise, une table basse et deux fauteuils, le
reste tel que penderie ou placard était savamment dissimulé dans les murs.
La jeune femme s'assit sur son lit en soupirant puis entreprit de déballer
le contenu de son paquetage réglementaire: quelques papiers officiels et ordres
de mission, sa batterie d'uniformes et de combinaisons de vol ainsi que quelques
effets personnels qu'elle traînait depuis son engagement neuf ans auparavant.
Autant de signes attestant d'une vie privée aussi solitaire et vide qu'un
naufrage perdu sur une lie desserte. Neuf années toutes consacrées à l'armée;
elle avait tout donné, sa fougue, son courage, sa jeunesse....
Mais
l'armée l'avait tiré de la misère et de l'ornière, elle avait quitté les
taudis sur LE VERRIER pour trouver l'ordre et la discipline, mais aussi une
famille sur qui elle pouvait compter, et qui ne la laisserait jamais tomber. Et
la voilà à présent engagée dans ce qui promettait d'être la plus terrible
opération militaire de tous les temps. Mais après? Que pouvait-elle espérer
trouver à l'autre bout? La gloire? La mort?
6è
flotte de Zeon, navire amiral, 6 janvier, 15h11 GMT
Durant
les dernières vingt-quatre heures, le disque lunaire n'avait cessé de croître,
tandis que sur tribord arrière, le croissant terrestre gagnait progressivement
en rotondité. Ce n'était pas encore tout à fait la nouvelle lune et l'angle
d'approche de la flotte permettait de voir le satellite dans son dernier tiers.
En revanche, avec son albédo cinq fois supérieur et une surface réfléchissante
huit fois plus étendue, la Terre paraissait à présent énorme et éblouissante,
comme un croissant obèse violemment illuminé par des projecteurs. L'absence de
couches atmosphériques protectrices rendait la lumière réfléchie aveuglante
et les baies vitrées du pont d'observation arrière du SLEIPNIR s'auto-teintaient
afin de rendre la vue moins pénible.
Sur
bâbord arrière par contre, le champ de vision était entièrement occupé par
Island Iffish, masse obscure et menaçante, immense mais morte. La population de
la station avait été gazée alors que les unités du génie s'apprêtaient
à fixer sur la coque les gigantesques propulseurs à fusion thermo-nucleaire.
C'est donc au milieu des cadavres et dans un silence de mort que les équipes
d'ingénieurs s'étaient frayés un chemin jusqu'à l'ancien centre de contrôle
et avaient préparé la station pour son ultime voyage.
Afin
de fixer les propulseurs il avait fallu briser la coque vitrée, faire passer
d'énormes foreuses qui avaient percé l'épaisseur de la coque huit heures
durant de part et d'autre. Le plus éprouvant pour les équipes avait été de
supporter pendant des heures l'horrible spectacle d'une station éventrée se dépressuriser
en laissant s'échapper dans le vide tout ce qui passait à proximité de ces
ouvertures béantes : faune, flore, population...
A
présent, la station avait eu le temps de se vider de tout ce qui était pas
fixe, mais les maisons et les immeubles étaient encore emplis de corps sans
vie. Comme si la station avait rechigné à laisser s'échapper la totalité
de sa population, comme si elle avait craint de se vider de son sang. L'intérieur,
jadis inondé de lumière et verdoyant, était maintenant sombre et grisâtre,
toutes lumières éteintes, toute vie enfuie.
Alexendra Satori s'efforça de ne pas penser aux corps qui hantaient la
station et détourna son regard de la baie vitrée. Quelques lueurs vers la
poupe indiquaient que les équipes du génie étaient de nouveau à l'ouvrage,
sans doute en prévision du passage au-dessus de la Lune. Le ballet des MS et
des engins spéciaux s'était intensifié ces dernières heures et deux bâtiments
cargo de classe Pazock étaient accostés en permanence à proximité de chaque
propulseur thermonucléaire.
La jeune femme replia ses jambes sous son menton et tourna la tête vers
tribord. Il y avait quelque chose d'effrayant et de démesuré dans cette
guerre, tant au niveau de l'échelle qu'au niveau humain. L'ampleur des moyens
déployés par Side-3 pour obtenir par la force ce que le gouvernement fédéral
lui refusait depuis onze ans était considérable et semblait dépasser de loin
le cadre d'une simple guerre d'indépendance, comme si la famille Zabi tenait
absolument à pulvériser la Flotte Fédérale tout entière et la neutraliser
à n'importe quel prix avant de... Avant de quoi? Le duc Degwin avait-il encore
un autre tour dans sa besace? La guerre se propagerait-elle encore plus loin?
Bien que le moral des hommes fut haut, l'avenir restait incertain. Chacun
voulait que le conflit se terminât le plus tôt possible, mais chacun voulait
également anéantir les Forces Fédérales. Les gens semblaient avoir perdu le
sens de la mesure et dissertaient avec enthousiasme comme s'il pouvaient changer
le monde, mais ils perdaient au fur et à mesure de leur conversation tout sens
des réalités, toute considération pour l'aspect humain de cette guerre. Jusqu'à présent, tous les combats s'étaient déroulés dans
l'espace, vaisseaux contre vaisseaux, MS contre chasseurs, rien que des machines
contre d'autres machines dans lesquelles se noyaient leurs équipages humains, réduits
à de simples voyants lumineux sur un moniteur. Dans ces conditions il ne
devenait pas étonnant que les pilotes oublient qu'il y en avait d'autres, des
êtres humains comme eux aux commandes des engins qu'ils abattaient et que la
guerre n'avait rien d'un jeu d'arcade.
Le même constat pouvait également s'appliquer à l'Opération
British: que voyaient donc tous les autres? La mission avec un grand M qui
permettrait au duché de remporter la victoire ou une opération froidement menée
qui aboutirait à la mort de milliers voire de millions de personnes? Se
rendaient-ils bien compte qu'à l'autre bout de la station des gens tout à fait
semblables à eux-mêmes trouveraient une mort affreuse? Plus les jours
passaient, plus Alexendra en doutait: les rapports de combats des deux premiers
jours indiquaient en effet une nette tendance au massacre.
Ses propres sentiments pour opération British étaient mitigés; en tant
que citoyenne de Side-3 et officier de la Flotte, elle était fière de
participer à l'action décisive de cette guerre-eclair. Le discours de Gihren
ZABI deux jours auparavant n'avait laissé guère de doutes sur le choix auquel
le Parlement Fédéral serait confronte au terme de l'opération. Dans quatre
jours, ce serait l'armistice et la fin du cauchemar. Mais le prix de la
victoire était pas trop élevé?
La perspective de voir la station atteindre son objectif ne pouvait
qu'effrayer la jeune femme; les discussions entre officiers et même entre
hommes de troupe démontraient que ceux-ci préféraient éviter le sujet, bien
qu'ils en fussent tous conscients. Fallait-il croire qu'on évitait d'en parler
afin de ne pas se laisser distraire, alors que ladite opération était toujours
en cours? Où était-ce afin dans le but de fuir le poids de la responsabilité?
Le MIDGARD qui croisait mille mètres plus haut ouvrit les portes de son
hangar et alluma ses balises de lancement, laissant derrière lui un sillage
luminescent vert. Un bras télescopique déploya sa structure décharnée sur
soixante mètres à l'extérieur du navire et le système de largage roula le
long du rail, un MS à son extrémité. Le crochet qui maintenait le lourd MS
s'arrêta en bout de rail tandis que s'abaissaient les énormes déflecteurs
de jets; le hangar désormais protégé du souffle par ces épais panneaux métalliques,
le pilote du Zaku put passer en mode de catapultage et se préparer au largage. Le poste de contrôle de largage donna le feu vert et désamorça le
crochet. Le Zaku bondit en avant; le pilote poussa la manette des gaz à fond et
le MS s'élança furieusement sur la piste lumineuse marquée par les balises.
Le largage confirmé, le poste de contrôle rapatria le crochet et ordonna que
le prochain MS y fût fixé. Trente secondes plus tard, Jered Thomson quittait
à son tour le pont d'envol.
Lune, 6 janvier, 21h45 heure locale,
18h45 GMT
La navette entama sa descente vers la base fédérale de Gutenberg,
laissant derrière elle les deux chasseurs d'escorte regagner une orbite plus
haute. Le pilote contacta la tour de contrôle pour prendre connaissance des
paramètres de navigation puis mena son appareil jusqu'au point indiqué, où un
rayon de guidage émis par une station de contrôle l'aida à parfaite sa
descente vers le spatioport.
Durant toute la phase d'approche, l'amiral Victor Tianm scruta la surface
lunaire, observant les installations militaires qui s'étendaient sous ses
yeux au fur et à mesure qu'il s'en approchait.
La base fédérale de Gutenberg, située dans le cratère lunaire du même
nom, était le quartier général du versant oriental de la Lune. Comme la
plupart des installation militaires lunaires, le port spatial était situé au
centre du cratère, entouré par la première barrière de systèmes de défense,
composée de missiles sol-air et de batteries antiaériennes, puis venaient
autour les différents docks spatiaux pour appareils de faible tonnage, aires de
catapultage et de lancement des chasseurs. A la périphérie venait la seconde
barrière de défense, puis la troisième et la quatrième, directement enfouies
dans les parois internes et externes du cratère; les différents avant-postes
pouvaient quant à eux s'étendre jusqu'à dix kilomètres aux alentours. Le
poste de commandement, lui, était situe sous terre, comme la plupart des
installations, ne laissant affleurer à la surface qu'une faible partie des systèmes
offensifs et défensifs.
«Amiral, interrompit l'hôtesse, nous allons décélérer. Vous êtes
invité à boucler votre ceinture, s'il vous plaît.
_Merci
beaucoup, répondit-il.»
L'amiral Tianm boucla sa ceinture de sécurité et attendit patiemment
que la navette perdit progressivement de l'altitude et de la vitesse. A un kilomètre
de la base, le premier rayon de guidage fut coupé pour être aussitôt relayé
par un second qui amena directement la navette au-dessus de l'ouverture béante
du dock spatial trois. Le pilote enclencha ses rétrofusées pour ralentir la
descente et sortit ses patins; lorsque la navette fut posée et que les crochets
de fixation l'eurent solidement calé sur la plate-forme d'atterrissage, le
pilote coupa les moteurs et celle-ci put entamer sa descente sous terre. Cent mètres
plus bas, la plate-forme mobile s'arrêta à un carrefour, glissa vers le
tunnel de gauche sur sept cents mètres puis vers l'avant sur cinq cents mètres
pour stopper définitivement devant l'aire de parquage 31A.
La plate-forme d'atterrissage immobilisée, les équipes de maintenance
se ruèrent aussitôt vers la navette, tantôt avec le tuyau d'air conditionne,
tantôt avec des câbles électriques. Un véritable ballet se mit en mouvement
autour de l'appareil qui se retrouva bientôt en train d'exhaler de long soupirs
par ses trappes de visites et ses aérateurs. La passerelle d'accès fut
rapidement arrimée à la cabine et l'équipage put ouvrir la porte.
Tianm sortit en premier, suivi de son aide de camp et son chef d'état-major.
Un jeune capitaine de frégate l'attendait à la sortie de la passerelle et se
mit au garde-à-vous à son arrivée.
«Amiral Tianm ? Je suis le capitaine André Danyelev. Le contre-amiral
Van Tran vous souhaite la bienvenue sur Gutenberg mais vous présente ses
excuses pour n'avoir pu vous accueillir en personne. L'absence du vice-amiral
O'Connor perturbe quelque peu notre organisation hiérarchique et l'amiral Van
Tran est très occupé. »
Tianm acquiesça de la tête, indiquant qu'il comprenait, lui rendit son
salut et exprima le désir de se rendre immédiatement au poste de commandement.
«Par ici messieurs.»
Le jeune capitaine se remit respectueusement au garde-à-vous et ouvrit
la marche.
L'amiral Tianm traversa le hall d'accueil sans perdre de temps et suivit
son guide à travers le dédale de couloirs et la succession de salles. Le décor
à vrai dire était d'une morne uniformité, comme toutes les bases spatiales fédérales,
et ne méritait pas le moindre coup d'œil. Des couloirs de section
rectangulaire arrondis sur les coins, lesquels étaient parcourus par les néons
éclairants; une main courante tout le long à mi-hauteur, des consoles de
communication ou des interphones tous les vingt mètres et des indications
directionnelles inscrites à la fois sur les murs, sur le sol et au plafond,. De
temps à autre la monotonie du couloir était interrompue par une porte blindée
affublée de son inséparable digicode, parfois même d'un identificateur rétinien.
Le tout moulé dans un gris acier entrecoupé par les marquages de signalisation
blancs.
La petite délégation s'arrêta finalement devant une porte flanquée
de trois gardes et de l'indication suivante : Poste de commandement, niveau 05A,
section 10-001A. Le premier nombre indiquait que l'on se trouvait au cinquième
niveau au-dessous de la surface lunaire, la lettre A indiquait qu'il s'agissait
du secteur A, la section 10-001A qu'il s'agissait du bloc 001 compartiment A de
la section 10. La porte s'ouvrit en coulissant, dévoilant le centre opérationnel
de la base de Gutenberg. Trois écrans monumentaux occupaient les murs de la
salle. Au-dessus, au-dessous et partout ou il restait de la place sur les murs,
on ne voyait qu'écrans de contrôle et moniteurs; des pupitres et des
consoles étaient reparties un peu partout sur toute la surface disponible et
des tableaux à affichage transparents se dressaient un peu partout, entoures
par une multitudes d'opérateurs affaires.
Un grand asiatique d'une cinquantaine d'années s'approcha du groupe à
grands pas, l'air préoccupé.
«Amiral Tianm ? salua-t-il sans préambule. Bienvenue sur Gutenberg, je
suis le contre-amiral Van Tran, commandant par intérim du district lunaire.
Nous n'attendions plus que vous. Nous... Nous avons un petit problème. Jabrow
vient de nous transmettre par faisceau compressé des directives de dernière
minute: le plan de bataille est modifié.
_Ah!...»
L'amiral Tianm aspira une grande bouffée d'air et se força à rester
calme. Ce n'était pas la première fois que le Grand Quartier Général
changeait un plan de bataille à la dernière minute, cela semblait être devenu
une habitude depuis ces trois derniers jours et en général cela n'avait rien
donné de bon. Van Tran croisa son regard et acquiesça silencieusement,
comprenant le désarroi et l'agacement qui devait saisir le commandant de la
Quatrième flotte. Il l'invita donc à s'approcher de la table où un plan en
trois dimension figurant la Lune et ses abords se dressait déjà, soumis à
l'examen attentif de sept officiers.
«Amiral Tianm, je vous présente le général de division Igor Sarenko,
commandant en chef des forces aérospatiales du district lunaire, le général
de brigade Pierre McCallum, commandant de la base de Lansberg, le colonel Elias
Irvine, commandant de la base de Gutenberg, le colonel Maximilien Nishimoto de
la base de Tarentius, le colonel Georgio Zennick de la base d'Aristarque et le
colonel Armand Ehadlhi de la base de De Gasparis. Je crois que vous connaissez déjà
le contre-amiral Jeyms Lazlo, commandant de la Vingt-troisième flotte.»
Tianm salua respectueusement ses collègues et prit place sur un des
fauteuils entourant la table. La Lune trônait au centre du diagramme, tournant
lentement sur elle-même, séparée en deux parties par
une mince ligne rouge, la face éclairée et la face nocturne. L'équateur était
figuré par une ligne pointillée jaune, les complexes militaires lunaires par
des cercles bleus, les unités mobiles ainsi que les Quatrièmes et Vingt-troisièmes
flottes par des triangles numérotés de même couleur mais de tailles différentes.
Le dispositif était encore loin d'être terminé, il manquait encore un tiers
de la Quatrième flotte et la moitié de la Vingt-troisième, mais le planning
de l'Opération Atlas était respecté tel qu'il avait été édicté par
Jabrow très tôt en début de matinée. Qu'espérait donc le GQG en modifiant
le plan de bataille au dernier moment?
«Alors? commença Tianm. Qu'est-ce que Jabrow a trouvé de lumineux pour
nous l'annoncer en dernière minute?
_Le
GQG est insatisfait du retard que nous avons accumulé et craint que nous ne
soyons prêts à temps. L'amiral Kessling a donc décidé d'adopter des mesures
d'urgences et de prendre les devants. Les bases de Lansberg, De Gasparis et
Aristarque ont reçu l'ordre de lancer chacune dans quatre heures quinze minutes
trois salves de trente missiles à ogives nucléaires. Le but est de tenter de dévier
la station, à défaut de dégarnir son escorte avant qu'elle n'entre dans le
champ gravitationnel lunaire. L'Opération Atlas devra cependant être
maintenue selon l'horaire prévu, sauf contrordre.»
Trois cercles sur la bordure occidentale se mirent à clignoter, deux
dans l'hémisphère nord, l'autre dans l'hémisphère sud, puis plusieurs
lignes fusèrent à travers l'espace en direction de la station, représentée
un peu plus loin par un petit cylindre rouge.
«Sans l'appui de vecteurs mobiles?»
Sarenko
opina du chef.
«Pourquoi pas? lança le colonel Ehadlhi. Nos installations sont
actuellement les plus proches de la trajectoire ennemie. Si nous parvenons à
lancer Island Iffish hors du champ gravitationnel ou même à la détruire, je
pense que nous aurons déjà réalisé un grand exploit.
_Vous
pensez réellement ce que vous dites? coupa McCallum.»
Ehadlhi se tut et lui lança un regard interrogateur.
«Vous
ne croyez tout de même pas que nous parviendrons à arrêter la station avec
nos seuls missiles, sinon la solution aurait été beaucoup plus simple dès le
début: il aurait suffit de balancer l'intégralité de notre arsenal nucléaire!
Si vous vous imaginez que la flotte de Zeon attendra nos missiles les bras croisés,
vous vous nourrissez d'illusions. La destruction de la Dixième flotte devrait
nous avoir servi de leçon, leurs moyens d'interception sont supérieurs aux nôtres.
Enfin... On peut espérer à la rigueur que cette attaque leur rendra l'approche
lunaire un peu plus difficile.
_Qui
a donné le feu vert pour l'utilisation de l'arme nucléaire? demanda Tianm.
Kessling?
_Non,
Pawris, répondit Van Tran. Le temps pressait et il semble qu'il soit passé
par-dessus le Parlement.
_Vous
n'êtes pas sérieux? demanda McCallum. Nous allons nous retrouver avec les
politiques sur le dos pour usage non-autorisé de vecteurs nucléaires!
_Je
n'en suis pas si sûr, contra Lazlo. Nous sommes en état de guerre, et le
Parlement ne peut se permettre de discuter ni de contrevenir aussi aisément aux
décisions du GQG qu'en temps de paix. Le Premier Ministre nous soutient, il va
sans doute invoquer le manque de temps ou je ne sais quel cas de force majeur
pour leur faire avaler la pilule. Vous savez comment sont les technocrates,
poursuivit-il en haussant les épaules avec mépris, s'il fallait passer
par la voie officielle, on y serait encore dans un an.»
Tianm tourna le dos à ses confrères et étudia le plan général sur le
mur opposé.
«Quelle va être la tactique d'interception? demanda-t-il pour changer
le cours de la conversation.
_Jabrow
a sélectionné le missile de croisière AM-37 Hellhound à ogive nucléaire,
commença Van Tran. Le Hellhound est équipé d'un brouilleur actif de type
Puzzle 2, d'une tête-chercheuse ultra-sophistiquée à programmation multiple
de chez Genom, un ordinateur de poursuite muni d'un calculateur de trajectoire,
d'un identificateur d'obstacles et d'un désignateur-laser intégré. à
vingt-trois heures heure de Greenwich, les trois bases lanceront trois salves
synchrones de trente missiles chacune à cinq à dix minutes d'intervalle, soit
trois vagues de quatre-vingt-dix missiles. Les missiles seront lancés à l'aide
de fusées porteuses de type Minerva 3 jusqu'à une distance de six mille
kilomètres de l'objectif. Après, les Hellhounds seront livrés à eux-mêmes.
A trois mille kilomètres de l'objectif, les ordinateurs commenceront leur
travail de recherche et les tètes chercheuses sélectionneront leurs cibles; à
peu près un tiers des missiles devra être programmé pour intercepter les
vaisseaux de la flotte ennemie, le reste pour la station. Les trois vagues
emprunteront trois trajectoires différentes, la première contournera
l'objectif par bâbord et devra l'aborder par-dessous et par l'arrière; la
seconde passera par tribord et la dernière de front. Selon nos calculs, les
trois vagues entreront dans le périmètre de défense ennemi à peu près en même
temps. Toujours selon nos estimations, même avec seulement cinquante pour cent
de coups au but, il devrait y avoir suffisamment de puissance destructrice pour
vaporiser la moitié de la station.
_Et
si le taux d'interception de Zeon est supérieur?
_Alors
nous n'auront plus qu'à courir aux abris...»
