CHAPITRE 11
Croiseur TRIESTE, 48è flottille fédérale,
7 janvier, 8h11 GMT
L'enseigne de vaisseau Larissa Renkova venait de prendre son quart depuis
onze minutes et, sirotant sa pochette de café bien chaud, elle observait l'écran
radar avec anxiété. Island Iffish avait disparu de l'autre côté du globe
lunaire à peine deux heures auparavant et on estimait que l'attaque ennemie
pouvait maintenant survenir à n'importe quel moment. Un signal sonore retentit
sur la console de la jeune femme, manquant de lui faire recracher la gorgée de
café brûlant.
« Lieutenant ! Les sondes de la Mare Smythii nous signalent une
importante formation d'objets à forte signature infrarouge passant au-dessus
de leurs têtes !
_Relèvement
et estimation ? demanda Kris Korolev.
_Bâbord
zéro-un, longitude plus deux. Estimation nombre cent vingt-deux. Les sondes
viennent de nous transmettre des images : ce sont des missiles.
_Contactez
le BERLIN et réveillez le commandant. Alerte rouge ! »
Les sirènes d'alarme retentirent à travers tout le vaisseau, l'éclairage
d'alerte rouge se substituant instantanément à l'éclairage normal. Cinq
minutes plus tard, le commandant Marineris fit irruption sur la passerelle.
«Korolev, où en sont les missiles ?
_En
approche rapide, on estime l'impact à douze minutes. La 402è flottille vient
de lancer ses antimissiles.
_N'y
a-t-il aucune autre manifestation de l'ennemi ?
_Négatif,
commandant.
_Ce
n'est pas normal... C'est peut-être une diversion. Que disent nos autres postes
d'observation ?
_Rien,
commandant... Rectification. Gutenberg annonce un contact sur latitude moins
vingt-six, longitude plus trente-trois !
_Par
le sud ? Confirmez !
_Contact
positif ! La 49è flottille nous confirme le contact infrarouge. Le DRESDEN nous
transmet une image... Il y a une multitude d'échos ! Interception estimée
dans onze minutes !
_Des
signes d'Island Iffish ?
_Négatif
commandant. Aucun objet de taille station coloniale.
_Alors
c'est bien une diversion. »
Le commandant de bord serra les poings et tourna la tête vers l'est, là
où se trouvait le BERLIN, le navire amiral. L'Opération ATLAS semblait bel
et bien compromise : l'ennemi ne faisait décidément rien comme ils l'avaient
prévu ! Zeon s'était offert le luxe de brûler énormément d'énergie en
envoyant ses vaisseaux contourner la Lune par l'hémisphère sud, alors qu'il
aurait été sans doute plus simple de se laisser porter par la force de
gravitation. Une telle éventualité avait été envisagée, mais uniquement
dans le cas d'une diversion, car une telle force n'aurait alors pas pu aller
bien loin. Or les effectifs annoncés étaient bien trop importants pour être
un simple diversion ; ce pouvait très bien être une avant-garde envoyée pour
déblayer le terrain.
Mais comment l'ennemi avait-il su ou frapper ? Comment avait-il fait pour
déterminer que Mare Foecunditatis serait précisément l'endroit choisi pour la
contre-attaque fédérale ? Fuite ou simple déduction logique ? Quoiqu'il en
fut, Kenneth n'aimait pas du tout la tournure que prenaient les événements.
Si leurs moyens terrestres et aériens pouvaient encore se dissimuler aux
yeux de l'ennemi jusqu'à l'arrivée de la station, mais il n'en était pas
de même pour la flotte. Les vaisseaux massés autour de Mare Spumans et Mare
Foecunditatis étaient à découvert, et à moins de descendre se dissimuler
dans les cratères, ils étaient dans l'impossibilité d'éviter le combat.
« Commandant, fit l'enseigne Sara Yarwel, Gutenberg vient d'édicter
ses ordres. Priorité est donnée à l'interception de la station. Les flottes
ont l'ordre de descendre à la surface et de se cacher jusqu'à l'arrivée
d'Island Iffish.
_C'est
idiot, protesta Marineris, ils s'imaginent pouvoir repousser l'attaque ennemie
avec leurs seuls moyens ?
_Commandant,
l'interrompit son second, si nous nous dispersons à la surface, il nous faudra
au moins vingt minutes pour rassembler tous nos effectifs en cas d'urgence.
_Et
Zeon ne nous laissera jamais vingt minutes. Qu'est-ce que Van Tran s'imagine ?
_Commandant,
s'écria de nouveau Renkova. Taruntius nous annonce un nouveau contact
infrarouge sur latitude plus-quarante, longitude trente-sept !
_Par
le nord, cette fois-ci ? s'exclama l'interpellé. Pourquoi ne les avons-nous pas
repérés plus tôt ? Que faisait donc la base de Grove ?
_Je
ne comprends pas, commandant. La base de Grove continue de nous transmettre
qu'elle ne repère toujours aucune activité ennemie. »
Le commandant du TRIESTE pesta intérieurement. La base de Grove avait du
être investie par l'ennemi ; c'était la seule explication, ou alors il
aurait fallu que le personnel de la base soit d'une formidable incompétence
pour ne pas voir la flotte ennemie passer au-dessus de leurs têtes.
«Toujours aucune directive du BERLIN?
_Négatif,
commandant. Les canaux de communication sont surchargés, je ne parviens pas à
joindre le navire-amiral.
_Qu'ils
se taisent, les imbéciles! Comme si nous avions du temps à consacrer aux
bavardages, le champ Minovsky peut-être sur nous d'un instant à l'autre.
_Commandant,
une transmission générale du BERLIN!
_Enfin!
_Opération
ATLAS annulée stop ordre de retrait annulé stop. à tous les navires alerte
interception stop attaque sur cap vecteur Thêta-Sigma-vert et Thêta-Omicronn-bleu
stop. Armes libres feu à volonté! Fin de transmission.»
Déjà, les navires de la 41è flottille prenaient de l'altitude en vue
de l'attaque. Loin au nord, au-dessus de Da Vinci, Kenneth pouvait discerner une
multitude de points brillants.
5è flotte de Zeon, navire amiral,
Palus Somnii, Lune, 8h15 GMT
La
pénombre recouvrait la face visible de la Lune, estompant ses contours, telle
une mer déchaînée qui, la nuit, dissimule ses écueils. Pourtant, les ténèbres
ne semblaient pas encore avoir gagné le partie: la Terre brillait tel un phare
en plein ciel, un oasis de lumière, éclairant la Lune de son disque aveuglant.
Parfois, la poussière grise prenait des reflets argentés, comme si la surface
était peuplée de lucioles. Puis tout à coup, tout devint noir et des ombres
titanesques drapèrent Palus Somnii dans un manteau d'obscurité; des
silhouettes massives défilèrent au-dessus de la plaine, masquant la lumière
terrestre telle de redoutables nuées de sauterelles.
Les
astronefs de la force de frappe-Nord progressaient à basse altitude tous systèmes
offensifs dehors et systèmes de détection aux aguets. La capture de la base de
Grove et des avant-postes fédéraux sur leur chemin leur avait permis de
leurrer l'ennemi en transmettant de fausses informations; leur garantissant
l'approche du périmètre de défense adverse sans être inquiétés. Et pour ne
pas donner l'éveil, la flotte n'avait même pas daigné déployer son rideau
de brouillage.
La formation de cent quarante vaisseaux s'était séparée dix minutes
plus tôt alors qu'elle approchait à peine des abords de Palus Somnii ; les frégates
rapides et la moitié des croiseurs Musaï étaient partis en avant afin de
prendre d'assaut la base de Taruntius, précédées par les escadres de MS, équipés
pour la circonstance de réservoirs supplémentaires.
Au
total, le contournement à basse altitude de la Lune n'avait pas du prendre plus
de deux heures, les vaisseaux avaient navigué tout le long à pleine vitesse,
quitte à épuiser la moitié de leur carburant. Peu importait à vrai dire, car
la Force de frappe-C traînerait avec elle son escorte de vaisseaux-cargo qui se
chargeraient de leur fournir ce qu'ils avaient dépensé.
Gordon Aurillac observa le ballet des navires fédéraux qui s'agitaient
au loin. L'ordinateur avait identifié ceux-ci comme appartenant à la Quatrième
flotte du contre-amiral Tianm, et Aurillac pouvait s'attendre en toute légitimité
à ce qu'il leur donne du fil à retordre. Tianm n'avait pas bonne réputation
qu'au sein des Forces Fédérales : la spectaculaire montée du jeune amiral au
sein du Haut-commandement n'avait pas non plus laissé indifférents leurs
services de renseignements.
« La flotte fédérale nous a repéré, déclara calmement le vieil
officier. Est-ce exact ?
_Oui
amiral, répondit l'officier de pont. L'écoute des réseaux de communication
ennemis nous confirme que les deux forces de frappes ont été repérées. Notre
avant-garde semble toutefois être passée au travers de leur couverture radar.
_Bien,
encore mieux que nous le pensions. Ils devaient sans doute s'attendre à ce que
nous approchions avec l'habituelle débauche de particules Minovsky... Dans
combien de temps atteindrons-nous Taruntius ?
_Dans
trois minutes, amiral.
_Merci
capitaine. Nous lâcherons notre barrage de particules lorsque notre avant-garde
sera à la verticale de la base fédérale. D'ici la, nous aurons tout le loisir
d'espionner leurs communications. »
Croiseur SYLPHID, 63è flottille de
Zeon, 8h17 GMT
«Champs Minovsky activés. Illumination ennemie négative. Distance à
l'objectif neuf-six point quatre.
_Message
d'Orpheus-311, contact-illumination sur bâbord un-zéro, plus zéro-sept ;
distance quatre-trois point sept ! Visualisation positive, nombre deux-deux-zéro.
_Confirmation
contact laser-illumination, identification missiles ballistiques
intercontinentaux fédéraux !
_Transmission
du SLEIPNIR à toute la flotte, alerte missiles ! Tirez salve antimissiles Un !
»
Mirey Greyevski donna ses ordres et observa les quatre-vingt-douze bâtiments
de la première ligne lâcher leur missiles. Ceux-ci se ruèrent à la rencontre
de leurs vis-à-vis fédéraux et il y eut une série d'explosions dans le
lointain. Trois cent soixante-huit antimissiles avaient été lancés, c'était
largement plus qu'il n'en fallait pour abattre deux cent vingt missiles
anti-navires : pas un seul des projectiles fédéraux ne parvint à passer le
rideau défensif.
«Poursuivez, lancez salves Deux et Trois !
_Tubes
un à six ouverts, confirmation signal-laser positive !
_Feu
! »
Le SYLPHID tira une seconde salve de six missiles air-sol, puis une
troisième à vingt secondes d'intervalle, à raison de deux têtes nucléaires
contre quatre ogives conventionnelles. Les projectiles propulsés par fusées dépassèrent
rapidement les escadrons de MS puis se dirigèrent vers le faisceau de
designation-laser braqué sur l'objectif.
La
662è escadrille du capitaine Cresta et les autres unités mobiles avaient décollé
dix minutes plus tôt, alors qu'ils étaient encore à deux cents kilomètres de
la base de Taruntius. Evoluant à très basse altitude pour éviter la zone de
balayage radar, les différentes escadrilles s'étaient approchées de la base
et les MS de détection avancée avaient braqué leurs designateurs-laser sur
les points névralgiques de la base, à l'abri derrière les cimes montagneuses.
Les missiles lancés par la flotte suivirent tout d'abord une trajectoire préprogrammée,
puis le sélecteur de cibles s'anima à l'approche de l'objectif, utilisant le
faisceau-laser comme guide. Au loin, il y eut de nouveau une série d'éclairs,
indiquant que les batteries antiaériennes de la base venaient d'entrer en
action, suivie bientôt par la détonation des missiles touchés ; dix secondes
plus tard, il y eut de nouvelles explosions.
«La 662è escadrille nous transmet le rapport de tir. Pourcentage de
tirs au but, vingt-cinq pour cent. Estimation des dégâts adverses à seize
pour cent. Alcyone-220 nous annonce que l'ennemi vient de lâcher ses vecteurs
mobiles.
_Information
confirmée par le Oracle-104. Chasseurs-bombardiers Cyberfish et Tin-Codd en
approche rapide.
_Le
SLEIPNIR vient de donner l'ordre d'interception aux MS de la deuxième vague et
la première vague d'assaut, l'ordre d'attaquer les installations lunaires.
Ordre nous est donne de lancer une salve d'appui.
_Accusez
réception et lancez salve-quatre.
_A
vos ordres. »
Tandis que les unités de Zaku commençaient à attaquer la base, les
croiseurs lancèrent une nouvelle salve de missiles, histoire d'offrir un autre
sujet de préoccupation aux artilleurs fédéraux.
62è escadron de MS, abords de
Taruntius, 8h20 GMT.
«Taïaut
! Taïaut ! cria le commandant de la sixième escadre de MS, tandis que son Zaku
lançait la fusée de signalisation rouge donnant le signal de l'attaque. »
Les deux cents MS se débarrassèrent de leurs réservoirs supplémentaires
et quittèrent leur cachette en s'élançant comme un seul homme vers les
installations fédérales à cinq kilomètres de là. Devant eux, les fédéraux
venaient de lancer une deuxième vague de chasseurs appuyée par des tirs de
barrages.
Les Zaku utilisèrent deux tactiques différentes : la première moitié
de l'escadre prit de l'altitude de façon à coiffer l'ennemi, le reste se séparant
en deux en rasant le sol. Les chasseurs adverses se séparèrent eux aussi, un
premier groupe grimpa dans l'espoir de reprendre l'avantage de l'altitude, le
deuxième se dispersa pour intercepter les MS rasant le sol. Lorsque les deux
formations arrivèrent à moins d'un kilomètre de distance, ce fut la mêlée.
Les Zaku virèrent brusquement et se jetèrent sur les chasseurs fédéraux qui
pouvaient difficilement les imiter.
Marine
passa du mode de croisière en mode d'interception ; les systèmes d'armes
furent déverrouillés et le sélecteur de cibles se mit mode de recherche
automatique. La jeune femme tira à fond sur ses commandes et MS-06C ZAKU II
s'arracha lourdement à la trajectoire linéaire qui l'avait maintenu au niveau
du sol. Le MS grimpa en flèche au moment ou une escadrille ennemie passait
au-dessus de sa tête ; Marine eu à peine le temps passer du mode
d'interception au mode de combat rapproché avant de dégainer sa hache d'armes.
La lame en Quadrinium-B vira au rouge sous l'action des puissantes résistances
et trancha le fuselage du premier chasseur qu'il rencontra aussi facilement que
du beurre. L'engin fut coupé en deux et la partie arrière explosa dans une
gerbe de gaz incandescents, tandis que la partie avant basculait dans le vide
pour s'écraser au sol quelques secondes plus tard.
Marine s'éloigna rapidement et troqua sa hache contre son
canon-mitrailleur. Pour la mission, son Zaku avait été équipé autant qu'il
avait pu l'être, les équipes de maintenance n'ayant pas lésiné sur les
charges offensives. L'armement classique comportait le canon-mitrailleur ZMP-50D
de calibre cent quatre-vingts millimètres à contenance de cent cartouches ; le
bazooka H&L-SB25K de deux cent quarante millimètres à projectiles
conventionnels ou nucléaires pouvant tirer quatre coups, deux nacelles-missiles
Zi-ME Mark.4 fixées sur les jambes de trois missiles chacun et enfin, la hache
d'armes de Type.5 pour le combat rapproche. Dans le cadre de la mission, on
avait également adjoint trois chargeurs supplémentaires pour le ZMP-50 et huit
obus supplémentaires pour le bazooka. Lorsque son MS avait été largue du
MIDGARD, Marine l'avait très nettement sentit chuter, entraîné vers la
surface par son propre poids malgré la faible attraction lunaire.
Le Zaku mit une seconde et sept dixièmes à faire demi-tour sur lui-même
et se lança à la poursuite de l'escadrille. Marine avisa une paire de
chasseurs qui fuyait et vira de bord pour les intercepter. Après avoir
verrouillé les deux cibles dans son collimateur, la jeune femme tira trois
rafales qui atteignirent le chasseur de droite de plein fouet. L'ailier de
gauche dégagea immédiatement de côté mais Marine modifia sa trajectoire et
se jeta sur l'appareil fédéral en poussant un cri sauvage, brandissant sa
hache de la main gauche. Le Zaku se fendit en avant et sectionna le chasseur sur
toute sa longueur avant de poursuivre sa course. Marine n'eut même pas un
regard pour l'engin qui explosa derrière elle, elle regardait ce qui se passait
autour d'elle.
C'était une mêlée telle qu'elle n'en avait jamais vu, ni même
jamais imaginée, les chasseurs fédéraux voltigeaient en tous sens, tentant désespérément
d'échapper à leurs poursuivants. Malgré les nombreuses fusées d'appoint,
les Cyberfish ne pouvaient pas égaler la manœuvrabilité des MS, et bien que
la couverture de particules Minovsky brouillât toutes les communications longue
portée, la jeune femme pouvait entendre des bribes de phrases, des cris et des
appels terrifiés.
Après quelques ajustements, la camera de poursuite se fixa sur un
chasseur qui croisait perpendiculairement à la trajectoire de son MS. Marine
agit sur les commandes et se lança à la poursuite de sa cible. Le système de
visée oculaire repéra les mouvements de sa rétine et traqua l'objectif couplé
à l'ordinateur de bord. Tant qu'elle suivait la cible des yeux, le signal de
visée ne la quittait pas non plus. Quand l'ordinateur estima la visée
suffisante et les paramètres corrects, il envoya sur le collimateur de casque
un signal lumineux indiquant au pilote que la cible était verrouillée. Marine
fit feu. Le canon-mitrailleur cracha une brève rafale et les réservoirs de
propergol de l'engin ennemi s'embrasèrent ; le chasseur explosa en projetant
des débris par centaines.
Soudain, un voyant rouge sur l'écran d'alerte lui indiqua qu'un
chasseur approchait par derrière. Marine leva les yeux sur le moniteur de
vision arrière et vit un chasseur Cyberfish qui la talonnait en faisant feu de
tous ses canons. De légères vibrations lui indiquèrent que le blindage de son
MS encaissait les obus ennemis, mais un sifflement aigu lui indiqua qu'il venait
d'être également illuminé par un faisceau-laser, signifiant par là que le
chasseur s'apprêtait à lui décocher un missile.
Elle eut beau essayer toutes les manœuvres de dégagement, le signal
sonore persistait ; apparemment, l'ordinateur de l'appareil fédéral avait eu
le temps de faire sa mise au point et que le faisceau resterait désormais braqué
sur son Zaku, quoiqu'elle fit. Marine sentit la sueur couler sur son front,
paniquée. Si les champs de particules Minovsky avaient rendu les missiles
guides par radar inopérants, et les leurres thermiques leurs homologues à
guidage infrarouge, on n'avait toujours rien trouvé pour se défaire d'un
faisceau-laser. C'était aujourd'hui encore la seule véritable hantise des
pilotes de Zeon.
Marine prit son courage à deux mains et retourna son MS vers le chasseur
au moment ou celui-ci lâchait trois missiles guidés. Zigzaguant à reculons,
elle entreprit d'abattre les missiles un par un, mais manqua le dernier qui
l'atteint au pied gauche. La jambe entière explosa sous l'impact, criblant d'éclats
une partie de la carlingue jusqu'au niveau du torse. Marine eut la brève
impression d'être dans un shaker géant, secouée par la violence de la déflagration,
mais elle ne permit pas au chasseur de réitérer son exploit. Le MS aligna sa
cible dans le collimateur, la nacelle-missiles droite cracha deux fois et le
Cyberfish se désintégra en vol.
Un deuxième chasseur tenta sa chance auprès du MS en difficulté, mais
la jeune femme ne lui en laissa pas le temps, criblant le cockpit d'obus. Le
pilote fut tué sur le coup, la cabine réduite à un amas de tôles déchiquetées,
mais l'engin continua sur la lancée jusqu'à ce qu'un autre MS se décidât
à l'achever.
Marine stoppa son MS un instant pour vérifier l'état de son engin,
affichant le plan de l'état général de son appareil dans le coin inférieur
droit du moniteur principal. La situation n'était guère brillante sans être
toutefois catastrophique : la jambe gauche avait entièrement disparu et différents
voyants rouges indiquaient d'importants impacts en divers endroits. Bien
qu'aucun de ses systèmes offensifs n'aient été touché, la perte de la jambe
gauche allait sérieusement perturber le système AMBAC. Elle ne pouvait pas se
permettre de continuer le combat alors que les performances de son système d'auto-balance
étaient sérieusement réduites.
Dissimulant son MS dans l'épave d'un vaisseau quelconque, elle
entreprit de sonder l'espace à la recherche du signal IFF du capitaine Krugger.
« Etendard un-quatre à Etendard un-zéro, alerte dommages, alerte
dommages. Demande permission de retourner à bord.
_Etendard
un-zéro à un-quatre, bien reçu. J'arrive. »
Quelques secondes plus tard, son moniteur d'alerte lui signala qu'un MS
s'approchait d'elle par la droite et l'ordinateur lui confirma le signal IFF. Le
Zaku sonda les alentours puis entraîna celui de la jeune femme vers la surface,
là où ils risquaient moins d'être exposés.
« Jensen, fit Krugger après avoir rapidement examiné le MS, votre Zaku
n'est plus en état de voler correctement. Permission de regagner le bord accordée.
Ou en êtes-vous côté munitions ?
_Il
me reste un chargeur et demi pour le ZMP, par contre je n'ai plus de missiles ;
je n'ai pas touché au bazooka.
_Parfait.
Passez-moi votre bazooka, les munitions correspondantes et rentrez au bercail.
Ne risquez pas inutilement votre peau : évitez le combat, volez à basse
altitude et changez de trajectoire toutes les cinq secondes. N'allez pas sur le
MIDGARD, allez directement sur le PW-623, ils trouveront bien un MS à vous
refourguer. Il est inutile que vous reveniez, retournez plutôt sur le MIDGARD,
vous vous mettrez à la disposition du capitaine Kurtzel.
_Roger.
»
Le Zaku de Krugger décolla en soutenant celui de la jeune femme, puis
Marine effectua un large virage sur la droite et fila vers le nord.
23è flotte fédérale, navire amiral,
abords de Magelhaens, 8h22 GMT
Depuis
le repérage de la flotte de Zeon vingt minutes auparavant, la flotte fédérale
avait été mise sur alerte totale. Devant la tournure imprévue de l'attaque
ennemie, l'amiral Tianm avait pris la décision d'annuler l'opération Atlas
de son propre chef, en tant que chef de la flotte combinée d'une part ; parce
Van Tran et son état-major étaient incapables de prendre une décision,
d'autre part. Les deux amiraux s'étaient donc mis d'accord pour réorganiser
la défense et la disposition de leurs navires avant de redéfinir une nouvelle
tactique, le tout en dix minutes.
A
présent les Forces Fédérales étaient au contact avec l'ennemi. Assis dans
son fauteuil sur la passerelle du KUALA LUMPUR, le contre-amiral Jeyms Lazlo
pouvait voir les lueurs de la bataille se profiler à quelques kilomètres de
distance. Les Forces de Zeon avaient lancé plusieurs vagues de missiles, dont
plusieurs munies de têtes nucléaires, mais jusqu'à maintenant, les défenses
antiaériennes étaient parvenues à les stopper pratiquement toutes. L'ennemi
avait alors inondé l'espace de particules Minovsky, et en l'espace de dix
minutes, l'ensemble des radars étaient devenus totalement muets.
Les forces mobiles de Zeon avaient lancé des attaques conjointes contre
les deux principales bases fédérales de part et d'autre de l'équateur.
Malgré le rideau défensif déployé, les MS étaient parvenus à traverser les
lignes fédérales sans difficultés et s'en étaient directement pris aux
installations lunaires. L'amiral Lazlo n'avait pas eu le temps de faire
demi-tour, ni même le temps de réagir que la flotte ennemie se trouvait déjà
en face de lui ; il avait du laisser les forces lunaires se débrouiller seules.
Si de son côté la base de Taruntius parvenait non sans mal à contenir
l'attaque ennemie, la base de Gutenberg semblait éprouver plus de difficultés.
Quatre missiles étaient tombés sur le versant extérieur est de la base,
soufflant une partie de la paroi montagneuse et causant des dommages importants
au complexe militaire. Les MS s'étaient engouffrés par cette ouverture et
avait donné l'assaut.
« Amiral, fit un des opérateurs tactiques, Gutenberg me fait savoir
qu'ils sont parvenu à repousser temporairement la première vague de MS
ennemis. Le contre-amiral Van Tran nous demande le soutien de trois escadrons
supplémentaires.
_Il
plaisante, j'espère ? Nous avons déjà suffisamment à faire ici, comment
veut-il que je lui envoie du renfort ? Il s'imagine peut-être que j'ai des
effectifs surnuméraires ?
_Amiral,
interrompit l'officier de pont, nos senseurs repèrent une sixième vague de
missiles, dirigée sur nous cette fois-ci.
_Mettez
les escorteurs en avant et déployez un rideau de mines magnétiques. Lancez la
deuxième vague de chasseurs en interception.
_A
vos ordres ! »
Soixante-quinze vaisseaux rompirent la formation et se ruèrent en avant.
Arrivés vingt kilomètres plus loin, ceux-ci prirent brusquement de l'altitude
en lâchant une pluie de mines magnétiques. Lorsque les projectiles adverses
atteignirent le périmètre deux minutes plus tard, il y eut une ceinture d'éclairs
aveuglants, indiquant qu'un grand nombre d'entre eux s'étaient heurtés au
barrage. Le peu de missiles restants furent abattus par les frégates
lance-missiles.
« Deuxième vague de MS repérés sur douze degrés bâbord, plus
trente-six. Distance deux cents kilomètres. La 236è et la 237è flottille manœuvrent
pour les intercepter.
_Bien.
Que les 238è et 239è flottilles se portent également en renfort. Où en sont
nos chasseurs ?
_Toujours
au contact au-dessus de Magelhaens. Le colonel Salvet me fait savoir que ses
quatre escadrons ont déjà perdu un tiers de leurs effectifs.
_Déjà?
Après seulement sept minutes de combat? Avez-vous des nouvelles de la 71è
escadre ?
_Négatif,
la balise du colonel Kendall a cessé d'émettre.
_Alerte,
s'écria un officier tactique, relèvement treize degrés tribord, plus
cinquante-huit; distance cent dix, troisième vague de MS en progression !
Rectification: quatrième vague sur zéro-zéro, moins dix-sept; distance
quatre-vingt-quinze ! Vecteur unique pour les deux formations: ils se dirigent
droit sur nous !
_Estimation
contact ? aboya le commandant Gérald Sernayam
_Estimation...
Cinquante-sept secondes !
_A
toutes les batteries : armes libres, ouvrez le feu dès que possible ! Dispersion
maximale et feu à volonté.
_Alerte
aux équipages ! annonça le capitaine de corvette Roberto Killian sur la fréquence
générale. Alerte aux équipages : à toutes les batteries, armes libres !
Armes libres ! Feu à volonté, cap vecteur Omega-Lambda-Rouge et
Sigma-Iota-Bleu ! »
L'éclairage de la passerelle vira au rouge et les épais panneaux de
blindage vinrent recouvrir les vitres. Tout le personnel de la passerelle se
relaya pour revêtir les combinaisons spatiales, Lazlo et Srnayam en derniers.
Tandis que les coursives résonnaient du hurlement rauque des sirènes d'alerte,
les trois cent cinquante hommes et femmes d'équipage s'installèrent à
leurs postes avec célérité.
« A tous les équipages, contact dans quarante secondes ! »
Les
artilleurs déverrouillèrent les systèmes de sécurité des canons à
particules et orientèrent les tourelles en direction des vecteurs indiqués par
la passerelle.
« Contact dans trente secondes.
_Premier
tir de barrage: feu ! »
Les six flottilles firent feu en même temps, balayant le ciel nocturne
d'une multitude d'éclairs rougeâtres. Les puissants rayons lumineux dévorèrent
la distance qui les séparaient des MS comme des prédateurs affamés et frappèrent
la formation de plein fouet. Surpris par la densité du tir, plusieurs MS furent
terrassés sur le champ et explosèrent en une gerbe mécanique; la plupart
cependant parvinrent à éviter les rayons mortels et continuèrent leur
progression sans se soucier autre mesure de leurs camarades foudroyés.
« Rapport de tir: neuf pour cent de tirs réussis !
_Contact
dans quinze secondes...
_Second
tir de barrage: feu! Tir continu jusqu'à nouvel ordre ! »
Les canons de la Vingt-troisième flotte crachèrent à nouveau leur
venin mortel, mais le taux de réussite fut cette fois plus bas: les pilotes de
Zeon ne se laissèrent pas surprendre une deuxième fois. Ce qu'ils n'avaient
pas prévu, par contre, c'est que le tir continuerait malgré tout. Alors qu'ils
s'étaient attendus à une pause qui leur aurait permis de se jeter sur
l'ennemi, les vaisseaux fédéraux tiraient sans discontinuer. Les différents
escadrons de MS rompirent brutalement leur formation et se scinderent en
plusieurs groupes pour tenter de s'introduire dans le perimetre, chacun de leur
côté.
Les tourelles des vaisseaux federaux poursuivirent leur tir tout en
suivant les mouvements des différents escadrons. Lorsque ceux-ci furent à
quelques kilomètres seulement, les artilleurs mirent sur affût les batteries
antiaériennes et branchèrent les systèmes de visée. Mais les ordinateurs étaient
trop lents pour gérer des cibles aussi rapides et aussi imprévisibles. Lorsque
les MS arrivèrent à portée de tir direct, les calculateurs de tir se trouvèrent
incapables de fournir une visée correcte, tirant souvent sur leurs cibles avec
un temps de retard, voire décidant tout simplement de n'en engager aucune !
Les pilotes de MS ne tardèrent pas à s'en apercevoir et, prenant bien
soin d'éviter les rayons de particules, se jetèrent sur la flotte. En
l'espace de trois minutes, une vingtaine de vaisseaux furent éventrés avant de
se changèrent en boules de feu.
« Amiral, les batteries antiaériennes refusent de fonctionner !
_Comment
?
_Ça
doit être une erreur de conception ou de programmation du système de visée :
nos calculateurs de tir sont totalement dépassés et refusent même d'engager
les cibles.
_Ce
n'est pas vrai ! »
Lazlo tourna des yeux incrédules vers son second. C'était tout
simplement impensable ! Qui aurait pu prévoir que leurs ordinateurs seraient
incapables de gérer les nouvelles donnes du combat spatial ?. Trop de choses
avaient changé en trop peu de temps. En l'espace de quatre jours, les forces de
Zeon leur avait douloureusement appris que tout ce qui avait fait l'orgueil des
Forces Fédérales était devenu obsolète, vestige d'une forme de guerre
devenue beaucoup trop automatisée, trop technologique et déshumanisée.
Avec les MS, c'était une forme plus archaïque, mais à la fois plus
noble du combat qui avait resurgi: le combat au corps à corps, comme aux
premiers âges de l'Homme. Ou plutôt, pour reprendre une allégorie empruntée
à Gihren Zabi, comme au temps des chevaliers. La confrontation directe où l'on
regarde son adversaire dans le blanc des yeux avant de le terrasser, où seules
les aptitudes d'un homme déterminent l'issue du combat. à la différence que
cette fois-ci, il y avait une inégalité de taille: les Forces Fédérales ne
possédaient pas de MS ! Ce petit détail en faisait non plus quelque chose de
noble et de chevaleresque, mais plutôt une variante du jeu de massacre. Et tous
les moyens que les Forces Fédérales avaient déployé pour parer à cette
nouvelle menace avaient échoué.
Le pourcentage de coups au but restait désespérément bas et leurs
chasseurs ne parvenaient pas à endiguer l'avance ennemie. Manque de
coordination, manque de préparation. Mais leur matériel seul n'était pas à
remettre en cause; en comparaison avec l'ennemi, leurs hommes étaient
sous-entrainés, sans doute même sous-qualifiés ! Ils s'étaient trop
longtemps reposés sur un sentiment d'invincibilité qu'ils avaient cultivé
pendant de nombreuses années. Les officiers eux-mêmes semblaient avoir perdu
toute capacité d'adaptation et tout sens de l'initiative, se retranchant méthodiquement
derrière la hiérarchie et le règlement au lieu de prendre de réelles
mesures. Comment pouvait-on espérer mener une contre-attaque efficace avec une
telle armée?
Lazlo eut brièvement l'intuition que d'autres flottes seraient vouées
à subir le même sort que la Dixième flotte; peut-être était-ce même là
son propre destin....
Une explosion éblouissante interrompit les pensées de l'amiral. Un
croiseur naviguant à tribord venait de s'embraser à quelques centaines de mètres
de distance, la coque brisée en trois.
« C'est le PRUZKOW, répondit Sernayam à la question muette de son supérieur.
_Combien
de vaisseaux ont été touchés jusqu'à présent?
_Trente-trois.
Quatorze détruits, onze gravement endommagés, huit légèrement.
_Alors
que toutes les batteries de D.C.A. passent en mode manuel pendant qu'il est
encore temps !
_En
manuel? protesta le commandant du KUALA LUMPUR. Mais nous n'aurons jamais assez
de servants pour manœuvrer tous les canons.
_Alors
débauchez des effectifs partout ou vous pourrez en trouver ! Pas besoin d'être
sorcier pour aligner deux cercles dans un viseur ! Allez, hop ! Exécution ! »
463è escadrille fédérale, Taruntius,
8h24 GMT
Le chasseur d'Anaïs venait à peine de quitter le Columbus lorsque
celui-ci fut touché. Le vaisseau-transporteur fut transpercé par trois rayons
à particules, puis cinq MS se jetèrent sur la carlingue en dégainant leurs
terribles haches d'armes, ouvrant de larges ouvertures dans la coque avant de
tirer chacun un obus.
Dans un déchaînement d'éclairs et de flammes, le générateur du
navire explosa, communiquant l'incendie à tout le vaisseau qui s'embrasa en
quelques secondes, alors que la moitié de l'escadrille embarquée se trouvait
encore à bord. La coque se déchira en deux, puis en trois et le vaisseau
explosa, projetant des débris aux alentours. Le chasseur qui suivait Anaïs était
trop près, il fut criblé d'éclats et explosa lui aussi.
Déroutée par la soudaine onde de choc et le puissant éclair qui avait
brièvement surgi derrière elle, la jeune femme manipula ses commandes afin de
brancher sa camera de vision arrière, mais la camera était morte, sans doute
perforée par un quelconque éclat.
« Nom de Dieu ! entendit-elle sur la radio. Le Colombus... Qui restait-il
à bord ? Qui est présent ? Branchez vos balises ! »
Anaïs pianota sur sa console et brancha sa balise de signalisation. Son
écran lui indiqua cinq autres signaux, au total six, là où il en aurait
fallut dix.
« Rigel-un à escadrille, répondez à l'appel ! fit la voix impérieuse
du capitaine Jirka. »
Elle n'obtint en tout et pour tout que cinq réponses.
« C'est tout...? hoqueta la chef d'escadrille.
_Le
chasseur d'Eva a été détruit lorsque le Columbus a été touché, annonça
Lilas Castillo, la voix tremblante. Tout... Toute la 458è escadrille était
encore à bord.
_Castillo,
ce n'est pas le moment de flancher, l'ennemi est droit devant ! Si vous ne
voulez pas aller augmenter encore un peu plus le volume de poussières sur la
Lune, vous avez intérêt à ne pas quitter les senseurs optroniques des yeux.
La mise en garde est valable pour chacune d'entre vous !
_Roger,
acquiescèrent les cinq pilotes restantes. »
Anaïs resta cependant tétanisée pendant plusieurs secondes, les mains
crispées sur les commandes. Elle ne parvenait pas à bouger le moindre muscle
et elle luttait pour garder son calme. Durant les dernières heures, elle avait
du fournir beaucoup d'efforts pour garder le moral, affermir sa résolution et
ne pas songer à la précarité de leur avantage stratégique. A présent, tout
cela avait disparu, vaporisé en même temps que le Colombus. La moitié de son
unité avait été décimée alors qu'elle n'avait pas encore engagé le combat,
ni même tiré le moindre coup de feu.
« Bandits au-dessus de nous ! gueula Jirka sur la radio. Bandits au-dessus
de nous sur Delta-Rhô-Blanc ! Allumez-moi ces salauds, les filles ! »
Anaïs se força à reprendre ses esprits et releva la tête. Les six
appareils changèrent de direction et grimpèrent à la rencontre de
l'escadrille de MS qui passait au-dessus de leurs têtes. Cinq secondes
suffirent pour verrouiller les cibles; les chasseurs lancèrent une bordée de
missiles avant de virer aussi sec. Les MS s'aperçurent alors de leur présence
et rompaient la formation, mais les autodirecteurs des missiles les avaient déjà
verrouillés, et chacun d'entre eux suivit sa cible lorsque ceux-ci s'éparpillèrent
en éventail.
Les projectiles se ruèrent sur les MS, les suivant méthodiquement
lorsque ceux-ci changeaient de direction; finalement il y eu une, deux, trois,
quatre explosions, puis toute une série indiquant que le reste de leurs
missiles avaient été interceptés.
« Rompez la formation ! cria Jirka au moment même ou deux obus transperçaient
le chasseur de son ailier. »
Anaïs
tourna désespérément la tête pour savoir d'où provenait le tir, mais la
position de son chasseur, dos tourné vers la surface, ne lui permettait pas de
bénéficier d'une bonne vue. Puis tout à coup, elle vit un mouvement sur sa
droite, le petit éclair provoqué par la combustion de gaz qui s'échappent
d'un canon lorsqu'il crache ses projectiles. La jeune femme braqua le manche
vers la droite et exerça une forte pression sur les palonniers; les mini-fusées
de direction en bouts d'ailes et dans le nez crachotèrent un instant et le
chasseur décrocha brusquement vers le bas en basculant par la droite, tandis
que six obus passaient dangereusement près de sa dérive.
Une
lueur sur sa gauche et un cri horrifié lui indiqua qu'une autre de ses
camarades venait d'être touchée. Il y eut une autre explosion, plus
importante celle la, et Anaïs vit cinq vaisseaux en dessous d'eux se rompre en
plusieurs tronçons, deux touchés par l'ennemi, les trois autres touchés par
les débris des navires voisins. Plus loin encore, deux vaisseaux ravages par
les flammes tandis qu'un troisième chutait lentement vers le sol.
Un croiseur Saramis passa lentement au-dessus d'eux en tirant de toutes
ses pièces alors même que plusieurs explosions secouaient ses flancs. Les
rayons à particules frappèrent de plein fouet la partie arrière d'un croiseur
Musaï à deux kilomètres de la; la passerelle fut littéralement pulvérisée,
tandis que l'explosion des nacelles motrices arrosait les MS de son escorte. Le
croiseur perdit brutalement de l'altitude et en percuta un autre qui s'embrasa
à son tour. Il y eu un éclair aveuglant puis il ne resta plus rien des deux
vaisseaux qu'une nuée de débris qui chutaient très lentement vers la surface.
« Rompez la formation, répéta Jirka, dispersez-vous ! »
Anaïs revint brusquement à la réalité et vit ses ailiers s'éparpiller
dans toutes les directions alors que trois MS délaissaient un croiseur en
flammes pour se diriger vers elles. La jeune femme vira de bord de façon à se
trouver face aux assaillants et lâcha une bordée de missiles avant de décrocher
vers la gauche, sans se préoccuper de savoir si elle avait fait mouche ou non:
un MS semblait l'avoir repéré et se dirigeait droit vers elle. Anaïs accéléra
pendant dix secondes puis inversa brutalement la poussée en orientant les tuyères
vectorielles vers l'avant, retourna complètement son appareil en le faisant
basculer vers le haut, de façon à se retrouver face au MS qui arrivait par
derrière. Surpris par la manœuvre, le pilote de MS eu à peine le temps de
ralentir que trois missiles désintégrèrent son appareil. La jeune femme n'eut
pas le temps de savourer sa victoire: une violente déflagration secoua son
chasseur et le tableau de bord se couvrit de voyants rouges.
« Rigel cinq ! Vous avez un bandit sur vos trois heures, dégagez ! Rigel
cinq !
_J'ai
perdu mon aile droite ! hurla-t-elle en proie à la panique. Propulsion réduite
de soixante-deux pour cent ! Commandes hors-circuit, ordinateur hors-circuit !
_Ejectez-vous
! Ejectez-vous, Rigel cinq ! »
Anaïs obtempéra immédiatement. Elle utilisa les fusées d'appoint qui
lui restaient sur l'aile gauche pour renverser son appareil sur le dos et
actionna le système d'éjection. Le mécanisme d'urgence propulsa la verrière
à plusieurs dizaines de mètres et le siège éjectable s'alluma dans un grand
déchaînement de flammes. Anaïs se senti brutalement écrasée par les 16G de
l'accélération. Lorsque la combustion cessa trente secondes plus tard, elle
s'était éloignée d'environ huit cents mètres, et lorsqu'elle tourna la tête
vers ce qui par rapport à elle était le bas, elle pu voir un Zaku qui éventrait
son chasseur à la hache avec entrain. Si elle avait tarde, ne serait ce que de
quelques secondes, elle aurait sans doute péri, soit sous les coups de la
hache, soit déchiquetée par les débris de l'explosion.
A
présent, le siège dérivait sur sa lancée, projeté vers la surface lunaire
par l'élan donné au moment de l'éjection. Si elle ne voulait pas s'écraser
au sol comme une fiente de pigeon, il lui faudrait retourner son siège et procéder
à l'alunissage avec prudence, en économisant soigneusement le combustible des
deux petits réservoirs restants.
2è flotte de Zeon, abords de
Magelhaens, 8h27 GMT
La flotte fédérale était désormais à portée visuelle directe, à
moins de dix kilomètres devant, formant une ligne de défense brisée et hétérogène.
Les escadres de MS avaient enfoncé leur ligne cinq minutes plus tôt, désorganisant
la barrière de vaisseaux que les federaux avaient cru infranchissable,
permettant à l'amiral Aurillac de donner l'ordre aux croiseurs de se lancer à
la suite des MS et de renouveler leur exploit.
Les cent quarante bâtiments de guerre se séparèrent en trois vagues
distinctes; leurs vaisseaux disposés en double ligne, les deux flottes
engageant le combat en alternance. Les flottilles placées à l'avant ouvraient
le feu, suivies à plus haute altitude et à quelques secondes d'intervalle par
celles placés au sommet du dispositif, puis la dernière ligne qui fermait la
marche, un peu plus bas et légèrement en retrait. Lorsque les vaisseaux de la
première ligne avaient fini d'attaquer, ils réduisaient brusquement leur
altitude et ralentissaient, laissant les vaisseaux de la deuxième prendre leur
place pour leur permettre d'attaquer, pendant qu'eux-mêmes se retiraient à
l'arrière, prenant ainsi la place de la troisième ligne qui elle-même
prenait celle de la deuxième au sommet du dispositif, et ainsi de suite, tel un
gigantesque rouleau compresseur ! Cette tactique de roulement, si elle était coûteuse
en combustible, avait pour avantage de ne pas épuiser les effectifs.
Le signal fut donné et les vaisseaux de la flotte de l'amiral Ketlynn
Reymond ouvrirent le feu. Une pluie de missiles s'abattit sur la formation fédérale,
déjà durement éprouvée par l'assaut des MS. Celle-ci eut tout juste le temps
de dresser une barrière de leurres; il y eu une ceinture d'explosions nucléaires
lorsque les projectiles percutèrent les leurres, aveuglant momentanément tous
les protagonistes, avant que leurs filtres solaires ne se mettent en place. Les
vaisseaux federaux répliquèrent immédiatement, profitant du rideau de feu
ainsi dressé pour lancer à leur tour trois vagues de missiles. Puis tout à
coup, la flotte fédérale changea sa disposition et se rua sur la flotte de
Zeon.
Visiblement,
le contre-amiral Lazlo avait deviné leur tactique et l'issue qui lui était réservé
s'il ne réagissait pas. Prenant les devants, il avait décidé d'adopter une
formation en diamant et fonçait sur eux à toute vitesse, espérant que la
pointe de sa lance parviendrait à briser le rouleau.
Flairant un piège, Reymond ne réagit pas tout de suite et se laissa
surprendre par la manœuvre de son vis-à-vis. Avant même qu'elle n'ait eu le
temps de donner de nouveaux ordres, la formation fédérale entrait brutalement
en contact avec la Deuxième Flotte, certains petits bâtiments federaux n'hésitant
pas à se jeter sur leurs cuirassés. Tant bien que mal, Reymond tenta de
maintenir la cohésion de sa ligne de front, mais en vain. Elle modifia donc
l'ordre de bataille. Le «rouleau compresseur» se fendit en deux, ses
composants s'écartant sur les côtés et modifiant leur orientation de façon
à se disposer progressivement en une sorte de cylindre qui viendrai submerger
le diamant acéré de Lazlo sur toute sa longueur.
La
première ligne de vaisseaux ayant rompu la formation, le PERSEUS rompit à son
tour l'alignement au moment où un navire fédéral lui fonçait droit dessus.
Le croiseur abaissa la proue et inclina sa trajectoire. Avec sang froid, le
capitaine Austin Vyper regarda le bâtiment ennemi frôler son navire, racler la
coque et passer à quelques mètres seulement de la passerelle. Fascine par le
choc qui avait été évité de peu, l'équipage ne vit pas le Saramis qui
arrivait par dessous. Dans un effroyable bruit de tôle déchirée, la proue du
Musaï percuta la superstructure du Saramis, sectionnant net la passerelle.
Vyper fut projeté hors de son siège par la violence de l'impact, son officier
en second fut soulevé du sol et vint s'écraser brutalement contre la console
de navigation; tout ce qui n'était pas fixe vola à travers la passerelle,
s'abattant en pluie sur les consoles avant ou la baie vitrée. Le Musaï
poursuivit sa trajectoire, arrachant la moitié de la superstructure du croiseur
ennemi qui fit feu timidement de ses batteries arrières; le PERSEUS ne riposta
pas, mais quelque part sur bâbord, un autre Musaï fit feu sur le Saramis, le
transformant en boule de feu.
«
Que s'est il passé? demanda Vyper en se rasseyant dans son fauteuil. Flavius,
au rapport.
_Le
capitaine Flavius est mort, mon capitaine, fit la navigateur. Il... Il a la
nuque brisée. »
Le commandant de bord du PERSEUS fixa la silhouette informe qui gisait à
quelques mètres de lui, les membres apparemment désarticulés. Les yeux étaient
restés ouverts, agrandis par la perspective d'une mort proche et incompréhensible,
et seul l'angle impossible que faisait son cou indiquait que toute vie s'était
enfuie de son corps. S'il avait mis son casque, peut-être cela ne serait-il pas
arrivé.
« C'est un accident stupide, cracha-t-il. J'exige dorénavant le port
obligatoire du casque aux stations de combat. Lieutenant Sinclair, poursuivit-il
d'une voix tendue, prenez la relève et faites-moi un rapport préliminaire.
_A
vos ordres, répondit le lieutenant de vaisseau Aldorick Sinclair. En évitant
le Saramis, nous sommes entrés en collision avec un deuxième; dégâts
importants à la proue, le système d'éjection du Comusaï est hors d'usage;
dégâts sur la coque extérieure ventrale, aucune brèche importante repérée,
micro-fissures en cours de colmatage, dépressurisation et fuites d'air signalées
sur le pont douze, sections cinq à dix-sept inclus. Tous nos systèmes sont opérationnels,
mais nous avons perdu la tourelle ventrale. »
Une nouvelle secousse ébranla le vaisseau.
« Navire ennemi en approche rapide sur bâbord, relèvement deux-trois,
moins un-sept, distance zéro point trois-zéro-sept ! Nous venons de prendre un
coup direct, dégâts sur le pont inférieur huit, les sections six et sept ne répondent
plus.
_Bouclez
hermétiquement la zone ! Artilleurs, ordre de riposte : feu à volonté.
_Artilleurs,
ordre de riposte, pointez sur vecteur Sierra-Papa, deux-neuf. Feu à volonté !
»
Le PERSEUS orienta ses batteries sur bâbord et fit feu de ses batteries.
Une série de lignes parallèles traversa la distance entre les deux vaisseaux
et vint foudroyer le Saramis: trois des six rayons transpercèrent la coque de
part en part, le quatrième pulvérisa la passerelle, le cinquième traversa la
salle des machines et le sixième se perdit dans l'espace après avoir frôlé
la poupe. La coque du vaisseau se déchira comme du papier, laissant échapper
une quantité d'air impressionnante tandis que les systèmes internes du navires
prenaient feu; puis ce fut l'explosion, éphémère, énorme et aveuglante.
« Nouveau relèvement tribord quatre-deux, plus zéro-huit, distance zéro
point zéro-neuf-trois.
_Maintenez
notre présente course ! Ne tirez pas ! A cette distance-là, nous serons
nous-mêmes détruits dans l'explosion.
_Capitaine,
le croiseur fédéral fait feu ! Collision imminente, impact estimé dans
vingt-deux secondes !
_Ils
sont fous ! hurla Vyper en écarquillant les yeux. Virez d'urgence assiette plus
cinq-zéro, poussée maximale ! »
Le
lieutenant Tristan Hielsman tira à fond sur la barre jusqu'à ce que les
chiffres sur sa console indiquent une inclinaison de plus cinquante degrés; le
navire souleva sa lourde masse et se dressa vers le haut au moment où les
rayons à particules lâchés par le croiseur fédéral arrivaient sur lui. Les
monstrueuses décharges d'énergie frôlèrent la coque et passèrent de
justesse entre les deux nacelles-motrices. Le PERSEUS poursuivit son mouvement
vers le haut puis bascula sur le côté gauche en un lent retournement, ses
canons faisant face à la position supposée de son adversaire. Mais déjà, le
croiseur fédéral ne s'y trouvait plus: il avait manœuvré pour dégager et
s'éloignait rapidement sur tribord, mais n'ayant pas su anticiper la manœuvre
du Musaï, il se trouvait à présent totalement exposé par le travers.
Le PERSEUS augmenta sa poussée de façon à se mettre hors de portée de
la déflagration et fit feu par trois fois.
