CHAPITRE 12
Croiseur MIDGARD, 62è flottille de
Zeon, Taruntius, 8h30 GMT
« Tu as quoi ? s'écria Marine Jensen. »
Jered Thomson ne répondit pas tout de suite et s'engouffra dans le sas
de décompression ; la jeune femme le suivit et colla son casque contre le sien.
« Répète-moi ce que tu viens de dire !
_J'ai
rencontré Derek, lâcha-t-il enfin.
_Qu'est-ce
que tu lui as dit ?
_Rien.
Que voulais-tu que je lui dise, d'ailleurs ? Il n'aurait même pas eu la vie
sauve si Kurtzel ne s'était pas montré si indulgent. Je suis d'ailleurs
persuadé que le capitaine se doute de quelque chose maintenant.
_Et
Derek, t'a-t-il dit quelque chose ?
_Oui.
Qu'Anaïs s'est engagée de l'autre côté, mais il ne m'a pas dit où.
_Merde...
»
Le voyant au-dessus de la porte passa au vert, indiquant que la pression
du sas avait atteint celle du hangar. Marine soupira et ses épaules s'affaissèrent
imperceptiblement.
« Qu'est-ce qu'on va faire ? demanda-t-elle.
_Qu'est-ce
que j'en sais ? Anaïs est ta meilleure amie, non? On ne va tout de même pas
demander à chaque soldat fédéral s'il s'appelle Anaïs Macleyn avant de le
descendre ?
_Mais
enfin, c'est notre amie, tout de même !
_Tu
crois peut-être que je l'ignore ? »
Jered détourna la tête afin que son amie ne voie pas son expression gênée.
Il était en proie à l'hésitation, car lui non plus n'aimait pas cette
situation mais il n'y pouvait rien. Il ne pouvait pas non plus s'amuser à sélectionner
ses cibles.
« Il ne reste plus qu'à prier qu'elle ne se retrouve jamais de
l'autre côté du canon, murmura-t-il en sortant du sas. »
Marine lui décocha un regard lourd de reproches mais ne dit rien. Le
jeune homme la dépassa et enjamba la rambarde de sécurité avant de se
propulser vers son MS. Marine le suivit quelques mètres derrière puis changea
de direction et le rejoignit alors qu'il s'apprêtait à s'installer.
« Au fait, Derek allait bien ?
_En
pleine forme. Mais il n'a pas encore appris qu'en tant de guerre, journaliste ou
pas, la curiosité est non seulement un vilain défaut, mais également un moyen
idéal pour aller au casse-pipe. Sinon on ne l'aurait pas ramassé sur Lacus
Somniorum, si loin de toute agglomération.
_Jered
! Comment peux-tu parler ainsi de ton meilleur ami ? Tu ne l'as pas vu depuis un
an et c'est tout ce que tu trouves à dire ?
_Occupe-toi
plutôt d'Anaïs. »
Marine foudroya son ex-petit ami du regard et leva la main pour lui
lancer une gifle, puis, se rappelant qu'il portait un casque, elle abaissa son
bras puis lui décocha brusquement un uppercut à l'estomac avant de se
propulser vers son Zaku. Le jeune homme se plia en deux et fut repoussé par le
choc vers l'intérieur du cockpit. Il ne pouvait guère lui en vouloir, il
aurait pu se montrer plus délicat, mais il ne voulait pas que la jeune femme
lui transmette ses angoisses, et par-dessus de tout, il ne voulait pas qu'elle
devine ses sentiments.
Massant
son estomac endolori, Jered s'assit dans son siège et actionna la fermeture du
cockpit. Sitôt les voyants allumés, le jeune homme commença sa check-list abrégée
et entama les préparatifs de départ ; c'est tout juste s'il remarqua que la
plate-forme de maintenance se déplaçait déjà en direction du système de
largage. Le capitaine Kurtzel fut le premier à décoller, puis ce fut le tour
du sous-lieutenant Largo et enfin celui de Jered.
Le crochet d'arrimage agrippa le MS et le souleva du sol tandis que les
grappins se chargeaient de le faire passer de la station verticale à la station
horizontale. Lorsque le Zaku fut en position, le crochet glissa le long du rail
de guidage pour permettre l'abaissement des déflecteurs de jet. Jered passa du
mode de veille au mode de largage et mit le régime du moteur en mode d'attente.
Le poste de contrôle donna le feu vert et tout se passa très vite : le système
de largage décrocha le MS et le repoussa légèrement vers le bas. Le MS
continua de «chuter» jusqu'à ce qu'il soit hors du sillage du vaisseau tout
en effectuant un double retournement qui lui donna la même orientation que le
MIDGARD. Un signal lumineux sur la visière du casque signala que le largage était
réussi tandis que le contrôleur de trafic lui donnait le feu vert pour
l'allumage. Poussant à fond sur la manette des gaz, Jered appuya fermement sur
la pédale de droite tout en relâchant la pédale de gauche. Le MS se stabilisa
et se rua en avant, s'élançant à la suite de ses ailiers. Trente secondes
plus tard, c'était au tour de Marine et les quatre MS purent se mettre en
formation.
Croiseur TRIESTE, 48è flottille fédérale,
Taruntius, 8h31 GMT.
Une
déflagration brutale secoua de nouveau le TRIESTE, obligeant son commandant à
se cramponner à son siège pour éviter de se retrouver désarçonné. Le
croiseur fédéral riposta en crachant le feu de ses pièces et parvint à
endommager son adversaire. La partie avant de la coque du Musaï se désintégra
sous les coups meurtriers et dut rompre le combat, s'enfuyant en virant
brusquement sur bâbord. Marineris ne se risqua pas à tirer le diable par la
queue et décidant que l'autre avait son compte, il donna des ordres afin que
son vaisseau virât de bord et se rapprochât du périmètre de la base.
Bien
que la flotte se battit encore pour repousser les navires ennemis, Taruntius
avait été incapable d'endiguer plus longtemps la marée grouillante des MS qui
s'étaient infiltrés et avaient pilonné les installations : de nombreux
impacts témoignaient d'un farouche bombardement, et des carcasses de MS, d'une
âpre résistance qui s'était trouvée progressivement submergée.
« Etat de la base ? demanda le commandant de bord.
_Systèmes
défensifs et offensifs réduits de soixante-dix pour cent, vingt-deux silos de
lancement sont détruits. Brèches importantes repérées sur les deux premiers
niveaux en trente-deux sections différentes ! Huit des dix aires de décollage
sont endommagées ou détruites, le versant montagneux nord a été pulvérisé
par trois projectiles nucléaires. L'estimation des pertes se porte à mille
trois cent... »
Kenneth donna un violent coup de poing sur son accoudoir sans que cela le
soulageât de la frustration et de la colère qui sourdaient en lui.
« Foncez dans le tas et tirez sur tout ce qui vous parait hostile,
ordonna-t-il avec véhémence. »
Le TRIESTE pénétra l'espace aérien de la base en balayant tout le périmètre
de ses projectiles. Depuis un moment, le navire naviguait en solo, ayant perdu
de vue de reste de sa flottille et se préservant des coups tant bien que mal
tout en ripostant férocement. Mais à vrai dire, les artilleurs ne savaient même
plus sur quoi tirer, ni comment d'ailleurs : il y avait bien longtemps qu'ils
avaient débranché leurs calculateurs de tir et qu'ils opéraient manuellement.
La cadence de tir avait chuté, la précision réduite à zéro et les coups au
but relevaient plus du hasard que d'autre chose, mais au moins ils faisaient
mouche. Pour la première fois ils avaient vraiment l'impression de tenir une
arme de destruction entre les mains, et non plus être un simple instrument, le
seul facteur faillible d'une machinerie bourrée d'électronique qui, elle, était
réputée infaillible. Principal inconvénient, et de taille : sans l'aide de
leur attirail informatique, ils ne pouvaient plus dissocier les engins ennemis
des leurs.
« Commandant ! s'écria l'officier de pont, contact sur trente-sept
degrés tribord, plus six, distance zéro deux cent douze. C'est le NAIROBI de
la 44è, il se déplace à très grande vitesse et il va couper notre
trajectoire ! Collision estimée dans quatre-vingt-quinze secondes !
_Contactez-les,
qu'ils dégagent !
_Impossible
d'établir le contact !
_Alors
virez sur tribord quarante-cinq ! s'écria Marineris. Manœuvre de roulement
par tribord... Maintenant ! »
Les fusées d'appoint latéraux du TRIESTE lancèrent leurs jets de gaz
et modifièrent la course du vaisseau, d'abord de façon imperceptible, puis de
façon plus prononcée lorsqu'il fut évident qu'il faisait maintenant face à
l'autre croiseur. Les fusées de contrôle de roulis crachèrent à plusieurs
reprises et le TRIESTE bascula lentement sur le côté droit au moment où le
NAIROBI arrivait sur lui. Le commandant de bord sentit ses cheveux se hérisser
sur sa nuque alors que la proue de l'autre croiseur passait à seulement
quelques mètres de la passerelle.
« Nom de Dieu ! jura-t-il entre les dents une fois que le vaisseau eut
passe, comment se fait-il qu'ils ne nous aient pas vu ?
_Commandant
! fit Kris en brandissant son index en direction du moniteur de vision arrière.
Le NAIROBI... Il n'a plus de passerelle ! »
Kenneth fixa l'image d'un œil incrédule : le croiseur continuait de
naviguer en tirant dans tous les sens alors qu'il n'avait plus de poste de
commandement. On eut dit un soldat décapité qui continuait à tirer avec son
arme !
« Regardez vos moniteurs, bon sang ! s'écria-t-il pour tirer ses
officiers de leur torpeur. Rapport des dommages ?
_Systèmes
défensifs réduits de dix-sept pour cent, systèmes offensifs réduits de vingt
et un pour cent. Tourelle deux inopérante, batteries un, six et neuf détruites.
Tubes cinq et six inopérants. Intégrité de la coque réduite de vingt-six
pour cent. Trois brèches localisées sur les ponts Trois section G, Cinq
sections à et D. Compartiments isolés et sécurisés.
_Commandant,
je reçois une communication-flash du BERLIN. Nous avons ordre ne nous rabattre
sur Secchi puis Gutenberg ! Ordre à tous les navires disponibles d'assister
l'évacuation de la base. Le BERLIN transmet les paramètres en code par
faisceau-laser.
_On
abandonne la base ? bégaya Kris. Nous battons en retraite ? »
La
jeune femme jeta vers son supérieur un regard interrogateur où se mêlaient détresse
et incompréhension. Notre situation est-elle désespérée au point que nous
soyons obligés de battre en retraite, semblait-elle demander ? Ne sachant que
dire, le commandant hocha tristement la tête en guise de confirmation puis se détourna
vers son moniteur personnel. Consternés, les officiers de la passerelle s'échangèrent
des regards inquiets, mais Marineris aurait été bien en peine de trouver des
mots pour les réconforter, lui-même était en proie au doute. Jamais dans sa
carrière il n'aurait cru que la puissance fédérale puisse être défaite,
comme tous il avait été élevé dans la croyance que l'armada était toute
puissante et pouvait faire plier n'importe qui. Et là, sur la Lune, une poignée
d'extraterrestres était en train de les obliger à se replier ? Ses
instructeurs de l'académie en auraient ri ! Une telle chose était
impossible, or elle se déroulait sous ses yeux en ce moment même, et ni lui,
ni aucun de ses officiers ne pouvait en accepter la réalité. Kris fut
toutefois la première à reprendre ses esprits.
« Allez, du nerf, les houspilla-t-elle. La bataille n'est pas encore
finie, concentrez-vous sur vos tâches ou nous serons abattus avant même
d'avoir compris ce qui nous arrive ! »
Marineris acquiesça faiblement.
« Manœuvrez sur Delta-Kappa-vert sur distance zéro sept cent vingt,
reprit-il bientôt. Poussée avant deux tiers facteur un, maintenez l'assiette
sur distance zéro-zéro-soixante-dix puis descendez de moins cent cinquante.
Assurez-vous qu'aucun des nôtres ne nous colle au train et lâchez un chapelet
de mines actives tous les cinq kilomètres. »
5è flotte de Zeon, au-dessus de
Soclenius, 8h34 GMT
Leur progression était stoppée nette, il fallait bien l'admettre. Après
que leur «rouleau compresseur» se soit transformé en cylindre destiné à
absorber le «diamant fédéral», la formation du contre-amiral Lazlo avait
brusquement éclaté en deux. Le diamant s'était scindé en deux groupes,
l'un battant en retraite, l'autre augmentant brutalement sa vitesse ; la première
formation brisa son encerclement en s'extrayant du piège cylindrique et se déploya
en éventail afin de lancer une contre-offensive. Là-dessus, la seconde
formation exécuta une manœuvre identique mais à l'opposé, directement sur
les arrières de la flotte de Zeon.
Cette tactique, jugea Ketlynn Reymond, était très risquée, car scinder
une flotte en deux ne pouvait qu'affaiblir son potentiel offensif et défensif,
à moins que ce ne fut le résultat d'une action rigoureusement coordonnée.
Etait-ce là ce que Lazlo tentait de faire, et quand bien même, ses troupes en
étaient-elles vraiment capables ? Bien sur cette tactique était la seule qui
puisse permettre de briser un encerclement du type cylindrique tout en
contre-attaquant, sans avoir à libérer la voie ou tourner le dos à l'ennemi.
D'autres
tactiques étaient possibles : forcer le passage à travers le cylindre et
contre-attaquer en force en se déployant sur les arrières ; mettre la poussée
à fond afin que les croiseurs s'éparpillent au sien de la formation ennemie
puis la traverser, la prenant ainsi à revers. Mais ces deux tactiques avaient
de gros inconvénients : la première laissait le passage jusqu'à Gutenberg
totalement dégagé et la seconde nécessitait des effectifs égaux ou supérieurs
à l'ennemi Ce qui était loin d'être le cas.
Quelles que furent les intentions de Lazlo elles ne portèrent pas leurs
fruits. Après quelques minutes, les manœuvres de la flotte fédérale avaient
fini par trahir son manque de cohésion ; leurs navires ne se déplaçaient plus
avec autant de précision et de coordination qu'au début. Reymond décela la
faiblesse et décida de l'exploiter pendant qu'elle était encore fraîche.
« A toutes les flottes, augmentez la poussée de vingt pour cent et
dirigez-vous sur Charlie-Zoulou cinq-zéro. Concentrez tous vos tirs sur
Delta-Zoulou trois-zéro. »
L'amirale avait repéré deux minutes plus tôt ce qui pouvait devenir
une faille dans le dispositif ennemi. Elle n'avait d'abord rien dit, laissant le
cours des événements confirmer son hypothèse puis, une fois sûre d'elle,
elle avait donné l'ordre de forcer l'assaut sur le point en question. Presque
quarante secondes après que les deux flottes aient commence leur martèlement
sauvage, le point céda et les vaisseaux federaux s'égaillèrent dans toutes
les directions comme un troupeau de brebis affolées.
« Maintenant ! ordonna-t-elle en pointant l'ouverture avec fermeté.
Placez les frégates lance-missiles en avant et foncez à pleine vitesse ! Et je
ne veux voir aucun navire ralentir avant d'arriver à Gutenberg ! »
A
la suite de l'HERAKLES, les bâtiments et les MS des Deuxièmes et Septièmes
flottes s'engouffrèrent dans la brèche comme un seul homme. Lazlo tenta de
la combler en déplaçant trois flottilles supplémentaires, mais elles furent
impitoyablement balayées par la marée verte. Le bouclier défensif fédéral
perdit toute consistance et se disloqua sous le choc, la formation se sépara en
trois et tenta de se reformer tant bien que mal quelques kilomètres plus loin.
A l'arrière, le reste de leur formation tentait de comprendre ce qui se
passait à l'avant et fut totalement prise au dépourvu lorsque la flotte de
Zeon prit de la vitesse ; il leur fallut plusieurs secondes pour réaliser ce
qu'il s'était passé et se lancer à leur poursuite.
Malheureusement pour eux, Reymond avait pris la précaution de laisser
derrière elle plusieurs escadrons de MS épaulés par des frégates et des
torpilleurs. La formation fédérale se heurta donc à un mur à la fois rigide
et mouvant ; la flotte de Lazlo fit trois tentatives, mais chacune se brisa
contre cet obstacle et elle dut finalement battre en retraite. Malgré toutes
ses tentatives de jonctions, la Vingt-troisième flotte fédérale se trouvait
maintenant bel et bien sectionnée en deux. Si Zeon n'avait eu de tâche plus
urgente que celle de neutraliser la base, la flotte fédérale aurait peut-être
été totalement annihilée.
625è escadrille de Zeon, abords de
Taruntius, 8h36 GMT.
Jered agit sur les manettes de direction et le Zaku se redressa à
quelques mètres seulement de la coque du Saramis. Bravant les batteries antiaériennes
qui tentaient de le suivre à la trace, il remonta le long de la paroi de métal
en s'efforcent d'exploiter les angles morts et augmenta la poussée,
propulsant son MS jusqu'à la passerelle. Jered verrouilla la cible dans son
collimateur et retira le cran de surette de la gâchette, le Zaku empoigna son
canon-mitrailleur et tira une rafale sur le poste de commandement du vaisseau
avant de dégager à toute vitesse. Les obus traversèrent la baie vitrée et
ravagèrent la passerelle, soufflant les parois ; sous la violence de
l'explosion, la superstructure vola instantanément en éclats. Les Zaku de Zeke
Leylend et de Ken Largo qui suivaient à quelques mètres empoignèrent leur
bazooka et tirèrent un obus chacun tandis que Marine éventrait
consciencieusement l'une des tourelles avant avec sa hache. Une nouvelle série
de déflagrations secoua le croiseur moribond avant que celui-ci ne se brise définitivement.
« Et un de plus, s'écria joyeusement Leylend. »
Jered ne releva pas la trace d'exultation qui perçait dans la voix de
son coéquipier et s'éloigna de la carcasse en feu. Pendant le bref instant
ou il avait verrouillé son viseur, il avait eu le temps de discerner
l'expression de terreur intense qui se lisait sur le visage de l'équipage.
Du coin de l'œil, il vit le MS de Marine perdre rapidement de
l'altitude. Faisant signe à son supérieur, Jered poussa sur les manettes et
suivit le MS de sa coéquipière ; les tuyères du Zaku crachotèrent un moment,
lui donnant une vitesse suffisante pour rattraper l'autre engin.
« Epervier deux-un à Epervier deux-quatre, Marine, qu'est ce qui se
passe ?
_Rien...
Tout va bien. »
Avisant
l'épave éventrée d'un cuirassé Magellan qui gisait sur le flanc, il entraîna
l'autre MS dans cette direction.
« Qu'est-ce qui ne va pas, demanda-t-il une fois qu'ils eurent aluni. Tu
es touchée ?
_Non...
Mais j'ai les nerfs qui commencent à lâcher. Je n'arrête pas de penser à
Anaïs. »
Et moi donc, aurait-il voulu dire.
« Ce n'est pas le moment d'y penser, laisse tomber.
_Je
sais ! Je ne suis plus une gamine ! répliqua-t-elle sèchement.
_En
effet, tu n'es plus une gamine.
_La
faute à qui ? répliqua-t-elle ironiquement.
_Oh,
ça va, répondit-il en saisissant l'allusion au vol. Tu as dit toi-même
qu'on n'aurait jamais pu continuer longtemps ainsi.
_Tu
n'as jamais fait d'efforts pour que ça dure. Tu avais toujours l'air d'être
ailleurs, de penser à autre chose... ou à quelqu'un d'autre. Je me suis
souvent demandée si tu ne m'avais jamais vraiment aimé.
_C'est
faux, protesta-t-il. Je t'ai vraiment aimé...
_Mais
tu en aimais une autre encore plus intensément, hein ? »
Jered se tut, interloqué.
«Ecoute, ce n'est vraiment pas le moment ni l'endroit pour parler de ça!
_Oh,
allez, ne cherche pas à détourner la conversation. C'était Anaïs, je le sais.
Ca se lisait sur ton
visage comme si c'était inscrit en lettres de feu. Enfin... C'était
lisible pour tous ceux qui te connaissaient très bien; mais Anaïs n'a jamais
su lire sur ton visage, tu ne lui en as jamais laissé l'occasion. Elle t'aimait
pourtant.
_Co...
Comment sais-tu cela? hoqueta-t-il.
_Mais
enfin, c'est ma meilleure amie, quoi ! Pourquoi crois-tu qu'elle a systématiquement
repoussé les avances de tous les autres mecs ? C'est toi qu'elle attendait,
pauvre con. Je me demande d'ailleurs comment elle a fait pour t'attendre
toutes ces années…
_Tu
le savais depuis longtemps ?
_Non.
Je l'ignorais au début, je ne l'ai appris que bien après. Mais j'ai fermé ma
grande gueule parce que j'étais jalouse et furieuse. Jalouse d'elle parce que
tu l'aimais plus que moi, furieuse parce qu'elle ne m'avait rien dit, parce que je me
sentais trahie par vous deux et parce qu'on me prenait pour une conne. Alors je
n'ai jamais rien dit à personne. J'ai voulu tout dire l'an dernier, mais je
n'ai pas pu. Je me suis dit qu'il était inutile de rouvrir la plaie.
_C'est
pour ça que tu n'as jamais essayé de me recontacter après le diplôme d'études?
_Oui.
_Pourquoi
me dis-tu ça maintenant?
_Je
ne sais pas. Parce que ça n'a plus d'importance. On ne peut plus revenir sur le
passé.
_Oui...
Tu dois avoir raison, soupira Jered avec amertume.
_Jered,
est-ce que... tu m'en veux?
_Non...
répondit-il avec lassitude. Tu m'aurais dit ça il y a six ans, peut-être,
mais plus maintenant. J'avoue qu'aujourd'hui plus grand chose ne me
touche. La guerre produit tellement d'horreur que mes petits problèmes
paraissent bien insignifiants à côté. »
Jered ruminait encore ses pensées lorsqu'une source lumineuse attira son
regard. Il effectua un zoom avec sa camera et identifia une petite navette fédérale
utilisée pour les missions de sauvetage. Jered braqua son canon-mitrailleur
sans grande conviction et lâcha deux rafales courtes ; aucune n'ayant fait
mouche, il n'insista pas et observa le frêle esquif s'éloigner rapidement.
Le Zaku baissa son arme et continua de scruter vers le sud. Jered braqua sa
camera de vol et effectua machinalement un nouveau zoom en direction de la base.
« Il se passe quelque chose, dit-il brusquement.
_Quoi
donc ? »
Le jeune homme ne répondit pas tout de suite. Il y avait une activité fébrile
au-dessus du complexe militaire; les croiseurs federaux avaient toujours la maîtrise
de l'espace aérien au-dessus de la base, mais à pressent, une partie d'entre
eux avaient aluni là où ils pouvaient, couverts par les autres. Par ailleurs,
il lui semblait distinguer à la limite du champ de vision des Colombus émerger
de ce qui devait être l'une des dernières aires de décollage intactes.
« Je crois qu'ils évacuent la base ! »
Jered alluma sa balise puis lança une transmission-flash vers son navire
d'attache au moyen d'un faisceau-laser.
« Epervier deux-un à MIDGARD, mouvements sur Sierra-Victor seize-trois.
Estimons évacuation base par éléments logistiques.
_De
MIDGARD à Epervier deux-un. Transmission reçue. Information confirmée.
Estimons contre-attaque violente en vue de briser l'encerclement. Les unités
disponibles ont pour ordre de surveiller tout mouvement ennemi ; MIDGARD, terminé,
lut-il sur son moniteur. »
« Allons voir ça de plus près, dit Jered en manœuvrant son MS.
_Et
les autres ?
_On
aura du mal à les retrouver dans ce bordel. Ma balise est allumée, le
lieutenant Kurtzel saura où me trouver s'il me cherche. Allons-y ! »
Le Zaku bondit dans l'atmosphère tenue et alluma ses propulseurs avant
de filer en rase-mottes, le Zaku de Marine à une dizaine de mètres derrière
lui. Les deux MS continuèrent ainsi sur deux kilomètres, évitant la zone de
balayage fédérale tout en utilisant chaque rocher, chaque crevasse pour se
dissimuler aux yeux de l'ennemi, jusqu'à ce qu'ils soient en vue de la base.
Devant eux se dressait la muraille montagneuse du bord nord-ouest du cratère.
Beaucoup plus loin à l'est, une brèche démesurée témoignait de la puissance
des ogives nucléaires qui avaient soufflé la paroi rocheuse vingt minutes plus
tôt, permettant à la première vague de MS de lancer l'assaut. Mais si les
deux premières vagues avaient balayé les défenses ennemies en exécutant deux
passages, la troisième vague avait été vaillamment repoussée, à deux
reprises. Jered décida qu'il ne pouvait pas prendre le risque d'entrer par la
grande porte et continua à voler vers le sud, contournant lentement le cratère
à la recherche d'un point vulnérable. N'en ayant trouvé aucun, il s'arrêta
néanmoins sur le versant sud-ouest et se mit à scruter la paroi, à la
recherche d'éventuels systèmes de défense.
« Apparemment tout semble avoir été détruit dans ce secteur.
_Ou
abandonné, murmura Jered. Je ne distingue aucun mouvement, aucun signe de vie
apparent.
_Ils
se cachent peut-être ?
_Peu
probable. Après tout ce qu'on leur a balancé dessus, je les vois mal se retenir
exprès pour surprendre deux malheureux MS. Mais allons-y en douceur. »
Le Zaku effectua un bond d'une centaine de mètres, retomba lourdement
sur la paroi à mi-chemin du sommet, s'agrippant des pieds et des mains. Ne
trouvant pas de points d'appui, le MS dévala la pente sur quelques dizaines de
mètres avant que le pied gauche ne rencontre les restes d'une batterie antiaérienne
encastrée dans la paroi. Jered redressa son appareil et se prépara pour un
second saut. Le MS bondit de nouveau, mais lorsqu'il fut à quelques mètres du
sommet, Jered enclencha volontairement ses fusées et plaqua son engin contre la
roche, les mains agrippées sur le rebord de la crête.
« A quoi tu joues ? vociféra Marine.
_Je
préfère savoir ce qu'il y a de l'autre côté avant de sauter. Je ne tiens pas
à me faire tirer comme un lapin.
_Et
? Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
_Non
ma sœur, je ne vois que l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie, répondit
Jered d'un air irrité en citant « Barbe Bleue ». Arrête de déconner et vient
me rejoindre ! termina-t-il alors qu'il effectuait de nouveaux réglages avec sa
caméra. »
A
cette distance, les détails de l'évacuation étaient beaucoup plus clairs. Il
devait rester deux aires de décollage intactes en tout et pour tout, et
celles-ci marchaient à plein rendement, des vaisseaux chargés à ras bord se
succédant à un rythme qu'il avait rarement observé. Les vaisseaux semblaient
décoller avec beaucoup de difficultés puis se plaçaient peureusement sous la
protection des croiseurs. Il devait y avoir là pas loin d'une centaine de
navires formant autour des aires de décollage deux périmètres de défense.
Toute leur attention semblait braquée vers les versants nord et nord-est où
une série d'explosions indiquaient que la flotte de Zeon et les MS continuaient
leur harcèlement ; quant à eux, personne ne semblait les avoir remarqué.
Pratiquement au moment ou Jered se disait cela, une ombre imposante passa
au-dessus de sa tête.
« Un Saramis ! s'écria Marine.
_Non
! » hurla Jered.
Le Zaku de ce dernier se précipita sur celui de Marine et plaqua violemment son
canon-mitrailleur sur la paroi rocheuse avant qu'elle n'ait eu le temps de
tirer.
« Il ne nous a pas vu, haleta-t-il. Il évacue la base et il est plein
à craquer. Même s'il nous avait vu, il n'aurait pas pu engager le combat.
_On
ne l'abat pas ?
_Pour
quoi faire ? rétorqua-t-il sombrement. C'est sans intérêt.
_Tu
ne veux pas augmenter ton tableau de chasse ? gloussa-t-elle.
_Lâche-moi
les baskets. »
Dans son cockpit, Marine fronça les sourcils. Jered au contraire n'avait
pas changé. Il était resté aussi froid et maussade qu'auparavant, tel un
rocher contre lequel pouvaient s'écraser vents et marées sans qu'ils
puissent l'égratigner. Cynique et acerbe, il portait en lui un étrange
paradoxe, déchiré entre l'espoir et le désespoir ; car malgré tout ce qu'il
pouvait dire, il renfermait au fond de lui un rêve, une espérance secrète qui
lui donnait une raison de vivre.
Jered portait un masque... Il en portait même plusieurs, camouflant sa véritable
personnalité sous une multitude de visages factices, comme une poupée russe.
Un jour, il y a très longtemps, Marine avait brièvement entrevu ce qui pouvait
se trouver sous ces couches sédimentaires. Cette aura de mystère et de douleur
qui semblait émaner de lui avait intrigué et attiré la jeune femme, elle
avait donc tenté d'en savoir plus sur lui, d'arracher un à un tous ces masques
pour le mettre à nu. Puis un jour, sans s'en apercevoir, elle s'aperçut
qu'elle était tombée amoureuse, mais cela n'avait pas suffit pour faire tomber
toutes les défenses de Jered. Lorsqu'elle avait su pour Anaïs, elle l'avait haï
car elle s'était sentie trahie. Ce n'était pas Jered qui l'avait quitté,
c'était elle qui avait rompu. Par quel étrange hasard en était-il venu à
croire qu'il était celui qui avait mis un terme à leur relation ? Eprouvait-il
des remords ?
« Allons-y, fit Jered en redressant son Zaku. »
Les deux MS enjambèrent la crête et entreprirent de dévaler la pente.
Base de Gutenberg, 8h41 GMT
Une gigantesque déflagration ébranla la base fédérale jusque dans ses
fondations. Trois missiles étaient parvenus à passer au travers du rideau de
la D.C.A. et venaient de tomber sur le complexe militaire.
« Quelle est l'étendue des dégâts ? aboya Van Tran en s'agrippant
à son bureau.
_Le
niveau un fait état de dommages considérables dans tous les secteurs ; les
sections deux, cinq, seize à vingt-deux, trente à quarante-six ne répondent
plus. Les secteurs 01F et 01G se sont effondrés sous la déflagration sur le
niveau inférieur !
_Les
aires de décollage deux à douze sont totalement détruites. Silos de lancement
un, trois, quatre, sept à dix-neuf, vingt-trois à trente-deux, trente-cinq à
cinquante-six endommagés. Nous... Il ne nous reste plus que sept silos opérationnels
!
_Dépressurisation
brutale et fuites d'air aux niveau un et deux, secteurs J à N ; portes étanches
abaissées, secteurs isolés. Le niveau trois nous signale également
l'extension des incendies des secteurs C et E.
_Etat
des systèmes défensifs ?
_Opérationnels
à quarante-deux pour cent.
_C'est
tout ce qu'il nous reste ? »
Irvine se précipita sur la console, espérant que les chiffres étaient
erronés, mais ceux-ci s'obstinèrent à lui montrer une réalité qu'il
aurait préféré ne pas connaître. Le commandant de la base de Gutenberg lança
un regard désespéré vers son supérieur ; Van Tran se tenait debout derrière
son bureau et regardait fixement les moniteurs qui retransmettaient la bataille.
Il y avait au-dessus de la base une nuée d'engins, des MS, des chasseurs
des deux camps, des leurres électromagnétiques et des mines, des vaisseaux, et
tous se tiraient dessus. Ce qui avait commencé comme une bataille rangée avait
pris des tournures de rixe furieuse, le ciel était constamment illuminé par
les explosions et les rayons d'énergie comme à un feu d'artifice. Les Zaku
mitraillaient à bout portant leurs chasseurs et leurs vaisseaux, et ces
derniers se transformaient en boules de feu lorsqu'ils n'étaient pas assez
prompts à s'échapper. Il y avait quelque chose d'inégal dans cette mêlée,
quelque chose qui lui donnait des airs de corrida. Et leur flotte tenait le rôle
du taureau.
«
Quel pourcentage de nos effectifs aériens avons-nous engagés jusqu'à présent
?
_Quatre-vingt-deux
pour cent.
_Le
pourcentage de pertes ?
_Soixante-trois
pour cent... souffla l'opérateur, horrifié.
_Lancez
la réserve. Peu importe si nous dégarnissons entièrement notre groupe aérien,
nous devons maintenir intactes les installations qui nous restent jusqu'à
l'arrivée de la station. C'est la priorité absolue ! Où en est la
Vingt-troisième flotte ?
_Amiral
! Nous recevons un signal d'Antarès-180 sur Mare Undarum, ils ont quelque chose
sur leurs écrans.
_Mare Undarum ? hoqueta Van Tran. Pourquoi
nos avant-postes de Mare Smythii n'ont-ils pas réagi ? »
L'amiral tourna de nouveau son regard vers l'écran principal, l'air
furieux. On avait estimé qu'il faudrait au moins quinze minutes à Island
Iffish pour parcourir la distance qui séparait la frontière de Mare Undarum ;
cela faisait donc quinze minutes que leurs avant-postes auraient du les prévenir.
« Demandez une confirmation visuelle !
_Confirmation
contact visuel par Mare Undarum et Mare Spumans, annonça un officier. Relèvement
zéro-zéro, moins sept... Approximativement au-dessus de la bordure ouest de la
Mare Smythii. Nos sondes automatiques nous transmettent en ce moment des images
de leurs cameras... Mon Dieu! C'est énorme...
_C'est
Island Iffish ! s'écria Irvine. Quelle est l'estimation du temps d'arrivée ?
_ETA
dans quatre minutes.
_Cela
ne nous laisse qu'une très faible marge, dit Van Tran en palissant. Nous aurons
à peine le temps de lancer nos missiles... Amorcez immédiatement le compte à
rebours et sautez les étapes un à quinze. Nous allons écourter la procédure
de neuf minutes et lancer tout ce que nous avons dans deux minutes. Ordonnez aux
chasseurs et aux croiseurs de se tenir en dehors de la trajectoire et d'empêcher
l'ennemi d'approcher à n'importe quel prix. Je répète, à n'importe quel prix
!
_Amiral,
Vega-174 nous signale de nouvelles données sur Island Iffish. Forte signature
infrarouge ! Ils observent une puissante source lumineuse à l'arrière de la
station ! »
Le contre-amiral Van Tran devint blême et il dut s'accrocher à son
bureau pour ne pas trébucher. De toutes ses forces, il tenta de repousser
l'horrible pressentiment qui se formait peu à peu dans son esprit, mais sa
raison s'y refusait. Irvine croisa son regard et se mit lui aussi à soupçonner
la vérité. Les yeux agrandis par le doute et la crainte, il se précipita sur
la plus proche console en agrippant l'opérateur.
« Confirmez la trajectoire ! s'écria-t-il. Confirmez la trajectoire
d'Island Iffish !
_Inchangée,
bégaya l'opérateur, hébété par la véhémence de son supérieur. La vélocité
de la station vient d'augmenter de quarante pour cent, mais la trajectoire reste
inchangée... Rectification, nous recevons une contrebalances de Mare Undarum :
percevons infime variation de trajectoire de l'ordre de zéro zéro zéro un.
_Vers
où, nom de Dieu ! Vers où ? !
_Vers...
Elle s'écarte de l'orbite... »
Irvine serra les dents et poussa un cri rauque tandis que Van Tran
s'effondrait sur son siège. Le désagréable pressentiment qui les rongeait
depuis quelques secondes venait de prendre corps, et le doute dans leur esprit
s'était instantanément changé en certitude. Ils auraient du savoir qu'il
n'était pas nécessaire d'effectuer une orbite complète pour renvoyer la
station sur une nouvelle trajectoire. Il suffisait simplement de se laisser
happer par la force gravitationnelle puis de calculer le moment précis où il
faudrait réactiver la propulsion pour s'arracher de l'orbite.
«Nous nous sommes fait avoir ! » croassa Van Tran.
4è flotte fédérale, navire amiral,
Secchi, 8h45 GMT
«
Confirmez la trajectoire ! Confirmez la trajectoire !
_Trajectoire
confirmée par Antarès-204 et 320 : Island Iffish dévie progressivement de
l'orbite lunaire, plus sept degrés... Plus huit degrés...
_Amiral
! On nous signale un peu partout que les flottes ennemies rompent le combat !
_Direction
?
_Vers
la station. Elles battent en retraite vers la station ! »
L'amiral Toanm lança une bordée de jurons et jeta son casque dans un
coin de la passerelle. Les stratèges de Jabrow n'avaient rien compris du tout ;
il existait bien un moyen de relancer la station sans avoir pour autant à
effectuer une orbite complète ! Et c'est ce que Zeon avait fait, il l'avait
compris lorsqu'on lui avait rapporté que Zeon réactivait les propulseurs
thermonucléaires. C'était si simple, pourtant personne n'y avait songé.
Leurs stratèges avaient été persuadés que lesdits propulseurs ne leur
avaient servi que pour la sortie de Side-2, qu'ils s'étaient ensuite définitivement
tus et que seule une orbite complète parviendrait à relancer la station.
Ils s'étaient fait rouler du début à la fin, ils avaient été
incapables d'anticiper quoique ce soit ! Zeon avait lancé deux attaques une
demi-heure auparavant, dans le but d'organiser une diversion avaient-ils cru,
puis rapidement il avait été clair que l'objectif recherché était tout
bonnement la destruction des complexes militaires bordant la Mer de la Fécondité.
Le fait qu'ils aient su où frapper ne tenait nullement du miracle ; après la
destruction des bases occidentales, la Mer de la Fécondité offrait les
meilleures conditions pour une contre-attaque.
Au début, la tactique de l'ennemi avait paru logique, il s'agissait pour
Zeon d'éliminer les obstacles en vue du passage de la station. Les bases fédérales
avaient donc engagé toutes leurs forces dans la défense de leurs installations
de missiles, espérant tenir jusqu'à l'arrivée d'Island Iffish. Or Zeon
avait réussi un coup de maître en la faisant dévier avant même qu'elle
n'atteigne la Mer de la Fécondité : les Forces Fédérales manquaient désormais
de temps pour réorganiser leur riposte. Il allait leur falloir au moins cinq
minutes pour confirmez la course, la vitesse de la station et calculer une
trajectoire d'interception ; peut-être encore cinq minutes de plus pour lancer
un compte à rebours. D'ici la, Island Iffish pouvait être déjà loin.
« Quels sont les effectifs qui nous restent ? demanda Tianm.
_Nous
disposons de douze flottilles opérationnelles, répondit Texel Jordan. Au total
deux cent soixante-trois vaisseaux et trois cent soixante-douze chasseurs répondent
à l'appel.
_C'est...
C'est tout ? Contre-vérifiez les données.
_Chiffres
corroborés par l'ordinateur de bord, amiral. »
Le commandant en chef de la Quatrième flotte fixa l'officier tactique
d'un air incrédule. Il ne parvenait pas à se faire à l'idée qu'il venait de
perdre plus d'un tiers de ses effectifs en l'espace de trente minutes. Avec une
inquiétude non-feinte, Victor Tianm se rassit dans son fauteuil avec lenteur ;
puis, soupirant bruyamment, il se passa distraitement la main dans les cheveux.
Il lui fallait prendre une décision, vite. La situation exigeait une réaction
immédiate, mais Tianm ignorait si leurs forces étaient en mesure de la mener.
Depuis le début de cette opération, quelque soit le nom maudit dont Zeon
l'avait baptisée, les Forces Fédérales avaient été menées sur tous les
tableaux. La soi-disant contre-attaque lunaire ne faisait pas exception à la règle
puisque les forces de Zeon avaient su où frapper. Ils avaient été pris à
contre-pied, comme si à chaque action qu'ils entreprenaient, Zeon avait déjà
trouvé une parade, un peu comme dans une partie d'échec où votre adversaire
anticipe chacune de vos manœuvres dix tours à l'avance...
Fixant le champ étoilé qui s'étendait au-delà de la baie vitrée,
Tianm se demanda de nouveau s'il fallait organiser une tentative improvisée
alors que l'ennemi pouvait bien les attendre au tournant. Devait-il se lancer à
la poursuite de la station de sa propre initiative, sans attendre les ordres de
Jabrow ? Trente minutes avaient suffit pour annihiler près de quarante pour
cent de l'escadre, il ignorait encore dans quelles proportions, et tout semblait
démontrer que toute velléité de poursuite relèverait du suicide. En fait, il
réalisa que leurs perspectives de réussites tendaient dangereusement vers zéro.
« Non, se dit-il pourtant, c'est maintenant ou jamais. La flotte ennemie
est épuisée par la bataille, elle n'a plus qu'une chose en tête : rejoindre
le groupe principal et se mettre à l'abri. C'est maintenant qu'il faut frapper,
pendant qu'ils ont baissé leur garde.
« Nous n'avons pas le temps de regrouper nos forces, reprit-il à voix
haute. Ordonnez à tous les bâtiments et les chasseurs disponibles de prendre
le cap vecteur Xhi-Lambda-bleu ; nous allons tenter une interception catastrophe
dès que possible. Contactez Gutenberg et demandez à ce qu'ils lancent leurs
ICBM sur le même cap, et qu'ils laissent tranquilles leurs missiles de croisière,
ils n'auront pas le temps de les programmer. A tous les bâtiments, virez de
bord sur bâbord quarante, assiette plus cinquante-cinq, poussée maximale ! à
tous les navires, lancez quatre vagues de missiles à dix secondes d'intervalle
des l'orientation terminée, exécution ! »
6è flotte de Zeon, navire amiral, 8h48
GMT
« Altitude et distance à la force principale ? demanda calmement
l'amiral Powland.
_Altitude
un-quatre-deux point zéro-huit-deux, distance à Mare Foecunditatis
quatre-deux-neuf, distance à la force principale deux-zéro-trois, jonction
estimée dans une point deux-cinq minutes.
_Des
signes de poursuite ennemie ?
_Affirmatif,
amiral. Les deux flottes viennent de changer de cap... Contacts sur senseurs,
relèvements bâbord un-sept-huit, moins un-six-sept ; tribord un-sept-six,
moins un-sept-zéro ; distance trois-huit-zéro point sept-zéro ;
trois-sept-deux point un-zéro. Missiles ennemis repérés !
_Contact
confirmé par notre arrière garde, relèvements et cap confirmés,
illumination-laser ennemie non confirmée. Estimation interception dans une
point cinq-zéro minutes. Nombre... Entre trois et quatre mille. Je répète,
trois-zéro-zéro-zéro et quatre-zéro-zéro-zéro! Distance à la première
barrière dans six secondes ! »
Presque comme pour confirmer les dires du lieutenant de vaisseau Marlène
Stebel, une ceinture d'explosions illumina brillamment la surface lunaire derrière
eux. Les missiles lancée par Tianm venait de rencontrer la première barrière
de mines spatiales laissée par la Force de frappe A. Douze secondes plus tard,
ce fut au tour des missiles lancés par la Vingt-troisième flotte et la base de
Gutenberg de rencontrer les barrières dressées par les flottilles de Retmond
et Garahau. Sous l'avalanche de missiles, les leurres et les mines furent
totalement vaporisés.
Powland manipula nerveusement les touches de son clavier et obtint une
estimation des missiles qui étaient passés au travers. A ses cotes, l'enseigne
Satori effectuait les mêmes calculs et tentait d'évaluer le taux de réussite
de la seconde barrière.
« Il n'y en aura jamais assez, constata-t-elle en secouant la tête. Même
avec la seconde ligne de défense, nous aurons toujours entre mille cinq cents
et deux mille missiles.
_Déployez
l'arrière garde, ordonna Powland. Faites faire demi-tour à deux douzaines de
bâtiments lance-engins et renvoyez les escadrons qui ont le moins souffert. Que
tous les autres navires maintiennent la poussée maximale ! Comment se comporte
la force de frappe B ?
_Apparemment
le taux de réussite a été encore plus bas que chez nous. La Septième flotte
vient de lâcher six cents leurres actifs dans son sillage et une première
vague d'antimissiles.
_Impact
avec la deuxième barrière estimé dans vingt secondes ! interrompit l'officier
tactique. »
Quatre-vingt-deux
secondes après être entrés en contact avec la première ligne de défense,
les missiles percutèrent de plein fouet la seconde puis la troisième, dressée
par l'arrière garde de la flotte elle-même. Les astronefs pilonnèrent les
projectiles qui venaient à leur rencontre, mais malgré tous leurs efforts, un
nombre impressionnant parvint à traverser le redoutable rideau de feu ; et les
équipages virent avec effroi les missiles foncer sur eux. Le souvenir de la
première attaque par missiles était encore très vivace dans les esprits et de
nombreux servants abandonnèrent précipitamment leurs batteries en proie à la
panique, certains MS firent même demi-tour.
Mais les engins fédéraux étaient de simples missiles ballistiques de
taille moyenne à guidage laser, disposant d'un programme limite et de têtes
chercheuses primitives. Contrairement à leurs aînés les missiles de croisière,
ils ne possédaient ni la capacité d'éviter les leurres, ni la portée nécessaire
à une attaque longue portée ; seul leur nombre colossal leur avait permis de
passer les différents barrages. Par ailleurs, les explosions successives
perturbaient considérablement le travail des têtes chercheuses qui avaient du
mal à acquérir un objectif. Ainsi, un grand nombre d'entre eux continua sur
leur lancée, incapables de se verrouiller sur un navire et toujours guidés par
le faisceau de guidage-laser lancé depuis le BERLIN.
C'est ce que Powland comprit instantanément lorsqu'il vit les engins
traverser la troisième ligne défensive sans toucher guère plus de six bâtiments.
Leur marge de manœuvre était très serrée ; vu l'orientation des bâtiments,
il leur était impossible de faire feu avec leurs tourelles principales, et les
batteries arrières n'allaient certainement pas faire le poids. Il était également
hors de question de retourner les vaisseaux, cela aurait eu pour effet de
ralentir leur vitesse, risquant de leur faire rater la jonction avec la force
principale. Restait une dernière solution. Pris par le temps et par une idée
subite, l'amiral effectua de nouveau de calculs puis brancha son microphone sur
la fréquence générale.
« Ordre à toute la flotte, dispersion libre à vitesse maximale tout en
faisant feu sur Fox-Lima six-zéro. Feu à volonté !
« Nous avons encore une chance de les arrêter, expliqua-t-il à son
chef d'état-major qui le regardait d'un air perplexe. Ce sont des missiles
ballistiques classiques à guidage laser, or les federaux n'ont matériellement
pas eu le temps de calibrer des designateurs-laser pour chaque missile, pas plus
que de programmer les têtes chercheuses. Tous les missiles ont du recevoir pour
seule instruction de suivre un faisceau unique braqué sur la position
approximative de notre flotte ; et le fait qu'aucun n'ait pu être détecté
tend à le prouver : s'il y en avait eu plusieurs, nous aurions été illuminés
comme un arbre de Noël. Si nous parvenons à nous disperser assez rapidement,
nous pourrons peut-être les perdre.
_Amiral,
nouveau contact infrarouge, relèvement tribord zéro-sept, moins trois-zéro ;
distance deux-zéro-zéro ! »
Mark Powland se leva de son siège, incrédule. L'ennemi était derrière,
à la rigueur sous eux, mais devant ? Puis tout à coup un déclic se fit dans
son esprit et son visage s'éclaira d'un sourire. «C'est la force principale, exulta-t-il. Lieutenant, Contre-vérifiez le
relèvement et la position d'Island Iffish.
_A
vos ordres... Position d'Island Iffish confirmée sur Echo-Sierra cinq-zéro.
Relèvement tribord zéro-sept, moins trois-zéro confirme. Nous... Nous
recevons un signal laser du ZWARTH de la Troisième flotte en code. «Lançons
quatre vagues antimissiles alternées par trois vagues rayons stop. Attention
transmission des trajectoires stop. Ordre de dispersion maximale sur bâbord
pour ouverture passage stop. Evitez tribord en raison antimissiles force frappe
B stop. Amiral Falken, fin de transmission. »
_Quelle
est la position de la force de frappe B ?
_En
approche par tribord sur un-deux-zéro, moins un-six-zéro, distance cinq-deux.
Correction, elle s'éloigne sur tribord un-zéro-zéro, distance cinq-sept et
croissante.
_A
toute la flotte, poursuivez les manœuvres de dispersion sur vecteur
Oscar-Zoulou un-cinq. Rappelez l'arrière-garde et les navires dispersés sur
tribord, qu'ils reviennent sur bâbord sept-zéro le plus rapidement possible.
»
Petit à petit, et aussi vite que le permettaient leurs fusées
d'appoint, les mastodontes de métal altérèrent leur course. L'imposante
formation se déploya bientôt sur bâbord comme un monstrueux éventail, les
astronefs de guerre s'éparpillant vers le haut et le bas en une ligne
verticale. Quelques secondes plus tard, une série de petits points lumineux fit
son apparition dans leur champ de vision. La première vague d'antimissiles les
dépassa en trombe sur leur droite, suivie juste après par une pluie de rayons
à particules. Les deux vagues les avaient à peine dépassé qu'une autre
surgit à son tour et fondit sur la masse de projectiles ennemis.
«Pourcentage de réussite ? demanda anxieusement le commandant
Franczesko Deker.
_Trente-deux
pour cent, commandant.
_Il
reste encore quatre vagues, commandant, sourit Powland. Et jusqu'à présent
le taux de réussite est tout à fait satisfaisant ; il serait prématuré de
dire que nous sommes hors de danger, mais je crois que nous n'avons pas à nous
inquiéter.
_Vagues
quatre, cinq, six et sept en approche ! cria l'enseigne Claude Karson. »
Ce fut une véritable marée qui se rua à leur rencontre, les dépassant
en l'espace d'un battement de cils, crachant le feu de leur tuyères pour les
uns, éblouissant les équipages qui avaient l'audace de les suivre de yeux pour
les autres. Les quelque trois mille six cents antimissiles et les deux mille
sept cents rayons d'énergie frappèrent les projectiles nucléaires federaux
comme un marteau géant. Une formidable lueur apparut sur tous les moniteurs de
vision arrière, aveuglant les équipages malgré le système de filtrage
lumineux. Le ciel lunaire fut violemment éclairé, comme si le Soleil lui-même
s'était posé à la surface ; l'éclair fut même observé de la Terre à
l'œil nu !
Lorsque
la luminosité décrut, il ne restait plus qu'un vaste champs de débris secoué
par moments par quelques explosions éparses. Les missiles avaient été littéralement
rayés du ciel, comme si une main céleste les avait brutalement balayés ou
fait disparaître par quelque enchantement.
