CHAPITRE 13

CHAPITRE 13

71è escadre embarquée, 7è flotte de Zeon, 8h52 GMT

Dwight Takaya jeta un dernier regard sur la surface lunaire puis se concentra sur son moniteur auxiliaire. Les champs de particules Minovsky déployés durant la bataille étaient encore très denses, mais les balises allumées par ses différents pilotes devaient en principe pouvoir faire passer leurs signaux au travers. Pourtant... là où il aurait du trouver soixante-trois signaux, l'écran en indiquait à peine quarante-deux. Inquiet, le commandant du 71è escadron embarqué tira une fusée éclairante afin de rassembler son unité autour de lui. Le premier à le rejoindre fut le capitaine Pieter Jirkis, commandant le troisième groupe embarqué.

«Capitaine, murmura Dwight, quel est le pourcentage de perte dans votre unité ? »

La voix hachée par l'émotion et l'épuisement, Jirkis mit un certain temps à répondre. Quand il prit la parole, ce fut d'une voix enrouée.

«J'ai perdu huit hommes, mon commandant. »

Takaya ferma les yeux et marmonna quelques mots incompréhensibles ; quelque chose qui aurait du être des jurons, mais qui dans son état de fatigue extrême, se rapprochait plus de borborygmes. Comme si tout à coup un poids énorme venait de quitter ses épaules, il sentit ses muscles se décontracter d'un seul bloc. Etait-il vraiment resté aussi crispé durant toute la bataille ? Le chef du groupe aérien s'assura que son cockpit était correctement pressurisé puis retira son casque avec lenteur.

«Commandant ? demanda Jirkis, inquiet de son silence.

_Retournez sur le DROUOT et envoyez-moi un rapport complet dès que possible.

_Commandant... On m'a rapporté que le DROUOT avait sombré au-dessus de Taruntius, onze minutes après le début de l'attaque.

_Ah... Avez-vous des nouvelles des autres groupes, voire des autres navires ?

_Négatif, commandant... Oh, attendez...

_Oui, j'ai vu.»

Le moniteur auxiliaire des deux pilotes indiquait que six autres balises se rapprochaient d'eux à grande vitesse.

«Brigand un-zéro à chefs de groupes, identifiez-vous et faites-moi un rapport préliminaire de vos pertes.

_Colibri un-zéro à Brigand un-zéro, ici le capitaine Kristofer Davis, deux pertes, trois MS fortement endommagés.

_Narval deux-trois, ici le sous-lieutenant Jarell... Le capitaine Varlehn est porté disparu, ainsi que les lieutenants Brennick et Darian. Il me reste deux MS, tous endommagés.

_Libellule deux-un à Brigand un-zéro, ici le sous-lieutenant Markov, le lieutenant Palzer est également porté manquant...»

Takaya n'écoutait pratiquement plus; les mots entraient par une oreille pour ressortir immédiatement par l'autre. Accablé par la fatigue, le chef du groupe aérien se surprit à trembler, sans doute un contrecoup de la chute de tension...

Subir des pertes était, après la défaite ou la capitulation de la mère patrie, ce qu'il y avait de plus dur pour un chef d'unité, Dwight le savait, on le lui avait dit lorsqu'il avait pris le commandement de sa première escadrille; le capitaine Ramba Ral, sous les ordres duquel il avait servi des années auparavant, ne le lui avait répété que trop souvent. Lorsqu'on a passé des mois à former ses hommes, à leur inculquer une foi inébranlable en leurs supérieurs et en leurs camarades, il était très dur de les voir disparaître presque tous d'un coup, l'espace d'un clin d'œil, serait ce pour une cause glorieuse. Un meneur se devait de respecter ses hommes, de les aimer comme ses enfants, comme ses ouailles; chaque perte était une blessure, la perte d'un homme de valeur, et chaque mort rapprochait encore plus le taux de survie de l'unité de zéro.

Takaya secoua la tête pour chasser ces idées morbides et donna une série d'ordres brefs. Les escadrons se rassemblèrent avec lenteur derrière leur chef et prirent tant bien que mal la direction de la 71è flottille. Au diable ses hommes, au diable son unité, tout ce que Dwight désirait, à pressent, c'était regagner son bord et prendre une bonne douche...

Croiseur CALYPSO, 25è flottille de Zeon, 7 janvier, 8h55 GMT

«Contrôle CALYPSO à Arbalète deux-trois, vous n'avez pas l'autorisation de vous aligner! Contrôle CALYPSO à Arbalète deux-trois, veuillez regagner votre navire d'attache!

_Arbalète deux-trois à CALYPSO, je n'ai plus de navire d'attache! MS endommagé; fuite importante de mes réservoirs d'air. Je demande récupération d'urgence!

_CALYPSO à Arbalète deux-trois... autorisation accordée, présentez-vous devant le couloir deux-zéro, répondit enfin le contrôleur aérien après avoir consulté son supérieur du regard. Contrôle CALYPSO à Destrier deux-un, un MS endommagé va se présenter par tribord, vous êtes prié de lui céder la priorité. Veuillez patienter sur le couloir deux-cinq, distance cinq-zéro-zéro en attendant que le couloir d'approche se libère.

_De Destrier deux-un à contrôle CALYPSO, bien reçu, over!»

Le Zaku du lieutenant Daren Jiska exécuta un grand virage sur la gauche et patienta en vol stationnaire à cinq cents mètres derrière le croiseur. à peine s'était-il écarté que surgit sur sa droite un autre MS laissant s'échapper derrière lui un inquiétant panache de fumée blanche.

Cramponnée à ses commandes, le sous-lieutenant Leyna Slekwin observait en alternance son moniteur d'approche et son moniteur de diagnostic. Son MS avait perdu une jambe, arrachée par un missile lors des premières minutes du combat; elle avait reçu alors l'ordre de regagner le bord afin de changer d'appareil, mais jamais elle n'avait pu retrouver le GALATÉE. Alors que le DANAE de la 23e flottille lui annonçait la destruction de son navire, un second missile l'avait touché au bras droit. La caméra principale, les senseurs de tête et trois des quatre réservoirs d'air avaient été touchés par les éclats.

«Arbalète deux-trois à contrôle CALYPSO, demande assistance pour appontage.

_Etats des systèmes?

_Caméras et senseurs inopérants à quatre-vingt-sept pour cent. Stabilisateurs hors-circuit; autobalance hors-circuit; système d'approche hors-circuit, mobilité réduite à trente pour cent... Je continue?

_Négatif, bien reçu. Distance au vaisseau un-deux-zéro-trois, dirigez-vous sur Tango-India Trois-zéro, vitesse facteur un. Réduisez à facteur zéro point cinq quand vous serez à neuf-zéro-zéro, coupez tout à six-zéro-zéro. Un filet de récupération vous attendra au bout. à titre de sécurité, nous allons braquer sur vous un faisceau-laser pour vous assister; votre ordinateur de bord va prendre les coordonnées et vous vous guiderez aux instruments.

_De Arbalète deux-trois à contrôle CALYPSO, roger!»

Leyna patienta quelques secondes avant que l'écran de communications lui indique l'illumination; l'ordinateur de bord ingurgita les paramètres et plusieurs voyants s'allumèrent sur la console de gauche. La jeune pilote appuya sur trois d'entre eux et les paramètres s'affichèrent un par un sur le moniteur principal.

Toujours en position d'attente derrière le croiseur, Daren Jiska observa les manœuvres d'approche du Zaku endommage; un coup de fusée d'appoint à gauche, un coup à droite, un autre en haut, puis encore un autre en bas. Progressivement, l'appareil parvint à se centrer tant bien que mal au milieu de la piste lumineuse, réduisant sa vitesse à neuf cents mètres du vaisseau et larguant les trois quart de ses réservoirs de propergols. Trois cents mètres plus loin, les réacteurs se turent, puis le pilote enclencha très brièvement des rétrofusées afin de freiner sa vélocité.

Un cri fusa alors sur le canal d'urgence:

«Arbalète deux-trois! Larguez votre armement! Vous avez oublié de larguer votre armement!

_Contrordre! Il est trop tard! Ne touchez à rien, l'inertie va vous faire dévier de votre trajectoire et vous n'aurez plus le temps de corriger!

_Quoi? Quoi?»

Devant le manque de réaction du pilote, Daren appuya machinalement sur la pédale de droite et poussa sur les commandes. Son Zaku se rua à la rencontre de l'engin endommagé, décéléra brusquement à une vingtaine de mètres de lui, plaquant le pilote sur son siège, accosta l'autre appareil sans ménagement; le Zaku de Daren lança de son poignet gauche un filin de communication qui vint se ficher sur la carlingue de l'autre.

«Destrier deux-un à Arbalète six-trois, délestez-vous de votre armement: vous allez tout faire sauter!

_Contrôle CALYPSO à Destrier deux-un, coupa la voix du contrôleur en chef, dégagez du couloir, vous obstruez l'approche de Arbalète deux-trois!

_De Destrier deux-un à contrôle CALYPSO, j'essaie de porter assistance à l'autre appareil...

_Il n'y à pas la place pour accueillir deux MS de front! Veuillez dégager de...

_Nom de merde! Qui vous à dit que je voulais apponter en même temps? explosa le pilote, à bout de patience.»

Dans la salle de contrôle d'approche du croiseur, le capitaine Ramon Terelk posa un main sur l'épaule du contrôleur en chef pour attirer son attention et secoua la tête.

«Mes hommes sont épuisés, ils n'aspirent qu'a une chose, ranger leur MS et aller se coucher. Mais ils n'en restent pas moins des professionnels, ils savent ce qu'ils font. Arrêtez de les emmerder et laissez-les faire.»

L'enseigne de première classe Henrig Fidscher tenta de protester puis se ravisa.

«Contrôle CALYPSO à Destrier deux-un et Arbalète six-trois, le filet de récupération est déployé entre les nacelles moteurs à cinquante mètres sous le pont. Accusez réception pour contact visuel. Destrier deux-un, permission d'y déposer votre coéquipier.

_Contact visuel confirmé. Roger!»

Daren manœuvra son MS pour attraper l'appareil endommagé et se laissa porter lentement par ses fusées d'appoint vers le filet signale par quatre fanaux lumineux.

«Eh, allez-y plus doucement, grogna Leyna.

_Désolé, ironisa Daren, j'ignorais que les gonzesses pilotaient des MS en cristal.

_Non mais, dites donc...

_Ca suffit! tonna la voix de Terelk sur la fréquence interne. Ici le capitaine Terelk. Arbalète six-trois, contentez-vous de ramener votre MS à bon port et fermez-la. Si Jiska ne vous avait pas retenue à temps, vous auriez fait sauter la moitié du vaisseau avec vos conneries! On ne vous a jamais appris à vous débarrasser de votre armement avant toute tentative d'appontage forcé?

_S... Si, mon capitaine, balbutia la jeune femme. C'est une erreur qui ne se reproduira plus.

_Je l'espère bien. Votre groupe a été totalement annihilé, vous serez dorénavant sous mes ordres!»

Leyna sursauta. Lorsque les mécaniciens récupérèrent son MS dix minutes plus tard, la jeune femme sortit de son cockpit sans dire un mot en arborant une expression mitigée, à mi-chemin entre détermination, tristesse et résignation.

Base de Taruntius, 4è flotte fédérale, 7 janvier, 9h03 GMT

La navette de récupération atterrit avec lenteur sur une des aires de dégagement hâtivement déblayées autour de la base. Malgré la fatigue et l'abattement qui l'écrasaient, Anaïs ne parvenait pas à trouver le sommeil; elle observait par le hublot les carcasses défoncées qui jonchaient le sol, faiblement éclairées par le clair de Terre. Bien des années plus tard, elle devait toujours se souvenir de ce paysage dantesque, de ces amoncellements de débris dans lesquels on pouvait parfois distinguer à la lueur des projecteurs plusieurs corps carbonisés. Sur des centaines de kilomètres à la ronde, le sol lunaire était parsemé d'épaves, de masses métalliques tordues et noircies.

On eut dit qu'un cultivateur macabre était passé par la, semant les carcasses par centaines avant de récupérer sa moisson de morts. Navires éventrés, chasseurs et MS jonchaient le sol, bien souvent réduits à des amas de ferraille par le choc de l'explosion ou par le contact brutal avec la surface. Des petites navettes de sauvetage et de récupération voletaient d'une épave à l'autre en braquant de gigantesques projecteurs, cherchant d'éventuels survivants.

Un peu plus loin, des équipes de techniciens tentaient de remettre en marche les principaux systèmes de survie de Taruntius, avant que le gros des équipes de secours puisse établir ses quartiers dans les installations encore intactes.

Lorsque leurs forces avaient abandonné la base une demi-heure plus tôt, quatre-vingts pour cent des systèmes offensifs et défensifs de la base étaient hors d'usage, cinquante-six pour cent des installation étaient détruites. La base devenant indéfendable, il avait fallut l'évacuer sous la protection de la Quatrième flotte. Ironiquement, c'est au moment où s'achevait l'évacuation que l'offensive ennemie s'était brusquement interrompue. Apres un instant d'hébétude, les transporteurs lourdement charges avaient fait demi-tour pour voir Island Iffish passer au-dessus d'eux. Les équipages, déjà durement éprouvés par la fulgurante offensive rebelle, n'avaient pu qu'assister sidérés au passage de la station, alors qu'au-dessus de leurs têtes, les éléments de la Quatrième et de la Vingt-troisième flotte tentaient péniblement de lancer une contre-offensive improvisée.

La navette s'immobilisa enfin et un voyant vert au-dessus du sas indiqua que la passerelle était déployée. Anaïs revêtit son casque et se dirigea vers la sortie avec les autres pilotes récupérés, mais à peine avait-elle débarqué qu'un officier s'approchait déjà du groupe en bondissant.

«Aspirant, salua-t-il en hâte, combien étiez-vous à bord?

_Cinq ou six, mon capitaine, salua-t-elle en retour.

_Parfait, vous avez ordre de vous présenter immédiatement à l'aire de décollage 41G à neuf heures dix. Décollage à neuf quinze et ralliement du C-425 où on vous prendra en charge.

_C... Comment? fit un pilote à sa gauche. Mais on vient à peine de se poser...

_La flotte a besoin de pilotes. Nous ignorons encore l'état de nos pertes, mais tous les pilotes valides doivent immédiatement regagner l'unité qui leur sera assignée d'office, quelque soit leur état physique, ajouta-t-il.

_On aura le droit de se reposer? demanda un autre pilote d'un air maussade.

_Est-ce que je peux avoir des nouvelles de mon escadrille?

_Oui, mais à bord des Colombus. On en est pour l'instant à envoyer tous les pilotes vers les transporteurs; on fera le tri après, quand on saura avec précision quelles sont les unités qui devront être réorganisées en priorité. En attendant, quand vous serez à bord, vous serez libres de prendre tout le repos que vous estimerez nécessaire, l'amiral Tianm vous garantit que vous n'aurez pas à sortir avant au moins douze heures.»

Anaïs contempla ses pieds sans mot dire. Autour d'elle, les autres pilotes firent de même, sachant qu'il était inutile de discuter plus longtemps. Ils auraient pourtant voulu protester, pouvoir se débarrasser leurs combinaisons, dormir, oublier.

«L'aire 241G est à deux cents mètres sur la droite. Des instructions plus précises vous seront communiquées dans la navette. Le décollage est dans moins de dix minutes, allez-y au pas de course, exécution!»

L'officier salua et s'éloigna en sautillant dans sa combinaison trop ample, tel un bibendum grotesque, et alla harceler une autre navette qui avait atterri. Pas de course, pas de course! Allez au pas de course à un sixième de G? Il en avait de bonnes! Serrant des poings et maugréant des imprécations, le petit groupe procéda aussi vite qu'il le put jusqu'à l'aire de décollage indiquée.

23è flotte fédérale, navire amiral, 7 janvier, 9h10 GMT

Lazlo tapotait nerveusement de l'index sur l'accoudoir de son siège, un geste qui semblait soudainement être devenu très répandu dans toute la flotte. Depuis que les Forces de Zeon avaient quitté la zone des combats vingt minutes plus tôt, les rapports affluaient vers le KUALA LUMPUR, tous plus alarmants les uns que les autres. Le champ de particules Minovsky lâché par Zeon se dissipait peu à peu, mais pas assez vite pour permettre les communications radio; quant aux communications-laser, c'était la cacophonie. Tous essayaient de parler en même temps, envoyant des signaux dans toutes les directions; les vaisseaux dont les systèmes de communications avaient été détruits en étaient réduits à utiliser l'héliographe.

Les uns après les autres, les commandants de flottilles s'efforçaient d'établir l'état de leurs forces, puis tentaient de prendre contact avec le vaisseau-amiral. Sernayam essayait tant bien que mal de faire respecter l'ordre et distribuait des consignes fermes pour qu'on n'encombrât pas les canaux. Jusqu'à présent, il avait eu autant de succès que s'il avait parlé de la théorie de la Relativité à un troupeau de cochons.

«Amiral, une transmission du BERLIN. C'est l'amiral Tianm.

_Passez-le moi sur audio uniquement.»

Lazlo prit le combiné et le porta à l'oreille. Du coin de l'œil, Sernayam observa les changements d'expression qui se succédaient sur le visage de son supérieur.

«Vous n'y pensez pas, protesta Lazlo. Qu'espérez-vous donc faire, nous perdre?

_Calmez-vous, Jeyms, répondit calmement Tianm. Je n'ai jamais dit que nous devions attaquer tout de suite. Je suis maintenant persuadé que nous n'en sommes pas capables... Pas avant un bon moment, dans le meilleur des cas. Nos effectifs ont été réduits d'un tiers, nos équipages sont épuisés et au bord de la dépression nerveuse. Pour un premier contact avec les forces rebelles, le choc a été dur, mais nous ne devons pas laisser la tension retomber, ou nos hommes seront perdus.

_Que proposez-vous de faire?

_Nous devons nous efforcer d'affaiblir l'escorte, c'est tout ce que nous pouvons faire. Pas de choc frontal, pas de bataille rangée; juste des escarmouches bien localisées. Nous ne pouvons pas provoquer la flotte ennemie dans sa totalité, mais nous pouvons nous permettre d'assaillir ses elements séparément.

_Une tactique de guérilla? Ce n'est pas une tactique particulièrement digne de nous... Avez-vous songé au risque de voir intervenir leurs renforts? Il est loin d'être négligeable.

_Dans ce cas nous nous retirerons. Il nous faudra compter sur leur temps de réaction. Le problème reste leurs MS ; c'est là que le bât blesse, car rien ne garanti la sécurité de nos navires.

_Nous pourrions dresser un rideau antiaérien très dense... Mais faire cela à chaque attaque viderait nos réserves en moins de temps qu'il n'en faudrait.

_Nous verrons cela un peu plus tard. Dans l'immédiat, nous devons connaître l'état exact de nos forces. Où en est votre bilan ?

_Mon état-major se bat sur les ondes pour faire respecter un semblant d'ordre mais ça ne marche pas. Je pense toutefois que nous pourrons être prêts d'ici une heure ou deux.

_C'est la même chose ici. Prévenez-moi dès que votre rapport est prêt.

_Bien. Victor... salua-t-il.

_De BERLIN à KUALA LUMPUR, terminé. »

LAZLO raccrocha lentement le combiné, l'air profondément las.

«Amiral, fit Sernayam s'avancent vers son fauteuil. Vous devriez prendre du repos. Je m'occuperai de dresser le bilan avec le capitaine Ohare. »

Lazlo releva la tête et le regarda un instant, ne savant pas trop s'il était décent pour lui de dormir alors que sa flotte était dans la plus totale des déconfitures.

«Vous avez peut-être raison, dit-il enfin. Je vous délègue le commandement de la flotte. Réveillez-moi s'il y a du nouveau.

_A vos ordres. »

Le commandant de la Vingt-troisième flotte se leva péniblement de siège et se dirigea vers la porte du fond, suivit de son aide de camp. Dix minutes plus tard, il ronflait, solidement harnaché dans son lit.

Croiseur MIDGARD, 6è flotte de Zeon, 7 janvier, 9h16 GMT

Jered avait encore les mains crispées sur les commandes lorsque les mécaniciens parvinrent à ouvrir les panneaux d'accès du MS.

« Lieutenant Thomson, est-ce que vous m'entendez ? demanda Kurtzel. Lieutenant ? »

Jered ne répondit pas tout de suite, le regard fixe, comme s'il regardait quelque chose situé au-delà du spectre visible. Il se sentait engourdi, son esprit semblait s'être dissocié de son corps, ne laissant qu'un tas de muscles informes privés de vitalité.

Inquiet, son supérieur actionna l'ouverture de la visière solaire du casque. Jered pleurait. Ne souhaitant pas offrir ce spectacle aux mécaniciens, Gary KurtzelL referma la visière, déboucla les sangles et chargea le jeune pilote sur ses épaules. S'extrayant du cockpit avec son fardeau, le chef d'escadrille s'élança vers l'une des passerelles de servitude et s'assura que personne ne les suivait avant d'entrer dans un sas.

Lorsque la pression fut équilibrée, Kurtzel enleva le casque de son subordonné et le secoua sans ménagement.

« Réveillez-vous, lieutenant ! Vous n'allez pas recommencer comme la dernière fois, ce n'est pas le moment de flancher ! »

Jered parut reprendre ses esprits et regarda son supérieur l'air de ne pas comprendre ce qu'on voulait de lui.

« Marine... fut tout ce qu'il parvint à articuler.

_Non, l'aspirant Jensen n'est pas revenue. »

Jered écarquilla les yeux et s'effondra sur le sol. Kurtzel réagit au quart de tour, il le releva en l'attrapant par le col de sa combinaison et lui décocha un direct au visage.

«Thomson ! La guerre est loin d'être finie, et il y aura encore beaucoup de pertes ! Ressaisissez-vous et racontez-moi ce qui s'est passé ! »

Définitivement réveillé cette fois-ci, Jered se releva lentement et jeta un regard empli de colère vers son supérieur. Puis, saisi d'une soudaine indifférence, il se rassit et essuya le sang qui maculait le coin de sa bouche.

« Nous étions en train d'effectuer une reconnaissance au-dessus de Taruntius lorsque l'ordre de repli général nous est parvenu. Nous avons ensuite été interceptés par une douzaine de chasseurs fédéraux. Nous avons tenté de prendre le dessus, mais ils étaient trop dispersés. Nous avons alors essayé de rompre le combat et c'est à peu près à ce moment que je l'ai perdu de vue. Mon lieutenant, est-ce que son MS...

_Non, lieutenant. Son MS n'a été récupéré par aucun autre vaisseau ; en fait, mon ordinateur de bord a enregistré l'arrêt d'émission de sa balise d'identification à huit heures quarante-sept. Il n'y a plus rien que l'on puisse faire pour elle...»

A ce moment, le petit communicateur de Kurtzel bippa.

« Oui? demanda celui-ci.

_Ici Krugger. J'ai besoin de vous voir immédiatement avant le debriefing. Je vous attends le plus tôt possible dans mes quartiers.

_A vos ordres, mon capitaine. »

Sentant quelque anguille sous roche, Kurtzel évita de poser des questions et coupa la communication.

« Thomson, pas de debriefing pour vous. Par contre je veux que vous alliez prendre une douche et que vous passiez faire un petit tour à l'infirmerie avant de vous coucher, compris?

_A vos ordres, mon lieutenant. »

Laissant Jered se remettre seul, Gary sortit en hâte et se dirigea vers la cabine de son supérieur.

« Repos. Gary, «le plus tôt possible» ne signifiait pas tout de suite, reprocha Krugger. J'aurais accepté le fait que vous preniez le temps de vous changer. Enfin soit. Je vous ai convoqué au sujet d'un de vos pilotes. J'ai cru comprendre que vous veniez tout juste d'avoir un problème avec le sous-lieutenant Thomson? »

Les nouvelles circulent vite, se dit Kurtzel.

« En effet, mon capitaine. Je crois que ses nerfs sont en train de lâcher et je pense que c'est du en partie à la perte de l'aspirant Marine Jensen.

_Jensen ? Ah, oui... J'ai lu leurs dossiers respectifs. J'ai cru comprendre qu'ils avaient été en relation il y a quelques années. Est-il très affecté?

_Oui, mais rien qui ne soit irréversible.

_Nous ne disposons que de peu de pilotes en réserve, nous ne pouvons pas nous permettre d'en perdre un de cette manière; pas au milieu de l'opération. Estimez-vous qu'une thérapie soit nécessaire?

_Mon capitaine, je dois porter à votre attention que le sous-lieutenant Thomson est déjà sujet à une thérapie.

_Ah? fit Krugger, surpris.

_Thomson a participé à l'opération Eclipse. A titre temporaire, il faisait partie du premier commando à pénétrer sur Island Iffish. Lors du retrait, son MS à été touché et il s'est écrasé sur une école. Sa caméra de bord a effectué un balayage panoramique pour évaluer les dégâts et c'est là qu'il a perdu les pédales.

_Pourquoi n'a-t-il pas été écarté des missions opérationnelles à ce moment-là?

_Vous plaisantez, mon capitaine! Vous avez bien lu son dossier? Il est le seul appelé ayant fait partie des sept pilotes sélectionnés pour effectuer les essais finaux du Zaku! Il a terminé quatrième sur sept mille candidats; il faut être fou pour se débarrasser d'un élément pareil.

_Et? Combien de victimes? dit Krugger pour changer de sujet.

_Je l'ignore. D'après l'état d'effondrement du bâtiment, le capitaine Steiner estimait le nombre à pas loin d'une centaine. Thomson avait un profil psychologique parfaitement stable, mais là... Les victimes avaient toutes entre six et onze ans. C'était une école primaire... Naturellement, une thérapie s'est immédiatement avérée nécessaire. Le capitaine Steiner avait une autre mission sur les bras et il nous l'a rendu tel quel.

_Pourquoi n'en ai-je pas été notifié?

_Son retour sur le MIDGARD à été très soudain, je pensais toutefois que le capitaine Steiner vous avait mis au courant.

_Manifestement pas. Je suppose qu'il serait préférable de consulter le médecin de bord afin de décider s'il est prudent ou non de le soumettre à une seconde thérapie.

_En plus de la première ou en remplacement? demanda Kurtzel.

_Je préférerais que ce soit en remplacement. Si Thomson est aussi bon pilote que vous le dites, il serait dommage de lui bousiller la cervelle avec un excès de drogues. Quelle est la nature du traitement actuel?

_A base de tricordazine et de lercotrine, en petites doses; ce sont des anti-stress et des répresseurs de mémoire.

_Je vois. Après le debriefing, tâchez de me retrouver le dossier médical de Thomson et allez voir le toubib.

_A vos ordres. »

Kurtzel salua et tourna des talons. Alors qu'il se dirigeait vers l'ascenseur, il songea avec amertume que les Forces de Zeon avaient été la première armée du Siècle Universel à institutionnaliser l'utilisation intensive de la drogue. En fait, l'armée avait développé une extraordinaire variété de drogues et leur utilisation était tout aussi variée; ces stupéfiants étaient réputés inodores, indécelables et supposés ne pas provoquer d'accoutumance. Il n'en avait pas fallu plus pour convaincre le Haut-commandement d'en utiliser à grande échelle pour refréner certains instincts, pour en développer d'autres, pour oblitérer la mémoire ou tout simplement pour triturer la cervelle. Toutefois, si tous les pilotes savaient qu'ils subissaient une préparation hypnotique, ceux d'entre eux qui étaient drogués l'ignoraient pour la plupart. Jered Thomson faisait partie du nombre, ignorant que diverses drogues étaient dissimulées dans ses repas.

L'opération Eclipse, visant à neutraliser les principaux centres de commandement et de communication sur les différentes colonies, avait été la première action militaire de Zeon, le 3 janvier au matin. Appréhension, panique, tout avait été pris en considération avant de lâcher les hommes sur les champs de bataille; malgré cela, il y avait eu quelques dérapages. Mais le Haut-commandement avait prévu ce genre d'incidents, ayant calculé que le risque de traumatisme chez les pilotes de MS serait plus important que dans toute autre branche de l'armée. Plutôt que de relever ceux-ci de leurs fonctions, on avait jugé préférable de les soumettre à un traitement destiné à les rendre «moins sensibles». C'était ça ou les services d'un psychiatre, et la Flotte de Zeon n'avait rien d'une institution psychiatrique.

Croiseur KUNSAN, 23è flotte fédérale, 7 janvier, 9h20 GMT

Le capitaine Alfred Sarge devait en être à son centième café depuis le début des opérations, mais il était trop préoccupé pour s'en soucier. Dans l'immédiat, seul importait l'état de son vaisseau.

« Désolé, mon capitaine, fit la voix de son chef ingénieur dans l'intercom, la tuyère principale est beaucoup trop endommagée pour envisager un départ immédiat.

_Les boucliers anti-météoriques?

_Je peux essayer de réactiver le bouclier avant.

_Merci, lieutenant. Capitaine Hartig, où en sont les rapports de dégâts?

_Tous les ponts n'ont pas encore terminé leur bilan, je n'ai que la moitié des données.

_Et bien commençons par-là.

_Tourelles avant-droite et avant-centrale détruites; tourelle centrale-droite endommagée, de même les tubes un à trois; navette endommagée, quartiers de l'équipage au pont sept A à C détruits, panne des générateurs électriques. Brèches au pont trois, section K; pont cinq, sections E, F et I, actuellement en cours de colmatage.

_Capitaine, j'ai d'autres rapports en provenance de l'arrière.

_Poursuivez.

_Tourelle arrière-droite détruite; tourelle ventrale-arrière endommagée, batterie exterieure-arrière-droite détruite. Brèche au pont cinq, sections N et O; pont sept, section M. Opération de colmatage terminées.

_Combien de temps nécessiteront les réparations? demanda Sarge.

_Trois jours, à partir du moment où nous disposerons des pièces adéquates. Une semaine dans le pire des cas, et ça va être la cohue dans les docks.»

Alfred Sarge mordilla nerveusement l'embout de la pochette de café et se tourna vers l'officier des communications.

«Faites savoir au GUADIANA que nous ne pouvons pas les suivre. Contactez Gutenberg et voyez s'ils ne peuvent pas nous envoyer d'urgence un remorqueur.

_A vos ordres... Mon capitaine, Gutenberg nous donne une réponse négative. Ils n'ont aucun remorqueur disponible.»

Passablement énervé, Sarge se radossa à son siège et se gratta le sommet du crâne avec contrariété.

«Passerelle à salle des machines. Lieutenant Halsim, dans quelle mesure pouvons-nous nous déplacer?

_La tuyère bâbord est inopérante, commença Hafid Halsim. Les moteurs et le système anti-gravitationnel qui nous maintiennent en l'air sont intacts, et c'est déjà un miracle. Mais en se déplaçant rien qu'avec la tuyère tribord, nous dévierions immanquablement sur bâbord et à courte échéance, nous nous retrouverions à tourner en rond.

_Pouvons-nous compenser?

_Ca va être difficile, capitaine. Nous pouvons toujours tenter de compenser avec les fusées d'appoint latérales, mais j'ignore jusqu'à quel point elles peuvent tenir.

_Nos fusées de tangage et de roulis?

_A priori, tout va bien.

_Bien... Nous allons tenter de nous poser sur la base. Enseigne Drixen, prenez contact avec le contrôle aérien et faites leur savoir que nous allons atterrir d'urgence. S'ils refusent, battez-vous! Lieutenant Estrada, engagez la poussée sur facteur zéro point zero-six puis augmentez toutes les dix secondes de zéro point zéro-deux. Rectifiez régulièrement la trajectoire avec les fusées latérales bâbord. Allez-y par à-coups, pas de façon continue. Halsim, prévenez-nous à la moindre surchauffe.

_A vos ordres.»

Le vaisseau endommagé glissa lentement, propulsé par son seul réacteur droit. Au bout d'une centaine de mètres, la déviation sur la gauche devint trop forte et il fallu corriger en actionnant les fusées d'appoint bâbord. La proue s'orienta de nouveau vers l'avant, mais pas pour longtemps. Finalement, après diverses tentatives infructueuses, le lieutenant Lery Esrtada parvint à établir une procédure de pilotage valable. Le navire se déplaçait en diagonale, par le travers, d'une façon totalement grotesque. Mais personne dans ce décor cauchemardesque ne s'en souciait, et puis au moins, il avançait.

Base fédérale de Taruntius, 7 janvier, 9h24 GMT

Luc Warden regarda de nouveau sa montre-bracelet tout en s'assurant que son casque était hermétiquement fermé. Anxieux, il jeta un regard interrogatif vers le capitaine Caroline Berttier, assise à côté de lui.

«Tous les circuits de communication sont coupés, répondit-elle en secouant la tête en signe de négation. A priori, nous sommes isolés du reste de la base, et peut-être même les seuls rescapés du coin.»

Warden et elle se trouvaient dans une des salles de contrôle auxiliaires de la plate-forme d'atterrissage Douze au moment ou celle-ci avait prit un obus de plein fouet. Le projectile perforant avait pénétré l'épais portail en duranium renforcé puis explosé en une fantastique détonation qui les avait tout d'abord rendu à moitié sourds. Puis le feu avait commence à ravager le périmètre; lorsqu'ils avaient quitté la salle, le portail avait volé en éclats, déchiqueté par la puissance de l'explosion. L'air s'échappant par cette ouverture, ils avaient du fuir le périmètre en hâte, sans se préoccuper de la direction qu'ils prenaient.

Ce fut une erreur, car au bout de cinq minutes, ils s'étaient retrouvés dans un cul de sac. Les issues étanches résolument closes et la retraite coupée, ils étaient restés bloqués pendant dix minutes avant qu'une nouvelle déflagration ne rendre leur situation encore plus précaire. Un des murs du niveau supérieur avait du s'effondrer, produisant des secousses qui avaient provoqué des fissures dans le plafond, parfois même des ouvertures de la taille du poing au travers desquelles on pouvait distinguer le ciel criblé d'étoiles. Avec un empressement proche de la panique, les deux officiers avaient fermé leurs casques et puis avaient tenté de contacter l'extérieur, en vain. Il ne leur restait plus qu'à attendre l'arrivée des secours...

«Est-ce qu'il reste au moins quelqu'un sur la base? demanda Luc. ça se trouve, ils sont tous morts...

_Je ne pense pas. A travers les ouvertures, je vois régulièrement des lueurs passer dans le ciel.

_Il peut bien s'agir de Zeon?

_Peut-être bien, mais je ne crois pas. Les explosions se sont tues depuis plus d'une demi-heure, ce qui veut dire que les combats ont cessé. Et je doute que Zeon soit vraiment intéressé par l'occupation de la base : avec la station sur le dos, ils n'ont pas de temps à perdre. Je crois qu'ils étaient beaucoup plus intéressés par la destruction de la base que par son occupation.

_Puis-je parler librement, mon capitaine?

_Accordé.

_Vous pensez vraiment ce que vous dites?

_Oui. Pourquoi cette question?

_Je... Je n'en sais rien.

_Vous avez peur?»

Warden dévisagea son supérieur avec colère et stupéfaction.

«Il n'y a aucune honte à avoir peur, dit-elle. Mais fuir est plus grave, ça c'est de la vraie lâcheté: ça signifie que vous n'avez pas eu assez de couilles pour affronter l'inconnu.

_Vous... Vous avez peur, mon capitaine?

_Je suis terrorisée, répondit-elle en le fixant droit dans les yeux. Seule votre présence m'empêche de m'agenouiller et de pleurer en priant le bon Dieu.

_Si ce n'est que ca, faut pas vous priver, éclata Luc en riant. Comme ça, je pourrais vous emboîter le pas.»

Les deux officiers se mirent à rire malgré leur situation précaire; il ne leur restait rien de mieux à faire, à vrai dire. Paniquer et hurler à l'aide ne les aurait aidés en rien, ils n'auraient fait que gaspiller le précieux oxygène de leurs réserves et d'ailleurs, le vide ne propageait aucun son. Il valait encore mieux se détendre en attendant les secours plutôt que de se ronger les sangs.

Tout à coup, Caroline prit conscience qu'elle-même ne croyait pas aux paroles rassurantes qu'elle avait adressé à Warden, Seul son grade supérieur l'avait poussée à les prononcer, plus par conditionnement que par vraie conviction. Elle n'avait aucune disposition particulière pour la claustrophobie, sinon elle n'aurait jamais pu tenir plusieurs mois sur une base lunaire, où l'on passe un tiers de son temps engoncé dans des combinaisons spatiales, la tête enserrée dans un casque. Mais cette attente allait au-delà de ses limites. Elle aurait voulu hurler, passer à travers le plafond, parvenir à la surface et faire de grands gestes pour qu'on la remarque et que l'on vienne à son secours.

La mort par asphyxie, le cauchemar de tous ceux qui vivaient dans l'espace. à la fois terriblement rapide et assez lente pour qu'on puisse la voir venir. Une désagréable pression des tympans, une sensation de malaise, de désorientation, puis la perte de lucidité suivie de la suffocation et de la perte de conscience. Et enfin la mort. De grosses larmes coulèrent le long des joues de la jeune femme. Ne désirant pas que Warden puisse la voir, elle détourna légèrement la tête.

«Il... Il commence à faire froid, fit remarquer Warden au bout de cinq minutes.

_Le système de climatisation doit être hors-service, répondit-elle en se ressaisissant. Serrez-vous contre moi, dit-elle en se tournant vers lui.

_Pardon?

_Serrez-vous contre moi. Malgré nos combinaisons, cela devrait nous permettre de partager un peu de notre chaleur corporelle. Vous ne voulez pas finir comme Vitalis, non?

_Comme qui?

_Vitalis. Vous n'avez jamais lu «Sans famille» d'Hector Malot?

_N... Non, mon capitaine.

_C'est un tort, adjudant. Lorsque nous sortirons d'ici, je me ferai un devoir de compléter votre culture. Allez, serrez-vous contre moi, c'est un ordre.»

Indécis, Warden se fit d'abord réticent, puis voyant l'expression décidée de sa supérieure, il obéit, mal à l'aise. Malgré tous leurs efforts pour rester éveillés, les deux officiers finirent par s'endormir, engourdis par le froid.

Lorsqu'une équipe de secours parvint à dégager les décombres trois heures plus tard, elle trouva les deux rescapés, mais le capitaine Caroline Berttier refusa de bouger. Sa resserve d'oxygène s'était vidée une quart d'heure plus tôt sans qu'elle ait reprit connaissance. Lorsque six heures plus tard l'adjudant Warden sortit de l'unité de soin intensive de l'hôpital, il demanda à ce qu'on lui apporte un exemplaire de «Sans famille» d'Hector Malot.

Base fédérale de Taruntius, 7 janvier, 9h32 GMT

Un sergent entra dans la salle de contrôle auxiliaire surpeuplée en cherchant quelqu'un du regard. La jeune femme posa une question à un officier qui lui indiqua un homme du doigt.

«Colonel Beltran? demanda-t-elle.»

Le lieutenant-colonel Stafford Beltran se retourna.

«Oui ?

_Les rapports de dégâts de l'aile ouest, dit-elle en tendant trois disquettes et une liasse de papiers.

_L'aile ouest ? Il y a donc encore quelqu'un là-bas... Les communications n'ont toujours pas été rétablies ?

_Non, colonel. Un coursier est venu jusqu'ici à pied pour nous transmettre ces rapports.»

Beltran se retourna vers un panneau de communication et appuya sur un bouton.

«Commandant Stockward, où en sont les équipes de secours et de déblayage ?

_Nous avons à peine réussi à dégager douze pour cent des décombres. La destruction des montes-charges et des plates-formes élévatrices nous empêche de monter du matériel lourd à la surface, nous sommes obligés de travailler avec ce que nous avons sous la main.

_Merci commandant. Capitaine, demanda-t-il en se penchant par-dessus l'épaule d'une jeune femme. Quel est l'état général de la base ?

_Les deux niveaux supérieurs peuvent être considérés comme inopérants ou inhabitables ; de nombreuses sections ne répondent pas à l'appel. Nous procédons au déblaiement et à l'evacuation complète des lieux mais les sources de chaleur résiduelles nous empêchent de repérer les survivants aux infrarouges.

_Les systèmes sont hors-circuit, non ?

_Oui colonel. Cela oblige nos équipes à ouvrir manuellement toutes les portes étanches, quand le système d'ouverture le permet. A défaut, il leur faut tout découper au laser... Et ça prend énormément de temps.

_Continuez, il est possible qu'il reste des survivants, même dans des lieux insoupçonnés. Poursuivez votre rapport.

_Le troisième niveau est également touché mais les systèmes de survie fonctionnent à peu près normalement. Les systèmes de communications internes sont inopérants à soixante-dix pour cent, les systèmes de lutte anti-incendie ont tous fonctionné au moment de l'attaque mais les réservoirs sont maintenant vides, seuls cinq pour cent d'entre eux fonctionnent encore. Nous avons déjà converti trois sections en installations médicales et nous attendons encore des blessés.

_Où en sont les envois de secours ?

_Les bases de Forrestal et de Hammarskjold nous envoient des transporteurs chargés de matériel de déblaiement et du personnel. Clarke City nous envoie du matériel médical et plusieurs équipes de médecins dès que possible. Nous n'avons pas pu contacter d'autres bases ou cités lunaires.

_Colonel, j'ai le colonel Irvine sur le canal huit.

_Passez-le-moi. Ici Beltran, dit-il en saisissant le combiné.

_Ici Irvine, nous avons décidé d'abandonner le centre opérationnel principal jusqu'à nouvel ordre. Nous achevons en ce moment même le transfert des données. A partir de maintenant, la salle de contrôle auxiliaire servira de quartier général.

_Colonel, nous sommes déjà à l'étroit. Nous n'aurons jamais assez de place pour recevoir autant de monde.

_Nous n'avons pas le choix. Il y a ici une importante brèche qui menace de s'élargir à tout moment, nous ne pourrons pas rester encore très longtemps. Avez-vous une estimation de nos moyens offensifs ou défensifs ?

_Un instant, répondit Beltran en consultant un moniteur du regard. Les nouvelles ne vont pas vous plaire, colonel. Etant donné que la Flotte a réquisitionné tous nos chasseurs restant, on peut considérer que nos moyens défensifs sont tombés à seize pour cent de leur capacité originale ; quant à notre capacité offensive, elle est nulle.

_Nulle ?

_Dans la mesure où il ne nous reste plus de deux silos d'intacts, nous pouvons considérer notre potentiel offensif comme nul. »

Sur l'écran, le visage d'Irvine s'affaissa. Beltran n'y allait avec des pincettes pour lui annoncer la nouvelle.

«Pouvons-nous réparer les silos dans un court délai ?

_Ah... Un instant, je vous prie. »

Beltran se pencha vers un autre terminal de communication et s'entretint pendant quelques secondes avec une autre personne.

«Le capitaine Hidalgo et son équipe travaillent actuellement sur l'évaluation des dégâts. Les premiers estimations ne sont pas vraiment réjouissantes et Hidalgo nous propose deux solutions car il manque de personnel. Soit il concentre tous ses efforts et ses hommes et il pourra nous avoir cinq silos opérationnels dans deux jours; soit il disperse son personnel pour réparer tous les silos, auquel cas nous n'aurions rien avant les trois prochains mois.»

A cet instant, Balthar Van Tran fit son entrée dans la salle et Beltran lui répéta tout ce qu'il venait de rapporter au commandant de la base. Van Tran écouta silencieusement son rapport puis s'assit lentement. Tianm se chargerait d'annoncer à Jabrow que l'Opération Atlas s'était soldée par un échec, mais il redoutait lui-même le moment ou il devrait annoncer à la vice-amiral O'Connor ce qu'il était advenu de son commandement militaire.

«Sommes-nous parvenus à contacter Jabrow?

_Négatif, amiral. Les champs de particules Minovsky que l'ennemi a laissé dans son sillage brouillent toutes nos communications extra-lunaires.

_L'orientation de la Terre et l'absence de satellites-relais au-dessus de Jabrow nous empêchent également de transmettre par signaux laser. Selon les calculs de l'ordinateur, le prochain satellite ne s'alignera pas avant vingt minutes.»

Van Tran soupira une nouvelle fois et essuya nerveusement ses paumes moites contre son pantalon. Il fit signe à Beltran de s'approcher.

«Je veux que vous contactiez toutes les cités lunaires dans un rayon de cinq cents kilomètres, à commencer par Von Braun. Demandez leur toute l'aide technique et médicale que vous jugerez nécessaire. Nous ne pourrons jamais nous en tirer seuls et l'aide qui est en route est nettement insuffisante.

_Et s'ils refusent de nous accorder leur coopération?

_Pourquoi feraient-ils ca? Non, ne dites rien, je sais. La peur des représailles, n'est-ce pas?»

Beltran acquiesça.

«Il faudra bien qu'ils nous aident s'ils ne veulent pas être annihilés. Après tout, les rebelles n'ont pas épargné les civils de Leonov; les Sélénites n'ont aucune garantie sur leur sécurité. C'est là un argument de poids qui les convaincra.

_Et si Zeon a négocié leur non-intervention?

_Ne dites pas de bêtises, cassa Van Tran d'un ton sec.»

Puis les traits de l'amiral perdirent de leur rigidité et s'affaissèrent subitement. Beltran interpréta ses signes comme une prise de conscience; il avait soulevé un point que l'amiral avait négligé, ou pour le moins relégué au fond de son esprit. Mais si le gouvernement de Side-3 était aussi habile qu'on le disait, Zeon ne manquerait certainement pas d'engager des tractations avec les cités lunaires pour négocier non seulement leur non-intervention, mais également limiter leur assistance auprès des bases fédérales en difficulté. à présent que soixante-dix pour cent des installations militaires fédérales sur la Lune étaient neutralisées, la proposition de Zeon ne pouvait qu'apparaître alléchante et politiquement rassurante.

«Ne dites pas de bêtises, reprit Van Tran. Nos moyens sont encore largement supérieurs à ceux des rebelles. Les Sélénites ne sont pas dupes. S'il leur prenait l'envie de se soulever à leur tour, ils savent bien que Jabrow enverrait sa flotte pour les ramener dans le droit chemin. Cela reste un trop grand risque, même dans la situation actuelle. La présence fédérale sur la Lune n'est que temporairement affaiblie, il serait important que vous spécifiiez cela lorsque vous contacterez les différents gouverneurs.

_Bien amiral.

_Est-ce que... Est-ce que quelqu'un pourrait aller me chercher un café? demanda-t-il avec hésitation.

_Je peux vous proposer mieux que ca, amiral, lui glissa Beltran en se penchant vers lui. Ne le prenez pas mal, mais j'ai dans l'idée que rajouter quelque chose de plus fort dans votre café vous ferait le plus grand bien.»

L'amiral releva un sourcil et regarda le lieutenant-colonel avec surprise. Se doutant de ce que l'autre allait lui proposer, il lui fit signe d'agir selon sa volonte. Dix minutes plus tard, Van Tran épluchait les rapports tout en dégustant une tasse de café généreusement arrosée de calvados. Il n'était même pas dix heures du matin; pour lui la bataille était finie, mais la journée serait encore longue avant qu'il puisse se coucher. Van Tran releva subitement la tête en songeant à Tianm et Lazlo qui avaient encore plus à redouter de l'avenir.

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