CHAPITRE 15

CHAPITRE 15

JABROW, Terre, 7 janvier, 8H37 heure locale, 12h37 GMT

Jabrow, quartier général des Forces Fédérales, enfoui sous plusieurs centaines de mètres de terre au fin fond de la forêt amazonienne. Véritable ruche humaine érigée au sein de vastes grottes souterraines artificielles, la base comportait outre les bâtiments administratifs et les installations militaires, des quartiers d'habitation, des quartiers commerçants, des parcs mais aussi de gigantesques usines, des chantiers de construction et même des docks spatiaux. Reliées entre elles par un véritable réseau autoroutier, les gigantesques salles souterraines se succédaient les unes aux autres et abritaient des centaines de milliers d'âmes, militaires et civiles. Profondément enfouie dans le sol, on disait de Jabrow qu'elle était inexpugnable et indestructible, conférant à ses habitants un excessif sentiment de quiétude même en temps de guerre.

Pourtant, bien loin de partager cette tranquillité d'esprit, les plus hauts officiers des Forces Fédérales étaient à nouveau assis dans la grande salle d'état-major et contemplaient avec gravité le plan 3D affiché sous leurs yeux.

Se superposant au schéma tactique, une série de chiffres défilait lentement en caractères lumineux rouges : les premières estimations des pertes, les premiers rapports. Le projecteur holographique modifia l'angle et l'échelle de projection : la surface lunaire se rétrécit très rapidement, laissant apparaître progressivement une partie, puis la totalité du globe lunaire, les points Lagrange Un et Deux, la Terre, monumentale sphère bleutée, et enfin une longue courbe verdâtre qui serpentait entre la Lune et la Terre.

«Les satellites d'observation nous confirment la nouvelle trajectoire d'Island Iffish, annonça le colonel Estevar. Nous avons vérifié et revérifié nos calculs, mais les conclusions sont restées les mêmes. La station passera à proximité de Side-4 dans moins d'une dizaine d'heures et continuera sur sa lancée. A la vitesse actuelle, nous pensons qu'elle tombera sur Terre dans un peu plus d'une soixantaine d'heures. »

Les officiers présents se dévisagèrent avec nervosité. Pendant vingt ans ils étaient restés persuadés que rien ne pourrait défaire l'invincible armada fédérale, qu'aucune armée serait jamais assez puissante pour la maintenir en échec. Pourtant c'était ce qui se produisait depuis trois jours ! Kessling ne savait plus ou il en était, toutes ces certitudes effondrées, réduites en cendres.

«Amiral, lui dit Rockwell, nous devons dès à présent songer à une nouvelle contre-attaque. Nous ne pouvons pas nous lamenter sur nos échecs passés et laisser Zeon se balader librement.

_C'est pourtant bien vous qui aviez dit que notre flotte ne les laisserait jamais passer, rappela Lin Pao. »

Piqué au vif, Rockwell le foudroya du regard, l'air de dire que la question avait été réglée et qu'il avait reconnu son erreur, bien qu'il ne l'eut jamais avoué en public.

«Commandant, murmura Kasaren en posant une main apaisante sur son bras, je doute que le moment soit approprié pour régler de tels détails. Comme le dit l'amiral Rockwell, la situation exige une réaction prompte et immédiate.

_A-t-on une idée de l'objectif visé ? demanda Kessling.

_A vrai dire... Aucune, amiral, répondit Bertrand. Nos analystes estiment qu'il est encore trop tôt pour le savoir et qu'il faudra encore plusieurs heures avant de pouvoir ébaucher les premières estimations.

_Van Tran a-t-il obtenu quelque chose avec ses prisonniers ?

_Les quelques rapports qui nous sont parvenus de Taruntius disent que les prisonniers interrogés semblent ignorer eux-mêmes l'objectif précis de cette opération. Il semblerait en fait qu'ils soient soumis à une importante préparation hypnotique liée à l'utilisation de drogues.

_Zeon drogue ses soldats ? rugit Karey.

_Poursuivez, Johan, fit Kessling en ignorant l'interruption.

_Les rapports nous indiquent que des interrogatoires plus poussés pourraient venir à bout de la préparation et des drogues, mais à supposer que la prochaine transmission puisse passer, nous n'aurons pas les résultats avant plusieurs heures. »

Bertrand entendit Rockwell marmonner des imprécations mais jugea préférable de ne pas noter et attendit que Kessling reprit la parole.

«Je vois... Où sont nos flottes, maintenant ? demanda le chef suprême des armées.

_Estevar introduisit de nouveaux paramètres dans l'ordinateur et modifia la disposition du schéma une nouvelle fois.

«La Quatrième et la Vingt-troisième flotte ont amorcé une trajectoire de poursuite mais ils n'ont pas fini de dresser leur bilan et il leur faudra du temps avant de pouvoir lancer une nouvelle attaque. La Sixième se trouve encore à plus de sept cent cinquante mille kilomètres de Side-4, mais la flotte de l'amiral Revil est encore loin d'être totalement opérationnelle, nos experts doutent qu'elle soit prête à temps. Le gros de la Huitième flotte est à près de cinq cent vingt-deux mille kilomètres et pénétrera dans le champ gravitationnel terrestre dans une vingtaine d'heures. Les Neuvièmes et Quatorzièmes se trouvent encore à trois cent deux mille kilomètres du Point Lagrange Cinq et mettront encore quarante-six heures pour relayer les Onzièmes et Douzièmes flottes. Des dix flottes en cale sèche sur Terre, on estime que seules les Deuxièmes, Cinquièmes et Dix-septièmes flottes seront prêtes pour la fenêtre de lancement.

_Cela nous fait un total de quatre flottes opérationnelles, soit à peu près neuf cents vaisseaux ; avec de la chance six flottes. Quelle est l'estimation des effectifs ennemis ? _Le rapport de l'amiral Tianm fait état d'un total de six flottes, répondit Bertrand. D'après notre estimation, il leur resterait un peu moins de cinq cents vaisseaux.

_Quelles sont nos opportunités de contre-attaque ?

_A l'exception de nos missiles de croisière interplanétaires, répondit ESTEVAR, aucune avant une trentaine d'heures. Et encore, nous ne savons pas s'ils seront efficaces. Nous n'avons toujours pas pu percer le rideau défensif que l'ennemi déploie autour de la station. Quant à nos flottes, nous devrons attendre la nuit du 7 au 8 janvier pour pouvoir les tirer. La fenêtre de lancement devrait se situer entre cinq et neuf heures du matin.

_Je ne saisis pas très bien; Side-4 possède bien des canons à méga-particules, non? fit remarquer le général Karey.

_En effet, interrompit le colonel Koweyn. Side-4 possédait bien dix canons à particules au total. Mais c'est la première chose à laquelle les Forces de Zeon se sont attaquées le 3 janvier au matin. »

James Karey poussa un soupir en secouant la tête.

«Autre chose? s'enquit Kessling.

_Oui, amiral. Zeon n'a pas encore détruit tous nos dépôts de matériel en orbite basse; s'ils sont toujours intacts, nous pourrions nous en servir pour ravitailler la Huitième flotte et éventuellement les trois autres lancées depuis Jabrow. Cela aurait pour avantage de réduire sérieusement la masse au décollage de chaque navire même si cela retarde l'interception d'environ quatre heures.

_Ou en sera la station à ce moment là? demanda Kasaren.

_A peu près à cent trente mille kilomètres de la Terre. Nous pouvons d'ores et déjà tracer une limite à cent mille kilomètres, passé ce point, il sera trop tard pour la faire dévier la station et éviter la collision.

_Le colonel Leonov à Dakar nous demande un complément d'information, rappela Kasaren; le gouvernement cherche à avoir des garanties avant de faire une déclaration à la population.

_Qu'ils se débrouillent, répondit Rockwell. Le porte-parole devra faire une déclaration à la presse.

_Pour dire quoi? coupa Harriman. Une déclaration provoquerait une panique mondiale! Ils voudront tous quitter la Terre par la première navette: ça va être la ruée dans tous les astroports, le chaos dans toutes les métropoles et tous les réseaux routiers. Ils voudront tous quitter la planète par n'importe quel moyen, à pied si c'était possible! »

Rockwell et Karey hochèrent la tête de concert.

«Mais nous ne pouvons pas cacher la vérité, objecta Bertrand, le nombre d'observateurs et de témoins oculaires va sans cesse croissant d'heure en heure. Même si nous nous taisons, la vérité finira par éclater...

_C'est un risque à prendre. N'importe comment nous ne pourrons évacuer qui que ce soit tant que l'objectif nous restera inconnu. Et quand bien même le saurions-nous que nous ne pourrions pas évacuer la zone ciblée dans le délai imparti.

_Vous partez déjà du principe que la population civile sera sacrifiée? s'écria Lin Pao.

_Non ! Nous pulvériserons cette station avant!

_Pouvez-vous le garantir ? demanda Kasaren.

_Oui ! répondit Rockwell sans hésiter.»

Washington DC, Terre, 7 janvier, 7h27 heure locale, 13h27 GMT

C'était une série de longs bâtiments blancs et austères, qui auraient pu être entourés d'un joli gazon verdoyant s'il ne l'avait pas été en cette saison par un épais manteau neigeux. A l'entrée du complexe, une grande plaquette portant trois lettres : FBI. Les bâtiments, tout comme l'organisme, n'avaient rien en commun avec leurs homologues du passe ; il avait fallu déménager le Bureau dans des locaux plus vastes lorsqu'il avait diversifié ses activités «secrètes», passant du niveau national au niveau international, devenant ainsi le bureau d'investigation de la Fédération toute entière.

Au premier niveau du parking souterrain, le chauffeur de Susan Valadinov gara la Cadillac à l'emplacement qui lui était réservé. La femme d'âge mûr en sortit, suivie de ses gardes du corps pour se diriger tout droit vers l'ascenseur réservé au personnel haut placé. Elle introduisit une clé dans la fente, tourna dans le sens contraire des aiguilles d'une montre et attendit patiemment que l'ascenseur veuille bien descendre. Une fois dedans, Valadinov dut sortir une deuxième clé qu'elle introduisit dans le tableau de bord avant de composer un code secret à douze chiffres ; l'ascenseur se mit en mouvement sans qu'elle ait à appuyer sur un autre bouton. Les témoins lumineux affichèrent successivement les divers étages et finalement, l'ascenseur s'arrêta au quatrième. Valadinov sortit et parcourut un long couloir brillamment éclairé avant de franchir sans hésiter une grande porte en chêne qui s'ouvrit à son passage.

«Bonjour madame la directrice, salua sa secrétaire.

_Bonjour, Janet. Du neuf ? répondit alors qu'elles pénétraient dans le vaste bureau.

_Oui, madame. Nous avons reçu plusieurs rapports durant la nuit, ils sont en machine. Monsieur Chapman souhaiterait vous rencontrer d'urgence à ce sujet. Il attend depuis plusieurs heures...

_Ah ? Eh bien faites-le entrer. Et, Janet, pourriez-vous nous apporter du café, s'il vous plaît ?

_Bien madame. »

_Susan s'installa dans son fauteuil en cuir et jaugea la liste des rapports qui s'affichait sur son moniteur, étonnée de voir que leur nombre avait doublé durant son absence. Absence assez courte, il fallait le dire, mais depuis le début du conflit elle avait considérablement réduit le nombre de ses heures de sommeil pour accroître celui de ses heures de travail, au détriment de sa vie familiale. A croire que le FBI était incapable de marcher sans elle. Ah, songea-t-elle avec un sourire en coin, si Edgar Hoover était doute qu'un jour une descendante de ces Communistes qu'il exécrait tant serait directrice du FBI, il aurait sans doute dissout cet organisme au lieu de le renforcer comme il l'avait fait.

Dans l'immédiat, Valadinov avait plusieurs problèmes sur les bras. La proclamation de guerre avait officiellement place les services du FBI sous contrôle militaire, mais il était hors de question pour elle de se plier aux exigences de Jabrow. Le FBI était un organisme civil et son statut politiquement neutre garantissaient sa crédibilité et son objectivité auprès du gouvernement et de la Justice. Jamais le FBI ne marchera au pas de l'oie tant qu'elle sera aux commandes. Un signal sonore annonça l'arrivée du directeur adjoint dans le vestibule, alors qu'elle survolait encore les rapports, s'efforçant de mémoriser l'essentiel pour ne pas paraître ignare devant Alister Chapman. Susan appela sa secrétaire et la pria de faire entrer son visiteur.

«Bonjour Alister, salua-t-elle, vous ne passez pas toutes vos nuits au bureau, j'espère ?

_Presque, madame. La situation évolue sans cesse, et il faut bien quelqu'un pour tenir la boutique pendant votre absence.

_Je sais, j'ai eu le temps de lire quelques lignes. Alors ?

_Nous avons reçu un rapport en provenance de Jabrow, on nous confirme l'échec de l'Opération Atlas. Les détails sont consignes sur le ficher «Atlas, rapp-doc.15D. On y fait état des pertes, de la tactique utilisée par l'ennemi, etc...

_Y a-t-il eu des problèmes de transmission entre la Lune et ici?

_Pas mal, en effet, mais Taruntius a émis des flashs en continu pendant plusieurs heures avec remise à jour des données tous les quarts d'heures. Vous avez sur le fichier «Jabr.79-doc.107SR» la retransmission de la réunion du Haut-commandement. Il est tout frais, il est tombé il y a à peine une demi-heure.

_L'Amirauté doit fulminer. Ils ont pris une belle raclée.

_Vous pouvez le dire. Jetez un petit coup d'œil sur l'échange entre le commandant LIN PAO et l'amiral Rockwell.

_Ah, Lin Pao. Un officier prometteur, m'a-t-on dit.

_Oui, mais il ne sait pas encore tenir sa langue. Vous avez également sur le fichier suivant le compte-rendu de la réunion du cabinet ministériel.

_Pawris fait des enfants dans le dos de Jabrow?

_Non, ce serait plutôt l'inverse. La réunion du cabinet à eu lieu il y a une heure, mais il a fallu encoder le rapport à Dakar avant qu'on nous l'envoie.

_Toujours le problème des satellites piratés. La Flotte ne fait-elle donc rien? Non, ne dites rien, je m'en rappelle maintenant. La Patrouille Orbitale a été vaporisée il y a trois jours. Ah, merci

Janet. Posez ça sur mon bureau. »

La secrétaire posa le plateau sur le meuble en noyer et fit le service avant de s'éclipser.

«Pour en revenir à Dakar, reprit Chapman, le Premier Ministre a obtenu ses informations par sa propre filière ; officiellement Jabrow était trop occupé pour le mettre au courant. Un mensonge. Le gouvernement n'a finalement pas pris le risque de faire une déclaration à la presse, ils attendent des informations complémentaires du Haut-commandement.

_Mais?

_Jabrow n'a pas transmis les renseignements demandes par Leonov après la réunion. Je les soupçonne de vouloir monter un bobard.

_Dans quel but?

_Je ne sais pas. Peut-être couvrir leurs malversations quand il ne leur restera plus que cette dernière alternative? Ou tout simplement pour cacher la vérité. Vous saviez, vous, que la station vise la Terre?

_Non, c'est nouveau?

_Oui, l'information est citée dans les deux réunions. Tenez: là, là et là, indiqua-t-il en indexant les passages sur le moniteur.

_Ah, je vois, merci. J'aviserai lorsque j'aurais tout lu si je dois en référer au ministre de la Défense.

_Madame, interrompit le directeur adjoint, on nous à rapporte hier que Di Conti tramerait quelque chose avec le vice-amiral Highman. Ce dernier maintient sa garde très serrée et on ne sait pas toujours de quoi il peut s'agi... »

Chapman s'interrompit lorsque le bip sonore du téléphone sonna sur le bureau. Susan décrocha et porta l'écouteur à son oreille.

«Oui, ici Valadinov... Quoi? Qui est-ce qui... Pardon? Oui, je comprends, vous avez carte blanche.

_Madame? demanda Chapman lorsqu'elle eut raccroché.

_C'était Hubrix. Quelqu'un a lâché l'information sur le Net, grogna-t-elle en s'affaissant sur le dossier de son fauteuil. Seize chaînes de télévision se sont déjà empares de la nouvelle et la diffusent à travers le monde, suivis par trente-quatre quotidiens et cent vingt-huit stations de radio. Ça a commencé il y a tout juste trois minutes, à quelques secondes d'intervalle. Il s'agit de cette info selon laquelle la Terre serait la cible. Il y a eu fuite. J'ai demandé à Hubrix de faire donner la chasse. Il n'est peut-être pas trop tard pour tenter d'enrayer la propagation.

_Ca va être la panique.

_Tout dépend de la façon dont l'information est présentée. On peut espérer que la plupart des gens prendront ça pour un canular, ou que Zeon n'est pas en mesure d'entreprendre une chose aussi énorme.

_Vous savez bien que ça ne se passe jamais comme ça...

_Je sais Alister, mais j'ai bien le droit de rêver. A qui peut-on faire confiance à Dakar?

_La conseillère spéciale du Premier ministre à la Sécurité Nationale, elle s'appelle Helen McCord. Ce n'est pas elle qui a le plus de poids, mais elle est honnête, elle a l'oreille de Pawris et elle est plus facile à joindre.

_Bien, appelez-la. Non, appelez d'abord Hubrix et mettez-vous au courant avant d'appeler McCord. Demandez-lui si nous avons l'autorisation d'investir les bureaux des organismes de presse et assister la police pour le maintien de l'ordre et la sécurité des lieux clés.

_Bien madame.

_Encore une chose, Alister?

_Vous croyez vraiment que Zeon va le faire... ?

_Ce n'est pas la bonne question. Ce qu'il faut vous demander, c'est : Zeon peut-il y arriver? La réponse est oui. On fricote déjà depuis pas mal d'années avec les services secrets de Side-3, je pensais que vous en aviez retenu quelque chose.

_Je m'excuse.

_Ce n'est rien. Allez, maintenant il faut que je lise ces satanés rapports. Quant à vous, Alister, dès que vous en aurez fini avec McCord, je vous somme de vous ruer dans votre lit et de ne pas vous réveiller avant demain matin. Et inutile de discuter.

_Bien, madame. »

Le directeur adjoint du FBI s'éclipsa, laissant Susan s'abîmer encore un peu plus les yeux sur son moniteur.

Paris, commissariat central du 11è arrondissement, Terre, 7 janvier, 15h41 heure locale, 14h41 GMT.

Le commissariat central de l'arrondissement parisien était en pleine effervescence, bourdonnant comme une ruche surexcitée. Les gens couraient dans tous les sens, les uns pour entrer, les autres pour sortir, personne ne semblait vouloir rester en place.

Reika Talbo parvint à se frayer un chemin parmi le flot de personnes que vomissait l'entrée principale et monta les marches de l'escalier quatre à quatre. La jeune inspectrice était hors d'elle, de la place de la Nation à la place Léon Blum, il lui avait fallu une heure pour se frayer un chemin en Elecar, là où d'ordinaire il ne lui fallait que cinq à dix minutes. Dans les rues, ça avait été la cohue, un embouteillage monstre paralysait la capitale française et la radio faisait état d'une situation analogue dans tout le pays.

«Commissaire! ahana-t-elle en faisant irruption dans le bureau de son supérieur. Est-ce que vous avez lu la dernière édition du Monde?

_Oui, répondit en reposant calmement un exemplaire dudit journal sur son bureau.

_Est-ce que c'est vrai?

_Pas que je sache, marmonna-t-il, mais rien n'est venu contredire la nouvelle. Ça peut très bien être vrai.

_Est-ce que le préfet de police est au courant de la situation?

_Il aurait eu du mal à ne pas être, tout Paris baigne dans une atmosphère de folie. Mais il n'a transmis aucune information, si c'est ce que vous voulez savoir. Seulement quelques instructions comme «calmez la population», «évitez les émeutes» et autres banalités.

_Mais nous sommes en sous effectifs!

_Je sais bien, mais pas les huiles. Que voulez-vous que nous fassions? Monsieur le Maire a fait un discours il y a une demi-heure, vous savez? Et bien ça n'a rien donne, les gens ne l'ont même pas écouté. Ce qu'il leur faut, c'est une déclaration d'une autorité supérieure.

_Vous croyez vraiment que la population va attendre calmement que les autorités leur fasse un petit discours?

_Ils n'ont pas le choix; que veulent-ils faire? Fuir la planète? Pour aller ou? Cette situation commence à me fatiguer sérieusement, je vais finir par en perdre le contrôle, je le sais, et le pire c'est que je ne pourrais strictement rien faire contre, et vous non plus, ajouta-t-il. »

_La jeune femme regarda son supérieur d'un air désespère, réalisant qu'il avait tout à fait raison, Elle pouvait bien crier, hurler, le monde ne retournerait pas au calme pour autant.

«La journée promet être longue, continua le capitaine de police. Reposez-vous et gardez vos forces pour plus tard, lorsque ça commencera à se gâter réellement. »

Dakar - Terre, 7 janvier, 15h22 GMT

Gilbar Di Conti fixait l'écran avec attention, ne perdant pas une seule parole du journaliste commentant le flash d'information spécial. Le sonnerie du téléphone retentit et il claqua une fois des doigts; l'ordinateur centralisant les fonctions de son bureau transmit la communication sur haut-parleur et l'image en haut à gauche de son écran.

«Monsieur le ministre, salua-t-il sans quitter l'image du journaliste des yeux.

_Di Conti, vous avez vu les informations?

_C'est ce que je suis en train de faire.

_Que se passe-t-il exactement? Qu'est-ce que c'est que cette histoire de station coloniale ?

_La vérité, cher confrère, répondit le ministre de la Défense au ministre de l'Intérieur. Zeon déplace en ce moment même une station avec l'intention évidente de nous bombarder avec.

_Vous le saviez? rugit Nikola Gerart. Pourquoi n'en ai-je pas été notifie?

_L'Intérieur n'était pas concerné, du moins pas tant que l'information restait secrète. Par ailleurs, l'ensemble des données relatives à l'affaire est classifié, l'armée a préféré restreindre le nombre de personnes y ayant accès, même au sein du gouvernement. Comme vous pouvez le constater, l'information est explosive.

_La situation aussi devient explosive! Tous les astroports sont pris d'assaut et il y aurait même des émeutes dans certaines villes. N'allez pas me dire que le Ministère de l'Intérieur n'est plus concerné !

_Je sais, les images sont diffusées en ce moment. Le public se laisse emporter par son imagination. Ce n'est pas le fait que Zeon à l'intention de nous bombarder qui les pousse à la panique, c'est notre silence qui leur fait paraître le danger plus terrifiant qu'il ne l'est en réalité. Ce ne sont guère plus que de pitoyables manifestations d'une peur collective dépourvue de fondement. Ça leur passera. La raison pour laquelle l'armée n'a rien dit est qu'elle escompte la stopper bien avant qu'elle n'atteigne son but; nous n'avons aucune raison particulière de nous en faire.

_L'amiral Kessling vous à dit ça?

_Non, l'amiral Rockwell. Avec les effectifs de six flottes au grand complet, je vois mal comment cette horde d'extraterrestres surexcités pourrait nous résister.

_Comment se fait-il que le gouvernement n'ait pas été averti? Vous ne pouvez continuer à œuvrer à notre insu!

_Mais je n'ai pas agi à l'insu du gouvernement, Pawris lui-même à insiste pour que l'information ne soit pas dévoilée.

_Vous semblez avoir réponse à tout... Peut-être auriez vous alors l'amabilité de me décrire la marche à suivre?

_Laissons faire le porte-parole, répliqua Di Conti sans relever la trace d'ironie dans les propos de son confrère. Packard saura bien trouver les mots justes. »

A cet instant, un petit voyant à droite de son écran se mit à clignoter, lui indiquant la venue d'une autre communication. Di Conti lut le numéro et le nom du correspondant qui s'affichaient.

«Ah, désolé Gerart, mais j'ai une communication urgente sur l'autre ligne, je dois vous quitter, dit-il en coupant brusquement.

_Di Conti, vociféra son autre correspondant, que signifie ceci? Il était entendu que rien ne filtre sur l'opération en cours.

_Amiral Highman, comment allez-vous?

_Trèves de mondanités, coupa le chef du contre-espionnage militaire. Comment ces journalistes ont-ils eu accès à ces informations? Ils sont même parvenus à avoir des photos, à ce que je vois.

_Je ne leur ai rien dit, si c'est ce que vous croyez, répondit le ministre en haussant les épaules. Si fuite il y a, elle n'est pas de moi. Apres tout, le passage d'un tel objet autour de la Lune ne pouvait passer inaperçu, vous ne pensiez tout de même pas parvenir à maintenir le secret.

_C'est pourtant ce que nous avons fait. Nous avons intercepte, saisi, brouille et efface toute tentative de transmission de ces informations. Il ne pouvait matériellement pas y avoir de fuites!

_Je ne vous ai jamais demandé d'aller si loin, protesta Di Conti en se raidissant tout à coup, c'est une violation de la liberté de la presse, et même de la liberté d'expression du citoyen.

_Non, rétorqua Jamitov Highman, pas si ces informations ont trait à la sécurité de la planète. Ce n'est pas une violation, mais une nécessité; c'est mon devoir. Nous étions déjà assez occupés comme ça avec ces extraterrestres, il ne nous manquait vraiment plus qu'une panique mondiale! »

Les deux hommes s'affrontèrent du regard un bref instant, puis Di Conti se rassit, une expression irritée sur le visage.

«Pawris sait que Jabrow n'a pas répondu à Leonov. En attendant de vos nouvelles, le Premier ministre risque sa tête en couvrant votre silence devant l'opinion publique. Quand aurons-nous quelque chose à nous mettre sous la dent?

_Pas tout de suite. Nous voulons d'abord nous assurer que Zeon ne nous réserve pas une autre surprise.

_Mais c'est insensé, Highman ! La nouvelle se répand en ce moment même! Nous n'allons quand même pas nier les faits, et si nous n'avouons pas la vérité très tôt, le gouvernement risque de perdre la confiance du public. Nous ne pouvons pas nous le permettre alors que le conflit vient à peine de commencer...

_Là, ce sont vos affaires, pas les nôtres. Nous nous occupons de l'aspect militaire de cette affaire, à vous de vous occuper de vos oignons! »

_Highman raccrocha avant que Di Conti ait pu rajouter quoique ce soit, laissant le Ministre de la Défense bouche bée. Nerveux, ce dernier se leva lentement de son bureau et alla se verser un verre de cognac dans le petit bar prive en réfléchissant. Devait-il avouer à Pawris ce que le chef du contre-espionnage avait laisse échapper? Son honnêteté le lui commandait, mais il savait également que le Premier Ministre n'apprécierait que ses ministres complotent directement dans son dos avec. Non, Pawris ne serait pas content. Le cas de Gerart l'ennuyait beaucoup plus, par contre. C'était à lui qu'avait échut la tache de mettre le ministre de l'Intérieur au courant; Pawris le lui avait demandé lorsqu'ils s'étaient entretenus dans son bureau, or il avait omis de le faire; une raison supplémentaire pour s'attirer les foudres du chef du gouvernement. Di Conti rumina plusieurs minutes sur les excuses qu'il pourrait inventer tout en continuant de regarder distraitement le flash d'info.

Astroport de LAX, Los Angeles, Terre, 7 janvier, 10h07 heure locale, 16h07 GMT

La foule se pressait devant le comptoir de la compagnie United Airspace, vociférante et suppliante à la fois; une mer de visages mouvante, déchaînée, en furie.

«Nous sommes désolés, répéta Ernest Tucson pour l'énième fois de la journée, mais il n'y à plus aucune place disponible sur aucun vol...

_Et quand y aura-t-il des places, alors? demanda quelqu'un.

_Vous n'avez qu'à mettre des vols supplémentaires! cria un autre.

_Ecoutez, fit calmement le superviseur adjoint de la section trafic passagers, les vols sont pleins jusqu'à la semaine prochaine, et nous avons déjà rajoute sept vols supplémentaires par jour. Nous ne pouvons faire plus à partir d'ici en raison de la limitation de notre parc d'astronefs et de la loi limitant les vols atmosphériques. La compagnie exprime ses sincères regrets mais nous ne pouvons plus accepter aucun passager. »

Devant la tempête de protestations et de menaces que souleva sa déclaration, le représentant de la compagnie aérospatiale se replia derrière les murs protecteurs du bureau de réservation.

«Ils sont devenus tous fous dehors, déclara-t-il à bout de souffle à ses collègues. Pour qui nous prennent-ils? Pour le Christ? Ils s'imaginent peut-être qu'on va tripler le nombre de places par la volonté du Saint Esprit? S'il n'y à plus de place, c'est qu'il n'y à plus de place... ça donne quoi chez les autres?

_Absolument rien, répondit Michèle Danny. American Starways, Delta Spacelines, toutes les compagnies affichent complet.

_Tu as été voir du côté des compagnies internationales? demanda Sonia Laverdure.

_Tout est complet, répondit d'un air fatigue. Ça fait deux heures que je passe mon temps à me connecter à travers le monde: British Starways, Kosmoflot, Eurospatiale, Japan Starlines, Pan-African, All Asian, Oceanian, tous leurs vols sont pleins. Même les vols charters!

_Les charters? Où est-ce qu'ils espèrent aller avec ça? Les vols charters ne font que du sub-orbital! ...

_Oh, attendez, s'écria Buck Tanguy devant son ordinateur, j'ai un message du centre des opérations en vol... Ouhlala! ... Tenez-vous bien, l'armée vient de décréter la fermeture définitive de tous les couloirs spatiaux menant à la Lune, Side-2, 4 et 5!

_Oh merde! vociféra Tucson, ça fait combien de vols annulés, ça ?

_Vingt-trois.

_Les passagers ne vont pas aimer ça... Hum, qui se dévoue? »

_Les seize agents présents dans le bureau se jetèrent des regards fuyants mais aucun ne sembla se décider.

«Laissez tomber, lâcha finalement Laverdure, la direction du spatioport s'en chargera bien; après tout nous ne sommes pas les seuls dans la merde.

_N'empêche que ça va gueuler dehors, dit quelqu'un.

_Et bien qu'ils gueulent alors, explosa Tucson, et j'aimerais bien qu'ils se pètent les cordes vocales par la même occasion, comme ça on pourra enfin avoir la paix! Je commence à en avoir plein le cul d'avoir tous ces cornards qui braillent pour monter dans le premier astronef en partance pour Pétaouchnock! Et ce gouvernement à la con qui continue de se taire, qui laisse faire les choses comme si c'était tout à fait naturel que la population mondiale cherche à déserter la planète! »

Passablement énervé et à bouts de nerfs, le jeune homme fit demi-tour et claqua la porte pour s'enfermer dans son bureau.

Siège du gouvernement fédéral, Dakar, Terre, 7 janvier, 16h00 GMT

John-Luke Packard, porte-parole du gouvernement fédéral, fit son entrée dans la salle brillamment éclairée. Attables de part et d'autre du podium, plusieurs consultants civils et militaires, prêts à intervenir en cas de nécessité. Face à lui, vingt-sept cameras, quarante-deux appareils photo, quatre-vingt-deux journalistes, reporters ou photographes. Tirant discrètement sur le bas de son veston pour réajuster sa tenue, Packard s'approcha lentement du podium et posa ses notes avant de prendre la parole.

«Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous remercie d'avoir répondu nombreux à notre appel. Le but de la présente conférence est de porter à la connaissance du public les informations qui sont en possession du gouvernement concernant les faits dévoilés par les média. Dans ce but, il sera fait une brève déclaration, après quoi vous serez autorises à poser quelques questions.

«Le lundi 4 janvier, à vingt et une heure trente, heure de Greenwich, des éléments des forces rebelles de Side-3 ont procédé à l'arraisonnement et au détournement d'une station coloniale, nommément Island Iffish, appartenant au territoire de Side-2. Le but de cette opération nous est assez mal connu mais le changement de trajectoire opéré autour de la Lune laisse penser que Side-3 songerait à utiliser la station pour bombarder la Terre.

«Toutefois, continua Packard en tentant de couvrir le brouhaha et les grognements d'inquiétude, le Haut-commandement de l'armée nous assure qu'il n'y rien à craindre et que la Flotte engagera très prochainement une opération militaire visant à mettre fin aux exactions des forces rebelles. Nous demandons à la population de garder le calme et de ne pas à chercher à quitter la planète, ce qui serait susceptible d'entraver les mouvements de la Flotte et augmenter les risques d'arraisonnement par les rebelles. Le gouvernement souhaite également que la population ne prête pas foi aux propos subversifs et exagérément alarmants lances par certains organismes. Il n'y à absolument aucun risque que l'armée rebelle parvienne à ses fins, il n'y à par conséquent aucune menace sérieuse justifiant un quelconque accès de panique.

«Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, merci de votre attention. Le temps que je puis vous consacrer est hélas assez court, et je vous prie de limiter le nombre de questions. »

A peine le porte-parole avait-il terminé sa phrase que des dizaines de mains se levèrent. Packard avait l'habitude de ce genre de conférences, il avait également l'habitude de mentir au public; pourtant aujourd'hui, il n'était pas totalement sûr de lui. Le but de cette conférence n'était pas de faire éclater la vérité, mais de rassurer la population terrienne. Dans cette mesure, on avait autorise une série de questions après la déclaration, et un comité restreint avait délibéré durant deux heures sur les choses à dire et à ne pas dire. Packard avait ensuite reçu une liste de recommandations et de mises en garde destinées à guider ses réponses; pourtant on lui avait demande de ne pas hésiter à falsifier les faits et à en minimiser d'autres: il fallait convaincre le public qu'il n'y avait rien à craindre et non mettre de l'huile sur le feu.

Packard désigna un journaliste dans la foule, apparemment au hasard, mais il n'en était rien. La plupart des questions posées avaient été préalablement sélectionnées, épurées de toute ambiguïté et les journalistes élus portaient sur eux un signe distinctif mais discret permettant à Packard de les reconnaître dans la foule et les designer selon un hasard tout à fait relatif.

«Monsieur Packard, commença le journaliste, pourquoi le gouvernement a-t-il mis autant de temps à reconnaître les faits?

_C'est très simple. Nous étions au courant depuis trois jours, mais nous tenions à nous assurer qu'il ne pesait aucune menace réelle sur la Terre avant de faire une déclaration, plutôt que de laisser la place à l'incertitude et provoquer une panique.

_Pouvez-vous garantir qu'il n'y à absolument aucun danger? »

_Oui, je peux vous le garantir. Vous me direz sans doute, mais comment escomptez-vous stopper un objet de cette taille? L'opinion publique à tendance à oublier qu'une station coloniale est avant tout une structure creuse, donc d'une masse assez ridicule par rapport au volume représenté. En clair, une station est en fait plus légère qu'elle ne le parait, et par conséquent plus facile à dévier qu'un astéroïde qui est un objet dense et massif. Pour ce faire, nos stratèges ont prévu de faire détonner à proximité d'Island Iffish des charges nucléaires. Le but recherche n'est pas la destruction, qui présente trop de risques pour la population terrestre, mais le détournement de sa trajectoire.

_Certaines rumeurs persistantes disent que plusieurs tentatives en ce sens auraient déjà échoué. Pouvez-vous le confirmer? »

La question n'était pas inscrite au programme. Packard jeta un rapide coup d'œil sur ses notes. Les faits étaient exacts, et la question figurait sur la liste des questions dont il fallait se méfier. Assis à sa droite, le général N'Guyen sentit son hésitation et prit directement la parole.

«Ce n'est pas tout à fait exact, répondit avec le sourire, quelques-unes de nos unités ont effectivement eu des accrochages avec l'ennemi le long de la trajectoire d'Island Iffish, mais rien de sérieux que l'on puisse qualifier de tentative pour stopper la station.

_Pourriez-vous nous indiquer en ce cas pourquoi l'armée n'est toujours pas intervenue?

_Afin de mettre toutes les chances de notre cote, les Forces Fédérales ont tenu à rassembler le plus d'effectifs possible pour nous garantir une victoire totale. Nos flottes sont assez dispersées et parfois même accaparées par des escarmouches de l'ennemi, aussi leur faut-il un certain temps pour se rassembler. Pour des raisons de sécurité, je ne puis malheureusement vous en dire plus.

_Pouvez-nous dire ce qui s'est passe exactement sur la Lune?

_Eh bien l'armée rebelle à détruit six de nos bases lunaires afin de limiter nos moyens pour une éventuelle riposte, reprit Packard. Nos installations lunaires ont tente l'impossible pour détourner la station mais devant l'utilisation d'ogives nucléaires et l'avantage tactique de l'ennemi, nous n'avons pu obtenir de grands résultats.

_Monsieur Packard, qu'est-ce qui justifie la fermeture des couloirs spatiaux entre Side-2, 4 et 5?

_Pour la raison précitée précédemment. Nos flottes sont actuellement en phase de rassemblement et de redéploiement; nous avons pris ces mesures pour limiter la circulation civile afin éviter qu'elle ne gêne les activités militaires. Par ailleurs, des éléments incontrôlés de l'armée rebelle circulent à l'insu de nos forces et nous tenons à éviter à nos citoyens tout risque d'arraisonnement. Maintenant, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, mes fonctions m'obligent à me retirer.

_Monsieur Packard, une dernière question, fit une voix dans le fond de la salle, le gouvernement a-t-il prévu des mesures dans l'éventualité ou opération militaire échouerait? »

Packard jeta de nouveau un coup d'œil discret vers ses papiers, hésitant à répondre. Cette question était sur la liste noire, celle qui contenait les questions que le comité avait expressément interdite. Comment le journaliste était parvenu à poser sa question? Lorsqu'il releva la tête, toute la salle semblait pendue à ses lèvres, et par l'intermédiaire des cameras, des milliards d'Earthnoïds également. Ses notes ne contenaient aucune réponse à cette question, juste quelques annotations expliquant qu'en cas de défaite militaire, il serait trop tard pour entreprendre quoique ce soit.

«Mais naturellement, déclara-t-il le sourire aux lèvres. Toutefois il n'y à aucune raison de s'inquiéter: il à été scientifiquement démontré que la station se désagrégerait totalement lors de son entrée dans l'atmosphère; quant aux blocs les plus importants, nos satellites de défense et nos missiles se chargeront de les éliminer. Et quand bien même toutes nos tentatives échoueraient, nous avons pris des mesures afin évacuer les zones menacées. Mais ceci reste, bien entendu, un recours extrême. Jabrow nous à assure que les effectifs adverses étaient trop peu importants pour résister à l'offensive de notre armada. »

Packard se tut, satisfait. C'était là exactement ce que le public désirait entendre, et il le leur avait dit. Maintenant, en espérant qu'il avait été suffisamment convaincant, il lui fallait tirer sa révérence avant qu'on ne lui pose d'autres questions plus embarrassantes.

«Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je suis profondément navre mais je suis dans l'obligation de vous laisser. Je vous remercie infiniment pour votre attention et espère avoir pu répondre à vos interrogations. »

Sur ce, le porte-parole gouvernemental salua la foule des journalistes et s'en fut par une porte dérobée, les différents consultants militaires sur les talons.

«C'est quoi ce délire? Vitupéra Massimo Gianinni. C'est tout?

_Ben oui, qu'est-ce tu espérais? rétorqua son collègue Rodrig Harrisson. Qu'il allait s'agiter dans tous les sens en hurlant le branle-bas de combat?

_Attends, il nous à pas laisse poser nos questions? Et puis d'abord qu'est-ce que c'est que tout ce baratin?

_Tu exagères, tu parles comme si le père Packard nous avait menti sur toute la ligne?

_Et pourquoi pas, hein ?

_Vous rigolez, fit un autre journaliste à sa droite. Je m'imagine mal ces extraterrestres illuminés parvenir à trimbaler leur station jusqu'ici. Notre armada va les balayer.

_Qu'est-ce qui se passe ? demanda une journaliste derrière eux.

_Alice, qu'est-ce que tu penses de ce discours?

_Massimo, viens par-là. »

La jeune femme le tira par la manche et l'entraîna à l'écart.

«Ecoute, commença-t-elle à voix basse, tu ne t'imaginais quand même pas qu'il allait dire la vérité, non? Il n'a fait que dire ce que les gens voulaient entendre: qu'il y avait une menace qui pesait sur la Terre, mais rien que l'armée ne puisse résoudre. C'est faux, et tu t'en doutes, et si nous voulons connaître la vérité, il faudra chercher autre part. Et tu sais ce que j'ai découvert?

_Que l'armée a déployé ces derniers jours une activité anormale sur le Net pour brider l'information, comme si elle cherchait à cacher quelque chose.

_Tu savais?

_Ca saute aux yeux, les sites d'information officieux sont tous boucles, ne parlons pas des sites officiels. C'est pour ça que je ne crois pas un mot du baratin du vieux Packard. Indépendamment de ce qu'il vient de nous dire, je suis persuade qu'il y à quelque chose qu'on nous cache et que nous devrions savoir. »

Alice O'Hara se retourna vers leurs collègues qui pliaient leur attirail et qui quittaient la salle par petits groupes. Rares étaient ceux qui affichaient une expression satisfaite, la plupart restaient perplexes voire consternes. Encore une fois ils s'étaient heurtés à la langue de bois officielle, tellement chargée de mensonges qu'elle devait être violacée. A vrai dire, ils n'avaient pas le choix. Obtenir patte blanche pour parvenir dans la salle de presse du gouvernement était déjà un privilège, âprement disputé au cours d'un parcours digne du combattant. Mais ce privilège impliquait toutefois des limitations: suivre scrupuleusement les règles imposées par le gouvernement, se contenter souvent de déclarations creuses mais généreusement enrobées d'inepties destinées à leurrer l'opinion, se plier à la censure.

En l'occurrence, la majeure partie d'entre eux n'était même pas au courant de l'arrangement auquel Packard avait procédé avec les journalistes qui lui avaient pose des questions. On les avait tout juste autorise à poser leur matériel et à écouter et regarder, puis remballer sans avoir été autorises à dire quoique ce soit. Quant aux «heureux élus», ils étaient soumis à une telle pression qu'ils n'étaient pas près de divulguer quoique ce soit, à supposer qu'ils sachent quelque chose...

Flotte de Zeon, navire amiral, 7 janvier 16h37 GMT

L'amiral Gordon Aurillac achevait de regarder la retransmission légèrement différée de la déclaration officielle du porte-parole gouvernemental. Les autres amiraux y assistaient eux aussi sur leurs moniteurs personnels, rassembles autour de la table.

«Vos réactions, mesdames et messieurs, demanda Aurillac, une fois la retransmission terminée.

_Intéressant... commença Falken. Le gouvernement a passé beaucoup de choses sous silence; si cela se sait, c'est le discrédit à coup sur.

_Sauf en cas de réussite, rappela Reymond. Si les Forces Fédérales parviennent à écarter Island Iffish, il deviendra inutile de dévoiler à quel point ils sont passes très près de la catastrophe. Confiant comme il est en son armada, le gouvernement fédéral à du juger préférable de laisser le public dans l'ignorance plutôt que créer un climat de panique superflu. C'est un pari risqué.

_Et qu'en est-il de l'opération militaire que Jabrow prépare?

_Cette information est exacte, répondit Kurtzel Guidan. Nos services de renseignement nous rapportent une intense activité dans les docks souterrains de Jabrow ainsi que sur les pas de tirs de Kourou et Edwards. Nos sondes de reconnaissance longue distance nous signalent également que les flottes ennemies amorcent toutes un mouvement général en notre direction.

_Combien seront à portée d'interception? demanda Powland.

_Actuellement, deux. On ne connaît pas encore avec précision le nombre de flottes qui pourraient être tirées de la Terre, peut-être trois ou quatre. On estime aussi que les deux flottes actuellement à notre poursuite pourraient être en mesure de lancer un nouvel assaut d'ici une dizaine d'heures.

_Ah? Un changement d'attitude?

_En effet, admit Eva Rittenheim en prenant la parole, nos senseurs longue portée nous rapportent une activité fébrile qui laisse penser que les Forces Fédérales se préparent à un nouvel assaut. Les communications ennemies interceptées par les sondes laissées sur notre route renforcent cette hypothèse. J'en ai informé votre chef d'état-major mais je préférai avoir une confirmation avant de vous en faire part. »

Aurillac hocha la tête en signe d'assentiment.

«Vous aurez remarqué, dit le vieil amiral, que le gouvernement fédéral persiste à faire référence à nous en tant qu'«armée rebelle de Side-3. Le baron Gihren nous a envoyé un message à ce sujet. Cette missive est courte et simple: «Le gouvernement de Dakar ne devra plus jamais nous désigner ainsi après opération British. Nous sommes le peuple du Duché de Zeon, et le monde doit apprendre à redouter ce nom. » Fin de citation. »

Mark Powland nota le tic nerveux qui agita la main de l'amiral en chef au moment même où il achevait sa phrase. La pression qui devait s'exercer sur cet homme devait augmenter d'heure en heure, au fur et à mesure que la Flotte s'approchait de son objectif ultime. Les bruits couraient d'un vaisseau à un autre qu'Aurillac ne s'était jamais prononcé pour l'exécution de l'Opération British et que Gihren et lui n'avaient pas cessé de jouer au chat et à la souris durant toute la première phase. Comment Aurillac pouvait-il vivre sa participation à une opération militaire contre laquelle il était opposé? A en juger par les signes de fatigue qui s'accentuaient chaque jour, Powland pouvait deviner qu'il devait mal vivre cette situation. Lui-même ne savait toujours qu'en penser.

La chute de la station provoquerait tout d'abord de terribles turbulences dans toutes les couches de l'atmosphère terrestre; et contrairement à ce que Dakar prétendait, la station ne se disloquerait pas lors de la descente. Elle perdrait ses miroirs, certes, le port spatial avant serait sans doute pulvérisé, mais la majeure partie de la coque resterait intacte.

Une masse de plusieurs centaines de milliers de tonnes frapperait alors la surface avec violence. Rien, absolument rien au monde ne pourrait alors résister à l'impact, pas même un abri anti-atomique enfoui à plusieurs centaines de mètres sous terre. L'impact serait une chose, mais l'onde de choc en serait une autre: toute la zone autour du point d'impact serait anéantie sur des centaines de kilomètres à la ronde, et les dégâts s'étendraient bien au-delà, conséquences directes du choc en retour.

Les experts estimaient que l'impact provoquerait une déflagration d'une intensité équivalente à un séisme de magnitude sept sur l'échelle de Richter. Le souffle issu du choc balayerait tout sur son passage, modifiant les courants aériens, provoquant des tempêtes monstrueuses, peut-être même des raz-de-marée... L'impact, l'explosion, l'onde de choc, tout cela se verrait à des kilomètres de distance et resterait peut-être à jamais dans la mémoire des hommes comme étant la plus abominable action que l'Homme ait jamais ose faire à ses semblables. Et ils en seraient les artisans.

Comment ne pas se poser des questions, alors? La promesse d'une victoire proche ne suffisait pas à masquer le doute qui pouvait affleurer à tout moment dans l'esprit de chacun; il fallait avoir une foi aveugle pour pouvoir mener à son terme cette opération. Mais la famille Zabi les avait justement investit de cette foi, de cette force morale qui devait leur permettre de surmonter les pires atrocités. Une foi inébranlable en la supériorité des Spacenoïds, en l'espoir que de cette horreur naîtrait un avenir meilleur. Mais cette foi résisterait-elle à l'abomination?

«Dans un peu moins de dix heures, nous atteindrons la périphérie de Side-4, poursuivit Aurillac. La Seizième flotte, déjà en place depuis trois jours, pourvoira à regarnir nos resserves en cas de besoin. Side-4 sera l'avant-dernière étape avant la phase finale de l'opération, ce sera également la dernière occasion de nous reposer. »