JABROW, Terre, 7 janvier, 8H37 heure
locale, 12h37 GMT
Pourtant, bien loin de partager cette tranquillité d'esprit, les plus
hauts officiers des Forces Fédérales étaient à nouveau assis dans la grande
salle d'état-major et contemplaient avec gravité le plan 3D affiché sous
leurs yeux.
Se superposant au schéma tactique, une série de chiffres défilait
lentement en caractères lumineux rouges : les premières estimations des
pertes, les premiers rapports. Le projecteur holographique modifia l'angle et
l'échelle de projection : la surface lunaire se rétrécit très rapidement,
laissant apparaître progressivement une partie, puis la totalité du globe
lunaire, les points Lagrange Un et Deux, la Terre, monumentale sphère bleutée,
et enfin une longue courbe verdâtre qui serpentait entre la Lune et la Terre.
«Les satellites d'observation nous confirment la nouvelle trajectoire
d'Island Iffish, annonça le colonel Estevar. Nous avons vérifié et revérifié
nos calculs, mais les conclusions sont restées les mêmes. La station passera
à proximité de Side-4 dans moins d'une dizaine d'heures et continuera sur sa
lancée. A la vitesse actuelle, nous pensons qu'elle tombera sur Terre dans un
peu plus d'une soixantaine d'heures. »
Les officiers présents se dévisagèrent avec nervosité. Pendant vingt
ans ils étaient restés persuadés que rien ne pourrait défaire l'invincible
armada fédérale, qu'aucune armée serait jamais assez puissante pour la
maintenir en échec. Pourtant c'était ce qui se produisait depuis trois jours
! Kessling ne savait plus ou il en était, toutes ces certitudes effondrées, réduites
en cendres.
«Amiral, lui dit Rockwell, nous devons dès à présent songer à une
nouvelle contre-attaque. Nous ne pouvons pas nous lamenter sur nos échecs passés
et laisser Zeon se balader librement.
_C'est
pourtant bien vous qui aviez dit que notre flotte ne les laisserait jamais
passer, rappela Lin Pao. »
Piqué au vif, Rockwell le foudroya du regard, l'air de dire que la
question avait été réglée et qu'il avait reconnu son erreur, bien qu'il ne
l'eut jamais avoué en public.
«Commandant, murmura Kasaren en posant une main apaisante sur son bras,
je doute que le moment soit approprié pour régler de tels détails. Comme le
dit l'amiral Rockwell, la situation exige une réaction prompte et immédiate.
_A-t-on
une idée de l'objectif visé ? demanda Kessling.
_A
vrai dire... Aucune, amiral, répondit Bertrand. Nos analystes estiment qu'il
est encore trop tôt pour le savoir et qu'il faudra encore plusieurs heures
avant de pouvoir ébaucher les premières estimations.
_Van
Tran a-t-il obtenu quelque chose avec ses prisonniers ?
_Les
quelques rapports qui nous sont parvenus de Taruntius disent que les prisonniers
interrogés semblent ignorer eux-mêmes l'objectif précis de cette opération.
Il semblerait en fait qu'ils soient soumis à une importante préparation
hypnotique liée à l'utilisation de drogues.
_Zeon
drogue ses soldats ? rugit Karey.
_Poursuivez,
Johan, fit Kessling en ignorant l'interruption.
_Les
rapports nous indiquent que des interrogatoires plus poussés pourraient venir
à bout de la préparation et des drogues, mais à supposer que la prochaine
transmission puisse passer, nous n'aurons pas les résultats avant plusieurs
heures. »
Bertrand entendit Rockwell marmonner des imprécations mais jugea préférable
de ne pas noter et attendit que Kessling reprit la parole.
«Je vois... Où sont nos flottes, maintenant ? demanda le chef suprême
des armées.
_Estevar
introduisit de nouveaux paramètres dans l'ordinateur et modifia la disposition
du schéma une nouvelle fois.
«La Quatrième et la Vingt-troisième flotte ont amorcé une trajectoire
de poursuite mais ils n'ont pas fini de dresser leur bilan et il leur faudra du
temps avant de pouvoir lancer une nouvelle attaque. La Sixième se trouve encore
à plus de sept cent cinquante mille kilomètres de Side-4, mais la flotte de
l'amiral Revil est encore loin d'être totalement opérationnelle, nos experts
doutent qu'elle soit prête à temps. Le gros de la Huitième flotte est à près
de cinq cent vingt-deux mille kilomètres et pénétrera dans le champ
gravitationnel terrestre dans une vingtaine d'heures. Les Neuvièmes et Quatorzièmes
se trouvent encore à trois cent deux mille kilomètres du Point Lagrange Cinq
et mettront encore quarante-six heures pour relayer les Onzièmes et Douzièmes
flottes. Des dix flottes en cale sèche sur Terre, on estime que seules les
Deuxièmes, Cinquièmes et Dix-septièmes flottes seront prêtes pour la fenêtre
de lancement.
_Cela
nous fait un total de quatre flottes opérationnelles, soit à peu près neuf
cents vaisseaux ; avec de la chance six flottes. Quelle est l'estimation des
effectifs ennemis ? _Le rapport de l'amiral Tianm fait état d'un total de six
flottes, répondit Bertrand. D'après notre estimation, il leur resterait un
peu moins de cinq cents vaisseaux.
_Quelles
sont nos opportunités de contre-attaque ?
_A
l'exception de nos missiles de croisière interplanétaires, répondit ESTEVAR,
aucune avant une trentaine d'heures. Et encore, nous ne savons pas s'ils seront
efficaces. Nous n'avons toujours pas pu percer le rideau défensif que l'ennemi
déploie autour de la station. Quant à nos flottes, nous devrons attendre la
nuit du 7 au 8 janvier pour pouvoir les tirer. La fenêtre de lancement devrait
se situer entre cinq et neuf heures du matin.
_Je
ne saisis pas très bien; Side-4 possède bien des canons à méga-particules,
non? fit remarquer le général Karey.
_En
effet, interrompit le colonel Koweyn. Side-4 possédait bien dix canons à
particules au total. Mais c'est la première chose à laquelle les Forces de
Zeon se sont attaquées le 3 janvier au matin. »
James Karey poussa un soupir en secouant la tête.
«Autre chose? s'enquit Kessling.
_Oui,
amiral. Zeon n'a pas encore détruit tous nos dépôts de matériel en orbite
basse; s'ils sont toujours intacts, nous pourrions nous en servir pour
ravitailler la Huitième flotte et éventuellement les trois autres lancées
depuis Jabrow. Cela aurait pour avantage de réduire sérieusement la masse au décollage
de chaque navire même si cela retarde l'interception d'environ quatre heures.
_Ou
en sera la station à ce moment là? demanda Kasaren.
_A
peu près à cent trente mille kilomètres de la Terre. Nous pouvons d'ores et déjà
tracer une limite à cent mille kilomètres, passé ce point, il sera trop tard
pour la faire dévier la station et éviter la collision.
_Le
colonel Leonov à Dakar nous demande un complément d'information, rappela
Kasaren; le gouvernement cherche à avoir des garanties avant de faire une déclaration
à la population.
_Qu'ils
se débrouillent, répondit Rockwell. Le porte-parole devra faire une déclaration
à la presse.
_Pour
dire quoi? coupa Harriman. Une déclaration provoquerait une panique mondiale!
Ils voudront tous quitter la Terre par la première navette: ça va être la ruée
dans tous les astroports, le chaos dans toutes les métropoles et tous les réseaux
routiers. Ils voudront tous quitter la planète par n'importe quel moyen, à
pied si c'était possible! »
Rockwell et Karey hochèrent la tête de concert.
«Mais nous ne pouvons pas cacher la vérité, objecta Bertrand, le
nombre d'observateurs et de témoins oculaires va sans cesse croissant d'heure
en heure. Même si nous nous taisons, la vérité finira par éclater...
_C'est
un risque à prendre. N'importe comment nous ne pourrons évacuer qui que ce
soit tant que l'objectif nous restera inconnu. Et quand bien même le
saurions-nous que nous ne pourrions pas évacuer la zone ciblée dans le délai
imparti.
_Vous
partez déjà du principe que la population civile sera sacrifiée? s'écria
Lin Pao.
_Non
! Nous pulvériserons cette station avant!
_Pouvez-vous
le garantir ? demanda Kasaren.
_Oui
! répondit Rockwell sans hésiter.»
Washington DC, Terre, 7 janvier, 7h27
heure locale, 13h27 GMT
Au premier niveau du parking souterrain, le chauffeur de Susan Valadinov
gara la Cadillac à l'emplacement qui lui était réservé. La femme d'âge mûr
en sortit, suivie de ses gardes du corps pour se diriger tout droit vers
l'ascenseur réservé au personnel haut placé. Elle introduisit une clé dans
la fente, tourna dans le sens contraire des aiguilles d'une montre et attendit
patiemment que l'ascenseur veuille bien descendre. Une fois dedans, Valadinov
dut sortir une deuxième clé qu'elle introduisit dans le tableau de bord avant
de composer un code secret à douze chiffres ; l'ascenseur se mit en mouvement
sans qu'elle ait à appuyer sur un autre bouton. Les témoins lumineux affichèrent
successivement les divers étages et finalement, l'ascenseur s'arrêta au
quatrième. Valadinov sortit et parcourut un long couloir brillamment éclairé
avant de franchir sans hésiter une grande porte en chêne qui s'ouvrit à son
passage.
«Bonjour madame la directrice, salua sa secrétaire.
_Bonjour,
Janet. Du neuf ? répondit alors qu'elles pénétraient dans le vaste bureau.
_Oui,
madame. Nous avons reçu plusieurs rapports durant la nuit, ils sont en machine.
Monsieur Chapman souhaiterait vous rencontrer d'urgence à ce sujet. Il attend
depuis plusieurs heures...
_Ah
? Eh bien faites-le entrer. Et, Janet, pourriez-vous nous apporter du café,
s'il vous plaît ?
_Bien
madame. »
_Susan
s'installa dans son fauteuil en cuir et jaugea la liste des rapports qui
s'affichait sur son moniteur, étonnée de voir que leur nombre avait doublé
durant son absence. Absence assez courte, il fallait le dire, mais depuis le début
du conflit elle avait considérablement réduit le nombre de ses heures de
sommeil pour accroître celui de ses heures de travail, au détriment de sa vie
familiale. A croire que le FBI était incapable de marcher sans elle. Ah,
songea-t-elle avec un sourire en coin, si Edgar Hoover était doute qu'un jour
une descendante de ces Communistes qu'il exécrait tant serait directrice du
FBI, il aurait sans doute dissout cet organisme au lieu de le renforcer comme il
l'avait fait.
Dans l'immédiat, Valadinov avait plusieurs problèmes sur les bras. La
proclamation de guerre avait officiellement place les services du FBI sous contrôle
militaire, mais il était hors de question pour elle de se plier aux exigences
de Jabrow. Le FBI était un organisme civil et son statut politiquement neutre
garantissaient sa crédibilité et son objectivité auprès du gouvernement et
de la Justice. Jamais le FBI ne marchera au pas de l'oie tant qu'elle sera aux
commandes. Un signal sonore annonça l'arrivée du directeur adjoint dans le
vestibule, alors qu'elle survolait encore les rapports, s'efforçant de mémoriser
l'essentiel pour ne pas paraître ignare devant Alister Chapman. Susan appela sa
secrétaire et la pria de faire entrer son visiteur.
«Bonjour Alister, salua-t-elle, vous ne passez pas toutes vos nuits au
bureau, j'espère ?
_Presque,
madame. La situation évolue sans cesse, et il faut bien quelqu'un pour tenir la
boutique pendant votre absence.
_Je
sais, j'ai eu le temps de lire quelques lignes. Alors ?
_Nous
avons reçu un rapport en provenance de Jabrow, on nous confirme l'échec de
l'Opération Atlas. Les détails sont consignes sur le ficher «Atlas,
rapp-doc.15D. On y fait état des pertes, de la tactique utilisée par l'ennemi,
etc...
_Y
a-t-il eu des problèmes de transmission entre la Lune et ici?
_Pas
mal, en effet, mais Taruntius a émis des flashs en continu pendant plusieurs
heures avec remise à jour des données tous les quarts d'heures. Vous avez sur
le fichier «Jabr.79-doc.107SR» la retransmission de la réunion du
Haut-commandement. Il est tout frais, il est tombé il y a à peine une
demi-heure.
_L'Amirauté
doit fulminer. Ils ont pris une belle raclée.
_Vous
pouvez le dire. Jetez un petit coup d'œil sur l'échange entre le
commandant LIN PAO et l'amiral Rockwell.
_Ah, Lin Pao. Un
officier prometteur, m'a-t-on dit.
_Oui,
mais il ne sait pas encore tenir sa langue. Vous avez également sur le fichier
suivant le compte-rendu de la réunion du cabinet ministériel.
_Pawris
fait des enfants dans le dos de Jabrow?
_Non,
ce serait plutôt l'inverse. La réunion du cabinet à eu lieu il y a une heure,
mais il a fallu encoder le rapport à Dakar avant qu'on nous l'envoie.
_Toujours
le problème des satellites piratés. La Flotte ne fait-elle donc rien? Non, ne
dites rien, je m'en rappelle maintenant. La Patrouille Orbitale a été vaporisée
il y a trois jours. Ah, merci
Janet.
Posez ça sur mon bureau. »
La secrétaire posa le plateau sur le meuble en noyer et fit le service
avant de s'éclipser.
«Pour en revenir à Dakar, reprit Chapman, le Premier Ministre a obtenu
ses informations par sa propre filière ; officiellement Jabrow était trop
occupé pour le mettre au courant. Un mensonge. Le gouvernement n'a finalement
pas pris le risque de faire une déclaration à la presse, ils attendent des
informations complémentaires du Haut-commandement.
_Mais?
_Jabrow
n'a pas transmis les renseignements demandes par Leonov après la réunion. Je
les soupçonne de vouloir monter un bobard.
_Dans
quel but?
_Je
ne sais pas. Peut-être couvrir leurs malversations quand il ne leur restera
plus que cette dernière alternative? Ou tout simplement pour cacher la vérité.
Vous saviez, vous, que la station vise la Terre?
_Non,
c'est nouveau?
_Oui,
l'information est citée dans les deux réunions. Tenez: là, là et là,
indiqua-t-il en indexant les passages sur le moniteur.
_Ah,
je vois, merci. J'aviserai lorsque j'aurais tout lu si je dois en référer au
ministre de la Défense.
_Madame,
interrompit le directeur adjoint, on nous à rapporte hier que Di Conti
tramerait quelque chose avec le vice-amiral Highman. Ce dernier maintient sa
garde très serrée et on ne sait pas toujours de quoi il peut s'agi... »
Chapman s'interrompit lorsque le bip sonore du téléphone sonna sur le
bureau. Susan décrocha et porta l'écouteur à son oreille.
«Oui, ici Valadinov... Quoi? Qui est-ce qui... Pardon? Oui, je
comprends, vous avez carte blanche.
_Madame?
demanda Chapman lorsqu'elle eut raccroché.
_C'était
Hubrix. Quelqu'un a lâché l'information sur le Net, grogna-t-elle en
s'affaissant sur le dossier de son fauteuil. Seize chaînes de télévision se
sont déjà empares de la nouvelle et la diffusent à travers le monde, suivis
par trente-quatre quotidiens et cent vingt-huit stations de radio. Ça a commencé
il y a tout juste trois minutes, à quelques secondes d'intervalle. Il s'agit de
cette info selon laquelle la Terre serait la cible. Il y a eu fuite. J'ai demandé
à Hubrix de faire donner la chasse. Il n'est peut-être pas trop tard pour
tenter d'enrayer la propagation.
_Ca
va être la panique.
_Tout
dépend de la façon dont l'information est présentée. On peut espérer que la
plupart des gens prendront ça pour un canular, ou que Zeon n'est pas en mesure
d'entreprendre une chose aussi énorme.
_Vous
savez bien que ça ne se passe jamais comme ça...
_Je
sais Alister, mais j'ai bien le droit de rêver. A qui peut-on faire confiance
à Dakar?
_La
conseillère spéciale du Premier ministre à la Sécurité Nationale, elle
s'appelle Helen McCord. Ce n'est pas elle qui a le plus de poids, mais elle est
honnête, elle a l'oreille de Pawris et elle est plus facile à joindre.
_Bien,
appelez-la. Non, appelez d'abord Hubrix et mettez-vous au courant avant
d'appeler McCord. Demandez-lui si nous avons l'autorisation d'investir les
bureaux des organismes de presse et assister la police pour le maintien de
l'ordre et la sécurité des lieux clés.
_Bien
madame.
_Encore
une chose, Alister?
_Vous
croyez vraiment que Zeon va le faire... ?
_Ce
n'est pas la bonne question. Ce qu'il faut vous demander, c'est : Zeon peut-il y
arriver? La réponse est oui. On fricote déjà depuis pas mal d'années avec
les services secrets de Side-3, je pensais que vous en aviez retenu quelque
chose.
_Je
m'excuse.
_Ce
n'est rien. Allez, maintenant il faut que je lise ces satanés rapports. Quant
à vous, Alister, dès que vous en aurez fini avec McCord, je vous somme de vous
ruer dans votre lit et de ne pas vous réveiller avant demain matin. Et inutile
de discuter.
_Bien,
madame. »
Le directeur adjoint du FBI s'éclipsa, laissant Susan s'abîmer
encore un peu plus les yeux sur son moniteur.
Paris, commissariat central du 11è
arrondissement, Terre,
Reika Talbo parvint à se frayer un chemin parmi le flot de personnes que
vomissait l'entrée principale et monta les marches de l'escalier quatre à
quatre. La jeune inspectrice était hors d'elle, de la place de la Nation à la
place Léon Blum, il lui avait fallu une heure pour se frayer un chemin en
Elecar, là où d'ordinaire il ne lui fallait que cinq à dix minutes. Dans les
rues, ça avait été la cohue, un embouteillage monstre paralysait la capitale
française et la radio faisait état d'une situation analogue dans tout le pays.
«Commissaire! ahana-t-elle en faisant irruption dans le bureau de son
supérieur. Est-ce que vous avez lu la dernière édition du Monde?
_Oui,
répondit en reposant calmement un exemplaire dudit journal sur son bureau.
_Est-ce
que c'est vrai?
_Pas
que je sache, marmonna-t-il, mais rien n'est venu contredire la nouvelle. Ça
peut très bien être vrai.
_Est-ce
que le préfet de police est au courant de la situation?
_Il
aurait eu du mal à ne pas être, tout Paris baigne dans une atmosphère de
folie. Mais il n'a transmis aucune information, si c'est ce que vous voulez
savoir. Seulement quelques instructions comme «calmez la population», «évitez
les émeutes» et autres banalités.
_Mais
nous sommes en sous effectifs!
_Je
sais bien, mais pas les huiles. Que voulez-vous que nous fassions? Monsieur le
Maire a fait un discours il y a une demi-heure, vous savez? Et bien ça n'a rien
donne, les gens ne l'ont même pas écouté. Ce qu'il leur faut, c'est une déclaration
d'une autorité supérieure.
_Vous
croyez vraiment que la population va attendre calmement que les autorités leur
fasse un petit discours?
_Ils
n'ont pas le choix; que veulent-ils faire? Fuir la planète? Pour aller ou?
Cette situation commence à me fatiguer sérieusement, je vais finir par en
perdre le contrôle, je le sais, et le pire c'est que je ne pourrais strictement
rien faire contre, et vous non plus, ajouta-t-il. »
_La
jeune femme regarda son supérieur d'un air désespère, réalisant qu'il avait
tout à fait raison, Elle pouvait bien crier, hurler, le monde ne retournerait
pas au calme pour autant.
«La journée promet être longue, continua le capitaine de police.
Reposez-vous et gardez vos forces pour plus tard, lorsque ça commencera à se gâter
réellement. »
Dakar - Terre, 7 janvier, 15h22 GMT
«Monsieur le ministre, salua-t-il sans quitter l'image du journaliste
des yeux.
_Di
Conti, vous avez vu les informations?
_C'est
ce que je suis en train de faire.
_Que
se passe-t-il exactement? Qu'est-ce que c'est que cette histoire de station
coloniale ?
_La
vérité, cher confrère, répondit le ministre de la Défense au ministre de
l'Intérieur. Zeon déplace en ce moment même une station avec l'intention évidente
de nous bombarder avec.
_Vous
le saviez? rugit Nikola Gerart. Pourquoi n'en ai-je pas été notifie?
_L'Intérieur
n'était pas concerné, du moins pas tant que l'information restait secrète.
Par ailleurs, l'ensemble des données relatives à l'affaire est classifié,
l'armée a préféré restreindre le nombre de personnes y ayant accès, même
au sein du gouvernement. Comme vous pouvez le constater, l'information est
explosive.
_La
situation aussi devient explosive! Tous les astroports sont pris d'assaut et il
y aurait même des émeutes dans certaines villes. N'allez pas me dire que le
Ministère de l'Intérieur n'est plus concerné !
_Je
sais, les images sont diffusées en ce moment. Le public se laisse emporter par
son imagination. Ce n'est pas le fait que Zeon à l'intention de nous bombarder
qui les pousse à la panique, c'est notre silence qui leur fait paraître le
danger plus terrifiant qu'il ne l'est en réalité. Ce ne sont guère plus que
de pitoyables manifestations d'une peur collective dépourvue de fondement. Ça
leur passera. La raison pour laquelle l'armée n'a rien dit est qu'elle
escompte la stopper bien avant qu'elle n'atteigne son but; nous n'avons aucune
raison particulière de nous en faire.
_L'amiral
Kessling vous à dit ça?
_Non,
l'amiral Rockwell. Avec les effectifs de six flottes au grand complet, je vois
mal comment cette horde d'extraterrestres surexcités pourrait nous résister.
_Comment
se fait-il que le gouvernement n'ait pas été averti? Vous ne pouvez continuer
à œuvrer à notre insu!
_Mais
je n'ai pas agi à l'insu du gouvernement, Pawris lui-même à insiste pour que
l'information ne soit pas dévoilée.
_Vous
semblez avoir réponse à tout... Peut-être auriez vous alors l'amabilité de
me décrire la marche à suivre?
_Laissons
faire le porte-parole, répliqua Di Conti sans relever la trace d'ironie dans
les propos de son confrère. Packard saura bien trouver les mots justes. »
A cet instant, un petit voyant à droite de son écran se mit à
clignoter, lui indiquant la venue d'une autre communication. Di Conti lut le numéro
et le nom du correspondant qui s'affichaient.
«Ah, désolé Gerart, mais j'ai une communication urgente sur l'autre
ligne, je dois vous quitter, dit-il en coupant brusquement.
_Di
Conti, vociféra son autre correspondant, que signifie ceci? Il était entendu
que rien ne filtre sur l'opération en cours.
_Amiral
Highman, comment allez-vous?
_Trèves
de mondanités, coupa le chef du contre-espionnage militaire. Comment ces
journalistes ont-ils eu accès à ces informations? Ils sont même parvenus à
avoir des photos, à ce que je vois.
_Je
ne leur ai rien dit, si c'est ce que vous croyez, répondit le ministre en
haussant les épaules. Si fuite il y a, elle n'est pas de moi. Apres tout, le
passage d'un tel objet autour de la Lune ne pouvait passer inaperçu, vous ne
pensiez tout de même pas parvenir à maintenir le secret.
_C'est
pourtant ce que nous avons fait. Nous avons intercepte, saisi, brouille et
efface toute tentative de transmission de ces informations. Il ne pouvait matériellement
pas y avoir de fuites!
_Je
ne vous ai jamais demandé d'aller si loin, protesta Di Conti en se raidissant
tout à coup, c'est une violation de la liberté de la presse, et même de la
liberté d'expression du citoyen.
_Non,
rétorqua Jamitov Highman, pas si ces informations ont trait à la sécurité de
la planète. Ce n'est pas une violation, mais une nécessité; c'est mon devoir.
Nous étions déjà assez occupés comme ça avec ces extraterrestres, il ne
nous manquait vraiment plus qu'une panique mondiale! »
Les deux hommes s'affrontèrent du regard un bref instant, puis Di
Conti se rassit, une expression irritée sur le visage.
«Pawris sait que Jabrow n'a pas répondu à Leonov. En attendant de vos
nouvelles, le Premier ministre risque sa tête en couvrant votre silence devant
l'opinion publique. Quand aurons-nous quelque chose à nous mettre sous la dent?
_Pas
tout de suite. Nous voulons d'abord nous assurer que Zeon ne nous réserve pas
une autre surprise.
_Mais
c'est insensé, Highman ! La nouvelle se répand en ce moment même! Nous
n'allons quand même pas nier les faits, et si nous n'avouons pas la vérité très
tôt, le gouvernement risque de perdre la confiance du public. Nous ne pouvons
pas nous le permettre alors que le conflit vient à peine de commencer...
_Là,
ce sont vos affaires, pas les nôtres. Nous nous occupons de l'aspect militaire
de cette affaire, à vous de vous occuper de vos oignons! »
_Highman
raccrocha avant que Di Conti ait pu rajouter quoique ce soit, laissant le
Ministre de la Défense bouche bée. Nerveux, ce dernier se leva lentement de
son bureau et alla se verser un verre de cognac dans le petit bar prive en réfléchissant.
Devait-il avouer à Pawris ce que le chef du contre-espionnage avait laisse échapper?
Son honnêteté le lui commandait, mais il savait également que le Premier
Ministre n'apprécierait que ses ministres complotent directement dans son dos
avec. Non, Pawris ne serait pas content. Le cas de Gerart l'ennuyait beaucoup
plus, par contre. C'était à lui qu'avait échut la tache de mettre le
ministre de l'Intérieur au courant; Pawris le lui avait demandé lorsqu'ils
s'étaient entretenus dans son bureau, or il avait omis de le faire; une
raison supplémentaire pour s'attirer les foudres du chef du gouvernement. Di
Conti rumina plusieurs minutes sur les excuses qu'il pourrait inventer tout en
continuant de regarder distraitement le flash d'info.
Astroport de LAX, Los Angeles, Terre, 7 janvier, 10h07 heure locale, 16h07
GMT
«Nous sommes désolés, répéta Ernest Tucson pour l'énième fois de
la journée, mais il n'y à plus aucune place disponible sur aucun vol...
_Et
quand y aura-t-il des places, alors? demanda quelqu'un.
_Vous
n'avez qu'à mettre des vols supplémentaires! cria un autre.
_Ecoutez,
fit calmement le superviseur adjoint de la section trafic passagers, les vols
sont pleins jusqu'à la semaine prochaine, et nous avons déjà rajoute sept
vols supplémentaires par jour. Nous ne pouvons faire plus à partir d'ici en
raison de la limitation de notre parc d'astronefs et de la loi limitant les vols
atmosphériques. La compagnie exprime ses sincères regrets mais nous ne pouvons
plus accepter aucun passager. »
Devant la tempête de protestations et de menaces que souleva sa déclaration,
le représentant de la compagnie aérospatiale se replia derrière les murs
protecteurs du bureau de réservation.
«Ils sont devenus tous fous dehors, déclara-t-il à bout de souffle à
ses collègues. Pour qui nous prennent-ils? Pour le Christ? Ils s'imaginent
peut-être qu'on va tripler le nombre de places par la volonté du Saint Esprit?
S'il n'y à plus de place, c'est qu'il n'y à plus de place... ça donne quoi
chez les autres?
_Absolument
rien, répondit Michèle Danny. American Starways, Delta Spacelines, toutes les
compagnies affichent complet.
_Tu
as été voir du côté des compagnies internationales? demanda Sonia Laverdure.
_Tout
est complet, répondit d'un air fatigue. Ça fait deux heures que je passe mon
temps à me connecter à travers le monde: British Starways, Kosmoflot,
Eurospatiale, Japan Starlines, Pan-African, All Asian, Oceanian, tous leurs vols
sont pleins. Même les vols charters!
_Les
charters? Où est-ce qu'ils espèrent aller avec ça? Les vols charters ne font
que du sub-orbital! ...
_Oh,
attendez, s'écria Buck Tanguy devant son ordinateur, j'ai un message du
centre des opérations en vol... Ouhlala! ... Tenez-vous bien, l'armée vient
de décréter la fermeture définitive de tous les couloirs spatiaux menant à
la Lune, Side-2, 4 et 5!
_Oh
merde! vociféra Tucson, ça fait combien de vols annulés, ça ?
_Vingt-trois.
_Les
passagers ne vont pas aimer ça... Hum, qui se dévoue? »
_Les
seize agents présents dans le bureau se jetèrent des regards fuyants mais
aucun ne sembla se décider.
«Laissez tomber, lâcha finalement Laverdure, la direction du spatioport
s'en chargera bien; après tout nous ne sommes pas les seuls dans la merde.
_N'empêche
que ça va gueuler dehors, dit quelqu'un.
_Et
bien qu'ils gueulent alors, explosa Tucson, et j'aimerais bien qu'ils se pètent
les cordes vocales par la même occasion, comme ça on pourra enfin avoir la
paix! Je commence à en avoir plein le cul d'avoir tous ces cornards qui
braillent pour monter dans le premier astronef en partance pour Pétaouchnock!
Et ce gouvernement à la con qui continue de se taire, qui laisse faire les
choses comme si c'était tout à fait naturel que la population mondiale
cherche à déserter la planète! »
Passablement énervé et à bouts de nerfs, le jeune homme fit demi-tour
et claqua la porte pour s'enfermer dans son bureau.
Siège du gouvernement fédéral,
Dakar, Terre, 7 janvier, 16h00 GMT
«Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous remercie d'avoir répondu
nombreux à notre appel. Le but de la présente conférence est de porter à la
connaissance du public les informations qui sont en possession du gouvernement
concernant les faits dévoilés par les média. Dans ce but, il sera fait une brève
déclaration, après quoi vous serez autorises à poser quelques questions.
«Le lundi 4 janvier, à vingt et une heure trente, heure de Greenwich,
des éléments des forces rebelles de Side-3 ont procédé à l'arraisonnement
et au détournement d'une station coloniale, nommément Island Iffish,
appartenant au territoire de Side-2. Le but de cette opération nous est assez
mal connu mais le changement de trajectoire opéré autour de la Lune laisse
penser que Side-3 songerait à utiliser la station pour bombarder la Terre.
«Toutefois, continua Packard en tentant de couvrir le brouhaha et les
grognements d'inquiétude, le Haut-commandement de l'armée nous assure
qu'il n'y rien à craindre et que la Flotte engagera très prochainement une opération
militaire visant à mettre fin aux exactions des forces rebelles. Nous demandons
à la population de garder le calme et de ne pas à chercher à quitter la planète,
ce qui serait susceptible d'entraver les mouvements de la Flotte et augmenter
les risques d'arraisonnement par les rebelles. Le gouvernement souhaite également
que la population ne prête pas foi aux propos subversifs et exagérément
alarmants lances par certains organismes. Il n'y à absolument aucun risque que
l'armée rebelle parvienne à ses fins, il n'y à par conséquent aucune
menace sérieuse justifiant un quelconque accès de panique.
«Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, merci de votre attention. Le temps
que je puis vous consacrer est hélas assez court, et je vous prie de limiter le
nombre de questions. »
A peine le porte-parole avait-il terminé sa phrase que des dizaines de
mains se levèrent. Packard avait l'habitude de ce genre de conférences, il
avait également l'habitude de mentir au public; pourtant aujourd'hui, il n'était
pas totalement sûr de lui. Le but de cette conférence n'était pas de faire éclater
la vérité, mais de rassurer la population terrienne. Dans cette mesure, on
avait autorise une série de questions après la déclaration, et un comité
restreint avait délibéré durant deux heures sur les choses à dire et à ne
pas dire. Packard avait ensuite reçu une liste de recommandations et de mises
en garde destinées à guider ses réponses; pourtant on lui avait demande de ne
pas hésiter à falsifier les faits et à en minimiser d'autres: il fallait
convaincre le public qu'il n'y avait rien à craindre et non mettre de l'huile
sur le feu.
Packard désigna un journaliste dans la foule, apparemment au hasard,
mais il n'en était rien. La plupart des questions posées avaient été préalablement
sélectionnées, épurées de toute ambiguïté et les journalistes élus
portaient sur eux un signe distinctif mais discret permettant à Packard de les
reconnaître dans la foule et les designer selon un hasard tout à fait relatif.
«Monsieur Packard, commença le journaliste, pourquoi le gouvernement
a-t-il mis autant de temps à reconnaître les faits?
_C'est
très simple. Nous étions au courant depuis trois jours, mais nous tenions à
nous assurer qu'il ne pesait aucune menace réelle sur la Terre avant de faire
une déclaration, plutôt que de laisser la place à l'incertitude et provoquer
une panique.
_Pouvez-vous
garantir qu'il n'y à absolument aucun danger? »
_Oui,
je peux vous le garantir. Vous me direz sans doute, mais comment escomptez-vous
stopper un objet de cette taille? L'opinion publique à tendance à oublier
qu'une station coloniale est avant tout une structure creuse, donc d'une masse
assez ridicule par rapport au volume représenté. En clair, une station est en
fait plus légère qu'elle ne le parait, et par conséquent plus facile à dévier
qu'un astéroïde qui est un objet dense et massif. Pour ce faire, nos stratèges
ont prévu de faire détonner à proximité d'Island Iffish des charges nucléaires.
Le but recherche n'est pas la destruction, qui présente trop de risques pour la
population terrestre, mais le détournement de sa trajectoire.
_Certaines
rumeurs persistantes disent que plusieurs tentatives en ce sens auraient déjà
échoué. Pouvez-vous le confirmer? »
La question n'était pas inscrite au programme. Packard jeta un rapide
coup d'œil sur ses notes. Les faits étaient exacts, et la question figurait
sur la liste des questions dont il fallait se méfier. Assis à sa droite, le général
N'Guyen sentit son hésitation et prit directement la parole.
«Ce n'est pas tout à fait exact, répondit avec le sourire,
quelques-unes de nos unités ont effectivement eu des accrochages avec l'ennemi
le long de la trajectoire d'Island Iffish, mais rien de sérieux que l'on puisse
qualifier de tentative pour stopper la station.
_Pourriez-vous
nous indiquer en ce cas pourquoi l'armée n'est toujours pas intervenue?
_Afin
de mettre toutes les chances de notre cote, les Forces Fédérales ont tenu à
rassembler le plus d'effectifs possible pour nous garantir une victoire totale.
Nos flottes sont assez dispersées et parfois même accaparées par des
escarmouches de l'ennemi, aussi leur faut-il un certain temps pour se
rassembler. Pour des raisons de sécurité, je ne puis malheureusement vous en
dire plus.
_Pouvez-nous
dire ce qui s'est passe exactement sur la Lune?
_Eh
bien l'armée rebelle à détruit six de nos bases lunaires afin de limiter
nos moyens pour une éventuelle riposte, reprit Packard. Nos installations
lunaires ont tente l'impossible pour détourner la station mais devant
l'utilisation d'ogives nucléaires et l'avantage tactique de l'ennemi, nous
n'avons pu obtenir de grands résultats.
_Monsieur
Packard, qu'est-ce qui justifie la fermeture des couloirs spatiaux entre Side-2,
4 et 5?
_Pour
la raison précitée précédemment. Nos flottes sont actuellement en phase de
rassemblement et de redéploiement; nous avons pris ces mesures pour limiter la
circulation civile afin éviter qu'elle ne gêne les activités militaires. Par
ailleurs, des éléments incontrôlés de l'armée rebelle circulent à l'insu
de nos forces et nous tenons à éviter à nos citoyens tout risque
d'arraisonnement. Maintenant, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, mes
fonctions m'obligent à me retirer.
_Monsieur
Packard, une dernière question, fit une voix dans le fond de la salle, le
gouvernement a-t-il prévu des mesures dans l'éventualité ou opération
militaire échouerait? »
Packard jeta de nouveau un coup d'œil discret vers ses papiers, hésitant
à répondre. Cette question était sur la liste noire, celle qui contenait les
questions que le comité avait expressément interdite. Comment le journaliste
était parvenu à poser sa question? Lorsqu'il releva la tête, toute la salle
semblait pendue à ses lèvres, et par l'intermédiaire des cameras, des
milliards d'Earthnoïds également. Ses notes ne contenaient aucune réponse à
cette question, juste quelques annotations expliquant qu'en cas de défaite
militaire, il serait trop tard pour entreprendre quoique ce soit.
«Mais naturellement, déclara-t-il le sourire aux lèvres. Toutefois il
n'y à aucune raison de s'inquiéter: il à été scientifiquement démontré
que la station se désagrégerait totalement lors de son entrée dans
l'atmosphère; quant aux blocs les plus importants, nos satellites de défense
et nos missiles se chargeront de les éliminer. Et quand bien même toutes nos
tentatives échoueraient, nous avons pris des mesures afin évacuer les zones
menacées. Mais ceci reste, bien entendu, un recours extrême. Jabrow nous à
assure que les effectifs adverses étaient trop peu importants pour résister à
l'offensive de notre armada. »
Packard se tut, satisfait. C'était là exactement ce que le public désirait
entendre, et il le leur avait dit. Maintenant, en espérant qu'il avait été
suffisamment convaincant, il lui fallait tirer sa révérence avant qu'on ne lui
pose d'autres questions plus embarrassantes.
«Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je suis profondément navre mais
je suis dans l'obligation de vous laisser. Je vous remercie infiniment pour
votre attention et espère avoir pu répondre à vos interrogations. »
Sur ce, le porte-parole gouvernemental salua la foule des journalistes et
s'en fut par une porte dérobée, les différents consultants militaires sur les
talons.
«C'est quoi ce délire? Vitupéra Massimo Gianinni. C'est
tout?
_Ben
oui, qu'est-ce tu espérais? rétorqua son collègue Rodrig Harrisson. Qu'il
allait s'agiter dans tous les sens en hurlant le branle-bas de combat?
_Attends,
il nous à pas laisse poser nos questions? Et puis d'abord qu'est-ce que c'est
que tout ce baratin?
_Tu
exagères, tu parles comme si le père Packard nous avait menti sur toute la
ligne?
_Et
pourquoi pas, hein ?
_Vous
rigolez, fit un autre journaliste à sa droite. Je m'imagine mal ces
extraterrestres illuminés parvenir à trimbaler leur station jusqu'ici. Notre
armada va les balayer.
_Qu'est-ce
qui se passe ? demanda une journaliste derrière eux.
_Alice,
qu'est-ce que tu penses de ce discours?
_Massimo,
viens par-là. »
La jeune femme le tira par la manche et l'entraîna à l'écart.
«Ecoute, commença-t-elle à voix basse, tu ne t'imaginais quand même
pas qu'il allait dire la vérité, non? Il n'a fait que dire ce que les gens
voulaient entendre: qu'il y avait une menace qui pesait sur la Terre, mais rien
que l'armée ne puisse résoudre. C'est faux, et tu t'en doutes, et si nous
voulons connaître la vérité, il faudra chercher autre part. Et tu sais ce que
j'ai découvert?
_Que
l'armée a déployé ces derniers jours une activité anormale sur le Net pour
brider l'information, comme si elle cherchait à cacher quelque chose.
_Tu
savais?
_Ca
saute aux yeux, les sites d'information officieux sont tous boucles, ne parlons
pas des sites officiels. C'est pour ça que je ne crois pas un mot du baratin du
vieux Packard. Indépendamment de ce qu'il vient de nous dire, je suis persuade
qu'il y à quelque chose qu'on nous cache et que nous devrions savoir. »
Alice O'Hara se retourna vers leurs collègues qui pliaient leur attirail
et qui quittaient la salle par petits groupes. Rares étaient ceux qui
affichaient une expression satisfaite, la plupart restaient perplexes voire
consternes. Encore une fois ils s'étaient heurtés à la langue de bois
officielle, tellement chargée de mensonges qu'elle devait être violacée. A
vrai dire, ils n'avaient pas le choix. Obtenir patte blanche pour parvenir dans
la salle de presse du gouvernement était déjà un privilège, âprement disputé
au cours d'un parcours digne du combattant. Mais ce privilège impliquait
toutefois des limitations: suivre scrupuleusement les règles imposées par le
gouvernement, se contenter souvent de déclarations creuses mais généreusement
enrobées d'inepties destinées à leurrer l'opinion, se plier à la censure.
En l'occurrence, la majeure partie d'entre eux n'était même pas au
courant de l'arrangement auquel Packard avait procédé avec les journalistes qui lui avaient pose des questions. On les avait tout juste
autorise à poser leur matériel et à écouter et regarder, puis remballer sans
avoir été autorises à dire quoique ce soit. Quant aux «heureux élus», ils
étaient soumis à une telle pression qu'ils n'étaient pas près de divulguer
quoique ce soit, à supposer qu'ils sachent quelque chose...
Flotte de Zeon, navire amiral, 7
janvier 16h37 GMT
L'amiral Gordon Aurillac achevait de regarder la retransmission légèrement
différée de la déclaration officielle du porte-parole gouvernemental. Les
autres amiraux y assistaient eux aussi sur leurs moniteurs personnels,
rassembles autour de la table.
«Vos réactions, mesdames et messieurs, demanda Aurillac, une fois la
retransmission terminée.
_Intéressant...
commença Falken. Le gouvernement a passé beaucoup de choses sous silence; si
cela se sait, c'est le discrédit à coup sur.
_Sauf
en cas de réussite, rappela Reymond. Si les Forces Fédérales parviennent à
écarter Island Iffish, il deviendra inutile de dévoiler à quel point ils sont
passes très près de la catastrophe. Confiant comme il est en son armada, le
gouvernement fédéral à du juger préférable de laisser le public dans
l'ignorance plutôt que créer un climat de panique superflu. C'est un pari
risqué.
_Et
qu'en est-il de l'opération militaire que Jabrow prépare?
_Cette
information est exacte, répondit Kurtzel Guidan. Nos services de renseignement
nous rapportent une intense activité dans les docks souterrains de Jabrow ainsi
que sur les pas de tirs de Kourou et Edwards. Nos sondes de reconnaissance
longue distance nous signalent également que les flottes ennemies amorcent
toutes un mouvement général en notre direction.
_Combien
seront à portée d'interception? demanda Powland.
_Actuellement,
deux. On ne connaît pas encore avec précision le nombre de flottes qui
pourraient être tirées de la Terre, peut-être trois ou quatre. On estime
aussi que les deux flottes actuellement à notre poursuite pourraient être en
mesure de lancer un nouvel assaut d'ici une dizaine d'heures.
_Ah?
Un changement d'attitude?
_En
effet, admit Eva Rittenheim en prenant la parole, nos senseurs longue portée
nous rapportent une activité fébrile qui laisse penser que les Forces Fédérales
se préparent à un nouvel assaut. Les communications ennemies interceptées par
les sondes laissées sur notre route renforcent cette hypothèse. J'en ai informé
votre chef d'état-major mais je préférai avoir une confirmation avant de
vous en faire part. »
Aurillac hocha la tête en signe d'assentiment.
«Vous
aurez remarqué, dit le vieil amiral, que le gouvernement fédéral persiste à
faire référence à nous en tant qu'«armée rebelle de Side-3. Le baron Gihren
nous a envoyé un message à ce sujet. Cette missive est courte et simple: «Le
gouvernement de Dakar ne devra plus jamais nous désigner ainsi après opération
British. Nous sommes le peuple du Duché de Zeon, et le monde doit apprendre à
redouter ce nom. » Fin de citation. »
Mark Powland nota le tic nerveux qui agita la main de l'amiral en chef au
moment même où il achevait sa phrase. La pression qui devait s'exercer sur cet
homme devait augmenter d'heure en heure, au fur et à mesure que la Flotte
s'approchait de son objectif ultime. Les bruits couraient d'un vaisseau à un
autre qu'Aurillac ne s'était jamais prononcé pour l'exécution de l'Opération
British et que Gihren et lui n'avaient pas cessé de jouer au chat et à la
souris durant toute la première phase. Comment Aurillac pouvait-il vivre sa
participation à une opération militaire contre laquelle il était opposé? A
en juger par les signes de fatigue qui s'accentuaient chaque jour, Powland
pouvait deviner qu'il devait mal vivre cette situation. Lui-même ne savait
toujours qu'en penser.
La chute de la station provoquerait tout d'abord de terribles turbulences
dans toutes les couches de l'atmosphère terrestre; et contrairement à ce que
Dakar prétendait, la station ne se disloquerait pas lors de la descente. Elle
perdrait ses miroirs, certes, le port spatial avant serait sans doute pulvérisé,
mais la majeure partie de la coque resterait intacte.
Une masse de plusieurs centaines de milliers de tonnes frapperait alors
la surface avec violence. Rien, absolument rien au monde ne pourrait alors résister
à l'impact, pas même un abri anti-atomique enfoui à plusieurs centaines de mètres
sous terre. L'impact serait une chose, mais l'onde de choc en serait une autre:
toute la zone autour du point d'impact serait anéantie sur des centaines de
kilomètres à la ronde, et les dégâts s'étendraient bien au-delà, conséquences
directes du choc en retour.
Les experts estimaient que l'impact provoquerait une déflagration d'une
intensité équivalente à un séisme de magnitude sept sur l'échelle de
Richter. Le souffle issu du choc balayerait tout sur son passage, modifiant les
courants aériens, provoquant des tempêtes monstrueuses, peut-être même des
raz-de-marée... L'impact, l'explosion, l'onde de choc, tout cela se verrait à
des kilomètres de distance et resterait peut-être à jamais dans la mémoire
des hommes comme étant la plus abominable action que l'Homme ait jamais ose
faire à ses semblables. Et ils en seraient les artisans.
Comment ne pas se poser des questions, alors? La promesse d'une victoire
proche ne suffisait pas à masquer le doute qui pouvait affleurer à tout moment
dans l'esprit de chacun; il fallait avoir une foi aveugle pour pouvoir mener à
son terme cette opération. Mais la famille Zabi les avait justement investit de
cette foi, de cette force morale qui devait leur permettre de surmonter les
pires atrocités. Une foi inébranlable en la supériorité des Spacenoïds, en
l'espoir que de cette horreur naîtrait un avenir meilleur. Mais cette foi résisterait-elle
à l'abomination?
