12 octobre
« Tu as gardé ça ? » (« You kept this ? »)
Lady Locksley était assise près d'un petit feu de cheminée, bien suffisant dans l'atmosphère encore douce (mais revigorante) de l'automne qui arrivait. Installée contre des carreaux de soie dans son fauteuil préféré, elle brodait une nappe d'autel, qu'elle comptait offrir au nouvel évêque de Nottingham pour le remercier d'avoir été le précepteur de Robin quand il était encore prêtre de la ville voisine. De temps en temps, elle jetait un coup d'œil par la fenêtre et contemplait les feuilles rousses et blondes des arbres. Elle avait également vu sur une partie dégagé de leur domaine où son fils jouait au chevalier avec ses amis. Cette vision la faisait sourire. Comme il était déjà grand, son petit garçon !
La mère de famille commençait à se dire qu'elle allait devoir lui fabriquer un nouveau trousseau de paladin très bientôt. Bien sûr, c'était des couturières et des tailleurs particuliers qui se chargeaient de confectionner ses vêtements, mais elle aimait ajouter sa touche personnelle à la garde-robe de son fils.
L'après-midi passa sans que Lady Locksley s'en rende compte. Ce furent le claquement un peu trop énergique de la porte principale du château et des bruits de cavalcade dans les escaliers qui lui firent prendre soudainement conscience que la journée touchait à sa fin.
« Mère ! s'exclama Robin en pénétrant dans sa salle de couture comme une tornade. Vous serez fière d'apprendre que je me suis beaucoup entraîné, aujourd'hui. J'ai même remporté plusieurs joutes.
-C'est très bien, mon petit trésor, répondit la comtesse en souriant. Mais je n'en doutais pas. Et je suis effectivement très fière de toi. Comment était l'air à l'extérieur ? Est-ce que ça sentait les noisettes et le miel comme l'autre jour ?
-Pas tout à fait, Mère. La terre était humide et l'odeur en était plutôt celle des sous-bois et des dernières fleurs de l'été. Mais le plus doux parfum du monde, celui qui est à la fois le plus délicat et le plus poétique, c'est la vôtre, déclara le jeune garçon avec son sourire le plus craquant. »
Lady Locksley émit un rire et lui tapota gentiment la joue.
« Quel charmeur tu fais ! s'exclama-t-elle avec tendresse. Tu es vraiment le chevalier le plus adorable que je connaisse.
-Et le plus intrépide, Mère, insista le jeune noble avec fierté.
-Et le plus intrépide, évidemment. »
La comtesse allait rependre son fil lorsqu'elle repéra les couleurs qui étaient enroulées autour de la lance d'entraînement de son fils. Le tissu était élimé, un peu passé, et couvert de terre à force de participer à tous les entraînements possibles et imaginables de Robin. Elle cligna des yeux, surprise.
« Tu as gardé ça ? s'étonna-t-elle. C'est pourtant un très vieux tissu. Regarde dans quel état il est.
-Je le sais, Mère, mais c'est vous qui me l'avez cousu quand j'étais enfant, expliqua Robin. Ça a même été mon doudou, à une époque… Vous en souvenez-vous ?
-Bien sûr, mon chéri. C'était il y a dix ans mais crois bien que jamais je ne pourrai oublier la moindre seconde de la vie de mon fils. »
Robin la dévisagea, un peu ému. Tout comme elle, il avait cette tendance très touchante à se plonger soudain dans des déferlantes d'émotions et d'affection profondes. Ils étaient tellement aimants, tous les deux… Alors, le jeune noble lança à sa mère :
« Est-ce que… vous voulez bien me laisser me blottir dans votre giron, même si je suis un intrépide chevalier ? »
Lady Locksley ne se donna même pas la peine de répondre et ouvrit les bras pour que son fils vienne se pelotonner contre elle. Ils y restèrent un long moment, Robin agenouillé sur sa robe et la tête posée sur ses genoux, la comtesse caressant ses mèches blondes.
« Vous savez, Mère, lança le jeune noble après un silence, j'utiliserai toujours ces couleurs que vous m'avez brodées. Elles représentent les armes de votre famille… et, à chaque fois que je me battrai pour la justice, je veux le faire en votre nom. Après tout, c'est vous qui m'avez appris la compassion et la confiance.
-Merci, Robin… Ton père n'est pas étranger à toutes ces qualités que tu as, mais ce que tu dis me rend vraiment heureuse, murmura Lady Locksley. »
Comme il devenait grand, son petit chevalier !
