Winter is coming.
Quelques flocons tombent doucement du ciel pâle, se posent sur les branches dénudées des arbres, ou sur les rochers, ou bien fondent lorsqu'ils atteignent la surface de l'eau. Au loin, les cimes des montagnes sont déjà couvertes de neige ; les versants les plus proches ne sont encore que légèrement saupoudrés de blanc. Une fine vapeur s'élève de la surface du bassin. Une odeur d'œuf pourri, également.
"Selon la légende," dit Procyon, "il y a des siècles de cela, un samouraï serait venu se baigner dans ces eaux pour nettoyer les blessures qu'il avait reçues au combat. Il en aurait été guéri comme par enchantement."
Andromède sourit. "Et qu'en dit l'homme de science ?"
"Cette source n'est sans doute pas miraculeuse," admet le Professeur, "mais ses vertus curatives sont réputées. Elle jouit en effet d'une composition minérale très intéressante, susceptible de soulager de nombreuses affections…"
Qui sait de quels minéraux il peut bien s'agir. Andromède plisse le nez. Du soufre, certainement. Mais si cela peut accélérer la cicatrisation, tant mieux. Il paraît que certains minéraux ont des effets antibactériens et anti-inflammatoires. Elle va devoir le croire sur parole ; elle n'est pas biochimiste.
Elle doute toutefois que l'eau thermale puisse quoi que ce soit pour la blessure d'Actarus, à part lui procurer un soulagement passager. Elle aimerait tant trouver un moyen de le guérir ; mais elle n'est pas médecin non plus, sa science a des limites. Tout ce qu'elle peut espérer, ce sont de bons yeux et des mains qui ne tremblent pas lorsqu'il faudra à nouveau exciser les tissus contaminés. Elle craint que ce ne soit pas aussi simple cette fois-ci, que le mal ne soit plus diffus, qu'il ne se répande…
Elle regarde Actarus. Il est immergé jusqu'au cou dans l'eau soufrée, légèrement laiteuse, la tête appuyée contre une roche moussue. Il a des flocons de neige dans les cheveux. Andromède ressent un pincement au cœur. Elle cherche sa main dans l'eau, l'effleure. Lui sourit.
Quoi qu'il en soit des vertus curatives de la source, l'expérience est merveilleusement relaxante. Le plaisir de barboter dans une source thermale en plein hiver vaut le déplacement à lui tout seul. Andromède laisse aller sa tête contre un rocher, et sent les tensions de son corps se dénouer dans l'eau chaude. Un flocon de neige vient lui chatouiller le visage.
L'endroit est d'un calme feutré ; à part eux, il n'y a que deux-trois autres personnes dans le bassin. Il faut dire que le coin est isolé, un peu sauvage ; cette source thermale se mérite. Les baigneurs parlent à voix basse ; on les distingue mal à travers la vapeur. Leurs voix troublent à peine la quiétude.
Procyon a bien proposé aux autres de les accompagner, mais la mixité du lieu, quoique traditionnelle, a semble-t-il posé problème à certains. Rigel, toujours friand ce genre de passe-temps, s'est initialement montré fort enthousiaste, jusqu'à ce qu'il apprenne qu'Andromède serait de la partie.
"Ah parce que la petite Alcmène vous accompagne ?" a-t-il demandé, gêné.
"Mon cher Rigel," lui a dit Procyon, "tout l'intérêt de nous rendre à cette source thermale, c'est justement que les blessés parmi nous en profitent."
Le vieux bonhomme a changé de couleur et décliné l'invitation. Quant à Vénusia, il était naturellement exclu que Rigel la laisse se baigner toute nue avec des messieurs. Non qu'elle en ait eu particulièrement envie.
Phénicia, elle, était tout de suite partante. "C'est une tradition locale ?" a-t-elle demandé, curieuse. "Ça a l'air amusant."
"Si tu y vas, je n'y vais pas," a aussitôt déclaré Alcor, le visage tout rouge – de colère, sans doute.
"Ah oui ?" a réagi Phénicia, piquée au vif. "Eh bien si tu n'y vas pas, je n'irai pas non plus."
"Tant pis pour toi. D'ailleurs ça ne m'intéresse pas ; c'est un truc de vieux."
"Alors ça devrait te convenir. Tu es tellement rasoir."
"Répète un peu ?!"
La nudité, Andromède s'en fiche comme d'une guigne. "Avec cette vilaine cicatrice qui me barre l'abdomen, je ne risque pas séduire qui que ce soit," a-t-elle marmonné.
"À part moi," a dit Actarus avec un sourire.
"À part toi," a-t-elle concédé avec un baiser affectueux, achevant définitivement de dissuader les autres de se retrouver dans un bassin avec ces deux-là.
Quant à Actarus, Andromède le sait, la nudité, ça ne le dérange pas plus que ça.
Procyon a l'air parfaitement dans son élément, et profite pleinement de la tranquilité du lieu. Actarus contemple sereinement le panorama montagneux ; la source chaude offre une vue imprenable sur les sommets enneigés. Andromède se dit qu'Actarus aurait pu plus mal tomber qu'au Japon, lui qui dit que les Euphoriens vivaient en harmonie avec la nature.
Il aurait aussi pu plus mal tomber que chez Procyon. Elle se dit que ces deux-là se sont trouvés, ou alors que le Professeur a eu une influence apaisante et bénéfique sur Actarus. Elle les regarde, assis côte à côte dans l'eau chaude, le père et le fils, et sourit.
Peut-être qu'ils déteignent sur elle, également ; peut-être qu'à force de les fréquenter, elle commence à voir le monde comme eux. Ou alors ce sont les effets de la transfusion. Elle a l'impression que le temps est comme suspendu. Son ressenti est plus intense, ses sens sont plus vifs. La nature est plus belle. Elle remarque des détails qu'elle n'aurait pas perçus auparavant.
Quelqu'un s'est donné beaucoup de mal, pendant très longtemps, pour créer l'illusion d'un bassin naturel. Tout cela est réalisé avec le plus grand art. L'emplacement de chaque rocher a été soigneusement choisi, chaque arbre manucuré avec précision. Elle est prête à parier que même la mousse n'a pas été laissée au hasard. L'effet est d'une grande sérénité. Elle est admirative devant tant de patience.
Andromède laisse errer ses pensées, laisse flotter son attention. Les idées se bousculent dans sa tête, des bribes d'articles, des fragments d'équations, des intuitions qu'elle n'ose examiner de trop près, de crainte de les voir s'évanouir. Elle regarde les flocons de neige tournoyer. Actarus la voit songeuse, le regard perdu dans le vague.
"À quoi penses-tu ?" lui demande-t-il.
"Au froid…"
"Au froid ?"
À trop de choses à la fois. Son esprit s'emballe. À la supraconductivité de certains matériaux à très basse température, aux propriétés quantiques de la matière, aux paires d'électrons, à la superfluidité, aux phénomènes diamagnétiques – "Je me demande s'il existe un équivalent photonique de la supraconductivité," marmonne-t-elle, "si certaines conditions pourraient donner naissance à des paires de photons intriqués…"
"Un phénomène au croisement de la physique de la matière condensée et de l'optique quantique, tu veux dire ?" demande Procyon.
Actarus les dévisage tous les deux. "Parlons d'autre chose, voulez-vous ?" Ils ne sont pas seuls.
"Tu as raison, mon fils."
Andromède ferme les yeux et poursuit ses ruminations. Tête froide et corps chaud. La jolie métaphore. Il faut dire que la sensation est assez extraordinaire. La détente corporelle semble libérer son intellect. Il faudra fréquenter les sources chaudes plus souvent, décide-t-elle. …Si n2(r) = [𝜓(r)]2 est proportionnel à la densité d'électrons supraconducteurs, alors-
"Mon cœur, regarde…," dit Actarus tout à coup.
Andromède ouvre les yeux. De petits singes s'approchent du bassin, viennent se réchauffer dans l'eau. Leur épaisse fourrure devrait pourtant les protéger suffisamment des rigueurs de l'hiver. Andromède trouve cela moyennement hygiénique ; Actarus, lui, les observe avec bienveillance.
"Ils ne sont pas farouches, dis donc," remarque Andromède pour dire quelque chose. Elle ne va certes pas dire à Actarus que les primates la mettent mal à l'aise. C'est sans doute qu'ils la font penser au King Gorille.
"Les pauvres, eux aussi ils ont froid."
"Ils sont mignons," concède-t-elle pour lui faire plaisir. Oh Actarus. Malgré tout ce qu'il a enduré, il n'a pas perdu cette capacité à s'émerveiller du monde qui l'entoure.
Ils sortent du bassin complètement lessivés.
Au vestiaire, Andromède profite du miroir en pied pour se livrer à un examen critique de son corps.
Sa cicatrice est impressionnante, mais tout compte fait elle semble guérir assez vite. Elle n'a presque plus mal. Sans doute imputable à la transfusion.
Elle sait désormais que depuis la transfusion, elle a gagné en acuité visuelle et en coordination. Bien.
A-t-elle pris du muscle ? C'est possible, les contours de son corps semblent plus dessinés ; mais peut-être a-t-elle simplement perdu le peu de masse grasse qu'elle avait durant son régime forcé. Ce n'est certes pas l'Incroyable Hulk. Il y a bien ce coup de poing qu'elle a donné dans le mur de sa chambre… Intéressant, mais pas immédiatement utile, sauf peut-être en cas d'attaque.
Le changement est surtout cognitif. Elle se sent lucide, n'éprouve pas de fatigue, ni de difficulté à se concentrer. Son cerveau semble en effervescence. Excellent.
Tout semble plus fort, ses sensations, ses émotions aussi. La volupté plus intense, elle est plus amoureuse que jamais. Plus irritable, aussi. Elle est… désinhibée. Pour une Anglaise, c'est un comble. Méfiance. Il va falloir garder la tête froide, Andromède.
Elle a bien vu que les effets de la transfusion s'atténuent au bout de quelque temps. Voyons - combien de temps Vénusia a-t-elle été forte et compétente, avent de redevenir une nouille ?
Andromède se donne entre trois et six mois pour révolutionner la physique.
Après, pour reprendre des forces, ils se rendent à l'auberge qui jouxte la source, et se font servir un repas rustique et roboratif à souhait.
Actarus est très beau dans son pull d'hiver. C'est bien pour faire plaisir à Andromède qu'il porte les vêtements chauds qu'elle lui a offerts ; il n'est pas du tout frileux. Le fameux métabolisme euphorien. Elle commence à en savoir quelque chose.
Ils parlent de tout sauf de la guerre. Actarus et Andromède ont l'air d'un couple de touristes étrangers auxquels leur hôte fait découvrir les traditions locales. Mais en réalité, Actarus a raison : ils forment une famille. Les adultes sont partis en excursion, les adolescents sont restés à la maison à bouder, tout est délicieusement normal. Procyon a l'air heureux. Andromède lui est reconnaissante de l'accueil paternel qu'il lui a fait, à elle aussi.
Elle regarde Actarus qui sirote son lait, apparemment ravi de cette sortie.
"Merci, Professeur, pour cette belle journée," dit-elle.
Phénicia se laisse choir sur le canapé du salon et pose la tête sur l'épaule d'Actarus.
Il lève le nez de son journal. "Qu'est-ce qu'il y a, petite sœur ? Ça ne va pas ?"
Phénicia soupire. "Actarus, comment se fait-il que tu sois toujours si gentil ? Alors qu'Alcor, lui, est tout le temps fâché."
"Il n'est pas toujours mal luné, voyons," dit Actarus raisonnablement.
"Avec moi, si. Je n'en peux plus de sa mauvaise humeur." Il y a des larmes dans la voix de Phénicia.
Actarus passe un bras autour de ses épaules. "Allons, allons…"
"Parfois j'ai l'impression que ça va mieux, qu'il commence à respecter mes talents de pilote, mais… après il se remet à me traiter comme une gamine. Alors que c'est lui qui se comporte en gamin ! Pourquoi est-il comme ça ? Même Mizar est plus mature que lui !"
"C'est quelqu'un qui a du mal à exprimer ses sentiments, c'est tout."
"Oh, il n'a aucun mal à les exprimer, ses sentiments. C'est juste qu'ils sont tous négatifs."
"Détrompe-toi. Il a beaucoup d'estime pour toi, tu sais. Seulement… ce ne serait pas 'cool' de l'admettre."
"Mais enfin qu'est-ce que c'est que ces sornettes ?!" s'indigne Phénicia. "S'il m'estime tant que ça, il pourrait être un peu aimable, pour changer !"
"Et toi, tu as essayé d'être aimable avec lui ?"
"C'est impossible, il est odieux !"
"…Pourquoi tu ne demanderais pas conseil à Andromède ?" suggère Actarus en désespoir de cause.
"Pour quoi faire ? Alcor, c'est ton ami, non ? Tu le connais mieux que personne."
"Je crois qu'elle s'y connaît avec les gens qui ont du mal à exprimer leurs sentiments."
"Ah bon ?"
"Tout son peuple est comme ça, paraît-il."
Phénicia réfléchit. "…Oui, je vois ce que tu veux dire. Mais toi, elle t'exprime bien ses sentiments, non ?"[1]
"Oui, parce que je l'ai apprivoisée."
"Comment as-tu fait ?"
"J'ai été sincère avec elle. Tu devrais essayer, toi aussi."
"Les Euphoriens sont un peuple sincère ?"
"Très."
Phénicia ne dit rien pendant quelques instants. Puis, d'une petite voix : "Actarus… ?"
"Oui, petite sœur ?"
"Tu ne me parles jamais de notre peuple. Je sais que ça doit être douloureux pour toi, mais… S'il te plaît. J'aimerais tellement que tu me parles d'Euphor. Je ne me rappelle presque rien…"
Actarus reste un moment sans répondre, la regarde longuement. "Entendu," finit-il par dire. "Puisque tu le souhaites, je te parlerai d'Euphor."
Ravie de pouvoir se remettre au travail, Andromède s'enferme au Bunker pendant des journées entières. Actarus, se sentant un peu esseulé, vient la débusquer en fin de journée. Il la trouve penchée sur son plan de travail, en train de bricoler quelque chose.
"Mon cœur, tu es toujours là ? Tous tes assistants sont partis…"
"Ah, mon amour." Andromède relève sa loupe frontale et lui lance un sourire éblouissant. "C'est mignon de venir me voir." Elle vient à sa rencontre en se propulsant sur son fauteuil à roulettes - brrrrrrr - et lui prend les mains. "Je te manquais ?"
"Tu n'es pas fatiguée ?" demande Actarus.
"Non, ça va." Elle pousse sa chaise vers l'arrière et entraîne Actarus vers le plan de travail.
"Tu veux que je t'apporte du café ?"
"Ça ira, merci." Elle a l'air d'excellente humeur.
"Je voulais te demander à quelle heure tu comptais rentrer pour le dîner," dit-il ; "mais si tu es très occupée je peux te ramener quelque chose…"
"Ne bouge pas."
"Je ne voudrais pas interrompre ton travail…"
Elle se propulse à nouveau jusqu'à la porte, brrrrrrrrrr, la verrouille, et allume le voyant EXPÉRIENCE EN COURS – NE PAS ENTRER.
"Qu'est-ce que tu fais ?" demande Actarus.
Toujours avec un petit sourire, Andromède revient vers lui d'un mouvement fluide – brrrrrrrrr – se lève, ôte sa loupe frontale, secoue sa chevelure d'un geste sensuel. S'approche de lui avec un regard luxurieux, l'immobilise contre le plan de travail.
"Andromède…," se défend Actarus, "quelqu'un pourrait venir…"
Elle lui cloue le bec d'un baiser particulièrement lascif. Presse sa poitrine contre le torse d'Actarus, son bassin contre le sien. Cela n'a pas l'air de le laisser indifférent. Il l'enlace et l'attire à lui, répond à son baiser avec fougue. "Tu veux vraiment faire ça ici ?" demande-t-il, le souffle court.
"Ici et maintenant," feule-t-elle.
"Mais si quelqu'un nous voyait…" La porte, bien que verrouillée, est dotée d'une vitre.
"Ça m'est complètement égal."
Actarus décide de faire fi du danger. Il empoigne Andromède par les hanches et la hisse sur le plan de travail. Elle défait sa ceinture avec hâte, ouvre les boutons de son jean, et entreprend d'en libérer son délicieux petit cul.
"Viens là."
Actarus ne se le fait pas dire deux fois.
"Bon sang," halète Actarus. "Mais enfin qu'est-ce qui t'arrive ? Tu es complètement déchaînée en ce moment…"
Andromède reboutonne son chemisier avec nonchalance. "C'est la transfusion," dit-elle avec un sourire canaille. "Ne viens pas te plaindre. Profites-en plutôt pendant que ça dure." Elle l'embrasse avec volupté, lui mordille la lèvre.
"Aïe."
"Hmmmm."
"Sur quoi travailles-tu ?" demande Actarus lorsqu'elle le lâche enfin.
Le bureau est couvert de papiers (désormais un peu froissés), d'équations, de schémas détaillés du réacteur photonique amélioré, de plans de Goldorak, de l'Aquarak…
"Sur tout," répond Andromède. "Le grand réacteur. Et puis celui pour le submersible de ton père. J'ai deux-trois idées pour de nouvelles armes adaptées au milieu aquatique…"
"Il faut vraiment que tu arrêtes de fignoler le réacteur," dit Actarus, "tes assistants ont déjà commencé la fabrication des pièces, ils n'arrivent pas à suivre…"
"Je ne peux pas m'en empêcher, que veux-tu. On peut toujours faire mieux. Et puis il y a cette histoire de supraconductivité qui me titille."
"C'est à ça que tu passes tes soirées ?" Il préférerait visiblement qu'elle les passe à s'occuper de lui.
"Écoute, puisque j'ai quelques semaines de brillance intellectuelle devant moi, quelques mois tout au plus, j'aime autant m'y atteler," dit-elle. "Je dois me dépêcher de coucher mes idées sur le papier, après il me faudra des années pour exploiter tout ça quand je serai redevenue stupide…"
"Mais enfin qu'est-ce que tu racontes, tu n'as jamais été stup-"
"Au fait, tu ne pourrais pas m'expliquer le principe de l'hyperpropulsion ?"
"Hein ? Tu me poses de ces questions… Ce n'est pas mon domaine, mon cœur."
"Mais tu as bien travaillé à la construction de Goldorak…"
"Oui, mais moi je suis ingénieur spatial, tu sais. Alors la physique fondamentale…"
"Hmm," fait-elle, déçue. Une idée lui vient. "Mon amour, je ne veux pas te vampiriser, mais tu as déjà pensé à donner du sang à ton père ?"
"Il est déjà bien assez génial comme ça."
"Ou à Alcor ?"
"Dieu nous garde."
"Oui, imagine un peu ! Haha."
"Hahaha." Ils rient, échangent un baiser, mais Actarus est mal à l'aise. "Tu rentres pour manger alors ?"
"Hmm ? Oui, peut-être." Andromède a remis sa loupe frontale et se penche à nouveau sur son ouvrage.
Actarus se dirige vers la porte, vaguement inquiet.
"Ah oui, au fait," l'interpelle Andromède, "si tu y penses, si l'occasion se présente… J'aimerais un vaisseau ennemi à dépiauter."
"Tu as déjà eu un antérak, ça ne te suffit pas ?"
"Un vaisseau interstellaire. Merci, mon amour."
Actarus s'éloigne en secouant la tête.
Une extraterrestre gît à l'infirmerie.
Actarus était parti patrouiller avec Alcor et Phénicia suite à une alerte. Une anomalie météorologique avait semble-t-il figé tout un village dans la glace ; cela sentait le Véga à plein nez. Une tempête s'est levée, cette jeune femme les a attaqués, elle a été blessée, ils l'ont ramenée au Centre pour la soigner. En auraient-ils fait autant s'il s'était agi d'un homme ? se demande Andromède. Maintenant ils sont tous agglutinés à son chevet pour la contempler.
Il faut dire que la fille est d'une beauté hallucinante, fine et gracieuse comme une sylphide, teint diaphane, cheveux d'un violet délicat. Elle développe une fièvre, et se montre loquace dans son délire. C'est apparemment une scientifique. Elle parle de son invention, de ses expériences. Appelle un certain Zéphyr. Son amant ?
Procyon et Andromède examinent l'arme avec laquelle elle a assailli Actarus. Une sorte de rayon glaciateur, apparemment. Cela devrait être impossible, et pourtant, de toute évidence, elle est parvenue à geler ses cibles. Si c'est ça, son invention, cette fille est non seulement sublime, mais également brillante.
Même transfusée, Andromède se sent franchement quelconque comparée à cette magnifique créature. Craint qu'Actarus ne s'intéresse à elle. Elle se dit que la fameuse Aphélie devait ressembler à ça. Mon dieu. Mais qu'est-ce qu'il fout avec moi ? se demande-t-elle pour la énième fois.
Mais Actarus n'a pas l'air d'apprécier la nouvelle venue. La fille se réveille, ouvre de grands yeux verts – Mon dieu – et se montre aussitôt farouche et réfractaire. Ils lui donnent des cachets pour faire baisser la fièvre, tentent de les lui faire avaler. Elle refuse.
"Je ne parlerai pas, je préfère mourir !" s'exclame-t-elle.
Actarus voit rouge. "Comment peux-tu dire une chose pareille ?" Il fait un mouvement en direction de la fille, comme s'il voulait la secouer, ou peut-être la gifler.
Andromède le retient par le bras – elle n'a jamais vu Actarus se fâcher comme cela. Elle se demande ce qui lui prend. Est-ce parce que la belle inconnue fait si peu de cas de sa vie ? Andromède ne sait pourtant que trop bien ce que peut ressentir cette fille. Elle-même ne pensait pas autre chose lorsqu'elle était captive. "Quand on sait comment Véga traite ses prisonniers, ça n'est pas surprenant qu'elle ait peur," dit-elle doucement.
"Et pourquoi aurais-tu peur de nous, on t'a maltraitée, peut-être ?" s'emporte Alcor.
"Venez, laissons-la tranquille," dit Procyon en poussant les autres vers la sortie. "Nous ne vous ferons aucun mal," dit-il encore à la jeune femme. "Reposez-vous. Nous reparlerons quand vous aurez repris vos esprits."
Ils quittent l'infirmerie. Alcor décide de monter la garde. "Au cas où il lui viendrait l'idée de s'enfuir," précise-t-il, méfiant. "N'oubliez pas que c'est une ennemie, elle a essayé de nous tuer !"
"On lui a sans doute raconté les pires horreurs sur le sort que nous réservons à nos ennemis," dit Procyon. "Laissons-lui une chance. Elle finira bien par se rendre compte que nous ne sommes pas des monstres."
Phénicia, quant à elle, semble très intriguée par cette jeune femme – Alizée. Emballée, même. "Ce qu'elle est belle !" s'exclame la petite une fois dans le couloir. "Je n'ai jamais vu de fille aussi belle."
"J'ai l'impression que ces extraterrestres sont toutes magnifiques," lâche Vénusia, fielleuse.
Son commentaire ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde. Andromède a l'ouïe plus fine que jamais depuis la transfusion.
"Tu en as vu beaucoup ?" demande Phénicia.
"Quelques-unes. Ton frère ne peut pas s'empêcher de ramener de jolies extraterrestres pour les soigner, même quand elles essaient de le tuer…"
"Ah oui ?"
"Oh oui. Celle-là, c'est tout à fait son genre." Vénusia ne se donne même pas la peine de baisser la voix.
Andromède frémit de colère, mais ne daigne pas réagir. Elle ne donnera pas cette satisfaction à la petite gourde. Elle se console en se disant que si elle le voulait, elle serait désormais en mesure de flanquer une raclée à Vénusia. D'ailleurs un jour elle ne s'en privera pas. Peut-être attendra-t-elle un peu d'avoir fini de cicatriser. Et puis Actarus lui en voudrait de faire mauvais usage de sa force, si elle s'attaquait à plus faible qu'elle… Mais un petit coup de boule est toujours envisageable, maintenant qu'Andromède n'a plus besoin de lunettes.
Elle se dit qu'elle a peut-être quelque chose en commun avec ces autres filles, les extraterrestres. Actarus l'a bien ramenée au Centre, elle aussi. Peut-être est-elle son genre après tout. Ou peut-être est-ce simplement qu'elles avaient toutes besoin d'être secourues. Peut-être le physique n'est-il pas tout pour Actarus. Ou peut-être préfère-t-il les blondes.
Andromède se dit qu'Actarus lui a abondamment témoigné son affection, et qu'il n'y a pas lieu de sombrer dans la paranoïa. Il l'a suffisamment rassurée sur son sex-appeal, aussi. Elle se dit qu'en revanche, le moyen le plus sûr de perdre les bonnes grâces d'Actarus, ce serait de céder à la méchanceté.
Tandis que Vénusia et Phénicia poursuivent leur papotage à la cafétéria, elle se dirige vers le Bunker pour étudier ce pistolet glaciateur de plus près.
Andromède a mis L'Hiver de Vivaldi à plein volume sur son magnétophone. Elle a ouvert l'arme d'Alizée, prélevé un échantillon du cristal à l'aide d'un laser, et l'examine à présent au microscope. Pendant ce temps, Actarus reste assis dans un coin à écouter la musique, l'air quelque peu renfrogné.
"Je ne sais pas ce que vous avez toutes à vous extasier sur cette fille," maugrée-t-il lorsque la cassette touche à sa fin.
"Ce n'est pas tous les jours qu'on a une scientifique du camp adverse sous la main," répond Andromède. "Une femme, de surcroît. J'aimerais bien réussir à nouer le dialogue avec elle…"
"Pourquoi ? Que crois-tu qu'elle puisse t'apprendre ?"
"Le fonctionnement de ce rayon glaciateur, pour commencer."
"Pourquoi perds-tu ton temps à traficoter cette arme ? Tu n'as rien de plus urgent à faire ?" Ouh, décidément Monsieur est bougon aujourd'hui.
"Le rayon glaciateur pourrait empêcher la fonte des pôles, la montée des océans," s'enthousiasme Andromède. "Tu te rends compte ? Avec cette invention, on pourrait infléchir le changement climatique ! Je donnerais cher pour comprendre comment ça marche…"
"Andromède, attention, tu es de nouveau toute excitée," la met en garde Actarus. "Scientifiquement exaltée. Je te connais."
Andromède lève le nez de son microscope, et regarde Actarus. Elle connaît cette expression. Il n'est pas juste bougon ; il est inquiet. Elle réfléchit. "Tu as raison," concède-t-elle, légèrement dégrisée. "Et toi, tu es mal à l'aise depuis tout à l'heure, je le vois bien." Elle se lève, s'approche d'Actarus et lui prend la main. "Qu'est-ce qui te chiffonne ?"
"Andromède, cette fille est une criminelle ! Elle a détruit tout un village pour tester son invention !" Il est vrai que du point de vue déontologique, cela laisse à désirer. "Elle me glace les sangs."
Andromède prend son autre main, tire doucement pour l'encourager à se lever. Se hisse sur la pointe des pieds et pose son front contre le sien. "Ne nous disputons pas, mon amour. Je vais tâcher de garder la tête froide, si c'est ça que tu veux."
Actarus soupire et l'entoure de ses bras. "Et moi je ne veux pas m'en prendre injustement à toi à cause d'elle. Ne nous disputons pas."
Andromède le regarde gravement. "Tu as peur que je devienne comme elle, pas vrai ? Que j'en vienne à manquer à tout sens de l'éthique ?"
"Parfois, oui," admet-il. "Mais je sais que toi, tu ne sacrifierais jamais des civils pour tes expériences." Non, se dit-elle, juste des animaux. "Elle, c'est une fanatique !"
"Je te signale que c'est toi qui l'as ramenée au Centre alors qu'elle vient de commettre une atrocité et qu'elle a tenté de te tuer," lui fait-elle doucement remarquer.
"Elle était blessée, il fallait bien la soigner," se défend Actarus. "Tu voulais que je l'achève, peut-être ?"
Elle lui caresse la joue. "Shh. Bien sûr que non." Même si ç'aurait sans doute été plus opportun. "Et maintenant qu'elle est là, qu'est-ce qu'on en fait ? On la garde ?"
Actarus hausse les épaules. "...Elle n'a peut-être pas agi de son plein gré. Tu connais leurs méthodes. Ils l'ont peut-être manipulée, ou soumise à un odieux chantage. Ce ne serait pas la première fois…," dit-il sans grande conviction.
"Fanatique ou pas, c'est une ennemie," dit Andromède. "Moi je la mettrai aux fers, en attendant de la remettre aux autorités."
"Aux fers ?" fait Actarus, choqué.
"Oui, enfin, dans la remise. Par précaution. Mais ça n'est pas de mon ressort."
"Elle est déjà sous surveillance," dit-il, crispé. "Ça te va ?"
"Shh, je te taquine."
Actarus n'a pas l'air de trouver ça drôle.
"Si tu veux, je peux essayer de lui parler," propose Andromède, conciliante. "De femme à femme. J'arriverai peut-être à en apprendre un peu plus sur ses intentions. S'ils exercent des pressions sur elle, elle me le dira peut-être."
"Tu es sûre ? Méfie-toi…"
Elle lui fait un grand sourire. "Moi au moins elle ne risque pas de m'ensorceler avec sa beauté." Quoique.
"Non," lui répond Actarus très sérieusement, "mais elle pourrait t'amadouer avec ses connaissances scientifiques."
"Là tu as vu juste." Elle frémit d'impatience en pensant à tout ce que la scientifique de Véga pourrait lui apprendre.
La blanche créature est tendue, fébrile, sur la défensive.
"Qu'est-ce que vous me voulez ?" siffle-t-elle.
"Je suis curieuse," répond Andromède calmement en s'asseyant à son chevet. "Voyez-vous, je suis scientifique, moi aussi. Je m'étonne de trouver une femme scientifique chez les Véghiens, j'avais l'impression qu'ils étaient assez machos. Vous devez être brillante."
"Si vous voulez m'arracher le secret du rayon glaciateur, autant me tuer tout de suite, je ne vous dirai rien."
Andromède soupire. "Vous nous trouvez donc bien cruels ? Vous savez, j'ai moi-même été l'hôte de votre camp, je peux vous assurer que mon traitement a été tout autre. La torture par induction nerveuse, vous connaissez ?"
"Pourquoi, que cherchaient-ils à apprendre de vous ?"
Habile. Andromède sourit mais ne dit rien. Relève son chemisier et lui montre sa cicatrice. "Celle-ci, c'est à votre ministre des sciences que je la dois."
Alizée écarquille les yeux. "Horos ?"
"Vous avez dû croiser sa route, je suppose ?"
"Oui… J'ai eu affaire à lui." Elle n'en dit pas plus.
Andromède jurerait qu'Alizée a frissonné en entendant le nom d'Horos. Qu'est-ce que ce salaud lui a fait ?
Un silence. Andromède attend qu'Alizée passe aux confidences.
Rien.
"Que comptez-vous faire de moi ?" finit par demander Alizée.
"Vous remettre d'aplomb. Après…" Andromède hausse les épaules. "Ça dépendra aussi de vous. S'il vous venait l'idée de vous échapper pour rejoindre votre camp, sachez tout de même que les vôtres ne sont pas tendres avec les agents qui ont failli à leur mission."
"Je n'échouerai pas."
Elle a donc encore une mission à remplir, en plus d'avoir cryogénisé ce village. "Et votre mission, quelle est-elle ? Liquider le Prince d'Euphor, j'imagine ?"
"Le Prince d'Euphor ?" s'exclame Alizée, surprise. "Où est-il ?"
Incroyable. Elle n'a pas reconnu Actarus tout à l'heure. Ils ne savent donc pas à quoi il ressemble au civil ? "Vous pouvez le remercier, c'est lui qui vous a amenée ici. Bien que vous ayez tenté de l'abattre."
Cette nouvelle laisse Alizée visiblement perplexe. Ses supérieurs ont dû lui faire croire que le Prince d'Euphor est un boucher sanguinaire.
"En tout cas," continue Andromède, "si vous décidez de rester, vous êtes la bienvenue. Je peux vous assurer que vos compétences scientifiques seraient reconnues à leur juste valeur."
Alizée plisse les yeux. "Vous me prenez pour une traîtresse ? Vous croyez pouvoir m'acheter ?"
"…Vous avez parlé de biosphérisation dans votre délire. Parlé de rendre des planètes en fusion habitables."
"Et alors ? Justement, je délirais," fait-elle, évasive.
"Vous savez peut-être que sur Terre, les activités anthropiques ont rejeté beaucoup de gaz carbonique dans l'atmosphère ; ceci provoque un effet de serre qui ne manquera pas d'entraîner la fonte des pôles…" Andromède cherche le regard d'Alizée. "Votre rayon glaciateur pourrait empêcher ce cataclysme."
"Si vous autres Terriens avez rendu votre planète inhabitable, je ne puis rien pour vous," dit Alizée, implacable. "Vous auriez dû mieux en prendre soin."
Elle n'a pas tort, se dit Andromède. Décidément ces Véghiens aiment bien sermonner les autres sur l'écologie. Quand on voit le sort qu'ils réservent aux mondes conquis, et le destin de leur propre planète… "Et sinon, vous avez de la famille ?" demande Andromède mine de rien, comme pour faire la conversation. "Un fiancé ?" Quelqu'un que Véga utilise pour te contraindre à faire le sale boulot ? Ce fameux Zéphyr, par exemple ?
Alizée détourne le regard et ne répond pas.
Andromède renonce momentanément. "Bon, comme vous voudrez." Elle se lève et se dirige vers la porte. "Au fait," dit-elle encore par-dessus son épaule, "vous parlez beaucoup pendant vos accès de fièvre, vous savez. Vous feriez mieux de prendre vos cachets pour la faire baisser, sinon nous finirons bientôt par tout savoir sur vous."
"Alors ?" demande Alcor dans le couloir.
Andromède hausse les épaules. "Je lui ai dit qu'elle pourrait trouver asile chez nous si elle le souhaitait, elle n'a pas répondu, je n'ai pas insisté."
"Laissons-la réfléchir," dit Actarus.
"Elle n'est pas commode," dit Alcor.
"Une volonté de fer," confirme Andromède. Puis, à Actarus : "Tu sais qu'elle est censée te tuer…"
"Oui, je m'en serais douté," dit Actarus.
Les deux garçons sont en tenue de pilotage, avec leurs casques sous le bras.[2]
"Vous ressortez ?" leur demande Andromède. "Où allez-vous ?"
"On va retrouver la soucoupe de la Reine des Neiges," répond Alcor. "J'ai demandé aux filles de la surveiller en attendant."
"Tu voulais un vaisseau à dépiauter, non ?" dit Actarus.
Andromède en est fort touchée. "Comme c'est gentil ! Merci, mon amour." Elle se hisse sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur la joue d'Actarus. "Sois prudent, il y aura sans doute des rayonnements végatroniques…"
"Ne t'en fais pas, mon cœur, je ferai attention."
Vénusia et Phénicia viennent prendre la relève, et Andromède s'en retourne au Bunker, non sans avoir ostensiblement pris congé d'Actarus, avec un baiser plus prolongé et plus tendre que nécessaire avant une mission de routine. Ainsi je ne suis pas son genre ? Prends ça, bécasse.
Alors que les garçons s'éloignent, elle entend encore Alcor grommeler : "Cette fille nous prépare un mauvais coup, je n'ai pas confiance…"
Andromède aimerait certes garder Alizée ; elle éprouve de la compassion envers elle, et une certaine fascination. Mais en même temps, elle trouve qu'il y a quelque chose de dur chez la jeune femme. Elle lui fait froid dans le dos, c'est le cas de le dire. Ou bien est-ce juste qu'elle craint la concurrence ?
Il lui a semblé que ce n'est pas la haine qui anime Alizée, ni le désir de conquête. Ni l'obéissance aveugle. Quoi, alors ? L'orgueil ? L'ambition ? La soif de reconnaissance ? Ou bien est-ce tout simplement ce qui l'anime, elle, cette pulsion scientifique, cette curiosité insatiable, ce désir de percer les secrets de la matière ?
De toute façon, se dit Andromède, qu'Alizée se décide à coopérer ou non, ils détiennent à présent le pistolet glaciateur. S'ils parviennent à en comprendre le fonctionnement, peut-être pourront-ils s'économiser toute l'infrastructure à l'azote liquide pour refroidir les supraconducteurs du réacteur. Et qui sait quelles merveilles le vaisseau d'Alizée recèle encore.
Merci, mon amour, tu sais vraiment comment me faire plaisir.
Andromède a recommencé à examiner les entrailles du pistolet glaciateur, lorsque la voix d'Alcor retentit au haut-parleur. "Professeur ! Actarus est pris au piège à l'intérieur du vaisseau !"
Eh meeerde.
Elle se précipite au poste de contrôle.
Une fois n'est pas coutume, elle n'est pas essoufflée en arrivant, mais n'y prête guère attention. L'heure est grave. Actarus ne répond pas. Procyon l'appelle désespérément. Le contact radio semble rompu. À moins qu'il ne lui soit arrivé quelque chose…
Les filles sont allées chercher Alizée à l'infirmerie manu militari, et l'ont emmenée encore toute fiévreuse dans la montagne pour qu'elle libère Actarus.
L'attente est insoutenable.
Les Aigles se posent enfin, obligent Alizée à ouvrir son vaisseau. Pénètrent à l'intérieur.
Au poste, ils n'ont que le contact radio, ils ne peuvent qu'imaginer ce qui se joue là-dedans.
Actarus semble en mauvaise posture. Alizée le tient en joue, a clairement l'intention de l'achever. Phénicia s'interpose et refuse de bouger. Dit qu'elle est prête à mourir avec son frère. Peut-être Alizée hésite-t-elle, en tout cas il y a un moment de confusion. Actarus émerge du vaisseau sain et sauf, et court rejoindre Goldorak juste à temps pour intercepter le golgoth qui s'apprête à les attaquer - un monstrogoth hirsute équipé lui aussi d'un rayon glaciateur. Les autres s'élancent à sa suite et décollent aussitôt pour l'appuyer. Goldorak est touché par le rayon glaciateur du monstre.
Andromède, angoissée, se rappelle les propriétés du blindage de Goldorak, la température de cristallisation des hypermétaux qui le composent. Elle ignore en revanche la température du rayon glaciateur. Redoute de voir Goldorak se briser en mille morceaux au premier choc.
C'est alors qu'il se passe quelque chose d'étrange. Alizée a décollé à bord de son vaisseau, un aéronef blanc aux lignes épurées. Elle ne s'attaque pas à Goldorak, comme on aurait pu le craindre. On dirait d'abord qu'elle cherche à s'échapper, à fuir le lieu du combat. Mais elle fait route tout droit vers le monstrogoth. Tous sont alarmés.
"Elle n'a quand même pas l'intention de se sacrifier ?" s'exclame Argoli.
Alizée tient des propos incohérents. Parle de son invention, de son expérience, d'une planète en fusion. De ce Zéphyr qui semble l'obséder.
"La pauvre fille est tellement fiévreuse qu'elle est prise d'hallucinations," dit Procyon.
Alizée semble sur le point d'éperonner le monstrogoth. Celui-ci fait feu, la frappant de plein fouet avec le rayon glaciateur qu'elle-même a conçu. Son vaisseau, figé dans une gangue de glace, s'écrase au sol.
Actarus parvient à contrer le rayon glaciateur à l'aide de son rétrolaser, et avec l'appui de l'escadrille, il règle son compte au monstrogoth ; mais hélas trop tard pour sauver Alizée. Elle est trop mal en point lorsqu'ils l'extraient de l'épave de son vaisseau, et expire dans les bras de Phénicia. Avant de retourner au Centre, ils prennent le temps de lui élever un petit monument dans la montagne.
Lorsque les pilotes rentrent, Andromède accourt au hangar de Goldorak. Elle saute au cou d'Actarus dès qu'il a mis pied à terre. Le pauvre a à peine le temps de relever la visière de son casque.
"Mais enfin-"
"Oh Actarus, tu n'as rien ? Tout est de ma faute ! Pardonne-moi…"
"Hein ? Non, je vais bien, ne t'en fais pas. Mais qu'est-ce que tu as ?"
"Rien de tout cela ne serait arrivé si je ne t'avais pas demandé un vaisseau à dépiauter…" Elle fond en larmes.
Il lui caresse les cheveux pour la calmer. "Mon cœur, j'y serais allé de toute façon. On n'allait tout de même pas le laisser là, ce vaisseau. Et puis tu ne pouvais pas savoir qu'il était piégé…"
"J'aurais dû y penser…"
"Voyons, je n'y ai pas pensé non plus…"
"Tout ça à cause de ma stupide curiosité scientifique…"
"Mais c'est normal, mon cœur, tu es chercheuse…"
"Actarus," s'exclame-t-elle, "je m'en fiche, de la supraconductivité, de la cryoscience, de l'hyperpropulsion. Tout cela est sans importance. Je veux juste que tu sois sain et sauf." Elle sanglote. Il la serre dans ses bras. "Si je te fais prendre des risques pour servir mes recherches, je ne vaux pas mieux que cette fille…"
"En fin de compte," dit Actarus, pensif, "je crois que c'était une idéaliste. Elle s'est juste égarée."
Andromède se rend compte à quel point elle pourrait facilement s'égarer, elle aussi. "Actarus… Il n'y a rien de plus important au monde que toi. Tu entends ? Rien."
Il n'a rien à répondre à cela. Elle a raison. Il l'embrasse sur le front.
"Allons, mon cœur," dit-il doucement. "Montons rejoindre les autres. Je crois que nous avons tous besoin d'un chocolat chaud."
Ils se retrouvent à la cafétéria, abattus. Même Alcor est silencieux. Phénicia est bouleversée. Sans doute espérait-elle se lier d'amitié avec cette jeune femme extraterrestre. Peut-être avait-elle besoin d'un modèle, d'une figure maternelle, ou d'une grande sœur, et ni Vénusia ni Andromède ne font l'affaire. Vénusia fait de son mieux, et sert le chocolat.
Après la bataille, ils ont recueilli les dernières paroles d'Alizée. "Ce Zéphyr dont elle parlait…," finit par dire Alcor, "c'était son frère."
"Son frère ?" s'étonne Andromède.
"Oui. Il était scientifique, comme elle. Il est mort, et elle lui a juré de poursuivre son œuvre."
"Mon dieu." C'était donc ça, pour elle, le rayon glaciateur. Tout ce qui lui restait de son frère. Ainsi tout cet acharnement à tester son invention, c'était sa façon de garder son souvenir vivant… Et les salauds de Véga ont voulu exploiter cela. "Et alors, lorsque Phénicia s'est interposée pour protéger Actarus…"
"Elle a flanché."
Phénicia pleure doucement. Actarus pose une main sur son épaule pour la réconforter.
1. Toute la maisonnée l'aura entendue, l'expression de ses sentiments.
2. Ou alors vous croyez que notre Actarus aime tellement emprunter le vide-ordures et l'Asporat qu'il le fait même quand il n'y a pas d'urgence ? Wouhouuuu ! MÉTAMORPHOOOOSE !
Snif.
Bon, j'ai décidé qu'Actarus porterait désormais un pantalon en velours milleraies, un col roulé et une veste en mouton retourné bien seventies. Il me donne froid à sans cesse se balader en t-shirt en plein hiver.
