Résumé : « Il était 5h12 du matin lorsque Kuroo reçut le message suivant de la part Kenma : " Il est temps" . Plutôt nébuleux comme message à recevoir en tombant du lit, il fallut quelques minutes à Tetsurō pour comprendre de quoi il en retournait. La chose se précisa, ou plutôt son urgence se précisa, lorsqu'il reçut ensuite : "on est en route, on passe te récupérer dans 15-20 minutes" . »

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Chapitre 35 : Kuklos 1

Il était 5h12 du matin lorsque Kuroo reçut le message suivant de la part Kenma : « Il est temps ». Plutôt nébuleux comme message à recevoir en tombant du lit, il fallut quelques minutes à Tetsurō pour comprendre de quoi il en retournait. La chose se précisa, ou plutôt son urgence se précisa, lorsqu'il reçut ensuite « on est en route, on passe te récupérer dans 15-20 minutes ». Kuroo sauta du lit, désorienté. Il shoota dans tout ce qu'il avait eu le malheur de laisser trainer avant de retrouver un sens de l'équilibre à peu près correct. Il inspira pour reprendre le contrôle. Il fallait se concentrer. Il était au courant qu'il recevrait ce message incessamment puisque ses petits-amis étaient retournés quelques jours plus tôt chez leur médecin pour les injections de contraceptifs. Il ne s'attendait juste pas à être prévenu aussi abruptement. Il sauta dans la douche et revint à toute vitesse après quelques minutes, en profitant pour laver le parquet avec toute l'eau qu'il ramena en retournant dans la pièce principale. Il tourna sur lui-même plusieurs fois avant de se rappeler ce qu'il cherchait : son sac à dos. Il n'était quand même pas totalement à la masse et avait tout de même déjà préparé quelques affaires. Une fois qu'il eut empaqueté les dernières nécessités, il inspecta le contenu de son sac une dernière fois, vérifiant bien qu'il avait emporté les derniers achats qu'il avait faits, ainsi que son petit carnet « guide » où il avait noté toutes les informations qu'il avait pu réunir au cours de sa lecture érudite des dizaines de brochures que lui avait confié Dr Megi. Il courut à la salle de bain se brosser les dents. À peine avait-il fourré ladite brosse dans son sac qu'il reçut finalement :« On est en bas ». Il manqua d'échapper son téléphone en lisant le message, il n'avait pas encore eu le temps de mettre ses chaussettes ! Un rapide coup d'œil lui fit constater que, non, il n'avait pas encore eu le temps d'enfiler quoi que ce soit tout court. Il jura et enfila ce qui lui tomba sous la main, se chaussa, récupéra son sac et se jeta hors de l'appartement. Le soleil n'était pas encore levé quand il sortit de l'immeuble. Il reconnut la voiture de Kenma garée de l'autre côté de la route et il s'y dirigea tout de suite. Il se stoppa cependant en découvrant ce qui avait été attaché sur le toit de la voiture : une immense coque en… lattes de bambou ? Osier peut-être ?

Kenma descendit sa fenêtre et pouffa en voyant l'accoutrement de son petit-ami : les cheveux en pagailles et dans un style vestimentaire quelque peu négligé.

— Je crois que t'as mis ton T-shirt à l'envers.

Kuroo baissa les yeux pour découvrir qu'en effet, en plus d'avoir eu l'audace d'enfiler un pantalon de jogging bleu ciel avec un t-shirt jaune fluo -le tout appartenant très certainement à Kōtarō- il ne s'était pas aperçu qu'il avait enfilé le tout de traviole. Il laissa tomber son sac et passa ses bras dans son T-shirt pour le remettre à l'endroit, révélant un dessin tout aussi laid que la couleur du vêtement.

— C'est quoi sur le toit ?

— La structure de la tonnelle de Keiji.

— Oh…

— Allez, montes.

Kuroo hocha la tête et fit le tour de la voiture pour passer devant côté passager. Il dut se débrouiller pour passer ses jambes entre les caisses pleines de nourriture qui avait été rangée sous son siège. À peine fut-il assis que Kenma lui refila sur les genoux des dizaines boîtes et il n'eut même pas le temps d'attacher sa ceinture que déjà la voiture redémarra.

— Désolé pour le réveille brutale, dit Kenma, Keiji m'a réveillé ya une heure en essayant de faire passer son machin dans l'escalier.

— Ok et ils…

Kuroo ne finit pas sa phrase, son regard trouvant finalement ses deux autres petits-amis installés à l'arrière. Il pouffa en voyant leurs têtes de chouettes hulottes atterrées de voir le jour se lever.

— Je croyais que vous dormiez, il les salua et les deux autres lui répondirent d'un mouvement de la main.

— Ils peuvent déjà plus parler ? demanda Tetsurō en se retournant.

— Non pas vraiment… Keiji un peu mais pas Kōtarō.

— Oh… et toi ça va ?

— Hmm… J'ai un jour et quelque de décalage.

— Ok.

Kuroo regarda la route défiler quelques instants, tentant toujours de se réveiller complètement.

— On va où ?

— Sur le territoire de la famille de Keiji… Ya une maison là-bas que l'on peut utiliser.

— Oh… cool… hmm et on compte faire quoi avec tous ces trucs ? Décorer les arbres ? plaisanta-t-il en détaillant les boîtes de guirlandes lumineuses et de papillons en tissu sur ses genoux.

Sa remarque fit grogner Keiji, ce qui amusa Kenma.

— C'est les décos de Keiji, il aime bien mettre ça, hein ? lui répondit Kenma, relevant les yeux pour capter le regard de son partenaire dans le rétroviseur.

Kuroo se tourna pour lui faire directement face :

— Désolé Love, ils sont très beaux tes papillons.

Keiji soupira et leva les yeux au ciel, mais n'ajouta rien de plus, se contentant de resserrer sa prise sur l'oreiller qu'il tenait entre les mains.

Ils se turent de nouveau et le trajet continua dans un silence apaisé. Kuroo finit par s'assoupir et n'émergea de nouveau que près de trois quarts d'heure plus tard. En jetant un regard par la fenêtre il constata que la ville avait disparu, remplacée par des champs baignés de lumière aurorale qui s'étiraient jusqu'à la ligne d'horizon.

— On arrive bientôt ? demanda Tetsurō.

— Oui, dans genre dix minutes je dirais.

— Ok…

Le silence s'étendit de nouveau.

Kuroo se perdit dans ses pensées, mais fut rapidement rattrapé par une idée terrifiante :

— On va voir sa famille ?

Ah merde il n'y avait pas pensée plus tôt ! S'il se rendait sur leur « territoire » il allait surement les croiser ! Kuroo n'était vraiment, mais vraiment pas du tout préparé à rencontrer sa deuxième « belle famille » maintenant, et surtout pas dans cet accoutrement ! Kenma tourna les yeux et pouffa en découvrant son trouble :

— Relax, ses parents ne sont pas là de toute façon. Du reste, ça fait des centaines et des centaines d'hectares, on croisera surement personne… Et ils savent qu'on vient, ils vont nous laisser passer sans problème.

« Nous laisser passer sans problème » ? Qui ça ? Y avait-il des douanes d'entrée ? Quelle était encore cette drôle d'histoire ?

Kuroo se calma instantanément en sentant la main de Kenma se poser sur sa cuisse. Il tourna yeux, le blond ne détourna pas les yeux de la route mais lui adressa un sourire.

— Ça va aller.

Le brun échappa un sourire et hocha la tête. Kenma avait raison : parfois, un peu de lâché-prise était plus préférable.

— Ils sont où ses parents ? demanda Tetsurō.

Kenma parut surpris de la question.

— Il te l'a jamais dit ? Les parents de Keiji ont déménagé en Corée du Sud avec son petit frère il y a deux ans environ.

Kuroo cligna plusieurs fois des yeux. Il releva le regard, espérant capter le regard de Keiji dans le rétroviseur intérieur. Ce dernier n'avait pas l'air d'avoir écouté leur conversation. Il avait le visage écrasé contre la fenêtre, regardant d'un air exténué le paysage défiler. Il tourna de nouveau son attention vers Kenma :

— Je savais pas…

Kenma échappa un rictus.

— Si elles étaient dans le coin, on les aurait déjà vues débarquer depuis belle lurette, commenta le blond. Par contre ses sœurs doivent être dans le coin… mais pas dit qu'on les croise.

— Oh… dit Kuroo, moyennement enthousiasmé par cette éventualité.

Sa gêne fit pouffer Kenma.

Le silence s'installa de nouveau, et le reste du trajet s'écoula paisiblement.

Ils finirent par s'engager sur un chemin de terre tracé à travers une large étendue d'herbes folles, Kuroo dut fermer les yeux, ébloui par la lumière du soleil levant. Lorsqu'il les ouvrit de nouveau, ils étaient arrivés à destination. Il leva les yeux sur une charmante minka, une ancienne maison traditionnelle. La toiture, devant originellement avoir était faite en chaume, avait était remplacé par des tuiles, attestant de la rénovation assez récente de la bâtisse. Il détourna les yeux en entendant la porte du coffre s'ouvrir : Keiji s'était jeté hors du véhicule sans prendre le temps de refermer la portière, et était maintenant afféré à remplir ses bras le plus possible de draps, couettes et autres plaids qui avaient été empilés dans la malle. Ce fut avec les bras bien chargés et la vue pratiquement obstruée qu'il se dirigea vers la maison, tenant bien difficilement la clé de la porte d'entrée du bout des doigts.

— Non mais Keiji tu fais quoi là ? Passe-moi ça, râla Kenma en le voyant faire.

Son partenaire lui passa à contrecœur, et à peine la porte d'entrée fut-elle déverrouillée que Keiji s'engouffra à l'intérieur.

— Tes chaussures bordel ! Roh…

Kuroo pouffa.

— Il peut pas attendre quatre secondes, bordel... râla le blond en revenant vers la voiture. Il échappa malgré tout un sourire en voyant l'air amusé de Kuroo.

— Ça te fait rire toi? Allez, bouges !

Tetsurō acquiesça. Il tourna la tête, constatant que Kōtarō s'était endormi. Il sourit, attendrit, et décida de le laisser en paix encore un peu. Il sortit en récupérant tout ce qui avait été stocké à l'avant avant de se diriger vers la maison. Il découvrit alors l'intérieur de la demeure. Elle avait effectivement été remise au goût du jour, l'espace s'ouvrant sur une grande salle de séjour. Le sol avait conservé sa surélévation, habillé d'un plancher de bois clair s'accordant avec les poutres laissées apparentes autour. Il retira difficilement ses chaussures et monta la marche. Un rapide mouvement de la tête lui fit découvrir la cuisine à sa gauche, séparée du séjour par des panneaux de papier qui avaient été laissés ouverts. Il s'y dirigea, faisant bien attention à ne pas se casser la figure en descendant les deux petites marches y menant. Il échappa un frisson lorsque le carrelage froid rentra en contact avec ses pieds aux chaussettes dépareillés. Il posa finalement la caisse de nourriture au sol. Alors qu'il s'apprêtait à en ranger le contenu, Keiji fit si brusquement son apparition qu'il en sursauta.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Keiji ne lui répondit pas, et se contenta de se pencher en avant, manquant d'échapper la cargaison déjà bien conséquente qu'il avait dans les bras. Tetsurō constata qu'il tentait, bien maladroitement, de récupérer les décorations laissées dans la caisse.

— Tu vas pas pouvoir les prendre là Love, t'as pas la place.

Kuroo se pencha pour les récupérer, mais le brun tentait toujours de lui prendre des mains.

— Je te les amène Keiji, attends.

Le brun échappa un son roque, mais se résigna. Il tira Kuroo par le bras pour qu'il le suive, manquant une fois encore de faire tomber la montagne d'oreillers qu'il avait dans les bras.

— Je te suis, je te suis, le rassura-t-il en se retenant d'éclater de rire.

Keiji échappa un soupire et se tourna, se dirigeant vers l'arrière de la maison. Kuroo, amusé de son attitude, le suivit. Il le guida jusque dans une pièce au sol recouvert de tatami. Pour le moment, mis à part le fatras ramené par le brun, la pièce était vide.

— Tu vas faire ta tonnelle ici ?

Keiji hocha la tête, récupérant sans attendre le pactole que Tetsurō avait rapporté. Ce dernier le laissa faire, laissant ses yeux voyager à travers la pièce. Une large fenêtre laissait passer les rayons du soleil, ouvrant la vue sur l'étendue verdoyante s'étendant tout autour de la maison. Kuroo continua son voyage visuel, s'arrêtant finalement en constatant qu'aux quatre points de la pièce, de gros anneaux couleur or avaient été fixés au sol.

— C'est pour quoi ça ? demanda-t-il.

Keiji, releva les yeux pour voir ce dont il parlait.

— Pour attacher.

Sa voix était roque et écorché, comme si le son avait peiné à s'échapper de sa gorge. Tetsurō ne saisit pas bien ce qu'il allait attacher, il espérait juste que son plan n'était pas d'écarteler à travers la pièce un de ses petits-amis. Il ne voulut cependant pas le forcer à parler plus que cela, et décida qu'il aurait très certainement la réponse plus tard. Keiji sortit finalement précipitamment, très certainement pour aller récupérer le reste de son butin. Il sortit également, et alors qu'il remontait le couloir pour rejoindre l'entrée, Kenma l'interpella :

— Ji !

Kuroo s'approcha de la pièce d'où avait émané la voix du blond. C'était une petite chambre, simplement constituée d'un lit et d'une petite étagère en bois brun.

— C'est la seule pièce avec un lit, ça te dérange pas si je la prends ? Ya une autre petite pièce en face où on peut mettre un futon.

— Non pas de soucis, c'est mieux que tu sois bien confortable.

Le blond hocha la tête. Il traversa le couloir pour lui désigner une petite pièce séparée du couloir par une porte coulissante, elle aussi recouverte de tatami.

— C'est pas très grand mais ça ira ?

Tetsurō acquiesça.

— Ok, du coup t'as là, à côté t'as les toilettes – il sortit dans le couloir- là de l'autre côté la chambre de Keiji et Kōtarō hmm… la salle de bain est en face, et t'as vu l'entrée.

Kuroo hocha la tête, échappant un sourire pour tenter de rassurer Kenma qui paraissait commencer à perdre son calme.

— Ok, Hum je…

Il ne termina pas sa phrase et remonta le couloir pour retourner à la voiture. Tetsurō pouffa et le suivit afin de continuer le déchargement. La tâche fut rapidement terminée, grâce notamment à Keiji qui en était presque à courir entre chaque aller-retour. Il y eut quelques soucis pour faire rentrer la coque dans la maison pour la ramener Keiji, mais somme toute, aucun mur n'avait souffert du transport , ce qui était déjà pas mal. À peine Kuroo avait-il déposé la coque dans la chambre, que Keiji lui ferma la porte au nez. Le brun ne s'en formalisa pas, se contentant d'échapper un pouffement, repartant rapidement en décidant qu'il était surement temps d'aller réveiller son petit-ami toujours endormi à l'arrière de la voiture.

— Babe, murmura-t-il doucement lorsqu'il ouvrit la portière.

Il dut réitérer l'appel plusieurs fois avant que Kōtarō n'émerge vraiment. Il s'étira, échappa un petit gémissement puis ouvrit les yeux. Il émit un gazouillis en découvrant Tetsurō et un sourire béat se dessina sur ses lèvres. Il tendit ses bras, étendant et resserrant successivement les doigts pour lui signifier qu'il voulait qu'il vienne à lui. Le brun sourit, attendrit, et se pencha pour l'embrasser.

— Tu peux marcher ?

Kōtarō hocha la tête positivement, mais n'initia aucun mouvement.

Portes, lui signa-t-il finalement.

— Tu veux que je te porte ?

Kōtarō acquiesça.

— Mais tu m'as dit que tu pouvais marcher ? Je sais pas si je vais réussir à te porter jusqu'à l'intérieur.

Son petit-ami n'en eut cure, et se contenta d'attendre les bras tendus.

— Bon, ok.

Il se pencha pour le porter, Kōtarō attacha aussitôt ses bras autour de sa nuque. Kuroo peina quelque peu à soulever les 83kg de son petit ami, mais réussit tout de même à le ramener jusqu'à l'intérieur. Kenma, installé sur le canapé, pouffa en le voyant entrer, il se décala pour que Kuroo puisse avoir la place d'y déposer son colis. Kōtarō, ravi de retrouver son partenaire, enroula ses bras aussitôt autour de lui. Tetsurō sourit en voyant le tableau.

— Oh attendez !

Tetsurō repartit dans la chambre qui lui avait été assignée pour récupérer son sac à dos.

— Love, tu peux venir trois secondes ? appela-t-il en remontant le couloir.

De retour dans le salon, il posa son sac au sol et commença à chercher à l'intérieur.

— J'ai trouvé un truc, je me suis dit que ça pouvait aider peut-être, ah voilà !

Keiji arriva au moment où il retrouva l'objet de sa quête. Ce fut donc sous les regards quelque peu déstabilisés de ses petits-amis qu'il sortit quatre sifflets de couleur différente.

— C'est quoi ça ? On est pas des chiens ! s'insurgea Kenma.

— Mais non, je me suis dit que comme ça serait plus facile de m'appeler si besoin, et inversement.

Il souffla dans l'un d'eux pour en faire la démonstration.

Le silence s'étendit plusieurs secondes, Kuroo craignait que son idée ne rencontre pas un franc succès. Finalement Keiji se pencha pour en récupérer un, souffla rapidement dedans et fit volteface, retournant illico presto à sa tâche principale. Kōtarō haussa les épaules et se pencha finalement pour en récupérer un lui aussi. Kenma souffla, mais en fit de même.

— Ok, c'est peut-être pas une mauvaise idée…

Kōtarō le coupa en commençant à souffler de tout son soûl dans son sifflet, le son s'en échappant était si strident que Kuroo sentit ses tympans le supplier de les percer sur le champ pour mettre fin à cette torture. Pourtant, Kōtarō réitéra la chose encore et encore sans sembler s'en lasser.

— Ok, je retire ce que j'ai dit, c'était pas une bonne idée du tout en fait, commenta Kenma en plaquant ses mains sur ses oreilles pour se protéger les tympans.

Non, peut-être bien que ce n'était pas une brillante idée du tout…

-/-

— Ça faisait des années que j'avais pas revu ce film, je le trouve toujours chouette !

Kenma hocha la tête, ne détachant pourtant pas les yeux du générique de fin de Kiki la petite sorcière. Tetsurō, Kenma et Kōtarō étaient empilés pelle-mêle sur le canapé, le regard tourné vers le petit écran de l'ordinateur posé sur la table basse face à eux.

— Sauf que maintenant, je trouve ça quand même un peu étrange de laisser une gamine de treize ans partir avec son balai à travers le pays… Moi à cet âge-là, même aller à l'école solo c'était compliqué.

Kenma pouffa.

— Je crois qu'il aime bien faire travailler les gosses, regarde le voyage de Chihiro.

— Hmm… C'est vrai. Bizarre comme lubie

Ils regardèrent le générique défiler quelques secondes en silence, finalement Tetsurō reprit :

— Maintenant que je le revois je me dis en fait que t'es pas Kiki du coup.

Il tourna la tête pour attraper le regard du blond. Ce dernier haussa un sourcil, s'attendant déjà à la bêtise qu'il allait lui sortir. Tetsurō échappa un sourire amusé :

— En fait t'es l'autre chat, le chat blanc !

Kenma pouffa.

— N'importe quoi.

— Si, si, c'est clair ! Espèce de bêcheuse !

Kenma lui donna un coup de pied, semblant tout de même amusé par la remarque.

Et moi, je suis qui ? signa Kōtarō, toujours lové contre son partenaire.

— Toi t'es le chien, lui répondit ce dernier.

La remarque ne sembla que très peu amuser Bokuto. Il fit la moue, ce qui fit rire ses deux petit-amis.

— T'aimes pas le chien ? Il est super gentil pourtant ! continua Kenma sarcastiquement.

Kōtarō nia les faits véhément, ce qui ne fit que renforcer leur hilarité.

Kuroo sourit, regardant ses deux amoureux interagir, ne tentant même pas d'intervenir.

— Bon, je vous laisse lancer un autre truc, moi je finis de faire à manger, finit-il par déclarer.

Il s'extirpa du canapé et revint en direction de la cuisine. Il vérifia la cuisson de son Nikujaga, remonta le feu sous la casserole où sa soupe miso mijotait lentement puis décida d'aller lancer le rice cooker. Finalement, il récupéra son carnet, vérifiant qu'il avait bien la suite de la recette en tête.

Pour le coup, Tetsurō s'était investi pleinement dans la tâche. Peut-être que les paroles de Nakayama-san l'avait affecté plus que ce qu'il voulait bien admettre, mais cela avait eu le mérite de lui donner la niac. Il avait prévu tous les repas qu'il aurait à composer ces prochains jours il avait noté chaque recette minutieusement, ayant à chaque fois bien pris soin de calculer le nombre de calories, la valeur nutritionnelle et les bienfaits de chaque ingrédient. Il avait pris cette tâche à cœur, il ne savait absolument pas comment cette semaine aller se dérouler, mais au moins, cela il l'avait bien prévue. Il avait même fait vérifier son plan au docteur Megi, qui avait salué son application à la tâche. Il avait transmis à Kenma la liste de tous les ingrédients nécessaires, et le blond s'était ensuite chargé de tout commander pour que tout soit prêt lorsqu'il serait temps de partir. Il avait passé plus de temps à jouer les nutritionnistes ces derniers temps qu'à réviser ses cours, il était sûr de ressortir de cette expérience avec des talents culinaires bien plus impressionnants que sa capacité à retenir le cycle de vie des archées.

Alors qu'il s'affairait à servir les bols de soupes, il manqua d'échapper la casserole lorsqu'il entendit un gros bruit venant du fond de la maison, comme si le plafond venait de violemment s'écraser au sol. Il se tourna. Kenma et Kōtarō avaient relevé les yeux de l'écran, mais ne semblaient cependant pas plus inquiets que cela.

— C'était quoi ce bruit ?

— Je pense que c'est Keiji qui…

Nouveau fracas.

— Qui arrive pas à accrocher la coque.

En voyant Kuroo commencer à partir en direction de la chambre, Kenma reprit :

— Il va te virer si t'y vas.

Il soupira.

— Il va pas me virer si j'ai la bouffe, non ?

Kenma haussa les épaules :

— T'auras peut-être plus de chance.

Le brun hocha la tête. Il récupéra les bols de soupes qu'il venait de servir pour les donner à ses deux petits-amis, et récupéra le plateau qu'il avait composé pour Keiji avant de se diriger vers la chambre. Il posa le plateau et frappa. Aucune réponse.

— Keiji ?

Seul un grognement lui parvint.

— Euh… À table.

Silence.

Il entendit finalement des pas venir à lui et la porte s'ouvrit.

Kuroo sourit en l'apercevant. Il récupéra le plateau qu'il lui présenta fièrement. Keiji ne fit pas bouger un seul de ses muscles faciaux, mais ses yeux parlèrent pour lui.

— Hum… t'as besoin d'aide ?

Keiji fronça les sourcils. Il le détailla de la tête aux pieds, puis se décala pour le laisser rentrer à l'intérieur. Kuroo rentra, et posa le plateau au sol. Il retint un rire en voyant le fatras que Keiji avait mis dans la pièce. Il avait procédé au remplissage de la coque, mais avait apparemment échoué à suspendre la structure au plafond, les chutes à répétition ayant fini de détruire les efforts qu'il avait pu mettre dans sa préparation. Keiji échappa un soupire, dépité.

— T'arrives pas à la suspendre ?

Il fit non de la tête.

Trop haut, trop lourd, lui signa-t-il.

— Oui, t'aurais dû faire ça avant de mettre des trucs dedans. Tu fais comment d'habitude ?

Escabeau. J'ai oublié.

Kuroo s'approcha. Même en étendant les bras, il n'arriverait pas non plus à la suspendre correctement.

— Si je te porte ça irait ?

Le brun sembla y réfléchir, puis finalement hocha la tête.

Kuroo se dit que s'il continuait à devoir porter ses petits-amis à longueur de journée, il ressortirait de cette semaine non seulement doué en cuisine, mais également musclé comme un demi-dieu grec. Ou avec des problèmes de dos monstrueux, rien n'était moins sûr à ce stade. Il se baissa pour que Keiji monte sur ses épaules. Il crut bien ne jamais arriver à se redresser. Habité par une force qu'il ne se savait pas posséder, il finit par suffisamment pousser sur ses jambes pour se relever. Voilà qu'il se trouvait de nouveaux talents à chaque instant ! Peut-être que s'il échouait à son master il pourrait tenter une carrière au Cirque du Soleil ?

— Corde, réussit à lui dire son amoureux.

Kuroo baissa les yeux, trouvant la corde accrochée au bord de la coque. Il dut se baisser pour la saisir, concentrant toutes ses forces pour ne pas faire tomber Keiji. Une fois la corde en main, il la lui tendit. Akaashi la récupéra, et s'afféra à la nouer à travers l'anneau pour suspendre la coque, même pas impressionné par la performance impeccable de Tetsurō. Public difficile, mais les juges de son audition au Cirque du Soleil le seraient beaucoup plus, il fallait qu'il s'y fasse...

Il laissa ses pensées saugrenues de côté lorsqu'il sentit Keiji lui taper l'épaule pour lui signaler qu'il avait terminé.

— Ok, je te redescends attends.

Plus facile à dire qu'à faire, à peine avait-il entrepris de plier ses jambes qu'il commença à tanguer, il tenta bien de se rattraper, mais Keiji finit par basculer sur le côté. Avant même qu'il n'ait pu faire quoique ce soit, ils s'étalèrent tous deux au sol. Lui qui avait caressé l'espoir de passer à des portées plus techniques ! C'était un bon retour aux bases qu'il devait faire…

— Merde, ça va ? s'empressa de demander Kuroo en s'approchant de son petit-ami pour vérifier qu'il allait bien.

Bien heureusement, ce dernier était retombé sur le tas de couvertures empilé au sol. Leurs regards se captèrent. La surprise passée, Keiji pouffa. Il lui sourit et son regard trouva le sien. Tetsurō retrouva dans ses yeux la lueur pétillante et tendre qu'il lui connaissait si bien. Il se sentit soulager d'un poids qu'il n'était même pas conscient d'avoir porté jusque-là. La lourdeur sur sa poitrine s'était levée. Il réalisa que bien qu'il ait voulu se le cacher, s'en éloigner en se raccrochant à toutes les petites choses qu'il pouvait maigrement contrôler, il avait eu peur. Il avait eu peur de ce qui pouvait se passer, il avait eu peur d'être de trop, inadéquat, impuissant. Il en avait presque oublié la raison pour laquelle il était là: pour eux avant tout.

Keiji étira les bras et les enroula autour de son cou, le pressant pour qu'il vienne à lui. Tetsurō se laissa glisser dans l'étreinte, fermant les yeux lorsque sa tête se posa sur le torse de son amoureux.

Tout irait bien.

-/-

En y repensant, Kuroo aurait peut-être dû constituer une « Watch list » avant de venir. Après tout, il ne savait pas bien ce qu'il allait faire de ses journées dans les prochains jours, et il avait déjà refait toute sa liste d'animation favorite en une journée. Oui, il pouvait toujours réviser ses cours, lire les notes envoyées par Oikawa et faire quelques fiches de révision, mais il n'allait tout de même pas faire ça alors que d'autres s'adonnaient à des plaisirs bien moins intellectuels. Il fallait un minimum équilibrer la balance !

La nuit était tombée depuis une heure déjà, il avait passé l'après-midi vautré dans le canapé avec Kenma et Kōtarō, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Cependant, avec la nuit étaient revenues ses angoisses.

Il tourna les yeux, Kōtarō s'était endormi, toujours blotti dans les bras de Kenma qui caressait les cheveux de son partenaire distraitement. Son regard se posa sur le blond. Il regardait Kōtarō tendrement, apaisé et confiant. Maintenant qu'il y pensait, il ne savait pas vraiment comment aller se dérouler le cycle de Kenma, il connaissait la théorie certes, mais il n'était pas certain que Kenma y collait beaucoup.

— Kenma ?

Le blond lui signifia qu'il était à l'écoute mais ne releva pas les yeux.

— Je… je peux te poser une question ? C'est peut-être un peu intrusif, tu n'es pas obligé de répondre.

Le blond fronça les sourcils et leva les yeux

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

Kuroo hésita.

— Je voulais juste… Je me demandais…

— Oui ?

Il échappa un soupire.

— Je me demandais juste… comment ça se passe pour toi le, le cycle ? On a parlé d'avant et après mais pas… pas pendant. Je me demandais juste si… comme tu es, tu sais… enfin, si c'était différent ?

Kenma écouta sa question, aussi alambiquée soit-elle. Il ne semblait pas indisposé par cette dernière, ce qui rassura Kuroo.

— Tu veux dire, en quoi c'est différent parce que je suis asexuel ?

— Euh… oui.

Kenma soupira, il y réfléchit un moment avant de répondre.

— Je t'avoue que je ne sais pas vraiment en quoi c'est… différent. Ce n'est pas parce que je ne ressens pas d'attirance sexuelle que je n'ai pas de libido… Je t'accorde qu'elle n'est pas vraiment super haute la plupart du temps, mais en cycle c'est… le cas.

— Oh, ok.

— C'est juste… pas dirigé ni… concret, si tu vois ce que je veux dire.

Il pouvait se figurer à peu près ce qu'il voulait dire. La sexualité était une chose complexe, il le savait, il l'avait lui-même expérimenté à son niveau.

— D'ailleurs… c'est pour ça que je m'étais dit que ça irait…

Kuroo retrouva son regard, inquiété de la résonnance que sa voix avait prise.

— Tu veux dire… la dernière fois ?

Le blond hocha la tête.

— Ça avait été… difficile pour moi, avant.

Ses yeux s'étaient de nouveau posés sur Kōtarō. Il pouvait deviner à travers son regard la tristesse et la lourdeur régnant dans son coeur.

— Mais… j'y avais assez réfléchi et… je m'étais dit que… partager ce moment avec eux… Que ça irait, parce que je les aime, que je suis en confiance et que… Bref.

Tetsurō sentit son cœur se serrer. Il attrapa la main de Kenma qu'il serra dans la sienne. Le blond releva les yeux. Il échappa un sourire, mais Kuroo put déceler que ce n'était qu'une façade.

— J'ai… peur, de ce qu'il peut se passer… Et je suis désolé que… Que ce soit si compliqué à cause de moi.

— Kenma… C'est pas ta faute tu sais… Je pense pas que Kōtarō et Keiji pensent que c'est le cas non plus…

Il sentit que ses mots n'avaient pas tout à fait traduit ce qu'il ressentait véritablement, il ne savait pas comment articuler ses pensées, ses sentiments.

— Quoiqu'il arrive je suis là, tenta-t-il de le rassurer.

Il ne mentait pas pour autant.

Kenma hocha la tête.

— C'est peut-être égoïste mais… ça me rassure que tu sois là.

— En quoi c'est égoïste ?

— De… compter sur toi pour potentiellement régler des problèmes qui étaient là bien avant que tu rentres dans nos vies, que tu te retrouves avec ça sur les bras.

Tetsurō lui sourit.

— C'est pas égoïste. On en a discuté, je sais dans quoi je m'embarque, j'ai fait le choix d'être ici, avec vous. Je suis pas dans vos vies seulement pour les bons côtés. Je suis là pour vous, pour toi.

Kenma hocha de nouveau la tête.

— Merci Tetsu…

— C'est normal.

Alors qu'il se penchait pour embrasser le blond, il fut pris de cours pas un coup de sifflet émanant du fond de la maison.

— Ah, Keiji doit avoir fini.

— On va voir ?

Le blond hocha la tête. Il se défie le plus délicatement possible de son partenaire, prenant bien soin de ne pas le brusquer. Il échappa un soupire d'aise une fois sortie du canapé en constatant que Kōtarō n'avait pas l'air de s'être réveillé. Un nouveau coup de sifflet retentit et ils comprirent qu'ils avaient tout intérêt à se bouger avant que Keiji ne perde réellement patience.

Ils frappèrent en arrivant devant la chambre, Akaashi vint leur ouvrir quelques secondes plus tard, restant cependant dans l'embrasure de la porte.

— T'as fini ? demanda Kenma.

Le brun hocha la tête.

— Tu veux nous montrer ?

Keiji eut l'air inquiété, il jeta un coup d'œil aux alentours. Finalement il retrouva le regard de Kenma :

Kōtarō ? comprit Kuroo en reconnaissant le signe désignant son petit-ami.

— Il dort.

Akaashi acquiesça.

Fermez les yeux.

Ils s'exécutèrent. Kuroo entendit le brun ouvrir la porte. Il leur prit les mains pour les mener à l'intérieur. Il entendit la porte se refermer et Keiji éteignit la lumière. Un rapide coup de sifflet leur indiqua qu'ils pouvaient de nouveau ouvrir les yeux.

Kuroo s'exécuta.

La chambre avait été plongée dans la pénombre, des dizaines de guirlandes disposées tout autour projetaient une douce lumière dorée à travers la petite pièce. Au centre, maintenant suspendu à quelques centimètres du sol, se tenait la coque en bambou que Kuroo avait aidé à installer, il n'en revenait pas de la voir si transformée. Elle avait été habillée d'une immense canopée blanche tombant en large pan tout autour. Sur le tissu couraient des nuées de papillons dont les ailes reflétaient en perle dorée la lumière des guirlandes tombant en cascade tout autour.

— Woh…

La coque avait également été attachée aux quatre anneaux dorés au sol, ce qui n'était pas idiot si l'on considérait l'utilisation principale qui allait en être faite, un accident de lit balançoire était si vite arrivé !

À travers le voilage, Kuroo put discerner l'intérieur de la tonnelle, où couette, oreiller et autres matériels duveteux avaient été méticuleusement installés. L'antre paraissait accueillant, douillet, chaleureux. Kuroo n'était pas un expert en tonnelle et ne connaissait pas les critères permettant de juger cet ouvrage, mais il se figurait que quoi qu'ils fussent, Keiji les avait largement respectés. Toujours émerveillé par l'ouvrage, Kuroo tenta de s'approcher plus près. Avant même qu'il n'ait pu faire un pas, Kenma attrapa sa main. Il trouva le regard de son amoureux en tournant les yeux, et il comprit : Keiji avait construit cette tonnelle pour une raison, ce n'était pas une simple décoration coconing, elle avait du sens, énormément à ses yeux. S'en approcher de trop lui signalerait qu'il acceptait de le rejoindre, il savait ce que cela impliquait. Kuroo se remit à sa place initiale. Il tourna les yeux vers le brun, accroupis au sol derrière eux, épiant leur réaction. Ses traits étaient neutres, et Tetsurō ne put discerner si son refus d'approcher plus près l'avait blessé ou non.

— C'est très joli Love, commenta Tetsurō, toujours un peu gêné, je suis sûr que Kōtarō va adorer.

Keiji ne répondit pas, mais Kuroo put l'entendre commencer à ronronner, ce qui lui arracha un sourire. Il tourna les yeux vers Kenma. Le blond avait lui aussi fait glisser un sourire sur ses lèvres, mais il sentit qu'il était lourd d'une tristesse éprise, de culpabilité insoluble et insubmersible, et de beaucoup d'amour aussi. Le blond s'approcha de son partenaire. Ce dernier le regarda venir vers lui, la patience et la ferveur brillant dans son regard. Une fois arrivé à sa hauteur, Kenma posa sa main sur sa joue.

— Oui, c'est très beau, l'entendit-il murmurer.

Un silence lourd s'étira, la lumière autour sembla s'affaiblir.

Tu viens ? signa le brun.

— Non Keiji…

Son partenaire fondit en larme. De ces larmes abandonnées et sans lourdeur qu'ont parfois les enfants. Keiji connaissait l'issue de cette discussion, il la connaissait depuis le début, mais cela n'enlevait rien à la douleur que cela lui causait.

Je veux pas que tu sois seul.

Je suis pas seul, Tetsurō est là, avec moi, avec nous.

L'alpha releva les yeux, son regard attrapa celui de Kuroo qui lui sourit. Il le sentit s'apaiser. Il tourna de nouveau les yeux vers son partenaire, puis posa son front sur le sien. Ils restèrent de longues secondes ainsi, dialoguant sans qu'un mot ne leur échappe.

— Tu veux faire une mini tonnelle pour moi, dans ma chambre ?

Keiji détourna les yeux.

Déjà fait.

— Vraiment ? Viens me montrer ça alors.

Kuroo les vit sortir de la chambre. Alors qu'il s'apprêtait à en faire de même, il entendit des pas revenir vers lui. Keiji était revenu à toutes jambes, il ouvrit les bras et se jeta sur lui pour le serrer fort contre lui. Kuroo pouffa, mais se laissa glisser dans l'étreinte. Keiji l'embrassa sur la joue avant de se séparer de lui pour repartir à toutes jambes. Kuroo resta planté un moment au milieu de la pièce, déboussolé par les brusques changements de comportement de son petit-ami. Il finit par hausser les épaules, il fallait bien qu'il s'y fasse après tout. Il quitta la pièce, jetant un dernier coup d'œil à la tonnelle avant de refermer la porte.

Le reste de la soirée s'écoula étrangement, comme si cette fois, pour de vrai, le compte à rebours avait été lancé. Kuroo finit par se retrouver seul, Kenma était parti dans sa chambre, Kōtarō et Keiji dans la leur. Il resta derrière, occupant son esprit aux tâches ménagères lui étant restées sur les bras, et qui, pour une fois, étaient bienvenues pour l'éloigner de ses angoisses. Il était déjà bien tard lorsqu'il partit se coucher, traversant le couloir plongé dans le noir, enfermé par son anxiété et sa solitude grandissante. Tous ces sentiments l'abandonnèrent pourtant lorsqu'il pénétra dans la petite pièce lui servant de chambre. Sur les murs couraient quelques guirlandes aux lumières d'or, créant autour une atmosphère chaleureuse et tendre. Kuroo pouffa, profondément attendit en découvrant les papillons qui avaient été disposés tout autour de son lit. Il sentit son cœur s'alléger. Il déplaça les insectes factices afin de s'allonger, sans pour autant les éloigner de lui, il ne prit pas la peine d'éteindre les guirlandes, et leurs lumières chaudes l'accompagnèrent jusqu'au sommeil.

-/-

« - Ainsi, tu as accompli tous ces travaux. Maintenant, écoute ce que je vais te dire. Un Dieu lui-même fera que tu t'en souviennes. Tu rencontreras d'abord les Seirènes qui charment tous les hommes qui les approchent ; mais il est perdu celui qui, par imprudence, écoute leur chant, et jamais sa femme et ses enfants ne le reverront dans sa demeure, et ne se réjouiront. Les Seirènes le charment par leur chant harmonieux, assises dans une prairie, autour d'un grand amas d'ossements d'hommes et de peaux en putréfaction. Navigue rapidement au-delà, et bouche les oreilles de tes compagnons avec de la cire molle, de peur qu'aucun d'eux entende. »

Odyssée Chant XII, Homère

Première utilisation historique de ce qui pouvait s'apparenter à des bouchons d'oreilles. Kuroo l'avait appris, ou plutôt réapprit, en recherchant sur internet le prix pour ses petites boules de bonheur qui lui manquait tant à présent. Certes, il n'avait pas à échapper au chant « harmonieux » des sirènes, tel Ulysse sur son navire homérique, mais la sensation devait en être assez proche, étrange mélange de tentation et d'effroi. Il se détestait de ne pas y avoir pensé plutôt… Il était dans une pièce au mur ridiculement fin, juste à côté de ses petits-amis en cycle dont ils n'avaient absolument pas de doute sur l'activité actuelle. Très honnêtement, leur « activité » n'était présentement pas forcément le problème, Tetsurō n'était ni naïf ni idiot, il savait très bien dans quoi il s'était embarqué, du moins c'est ce qu'il pensait… Non, c'était la fréquence le problème la douleur venait surtout de son cruel manque de sommeil. Il avait eu la maigre chance de trouver la douceur du sommeil une petite heure, avant d'être pour la première fois éveillé, depuis, il n'avait eu aucun répit. Il arrivait bien à faire des microsommeils de quelques minutes, mais à peine commençait-il à s'endormir, que les deux énergumènes remettaient le couvert. Il espérait maintenant se faire assez aux « bruitages » pour que son cerveau s'en détache complètement et le laisse s'endormir. Impossible. Il n'avait aucun répit.

Il soupira, décidant de lâcher prise. Au moins l'oreiller qu'il s'était fourré sur la tête atténuait un tant soit peu les bruits… Peut-être qu'avec un peu de chance, il finirait par s'asphyxier avec, ce qui à cet instant n'était pas pour lui une pensée négative du tout. Il sursauta presque en entendant le calme revenir, jamais le silence n'avait été si glorieusement salvateur ! Il sourit et se laissa lourdement tomber dans les bras de Morphée. Il en fut très rapidement arraché de force, mais cette fois, il m'y quelques secondes à comprendre de quoi il s'agissait, bruit humide et… comme si…

Un gémissement lui parvint, un gémissement de douleur, de larmes et d'asphyxie.

« Kenma » pensa-t-il. Il se leva d'un bon. Son corps eut du mal à retrouver ses sensations, et il tituba maladroitement jusqu'à la porte avant de pouvoir retrouver complètement son équilibre. Il se rua à côté, la porte des toilettes était restée grande ouverte. Kenma était au-dessus de cuvette, remué de sursaut de larmes entre deux vomissements, le corps tremblant de douleur.

— Kenma ! s'exclama-t-il avant de s'approcher.

Le blond ne réagit même pas, il avait la peau moite de sueur, ses yeux fiévreux étaient bordés de larmes qui lui avaient été arrachées de force. Kuroo s'assit à ses côtés, ne pouvant pour le moment pas faire grand-chose mis à part retenir les cheveux de son petit-ami, et caresser son dos pour l'apaiser.

— Bordel… l'entendit-il murmurer, toujours secoué de spasme douloureux.

Le blond finit par relever la tête, il referma la cuvette et actionna la chasse d'eau. Il se laissa glisser au sol, se recroquevillant sur lui-même, chacun de ses muscles semblant crispé de souffrance. Kuroo s'approcha pour caresser ses cheveux. « J'ai mal » répétait le blond comme une litanie infernale, serrant ses genoux fortement contre sa poitrine pour tenter d'écraser la douleur.

— Je vais te chercher un verre d'eau, je reviens, le prévint Kuroo.

Kenma hocha la tête et le brun partit en courant, ne voulant pas le laisser seul trop longtemps. Il revint quelques instants plus tard, un grand verre d'eau fraiche à la main. Il aida Kenma à se redresser, devant le tenir dans ses bras pour qu'il ne s'écroule pas à nouveau. Le blond but à petites gorgées, et Kuroo dut maintenir le verre pour lui tant ses mains étaient tremblantes.

— Voilà… murmura-t-il, respire…

Il fit la démonstration, inspirant et expirant profondément pour le guider, tout en berçant lentement le blond dans ses bras. Ce dernier finit par suivre sa respiration, arrivant finalement à s'apaiser. Les tremblements finirent par cesser.

— Ça va mieux ?

— …Non, échappa le blond dans un soupire étriqué.

— Ok…

Il continua de le bercer, lentement. Kenma finit par lui marmonner quelque chose. Il lui demanda de répéter, le blond réitéra, lui désignant du doigt l'évier face à eux.

— Tes médicaments ?

Son amoureux hocha la tête.

Kuroo le laissa pour aller récupérer la petite boîte posée sur le bord de levier. Il la tourna pour en voir la composition : paracétamol et opiacé, il échappa un hoquet de surprise en découvrant la concentration. Le blond étendit les bras pour qu'il la lui donne.

— Tu en as pris déjà ? demanda le brun, inquiet.

Kenma hocha la tête.

— C'était ya combien de temps ?

Le blond soupira mais ne répondit pas.

— C'était il y a longtemps ?

Kenma opina négativement et lui montra un doigt.

— Une heure ?

Il hocha la tête.

Kuroo regarda la composition une dernière fois. La notice n'était pas avec mais il avait fait assez de pharmacologie pour savoir que c'était une très mauvaise idée de lui en redonner maintenant. Aussi déchiré soit-il de le voir dans cet état, le surdosage d'opiacé n'était pas la solution du tout.

— Je suis désolé mais va falloir attendre un peu avant de pouvoir en reprendre…

Kenma échappa un long gémissement, frustré et souffrant. Il finit par inspirer lentement.

— Ok…

Le blond se releva en s'aidant du mur. Il tituba jusqu'à la porte.

— Tu vas où ? lui demanda Tetsurō dans un murmure.

— Essayer de dormir…

Il n'eut pas le temps de passer la porte que déjà il perdit son équilibre. Kuroo le rattrapa in extremis. Il commença à paniquer en constatant qu'il était au bord de l'évanouissement.

— Kenma ?

Le blond ouvrit les yeux, et son regard se focalisa de nouveau au bout de quelques secondes.

— Fais chier… murmura son petit ami, blasé de se retrouver dans cet état.

Kuroo l'aida à se relever et à retourner jusque dans sa chambre. Kenma ne semblait plus autant en détresse, mais ses membres étaient toujours fébriles, les traits de son visage tordus de douleur.

— Tu veux quelque chose ? Une bouillotte ?

Le blond sembla troublé.

— J'ai pas de bouillotte.

Tetsurō fronça les sourcils malgré lui. Pas de bouillotte ? Certes, il n'avait pas d'utérus, mais il avait grandi entouré de personne en possédant et il avait malgré lui intégré que c'était un accessoire indispensable c'était d'ailleurs son seul moyen d'un minimum aider ses sœurs quand il constatait qu'elles n'allaient pas bien. Il se sentit un peu démuni.

— T'inquiètes Testu j'ai l'habitude ça va…

— Un bain chaud ? le coupa par inadvertance le brun.

Kenma sembla trouver l'idée certes inattendue, mais fort tentante. Il secoua la tête comme pour s'en défaire.

— Je vais pas prendre un bain en pleine nuit !

— Bah pourquoi ?

— Je vais pas…

Il fut coupé parce qu'il s'apparentait sans l'ombre d'un doute à un cri d'extase.

— Les réveiller ? ajouta finalement Kuroo, un rien blasé.

Comme quoi, il avait fini par s'y faire.

La surprise initiale passée, Kenma pouffa.

— Non, t'as raison.

— Ok je fais ça.

Kuroo quitta la chambre et rejoint la salle de bain. Il lui fallut quelques secondes pour trouver le panneau de contrôle de l'ofuro, qui était à un endroit pourtant très habituel, soit au-dessus de la baignoire. Il lança le remplissage automatique, s'assit à même le sol, et laissa sa tête reposer sur le bois brun entourant la baignoire. Il soupira… Diable qu'il était fatigué… Il finit par s'assoupir. Il revint brusquement à lui lorsque la petite voix du panneau de contrôle le prévint que la tâche était terminée. Il repartit dans la chambre de Kenma, ouvrant doucement la porte pour ne pas le réveiller si ce dernier avait fini par s'endormir. Son regard capta directement le sien lorsqu'il ouvrit complètement la porte. Kenma étendit les bras et Tetsurō comprit la demande. Il s'approcha, laissant Kenma passer ses bras autour de son cou, passa un bras dans son dos et sous ses jambes pour le soulever. Comparé à Kōtarō qu'il avait dû porter plus tôt dans la journée, Kenma était un poids plume !

Il le reposa à l'entrée de la salle d'eau.

— Ça va aller ?

— Oui je peux me débrouiller je pense.

À la seconde même où il dit cela en tentant de retirer son t-shirt, il tangua et manqua de s'étaler au sol.

— J'ai rien dit.

Kuroo pouffa en entendant le ton profondément blasé que son petit-ami avait pris. Il retira son pantalon de pyjama pour éviter de le mouiller et rejoint Kenma pour l'aider à se déshabiller. Il dut encore l'aider à s'assoir sur le tabouret en bois installé près de la baignoire pour qu'il se lave, et dut lui servir d'appui pour qu'il rentre dans la baignoire. À la seconde où sa peau rentra en contact avec l'eau chaude, il vit Kenma se détendre. Il s'enfonça dans l'eau, un sourire d'aise lui échappant finalement lorsqu'il fut totalement immergé. Le voir s'apaiser arracha un sourire au brun.

— Oh bordel…

— Bonne idée non ?

— Hmm…

Kenma ferma les yeux et laissa sa tête reposée sur le mur. Kuroo croisa ses bras sur le bord de la baignoire et laissa sa tête reposée dessus. Il regarda quelques secondes son petit ami, dont l'état s'était visiblement amélioré. Il ne lui fallut pas dix secondes de plus avant de s'endormir. Il ne se réveilla que près d'une heure plus tard, lorsque Kenma passa sa main dans ses cheveux pour le réveiller. Kuroo ouvrit un œil.

— Ça va ?

— Mieux, l'eau chaude et les médocs ont fait effet. J'ai peut-être deux, trois heures de répit, je vais essayer de dormir.

Kuroo hocha la tête. Il l'aida à sortir et se sécher, puis le laissa regagner sa chambre. Lorsqu'il retrouva son lit, le chant des sirènes avait repris, mais nul besoin de « cire molle » à présent, il s'endormit à sa seconde où sa tête trouva son oreiller.

-Fin du chapitre-

Franchement, je comprends pas pourquoi l'ofuro ne s'est pas répandu en occident, j'ai vu trois vidéos youtube dessus et je suis fan !

Première partie de « Kuklos », j'espère qu'elle vous aura plu !

Prochain chapitre : « Kuklos 2 »:

« Il alluma le contact. Cherchant instinctivement la pédale d'embrayage, son pied tâtonna jusqu'à la première pédale qu'il rencontra : l'accélérateur. La voiture partit brusquement en arrière. Il paniqua, chercha maladroitement les pédales et attrapa le levier à sa gauche en essayant instinctivement de passer la première vitesse. Un bruit mécanique contrarié s'échappa de la boîte et ses pieds trouvèrent simultanément la pédale d'accélérateur et de frein. Le véhicule cala brutalement, et la tête de Kuroo fit une belle avancée vers le parebrise avant de retomber brutalement sur le dossier de son siège. Une fois le véhicule arrêté, il lâcha le volant, l'adrénaline et la peur avait fait exploser son rythme cardiaque et il lui fallut de longues secondes pour pouvoir reprendre son souffle. Ok, bon, mauvais départ.

See ya !