- Pour le meilleur et pour le pire -


Disclaimer

Cette histoire ne prend pas en compte le final de la saison 4, car je l'ai commencée avant que celle-ci soit terminée. Je précise aussi que les titres de chapitre, sur un seul mot, ont été décidés avant que le nom des épisodes de la saison 5 soient annoncés. C'est juste une coïncidence si ce sont également des noms uniques.

Par ailleurs, ce n'est pas vraiment une saison 5, car cela commence quand nos amis commencent leurs études après avoir terminé le lycée.

Grand merci à Fenice, Tryphon21 et Mayamauve pour leurs précieuses corrections.

Pour ceux qui s'intéresseraient à l'analyse psychologique des personnages de Miraculous : gentil-minou. tumblr. com (compte en anglais).


VI - Révélation

Phénicia félicita Marinette pour ses progrès. En quelques semaines, elle avait réussi à faire face à son traumatisme et à le transformer en souvenirs positifs.

— Ce n'était pas si difficile, assura modestement Marinette. Je suis vraiment contente d'être allée à ce concert. C'est vrai que j'angoissais un peu avant, mais tout s'est bien passé. Les Parisiens sont vraiment adorables.

— C'est très bien et je suis ravie que vous n'ayez plus de cauchemars, la félicita Phénicia. Mais je préfère vous prévenir qu'il est possible que vous ayez des rechutes. Ce n'est pas obligatoire mais, si cela arrive, ne paniquez pas. Revenez me voir et nous passerons le cap, comme nous venons de le faire.

L'année universitaire était bien entamée. Adrien avait trouvé un stage pour clore ses deux années qui le préparaient au cycle ingénieur de trois ans. Comme au tout début de ses études, son nom avait suscité l'intérêt des recruteurs. L'ancien mannequin ne savait pas si cela l'avantageait ou non. Il avait été convoqué à beaucoup plus d'entretiens que ses camarades de promo, mais il avait mis autant de temps que les autres à se voir proposer un contrat.

— La plupart du temps, on me fait venir par curiosité, expliqua-t-il à Sabine quand elle lui demanda comment cela se passait. Mais ensuite, je pense que beaucoup ont du mal à croire qu'un gosse de riche puisse vraiment travailler pour de bon. La plupart me demandent si j'ai définitivement abandonné ma carrière de mannequin et je suis obligé de les convaincre que je suis sérieusement en train de me former à un métier.

Il était un peu anxieux quand il se rendit dans l'entreprise qui l'avait embauché.

— Personne ne m'a demandé d'autographe, raconta-t-il le soir à Marinette, mais j'ai eu pas mal de sous-entendus. Enfin, le principal est que le programme me plaît bien. Je vais passer dans plusieurs services et je serai associé à une étude de cas, le mois prochain. C'est un gros projet, on me donnera un petit bout à faire, sous supervision.

— Ça m'a l'air bien.

— Il y a une alternante avec laquelle je vais pas mal bosser et qui est cool. On devrait bien s'entendre. Et toi, ton projet de clôture avance correctement ?

Le mois de juillet arriva rapidement, libérant les deux étudiants. Ils avaient tous deux validé leur année et pouvaient profiter de leurs vacances l'esprit tranquille. Adrien insista pour qu'ils partent plus longtemps que l'année précédente. Sur un coup de tête, il prit des billets pour la Croatie. Ils admirèrent les paysages, profitèrent des plages et terminèrent par une petite croisière dans l'Adriatique qui les mena à Venise.

— Tu me donnes de mauvaises habitudes, décréta Marinette, un peu honteuse, alors qu'ils se reposaient à leur hôtel après avoir exploré la ville. J'avais prévu de travailler cet été pour mettre un peu d'argent de côté.

— Tu as eu une année difficile, lui rappela Adrien. Tu as fait un travail extraordinaire sur toi-même. Tu mérites de profiter de la vie, sans stress ni fatigue.

— Vu comme ça, toi aussi, tu mérites du repos, alors, remarqua Marinette. Tu m'as soutenu tout du long, je ne te remercierai jamais assez.

— Ce n'est rien, Buguinette. Et j'aime bien quand tu te reposes sur moi.

— De cette façon ? demanda Marinette en roulant sur lui.

— Voilà, tu m'as parfaitement compris.

oOo

La nouvelle année universitaire commença sous les meilleurs auspices. Adrien et Marinette avaient l'impression d'avoir enfin surmonté tout ce qui pouvait les séparer. Marinette se sentait bien, toute angoisse envolée. Elle profitait pleinement de sa vie de couple avec Adrien. Elle aimait son école et était passionnée par ce qu'elle y apprenait. Adrien avait commencé le cycle en trois ans pour devenir ingénieur, à l'issue de ses deux années préparatoires. Il avait choisi l'option généraliste, n'étant tenté par aucune spécialité particulière. Le premier semestre s'écoula paisiblement et se conclut pour les fêtes dans une ambiance familiale.

Un soir de janvier, alors qu'Adrien et Marinette sortaient d'un cinéma, ils tombèrent sur une ancienne connaissance : l'ancien chauffeur garde du corps de son père, celui qu'Adrien avait surnommé « Le Gorille ». Quand leurs regards se croisèrent, l'homme se contenta d'un respectueux signe de tête. Adrien se rapprocha de lui en souriant et lui tendant la main. Le visage buriné du Gorille s'éclaira :

— Monsieur Adrien.

— Bonjour. Comment allez-vous ?

— Bien, et vous ? demanda l'homme, regardant discrètement en direction de Marinette qui était restée en retrait.

— Très bien. Je poursuis toujours mes études. Et de votre côté ? Je suppose que vous avez trouvé un nouvel employeur.

— Nathalie a fait le nécessaire.

— Votre nouveau travail vous plaît ?

— Oui. Comment va Monsieur Agreste ?

— Bien, répondit Adrien, réalisant qu'il n'en savait rien. Il vit à la campagne, maintenant.

— Je sais. Je l'ai conduit là-bas.

Adrien resta un instant interdit en réalisant que l'homme en savait davantage sur lui sur le nouveau cadre de vie de son père. L'idée s'imposa avec une telle force qu'il ne se donna pas la peine d'y réfléchir. De manière impulsive, il demanda :

— Est-ce que vous pourriez m'y amener un jour ? Je n'ai pas de voiture. Je vous paierai la course, bien entendu.

— Si vous voulez. Vous ne me devrez rien. J'ai eu une grosse indemnité en partant. Je suis redevable.

Ils se mirent d'accord sur le jour, le dimanche suivant, et se quittèrent en se serrant la main. Adrien se sentit fébrile sur le chemin qui le ramenait à son appartement. Il exprima tout haut ses doutes à l'intention de Marinette :

— Tu crois que c'est une bonne idée ?

— Pourquoi pas ? Je n'approuve pas la façon dont il te traitait, mais c'est ton père. Vérifier qu'il va bien et qu'on prend bien soin de lui est naturel.

— J'aurais dû le faire avant, soupira Adrien. Ce n'est pas normal de m'en être totalement remis à Nathalie. Ce n'était pas à elle de prendre toute cette responsabilité.

— Comme je le disais, je ne pense pas qu'il t'a traité correctement durant ton adolescence. S'il avait été plus proche de toi, plus affectueux, plus préoccupé par tes besoins, tu n'aurais pas agi ainsi. C'est lui qui a mis Nathalie entre vous deux.

— Si ce que tu dis est vrai, pourquoi y aller, alors ?

— Tu dois en avoir besoin d'une certaine manière, Adrien. Suis ton instinct. Cela ne peut pas te faire de mal.

oOo

Comme prévu, le Gorille attendait Adrien dans une voiture confortable, le dimanche suivant en début d'après-midi. Adrien décida de s'asseoir à côté de son chauffeur. Celui-ci lui rendait un service, ce n'était pas une course payée. Ils parlèrent durant le trajet davantage que durant toutes les années où l'homme avait convoyé et suivi Adrien dans ses activités. Le jeune homme avait ouvert la conversation sur la passion du Gorille : les figurines de héros de comics. Le chauffeur se montra étonnamment disert sur le sujet. Il raconta pourquoi il les trouvait intéressantes et confia qu'il avait beaucoup plus de temps libre avec son nouveau travail, ce qui lui avait permis de se joindre à des communautés virtuelles de passionnés. Il avait ainsi beaucoup plus de relations sociales qu'auparavant.

— Et beaucoup plus de conversation, le taquina Adrien.

À son tour, le jeune homme résuma sa nouvelle vie : ses études, sa petite amie, les anciens copains du collège qu'il fréquentait toujours.

— Vous êtes bien, maintenant, commenta le chauffeur.

— Ce n'était pas si terrible avant, défendit instinctivement Adrien. Mais… Mais c'est vrai que je n'ai pas perdu au change.

Ils étaient presque arrivés. La demeure où vivait Gabriel se trouvait près d'Étampes, à une heure en voiture de Paris. Elle se dressait en bordure de la ville. La porte de la maison donnait directement sur la rue, mais le long mur qui bordait la façade laissait deviner une vaste propriété, qui s'était sans doute laissée englober récemment par l'agglomération.

— Je vais attendre, dit le Gorille. Prenez votre temps.

— Merci, dit Adrien, le ventre soudain noué.

Il descendit de la voiture et alla sonner à la lourde porte en bois clouté. Dans un premier temps, personne ne répondit. Il avait cependant noté la fumée qui s'échappait de la cheminée et une fenêtre ouverte au premier étage. La bâtisse était bien habitée. Son père était-il sorti ? Non, Gabriel n'était pas du genre à faire des promenades dominicales.

Il sonna de nouveau, plus longuement. Finalement, une femme, de type asiatique, lui ouvrit et le dévisagea avec méfiance.

— Bonjour, je suis Adrien Agreste, se présenta le jeune homme. Je suis venu voir mon père.

La femme répondit, avec un fort accent qu'Adrien n'identifia pas :

— No visit.

Il répéta sa phrase en anglais. Elle secoua négativement la tête. Son chauffeur s'était-il trompé d'adresse ?

— Does Gabriel Agreste live here ? s'obstina Adrien.

— No visit, réitéra la femme.

— I'm his son, insista-t-il.

À son air fermé, il comprit qu'il ne l'avait pas convaincue. L'avait-elle seulement compris ? Allait-il être obligé d'appeler Nathalie et lui demander de donner l'ordre de le faire entrer ? Il se sentit profondément humilié à l'idée de devoir dépendre d'une employée pour visiter sa seule famille. Il eut soudain une idée. Il sortit son téléphone et chercha fébrilement dans sa galerie. Nathalie lui avait envoyé, plus de deux ans auparavant, une photo qui avait été prise lors d'un gala où il avait dû faire une apparition. C'était le seul cliché en sa possession où il figurait en compagnie de son père.

— Regardez, enjoignit-il en montrant l'image à la femme.

Celle-ci l'examina en fronçant les sourcils, visiblement perplexe. Fébrile, il fit une mauvaise manipulation qui éteignit son téléphone. Il s'empressa de le rallumer, se demandant comment convaincre la cerbère. Il l'entendit pousser une exclamation, quand elle découvrit son écran d'accueil. Le portrait d'Emilie s'y trouvait toujours. Il ne l'avait pas modifié en six ans, bien qu'il ait changé d'appareil.

La femme s'écarta et pointa du doigt vers l'intérieur. Il fallut quelques instants à Adrien pour comprendre ce qu'elle lui désignait. Dans le hall, se trouvait une large peinture représentant ses deux parents. Ils paraissaient tous deux très jeunes. Le tableau avait dû être peint plus de vingt ans auparavant.

— Yes ! confirma-t-il. Mother and father.

L'employée s'écarta enfin pour le laisser entrer. Elle le conduisit à l'arrière de la maison. Dans le hall, bien plus petit que celui du manoir, puis suivirent un couloir où Adrien reconnut des photos et peintures qui avaient accompagné son enfance. Enfin, ils atteignirent une porte. La femme frappa.

— Entrez, répondit une voix familière.

Adrien ne s'attendait pas à ressentir autant d'émotion à l'écoute de ce simple mot. Il se demanda pourquoi il avait tant tardé à venir. Il aurait dû demander l'adresse à Nathalie depuis bien longtemps.

Gabriel regardait par la large baie vitrée, donnant sur un jardin quand son fils pénétra dans le salon. Il se retourna, sans doute pour voir ce qu'on lui voulait. Il ne parut pas surpris de voir Adrien.

— Ah, tu es là, l'accueillit-il.

— Oui, Père, répondit Adrien, la gorge serrée, déçu malgré lui par le manque de réaction de son père.

Gabriel avait meilleure mine que la dernière fois qu'il l'avait vu, dans sa chambre au manoir. Il se tenait moins droit qu'auparavant et était moins intimidant, mais il n'était plus l'ombre recroquevillée qui avait tant choquée Adrien. Il avait troqué son impeccable costume blanc contre une tenue plus décontractée : pantalon en tweed, polo manches longues, gilet de laine croisé. Adrien nota cependant que l'ensemble était de qualité.

— Comment allez-vous, Père ? demanda-t-il.

— Comme d'habitude, Adrien. Et toi ? Il me semble que tu as grandi. Je vais dire à Nathalie de veiller à ce qu'on te prépare des plats adaptés à ta croissance.

Visiblement, son esprit était resté quelques années en arrière. Adrien donna la réponse attendue :

— Merci, Père.

— Cela ne t'empêche pas de t'entraîner pour les championnats d'escrime, j'espère.

— Non, Père, tout se passe bien.

— Parfait. Il ne faut pas lâcher prise. Jamais. Sinon tout part à vau-l'eau.

— Oui, Père.

Gabriel regagna le bureau qui était dans un coin de la pièce. Celui-ci était recouvert de feuilles sur lesquelles des modèles avaient été esquissés. Le styliste prit celui du dessus pour l'examiner. Adrien était surpris : il ne l'avait jamais vu créer de collection autrement que sur sa tablette graphique. C'est ainsi qu'il avait dû procéder à ses débuts, réalisa-t-il. Il était revenu aux sources.

Avant de venir, Adrien avait demandé à Marinette où en étaient les collections de la maison Agreste. D'après son amie, les derniers modèles qu'elle avait étudiés portaient bien la griffe de Gabriel, mais étaient un peu inférieurs aux saisons précédentes. Selon elle, le styliste proposait une ligne, qui était ensuite déclinée par d'autres.

Son père avait perdu de sa prestance, peut-être ne pouvait-il pas gérer son entreprise, mais son talent créatif s'exprimait encore. Ses crayonnés permettaient à la magie des collections Gabriel Agreste de perdurer. Adrien savait qu'il devait s'en réjouir, mais, d'une certaine manière, il trouvait dérangeant que l'entreprise survive à la gestion de son père. Il ne doutait pas du savoir-faire de Nathalie, mais Gabriel ajoutait toujours, à la toute dernière minute, le détail qui faisait sa griffe et qui lui valait les louanges de la profession. Le styliste secoua la tête avant de froisser le papier et de le jeter dans une corbeille où se trouvaient déjà d'autres rebuts du même genre.

— C'est mauvais, grogna-t-il d'un ton mécontent. Je ne fais rien de bien quand ta mère n'est pas là. J'ai hâte qu'elle revienne.

Adrien accusa le choc. Gabriel avait-il oublié qu'Émilie était morte ? Était-il revenu si loin dans le passé ? S'imaginait-il que sa femme était simplement partie en voyage ?

Sans noter son trouble, son père conclut :

— Ne t'en fais pas. Elle sera bientôt de retour. J'y travaille.

— Pardon ? réagit instinctivement Adrien.

— Tu n'y crois pas ! s'agaça son père. Tu es comme Nathalie. Vous croyez vraiment que je vais laisser ces deux gamins se mettre en travers de mon chemin ?

Les questions fusèrent dans la tête du jeune homme, de plus en plus mal à l'aise : de quoi son père parlait-il ? Quels gamins ? Comment des enfants pouvaient-ils l'empêcher d'entreprendre quoi que ce soit ? Sur quel sujet pouvait-il avoir un désaccord avec Nathalie ?

— Cette sale petite peste ne va pas se moquer de moi indéfiniment ! affirma Gabriel en s'échauffant. Je vais lui faire regretter d'avoir endossé cette horrible combinaison. J'ai ce rouge criard en horreur. Quant à son comparse, il va bientôt regretter ses jeux de mots pitoyables ! Il est hors de question que je permette à ces deux morveux de jouer plus longtemps les trouble-fêtes. Ils ne m'empêcheront pas de la ramener !

Adrien eut l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Bouche bée, il tenta vainement de donner un sens aux paroles de son père. Plus exactement, de trouver une autre signification que celle qui voulait s'imposer à lui.

— Ferme-moi ce bec, Adrien ! Est-ce ainsi que je t'ai appris à te tenir ? Ta mère t'a laissé passer trop de choses. Je lui en parlerai quand elle sera de retour. Les choses seront différentes, crois-moi. En attendant, ne perds pas ton temps, Adrien. Ce n'est pas l'heure de ta leçon de piano ?

— Si, Père, balbutia Adrien par réflexe, j'y vais. Au revoir, Père.

L'employée qui l'avait fait entrer attendait à la porte de la pièce, dans le couloir.

— You go ? vérifia-t-elle.

Adrien hocha affirmativement la tête, et elle le raccompagna à la porte. Il sortit de la maison dans un état second. Par habitude, il monta à l'arrière de la voiture et boucla sa ceinture, l'œil vague. Le Gorille, après lui avoir jeté un regard surpris, puis inquiet dans son rétroviseur, démarra en silence.

Durant tout le trajet de retour, Adrien analysa mot à mot les déclarations de son père. Que devait-il comprendre ? Était-il… ? Aurait-il… ? Non, ce n'était pas possible. Il était en train de surinterpréter. Il avait été tellement longtemps conditionné à être Chat Noir et à être aux aguets d'une akumatisation qu'il analysait tout sous ce prisme et s'imaginait des choses. Mais son esprit logique ne pouvait s'empêcher de faire des rapprochements. Son père tombant malade juste après que les Miraculous aient été repris. Nathalie faisant son possible pour éloigner le père et le fils. Le personnel actuel, non francophone, parlant à peine anglais, qui ne pouvait ni comprendre ni répéter les propos de Gabriel.

Son père avait déjà été akumatisé, se souvint-il soudain avec soulagement. Il ne pouvait pas être le Papillon, n'est-ce pas ? Il avait vraiment imaginé n'importe quoi. Son père divaguait, c'est tout.

Oui, il s'était fait des idées. Des idées stupides, sans doute dues à la rancune qu'il éprouvait en repensant à ces années d'enfermement. Qu'il était bête ! Il n'allait pas oser en parler à Marinette. Il ne voulait pas se ridiculiser devant elle.

— Nous sommes arrivés, Monsieur Adrien, fit la voix du chauffeur.

Adrien réalisa où il était.

— Désolé, j'aurais dû me mettre à côté de vous, s'excusa-t-il.

— Vous avez repris vos habitudes, l'exonéra le Gorille.

— Apparemment. Je vous remercie. J'ai beaucoup apprécié notre discussion à l'aller. Bonne soirée.

oOo

Après quelques mots de politesse supplémentaires, les deux hommes se séparèrent. Adrien monta à son appartement, sans pouvoir cependant se débarrasser de son malaise. Il s'efforça toutefois de sourire, quand il rejoignit Marinette qu'il entendait officier dans la cuisine.

— Bonjour mon chaton, dit celle-ci en continuant de remuer sa spatule dans une casserole. J'ai fait du veau aux olives. C'est presque prêt.

Elle leva les yeux sur lui et s'écria :

— Adrien, ça ne va pas ?

— Si, si. Enfin, mon père dit un peu n'importe quoi, mais je suppose que j'aurais dû m'y attendre. Génial, ton plat, j'aime beaucoup.

— Tant mieux. Tu mets la table pendant que je termine ?

Adrien s'exécuta tandis que Marinette déglaçait sa cocotte en fonte et remplissait la saucière. Quand tout fut prêt, ils s'assirent et elle les servit.

— Tu veux en parler ? demanda Marinette en prenant sa première bouchée.

Adrien hésita, puis commença. Il raconta l'accueil qu'il avait reçu, comment il s'était identifié auprès de l'employée, puis la réaction de son père en le voyant.

— Tu avais raison, précisa-t-il, il dessine toujours. Ce ne sont que des crayonnés, qu'il jette à la poubelle, car il n'en est pas satisfait, mais cela m'étonnerait qu'ils finissent à la benne. Ils sont sans doute envoyés à Nathalie, qui les fait retravailler par des stylistes.

— Ah, voici un mystère de résolu, se réjouit Marinette. Ton père semble diminué, mais continue à créer. C'est ça qui te perturbe ?

Adrien se demanda s'il avait envie de partager la suite de la conversation, puis il songea que le meilleur moyen d'avoir une explication rationnelle à ce qui le tracassait était de soumettre ses questionnements à son amie

— Il m'a parlé de ma mère comme s'il pensait qu'elle allait revenir, avoua-t-il. Il m'a dit qu'il y travaillait.

— Comment ça ?

— C'est la question que je me suis posée et il s'est énervé. Il a alors affirmé qu'il n'allait pas laisser deux gamins l'en empêcher.

— Hein ? fit Marinette interrompant le trajet de sa fourchette vers sa bouche. L'empêcher de quoi ? Quels gamins ?

— Il a parlé… d'une peste en rouge et d'un comparse qui faisait des jeux de mots.

Le regard ébahi, Marinette reposa son couvert :

— Attends, Adrien, tu sais ce que tu es en train de raconter, là ?

— C'est ce qu'il a dit, marmonna-t-il. Mais je… tu penses qu'il était sérieux ?

Marinette ferma un instant les yeux avant d'énoncer d'une voix lente :

— Il a dit qu'il travaillait à faire revenir ta mère décédée et que c'était une fille en rouge et un garçon qui faisait des jeux de mots qui l'en empêchaient. Ça…, ça ne te rappelle rien ?

— À ton avis ? hurla brusquement Adrien faisant sursauter son amie. Bien sûr que j'y ai pensé ! Mais c'est impossible !

Marinette prit un air désolé.

— Pardon, Chaton, je n'aurais pas dû dire ça.

— Non, c'est moi, se calma Adrien. C'est nul de te crier dessus, ajouta-t-il d'un ton contrit. C'est naturel d'imaginer… mais… on peut trouver une explication, non ?

— Tu as raison, Adrien. Reprenons les choses calmement, veux-tu ? Tu es certain que c'est exactement ce qu'il a dit ?

Adrien répéta au mieux les paroles exactes de son père. Marinette se renversa sur sa chaise en se mordillant les lèvres. Les restes du repas refroidissaient dans leurs assiettes, mais ni l'un ni l'autre ne s'en souciait.

— Disons que ton père divague et mélange un peu tout, proposa la jeune femme. Il a vécu à Paris quand le Papillon sévissait et a sans doute été interrompu dans son travail par des alertes akuma. Il garderait donc le souvenir de Ladybug et Chat Noir intervenant à des moments où il était frustré et contrarié.

— C'est très probable.

— En parallèle, ta mère lui manque beaucoup. Il vit dans une maison où ils ont vécu ensemble. Mais elle n'est pas là. Il peut mélanger les époques et ses frustrations.

— Ça se tient, souffla Adrien avec reconnaissance.

Marinette reprit sa fourchette et Adrien l'imita. Une fois qu'ils eurent terminé, la jeune femme demanda :

— Tu veux qu'on regarde ce qui pourrait l'incriminer, ou tu préfères qu'on arrête là ?

Adrien n'avait pas envie d'entendre la suite, mais il savait qu'il ne serait pas en paix tant qu'ils n'auraient pas été au fond des choses.

— Vas-y, se rendit-il. Autant en finir ce soir.

— Voyons le mobile, commença Marinette. Faire revenir son épouse décédée. Une des seules choses qu'il ne peut pas obtenir. Il se tourne alors vers la magie. Il est courant que, pour défendre sa famille, on commette des actes qu'on rejetterait dans d'autres circonstances.

— On ne va pas se mentir, soupira Adrien. Quand mon père a un objectif, le reste ne compte pas à ses yeux. Il ne lésine pas sur les moyens et se soucie peu de ce que cela fait subir aux autres.

— Donc, il a le mobile et la détermination.

— Il a été akumatisé deux fois, rappela Adrien.

— Ce n'est malheureusement pas un obstacle. Il suffit de générer l'akuma, de se détransformer et de se laisser infecter ensuite.

— Oh, je n'y avais pas pensé, réalisa Adrien d'une voix déçue.

— Je suis navrée, Chaton.

— Tu n'y peux rien.

— Maintenant, voyons les moyens. Comment ton père aurait-il pu se procurer…

Marinette s'interrompit, puis regarda Adrien d'un air navré.

— Quoi ? demanda-t-il, inquiet.

— J'étais en train de me demander comment il aurait pu mettre la main sur les Miraculous du Paon et du Papillon.

— Tu as une idée ?

— Je ne peux que supposer que c'est durant son voyage au Tibet.

— Quel voyage ?

— Il m'a dit qu'il y était allé, quand je lui ai demandé où il avait trouvé le livre sur les Miraculous.

— Le livre… ?

Adrien s'interrompit. La mémoire lui était revenue.

— C'est pas vrai, commenta-t-il d'une voix blanche. C'est vraiment lui, alors ?

— Eh bien, reconnut Marinette d'un ton désolé, disons qu'on a de fortes présomptions contre lui. Tu pourrais me dire s'il semblait contrarié ou en colère, juste après qu'on ait repris les Miraculous ?

— C'est le moment où Nathalie m'a dit qu'il était souffrant. Je ne l'ai revu qu'un mois plus tard, et il était incapable d'aligner deux mots. Ensuite, il a été envoyé à la campagne et moi ici. Nathalie a affirmé qu'il valait mieux ne pas aller le voir tout de suite. Le temps a passé ensuite sans que je m'en rende compte.

— Cette Nathalie est décidément très efficace, nota Marinette.

— Que veux-tu dire ?

— Nous savons qu'il avait une complice, non ? Qui d'autre que Nathalie ?

— Tu penses que, Mayura, c'était elle ?

— C'est le plus probable. Ton père semble avoir perdu l'esprit après avoir réalisé son échec.

— Il était incapable d'aligner deux mots, à l'époque.

— S'il avait été plus bavard, elle ne t'aurait pas laissé le voir, supposa Marinette… À moins qu'elle se soit arrangée pour le mettre dans cet état pour la visite, songea-t-elle soudain. Il fallait bien justifier sa mise à l'écart et te dissuader de le voir trop souvent.

— Tu dois avoir raison, dit Adrien d'une voix lente. Je t'ai dit que son personnel actuel parle à peine français ?

— Comme je disais, c'est une personne qui ne laisse rien au hasard. Enfin, presque, puisque son plan a été mis à mal par ta rencontre fortuite avec le Gorille.

Adrien hocha la tête et ils restèrent silencieux un long moment.

— Qu'est-ce qu'on fait ? demanda finalement le jeune homme.

— Je ne sais pas, avoua Marinette. Il n'y a pas d'urgence. Nous savons désormais qu'il est définitivement hors d'état de nuire. On a le temps d'y réfléchir à tête reposée.

Elle se leva et vint s'asseoir sur les genoux d'Adrien. Il posa sa tête sur sa poitrine tandis qu'elle le serrait contre elle.

— Je suis là, lui assura-t-elle. Tu dois te sentir horriblement déstabilisé, mais tu n'as pas à affronter ça tout seul. On est une équipe, Chaton. C'est ce qui nous a permis de gagner.

oOo

Ils n'avaient plus tellement parlé par la suite. Ils avaient rangé la cuisine. Adrien avait un peu surfé sur son téléphone, comme il le faisait souvent le soir, puis il était allé se coucher. Très vite, Marinette l'avait rejoint dans le lit. Adrien ne savait pas trop quoi faire de l'inquiétude de sa compagne. Elle s'en faisait toujours trop. Il n'allait pas vraiment mal. Il ne ressentait rien en fait. Il avait toujours su que son père n'était pas un ange de bonté.

Il se réveilla cependant plusieurs fois dans la nuit et eut du mal à émerger quand le réveil sonna. Il se força à se lever, pourtant, pour ne pas alarmer Marinette.

Il prépara leur petit-déjeuner tandis que sa compagne prenait sa douche. Elle arrivait de la salle de bain quand on sonna à la porte. Elle dévia de sa course pour aller ouvrir.

— Bonjour, Madame Sancœur, l'entendit-il prononcer.

Adrien ne ressentit aucune surprise. Évidemment, elle s'inquiétait de ce que son père avait pu lui révéler. Il s'empressa de les rejoindre dans l'entrée.

— Nathalie, que nous vaut cette visite ? feignit-il de s'étonner.

— Rien de grave, Adrien, assura la secrétaire. Je voulais juste prendre de vos nouvelles.

Il ne souhaitait pas réellement lui parler, mais il ne pouvait pas la laisser dehors pour autant. Elle s'était toujours montrée très correcte avec lui, du temps où il était à la merci de son père.

— Voulez-vous un café ? se força-t-il à offrir poliment.

— Ne vous dérangez pas.

La visiteuse lança un coup d'œil rapide vers Marinette, qui comprit et qui annonça :

— Je vais devoir vous laisser. Je suis en retard.

Elle alla prendre son manteau et son sac de cours.

— Tu n'as pas déjeuné, s'inquiéta Adrien, contrarié de la voir ainsi chassée de chez elle.

— C'est bon, je prendrai quelque chose à l'école, répliqua-t-elle avant de repasser devant eux.

Elle sortit de l'appartement en tirant la porte derrière elle.

— Je ne voulais pas vous déranger, prétendit Nathalie.

— Ce n'est rien, répondit-il rituellement. Venez vous asseoir.

Nathalie le suivit dans le salon et se posa très droite sur le canapé.

— J'ignorais que vous étiez aussi proche de Mademoiselle Dupain-Cheng, remarqua-t-elle.

Adrien ne répondit pas. Il ne voulait pas mêler Marinette à tout cela.

— Vous êtes allé voir votre père, hier, se décida-t-elle enfin.

— Effectivement, répondit-il du ton le plus détaché qu'il put, en s'asseyant nonchalamment sur le bras d'un fauteuil.

— J'aurais préféré que vous me préveniez. Il n'est pas toujours en état de recevoir du monde.

— Ne craignez rien, Nathalie, il m'a semblé aller très bien, assura Adrien, curieux de voir jusqu'où elle irait pour savoir exactement ce qu'il avait appris.

— Ce n'est pas tant sa condition physique que mentale qui est problématique, insista la secrétaire. Heureusement, sa santé est bonne. Par contre, il a souvent l'esprit confus et il tient des propos incohérents.

Adrien réprima un sourire. Dans le doute, Nathalie commençait déjà à ériger un contre-feu.

— Je vous rassure, il était parfaitement cohérent hier, se décida à livrer Adrien. Il m'a reconnu et m'a parlé de ce qui lui tenait à cœur.

Il fallait bien connaître Nathalie pour déceler sa réaction. C'était le cas d'Adrien. Il vit la petite veine de sa tempe frémir, comme lorsque, dans le temps, elle comprenait qu'il n'était pas dupe des explications qu'elle inventait pour justifier les directives les plus injustes de son père.

— Tout ce qu'il affirme n'est pas la vérité, tenta-t-elle encore. Son esprit malade affabule fréquemment.

Adrien ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Elle le prenait vraiment pour un benêt.

— Adrien, insista Nathalie, ne me dites pas que vous avez cru ce qu'il vous a raconté !

— Vous avez toujours été plus douée que lui pour inventer des excuses, remarqua-t-il, amer.

— Adrien, je comprends que vous puissiez regretter qu'avant sa maladie votre père n'ait pas eu davantage de temps à vous consacrer…

— Pas assez de temps ? explosa Adrien. Depuis hier, je sais qu'il a été totalement vain de ma part d'espérer de lui un peu d'attention et d'affection, étant donné que ses obsessions l'entraînaient loin de moi. Alors, oui, on peut dire que j'ai quelques regrets !

Un instant de silence suivit cette diatribe. Nathalie devait passer ses options en revue. Adrien se demanda si elle pourrait trouver encore un argument en faveur de son patron.

— Qu'allez-vous faire, Adrien ? demanda-t-elle finalement, ayant sans doute compris qu'elle ne devait pas se risquer à défendre la position paternelle de Gabriel.

— Je ne sais pas, répondit-il sincèrement.

— Puis-je au moins solliciter votre indulgence ? demanda-t-elle, laissant transparaître son inquiétude.

— Réalisez-vous que vous me demandez de faire preuve pour mon père d'une bienveillance dont il ne m'a jamais donné l'exemple ? releva Adrien. Et dont il a tenté d'éradiquer toute forme chez moi par des sermons bien sentis ? N'est-ce pas un peu ironique ?

— Allez-vous vraiment vous venger sur un vieil homme malade ? protesta Nathalie. Ce n'est pas vous, Adrien, vous n'êtes pas comme ça !

— Je verrai.

Nathalie se leva brusquement.

— J'espère Adrien que vous saurez vous rappeler tout ce que vous devez à votre père. À commencer par ce très confortable appartement et l'argent qui tombe sur votre compte tous les mois.

— Dois-je y renoncer pour que vous preniez au sérieux mes revendications ? s'agaça Adrien, en se mettant à son tour sur ses pieds.

— Je doute que votre petite amie apprécie de vous voir organiser votre dénuement, persifla Nathalie.

Adrien se sentit devenir glacé. Toute l'affection qu'il pouvait encore ressentir pour la secrétaire de son père s'évanouit brusquement.

— Je ne sais pas ce qui est le plus ignoble dans vos paroles, répliqua-t-il d'une voix blanche, entre l'accusation gratuite de cupidité contre celle que j'aime ou le sous-entendu selon lequel personne ne pourrait s'intéresser à moi si je n'avais pas tout cet argent. Quoi qu'il en soit, je vous prie de sortir immédiatement.

Pour montrer qu'il ne plaisantait pas, il s'avança vers la porte d'entrée et l'ouvrit. Nathalie, devenue blafarde, porta une main à sa bouche et assura d'une voix désolée :

— Je suis navrée, Adrien, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je n'ai rien contre cette jeune fille et je suis certaine que vous avez de vrais amis… Je cherchais seulement à vous faire comprendre que votre père…

— Ça suffit, Nathalie. Je n'ai plus l'âge de croire à vos excuses bidons. À toujours défendre mon père, vous vous égarez. Je ne veux plus rien avoir affaire avec vous, désormais. Vous pouvez me rayer de votre agenda. Je pense que je m'en tirerai mieux tout seul.

Blême, d'une démarche raide, elle passa devant lui pour franchir le seuil. Une fois sur le paillasson, elle se retourna comme si elle voulait ajouter quelque chose. Il lui claqua la porte au nez avec une telle force, que le chambranle résonna de longues secondes.

Il resta un moment hébété, avant de donner un violent coup de poing dans la porte devant laquelle il se trouvait toujours. La douleur qu'il ressentit remonta le long de son bras jusqu'à son épaule. Il grimaça et recula jusqu'au salon, avant de se laisser tomber sur le fauteuil le plus proche. Il serra sa main endolorie contre sa poitrine et laissa ses larmes couler.

oOo


Voilà, il fallait bien qu'on se penche sur le cas d'Adrien. Il fallait bien qu'il se confronte à ce qu'il a vécu plus jeune.

Le chapitre suivant a pour titre "Acceptation". Dans cette attente, dites-moi ce que vous pensez de celui-ci !

PS : je réponds via le lien de réponse, en MP. Si vous commentez en anonyme, je ne peux pas vous répondre, sauf si vous me laissez une adresse (dans ce cas, ne pas mettre d'arobase, ni de slash et insérer une espace après les points, pour ne pas vous faire effacer par l'anti-spam).