Magnus se prit la tête dans ses mains. En proie à ses démons intérieurs, il peinait à garder contenance alors il « profitait » de l'inconscience de son protégé pour souffler un peu. Même s'il était conscient que l'adolescent n'avait pas réellement fait attention à lui, il avait tenu à garder la face et à faire attention à l'image qu'il renvoyait.

Mais la rune ornant le cou de l'adolescent le hantait. En lui, les souvenirs ressurgissaient avec violence, mais il réussit à garder le contrôle sur lui-même. A ce moment-là, il avait imploré qu'on le croie. En retour, on avait activé, activé, activé et encore activé la rune d'agonie. Magnus n'avait plus rien fait d'autre qu'hurler, jusqu'à ce qu'enfin, son innocence soit démontrée. Alec avait sa part de responsabilité, bien sûr, mais Magnus comprenait son point de vue. Son esprit se trouvait dans le corps de l'ennemi public numéro un de l'époque, pas étonnant qu'on n'ait pas fait cas de ses supplications. Et puis, Valentin était assez fou pour prétendre être quelqu'un d'autre, notamment Magnus Bane. Alors forcément, sa libération avait pris du temps et les tortures perpétrées à l'aide de la rune d'agonie avaient perduré quelques jours.

C'était après cet épisode qu'Alec avait interdit cette pratique à l'Institut. Sans doute s'en voulait-il, même s'il avait toujours trouvé qu'elle était on ne peut plus barbare et n'avait jamais voulu l'utiliser lorsqu'il interrogeait des prisonniers.

Magnus releva doucement la tête et son regard tomba sur le visage juvénile et trop pâle de l'adolescent. Mieczyslaw Stilinski, d'après ce qu'il avait lu sur la feuille que lui avait donné Alec, en plus des affaires personnelles du garçon. Ainsi inconscient, il semblait presque… Apaisé. Par chance, se dit Magnus, on t'a sorti de là, petit ange. Aux yeux du sorcier, le jeune homme n'était coupable de rien. Il sentait au plus profond de son être que tout ça n'était qu'un quiproquo, quelque chose qui avait mal tourné. Parfois, on se retrouvait au mauvais endroit, au mauvais moment et cela suffisait pour faire dérailler des vies.

Le fait que la rune reste ancrée dans cette peau pâle constellée de grains de beauté alors même qu'elle était la seule le perturbait néanmoins un tantinet. C'était un chasseur d'ombre, il n'y avait aucun doute là-dessus. Pour le reste, soit il était déchu et on lui avait retiré ses runes, soit il n'était absolument pas au courant que du sang d'ange coulait dans ses veines. Magnus soupira. En soi, ce débat n'était pas à l'ordre du jour. Il pourrait questionner son invité à loisir plus tard, même s'il était d'avis que le laisser se reposer et penser à autre chose était une bien meilleure idée.

Et puis, il en avait atrocement besoin.

Magnus se leva, ignora les tremblements de ses jambes et tira un plaid sur lui, qu'il remonta jusqu'à ses épaules. Un faible sourire étirant ses lèvres, il lui caressa doucement les cheveux avant de partir en direction de son balcon.

Il avait besoin de prendre l'air.

Il était sept heures du matin. Le froid agressa sa peau claire et il resserra les pans de sa veste sur lui et une frêle buée s'échappa de ses lèvres entrouvertes. Il pourrait, lui aussi, partir se coucher un peu, lui qui avait passé une bonne partie de la nuit à travailler sur des potions sur lesquelles il était en retard depuis un moment. Et s'il était resté éveillé ensuite, c'était pour aller déjeuner avec Alec. Seulement après cela, il comptait aller dormir trois ou quatre heures, histoire de se reposer un peu. Mais voilà, il y avait eu cet adolescent, cette marque, ce passif qu'ils avaient en commun. Magnus frissonna, et pas seulement à cause du froid. Il avait tout fait pour s'en sortir et passer outre ce mauvais moment de sa vie, mais il fallait croire que ce n'était pas terminé, qu'il n'était pas entièrement passé outre. Si Alec n'avait pas un conseil disciplinaire à convoquer, il l'aurait appelé, aurait quémandé son aide, sa présence, son soutien. Il avait besoin de lui. Il lui faudrait malheureusement attendre et durant ce temps-là, il allait rester loin de son lit.

Parce qu'il savait fort bien qu'une fois la tête posée sur son oreiller, les visions du passé viendraient l'assaillir. Sans aide, il serait impossible pour lui de les chasser.

La rune d'agonie sur le cou de son protégé avait rouvert en lui des blessures jamais réellement guéries.

xxx

Stiles dormit plusieurs heures d'un sommeil de plomb. Des heures dont il avait désespérément besoin. Des heures durant lesquelles il ne souffrait pas. Son corps se reposait enfin. Ses muscles le laissaient en paix pour l'instant. Des secondes, des minutes, des heures bénies. Chaque instant comptait du moment où il avait passé du temps à agoniser.

Lorsqu'il s'éveilla enfin, la peur le prit instantanément. Il nota bien le plaid, l'oreiller, le canapé moelleux, mais cela ne l'empêcha pas d'angoisser et de se mettre à trembler. Aucun confort ne pouvait lui faire oublier d'un seul coup cette nuit sordide durant laquelle il n'avait fait qu'hurler, supplier, subir les assauts les plus douloureux qu'il n'avait jamais connus. Ses yeux ambrés parcoururent rapidement la pièce, qu'il avait à peine entrevue à son arrivée ici. Enfin, il n'avait surtout pas gardé grand-chose en mémoire tant il était épuisé et perturbé. Il notifia, à sa droite, une grande baie vitrée entrouverte. Une porte de sortie. De quoi fuir aisément cet endroit… Ou pas. D'ici, il voyait le haut de certains immeubles et devina que l'endroit dans lequel il se trouvait n'était pas pignon sur rue, au contraire. S'il passait cette baie vitrée et qu'il passait au-dessus de ce balcon, il se briserait les os quelques mètres plus bas. Ni plus, ni moins. Mais alors que faire ? Où aller ? Il fallait assurément qu'il s'enfuie avant qu'on ne se rende compte qu'il était réveillé et qu'on le… Qu'on le… C'était quoi la prochaine étape ? Complètement terrorisé alors qu'il venait à peine de se réveiller, Stiles se recroquevilla sur lui-même et serra fort la couverture qui le recouvrait. Elle lui tenait chaud et pourtant, il se sentait si mal qu'il avait l'impression que son corps était glacé. Glacé d'horreur. La terreur le tétanisait du tout au tout.

Les bruits de pas qu'il entendit ne l'aidèrent pas à se calmer, d'autant plus qu'il vit le bel homme au style fantasque s'approcher de lui. Terrifié, il se recula au maximum dans le canapé et serra d'autant plus fort la couverture contre lui. Qu'on lui laisse ça, au moins ça…

Le visage de Magnus se fendit d'un sourire chaleureux qui se voulait rassurant.

- Hey mon chou, n'aie pas peur.

Sa voix était douce, mais il connaissait ce regard et savait qu'il serait bien difficile de l'amadouer. Lentement, il s'assit sur le fauteuil sur le canapé. Ses mouvements étaient délibérément mesurés, petits et effectués avec une certaine lenteur. Dans la situation présente, il valait mieux éviter tout geste brusque, même accidentel. Magnus était bien placé pour le savoir.

- Tu vois ? Fit-il croisant les bras sur sa poitrine. Je ne vais pas te faire de mal.

Les phalanges de Stiles blanchirent alors qu'il continuait de serrer fort sa couverture. Il voulait la garder et il avait peur qu'on choisisse de lui enlever. Ce n'était pas un mur, un bouclier, un rempart mais c'était tout comme.

- Mieczyslaw, c'est ça ? Moi, je m'appelle Magnus. Magnus Bane. Tu veux quelque chose à boire, du thé ? Je peux te servir ce que tu veux, il suffit de demander.

Ce faisant, il se força à sourire, de manière à se montrer rassurant. Au moins, le prénom du jeune homme était réel : il avait décelé une lueur légère dans ses yeux, signe qu'il s'était reconnu. C'était léger, mais il fallait bien commencer quelque part… Néanmoins, il n'eut pas de réponse concernant ce qu'il pourrait lui servir. Il était aisé de deviner pourquoi. Le jeune homme était paralysé par la peur, toujours coincé dans cet état de choc qui l'obligeait à se méfier de tout et de tout le monde. Si Magnus avait été aussi jeune que lui lorsqu'il avait vécu le cauchemar de la torture à la rune d'agonie, nul doute qu'il aurait été dans le même état. Mais son âge avancé et sa longue expérience de la vie l'avaient en quelque sorte… Aidé à faire semblant.

- Je ne toucherai pas à ta marque, lui dit-il de but en blanc. Je sais ce qu'elle fait. Je sais à quel point elle fait mal. Tu n'as pas été le seul à subir cette torture.

Il était clair que le jeune homme l'écoutait, mais pour être honnête, Magnus ne savait pas quoi dire pour gagner sa confiance. S'ils se connaissaient, cela serait bien plus simple, cependant… Il ne l'avait jamais vu auparavant. Magnus avait eu la chance d'avoir Alec et Izzy à ses côtés après l'arrêt de sa maltraitance. Mais cet adolescent, qui pouvait l'aider ? Se servir de son téléphone – par ailleurs verrouillé – pour contacter ses proches pourrait marcher, et en même temps non. Il ne connaissait pas la personnalité de ce Mieczyslaw, et il était difficile de savoir s'il était plus du genre à s'entourer ou à se débrouiller. Une chose était sûre, Magnus ne le lâcherait pas. L'on pouvait vouloir être seul pour affronter sa souffrance, c'était compréhensible. Toutefois, le brun aux yeux de miel semblait découvrir un monde qui lui était jusque-là inconnu, il avait donc besoin d'un certain accompagnement, au moins à ce niveau-là. L'accompagnement de quelqu'un qui avait vécu la même chose que lui. Magnus se mordit la lèvre inférieure alors que son petit protégé continuait de le fixer, comme s'il était capable de lui sauter dessus à tout moment, en serrant la couverture contre lui comme si sa vie en dépendait. Le sorcier soupira. Les choses prendraient du temps, mais parfois, l'on n'avait pas d'autre choix que celui d'attendre. En attendant, il allait le mettre à l'aise, faire tout ce qu'il pouvait pour que son confort soit optimal.

Sur cette pensée, il claqua des doigts et la cheminée face au canapé s'embrasa. Le jeune homme sursauta mais les flammes attirèrent son attention. Elles se mirent activement à chauffer la pièce, comme si le feu avait déjà pris derrière la vitre impeccable de l'insert. Le teint de l'adolescent était blafard et peut-être… Peut-être qu'un peu de chaleur le réchaufferait, réduirait la puissance des tremblements que Magnus percevait depuis sa place. Il vit quelque chose changer dans le regard de son petit protégé et crut sentir un peu moins de peur provenant de lui. Il n'avait aucun moyen de ressentir les émotions des autres, mais il savait reconnaître la terreur mieux que personne. Là, elle était moindre. Il sourit, sincèrement cette fois-ci.

- Mieczyslaw ? L'appela-t-il doucement.

Le brun tourna un peu vite la tête vers lui. Sa peur avait peut-être diminué, mais pas disparu. Le sourire de Magnus s'affadit un petit peu et l'inquiétude peupla ses iris ébènes.

- Je suis un sorcier. Le plus grand sorcier de Brooklyn. Je ne suis pas là pour te nuire, bien au contraire. Tu vois cet appartement ? Demanda-t-il en faisant un geste vague mais large de la main. Il est entièrement protégé par mes soins. Personne ne peut entrer sans mon autorisation.

Le jeune homme tressaillit et, voyant cela, Magnus s'empressa de préciser :

- Mais toi, tu peux sortir quand tu veux. Evidemment, je te le déconseille, il vaut d'abord mieux que tu te reposes. Ce que tu as vécu… Ce n'est pas rien.

Le sorcier détourna le regard alors que sa gorge se serrait un peu. Prenant son courage à deux mains, il remonta les yeux vers son invité :

- Tu dois prendre du temps pour toi, pour te remettre de tout ça. Si tu le veux, je t'aiderai. Ici, personne ne te fera de mal. Tu es en sécurité.

Le jeune homme continuait de le regarder avec peur et méfiance. Mais un soupçon d'espoir se lisait dans ses yeux de miel.

- Je sais que tu ne me connais pas et qu'il est difficile de faire confiance à un inconnu. Mais on peut apprendre à se connaître. Et tu peux, sans aucun problème, contacter qui tu veux. Ton téléphone est sur la table basse. Chargé, précisa-t-il.

Mieczyslaw baissa les yeux et aperçut effectivement son cellulaire, posé sur ladite table basse finement sculptée, à quelques centimètres de lui.

- Je n'y ai pas touché, l'informa-t-il. Si tu veux appeler quelqu'un ou qu'un de tes proches vienne ici, c'est possible. Sache une chose : tu n'es pas en prison, mais je pense que tu devrais rester un peu ici. Je sais que dans ce genre de situation… On n'a pas toujours envie de rentrer chez soi.

Lui n'avait pas eu le choix, mais chaque seconde qu'il avait passée hors de son appartement lui avait fait un bien fou. Se calfeutrer à l'intérieur lui était tout autant bénéfique, parce qu'il habitait seul et qu'Alec venait lui rendre visite de temps à autres. Cet adolescent devait avoir des parents qui l'attendaient, des amis, mais Magnus imaginait bien que les voir ne devait pas être sa priorité, qu'il aime s'entourer ou non lorsqu'il allait mal. Son estomac se serra. Malgré la situation, le sorcier commençait à avoir faim. A vrai dire, il n'avait rien mangé depuis qu'il était allé à l'institut à l'aube pour déjeuner avec son compagnon. Déjeuner qui, compte tenu des évènements, n'avait pas eu lieu.

- J'ai faim et j'espère que toi aussi. Je vais nous préparer quelque chose, dit-il en se levant. Tu m'en diras des nouvelles, Mieczyslaw.

Il força un léger sourire histoire de paraître aimable et avenant mais l'expression du visage de l'adolescent ne changea pas. Il continuait de le craindre. Mais alors qu'il se retournait et commençait à marcher pour sortir du salon, une petite voix frêle et complètement cassée parvint à ses oreilles :

- Stiles…

Magnus se figea, croyant que son esprit lui jouait des tours. Par précaution, il tourna la tête vers son petit protégé, qui avait légèrement desserré ses doigts sur la couverture. Ses yeux de miel le fixaient légèrement différemment. Il continua péniblement de sa voix cassée et très peu assurée :

- On m'appelle Stiles…