Noxia - Chapitre 9
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- Tu crois que tu aurais fait mieux, peut-être ?
- Absolument, rétorqua-t-elle fièrement.
- Vas-y, je t'en prie, montre moi, la provoqua-t-il, cynique.
- Ahah, très drôle.
- Tu sais ce qu'on dit, Park's, pas de bras, pas de dessin.
- Ton humour est désarçonnant, Potter. Si seulement j'avais mes propres cordes vocales, je me tordrais de rire.
Harry, lui, ne s'empêcha pas de rire avec fierté, si bien qu'il entendit à peine les quelques coups frappés à sa porte. N'attendant aucune visite, il fronça les sourcils, déposa son fusain sur son bureau de fortune et essuya ses mains noircies sur son pantalon en velours beige, laissant de vilaines traces fraîches s'agglutiner aux plus anciennes.
Le visage qui s'offrit à lui, derrière la porte en bois de son appartement semblait tout aussi joyeux et avenant qu'à son habitude.
- Je te dérange, peut-être ? demanda Ron alors qu'Harry s'apprêtait à l'enlacer.
- Bien sûr que tu déranges, Weasley. Ta simple venue au monde est un problème sociétal.
Harry ne releva pas, trop habitué aux commentaires assassins qu'elle pouvait faire sur ses amis.
- Non, bien sûr que non, entre. Pourquoi tu dis ça ?
- Et bien tu as de la visite, non ?
Ron semblait intrigué, fronçant les sourcils en attendant toujours sur le pas de la porte.
- Non, je suis tout seul, affirma Harry en s'écartant de l'entrebaillement, comme pour laisser le regard de Ron prouver son propos.
- Oh, étrange, j'étais persuadé d'avoir entendu une voix en arrivant et puis un rire, aussi.
- Et en plus c'est le genre à espionner derrière la porte. Bravo Weasley, un nouveau défaut à ajouter à la liste. Elle est si longue qu'elle ne doit plus être loin d'atteindre la frontière française maintenant, non ?
Harry grimaça, mal à l'aise. Il fallait qu'il trouve une réponse, vite. Bien sûr, Ron ne devinerait jamais que la peste en chef des Serpentards avait élu domicile dans son esprit mais quand bien même, il n'avait aucune intention de susciter son étonnement.
- Oh, c'est moi, je riais tout seul. J'étais en train de dessiner et j'ai trouvé ça tellement mauvais que j'ai préféré en rire.
Pour étayer son propos, Harry présenta son ouvrage à Ron qui s'était finalement décidé à entrer.
Effectivement, il y avait encore du travail. Les traits étaient hésitants, la technique peu aboutie et les visages qui s'offraient à eux devenaient grotesques, déformés des bas-joues aux pommettes.
- Alors comme ça c'est vrai, tu as quitté la gazette ? demanda Ron en s'installant sur le canapé.
- J'ai donné ma démission la semaine dernière, répondit Harry en hochant la tête.
- Quel courage tu as, souffla Ron. Je ne crois pas que je serais capable de tout plaquer aussi rapidement que toi.
Ron était comme ça, brut et direct. Harry savait que son ami était réellement admiratif mais ses formulations étaient toujours hasardeuses, peu délicates. Il ne s'en formalisa pas pour autant et alla leur chercher deux bièraubeurres avant de s'installer près de lui.
- Je ne sais pas si c'est du courage ou de la bêtise, répondit Harry en haussant les épaules. En tout cas, le journalisme n'était pas fait pour moi. J'ai essayé, ça ne m'a pas plu, je n'ai aucune envie de passer ma vie à faire un travail qui me déplaît alors je tente la reconversion !
- Tu en es à combien ? demanda Ron en riant.
- Plus que je ne pourrais compter, rit Harry avec lui.
Ils trinquèrent avant de boire une gorgée de bière et s'affalèrent un peu plus dans le canapé, un sourire satisfait peint sur le visage.
- T'as pas du vin, plutôt ? Voir Weasley roter après chaque gorgée me donne des hauts le cœur.
- Ne commence pas, pensa-t-il si fort qu'il dut contracter la mâchoire pour ne pas laisser les paroles sortir.
Harry reposa sa bouteille sur la table et croisa les jambes, comme s'il était finalement prêt à engager une conversation plus sérieuse.
- Le dessin, donc, demanda Ron en montrant du bout du nez le bureau rempli de taches d'encre de Harry.
- Et pourquoi pas ?
Ron se pinça les lèvres, tentant maladroitement de contenir un rire qui lui colorait déjà les joues. Et dès lors, Harry sut, commençant à son tour à sourire.
- J'aurais mille réponses à cette question rien qu'en posant mes yeux sur ce chef-d'œuvre, dit-il sans parvenir à contenir son rire avant la fin de sa phrase.
- Mais quel connard !
Pourtant, Parkinson était bien la seule à se vexer et déjà, Harry riait avec lui, reconnaissant ouvertement qu'un long chemin l'attendait avant de pouvoir exceller dans le domaine.
- J'ai vu Hermione, hier, lança Ron.
Il semblait vouloir retrouver son sérieux mais son œil brillait d'une drôle de lueur et un petit sourire en coin avait du mal à se faire discret sur ses lèvres épaisses.
- Ah oui ? demanda Harry, feignant de ne rien voir venir. Elle va bien ?
- Ça a l'air, répondit-il en haussant les épaules. Malefoy était là aussi. Ils ont encore dû se prendre la tête, il tirait une tronche de trois pieds de long.
Alors comme ça, Ron ne savait toujours rien. Peut-être était-ce mieux ainsi. Ron était le genre d'ami formidable lorsqu'il était question de faire la fête, d'assister à un match de Quidditch ou de prendre une belle cuite. Quand il fallait aborder des questions plus sérieuses, creuser dans les sentiments intérieurs, il devenait bien vite mal à l'aise et ne savait plus vraiment quoi répondre. Bien sûr, il faisait de son mieux, ne vous laissait jamais tomber mais Hermione et lui n'avaient jamais réussi à se comprendre. Avec Harry, tout était plus simple et relevait de l'évidence, peu importe les sujets qu'ils abordaient.
- Bref, reprit-il. Elle m'a parlé de tes nouveaux projets.
Son sourire s'accentua, son air malicieux également et Harry feignait toujours de ne rien voir venir.
- Oui, j'imagine, répondit-il innocemment, sinon tu n'aurais pas pu savoir que j'avais démissionné.
- Ouais ouais, assez parlé de ton boulot !
Cette fois-ci, Ron ne parvenait plus à maintenir le semblant de personnage mystérieux qu'il tentait maladroitement de perpétuer jusqu'ici.
- Daphné Greengrass, hein ! dit-il d'une voix traînante, son sourire en coin plus présent que jamais, au bord du rire.
Harry rit à son tour avant de reprendre une gorgée de bièraubeurre pour se redonner contenance.
- Peut-être bien, répondit-il en mimant l'expression faciale de Ron. Qu'est-ce que tu en penses ?
- Que du bien ! s'enthousiasma-t-il.
- Aller, c'est reparti, grogna Parkinson, et maintenant on va vanter les mérites de cette pétasse.
- C'est bon là, Parkinson, calme-toi.
- Déjà je ne supporte pas ce type, d'accord ! Et en plus, s'il vient pour énumérer les innombrables qualités de cette chère Daphné, je ne réponds plus de rien.
- Tu fais un effort, tu penses à autre chose jusqu'à ce qu'il parte et si tu te comportes bien et bien…
- Et bien quoi ? demanda-t-elle, soudain plus intriguée.
- Et bien tu verras !
- Je ne marche pas aux "tu verras", moi, Potter. Je veux des déclarations nettes.
- Allez, joue le jeu, s'il te plait, insista-t-il.
- … et ce cul ! On en parle de ce cul ? Harry ? Tu m'écoutes ?
Harry sursauta. Il commençait à être si pris dans sa conversation mentale avec Parkinson qu'il en oubliait presque qu'il négociait pour avoir un temps de répit avec son ami qui, bien sûr, n'avait pas mis une pause à leur échange.
- Désolé j'étais perdu dans mes pensées.
Ron se mit à rire avant de se pencher pour lui tapoter l'épaule.
- Ça y est, vous avez échangé trois mots et tu es déjà accro ? se moqua-t-il. Mais je te comprends. Elle a tout pour plaire, cette fille. D'ailleurs, si tu n'étais pas si intéressé, j'aurais presque essayé de tenter ma chance.
- Oh… répondit Harry d'une petite voix. Je ne savais pas qu'elle te plaisait. Est-ce que… est-ce que j'interromps quelque chose ?
Mais Ron secouait déjà la tête négativement avant de reposer sa bière sur la table basse.
- Non, bien sûr que non. Je ne suis même pas certain qu'elle sache que j'existe. Fonce mon pote ! l'encouragea-t-il, un grand sourire aux lèvres.
Rassuré, Harry hocha la tête.
- Du coup, tu disais ?
- Je crois que je parlais de son cul, répondit Ron avec le plus grand flegme.
Harry ne put s'empêcher de rire et apprécia que la réaction de Parkinson ne soit contenue qu'en un petit grognement discret.
- Ça, j'ai entendu, rit-il. Mais avant ?
- Et bien… je crois que je parlais d'Hermione qui m'avait appris la nouvelle. Oui, c'est ça ! Elle était avec Malefoy et je pense qu'il approuve aussi l'idée.
- C'est pas comme si il avait quelque chose à redire là-dessus, grinça Harry.
- Non, évidemment. Mais tu connais Malefoy, il aime tout contrôler et encore plus lorsqu'il s'agit de ses amis.
- Donc tout le monde est au courant, c'est ça ? demanda Harry, commençant à sentir l'angoisse poindre.
- Oui, on dirait bien.
- Je vois… Bon, plus qu'à espérer qu'elle ne me mette pas le plus grand vent de ma vie !
Trinquant leur fond de bouteille l'une avec l'autre, les deux garçons se mirent à rire, comme s'ils scellaient un espèce de pacte lui permettant de voir ses espoirs couronnés de succès.
Ron passa le reste de la soirée chez Harry, enchaînant les bières et les discussions. Harry appréciait toujours ses visites impromptues qui lui laissaient systématiquement un sourire aux lèvres et le cœur rempli de joie. Ron était ce genre de personne rayonnante qui apportait de la vie et de la bonne humeur avec lui, quoi qu'en dise Parkinson.
- C'est bon, il est parti, on peut peut-être arrêter de penser à lui, non ? soupira-t-elle.
- Pourquoi est-ce que tu es aussi dure avec lui ?
- Rien que sa tête m'agace, qu'est-ce que j'y peux ?
Harry soupira tout en se mettant aux fourneaux. Parkinson, elle, était plutôt le genre de personne borné qui ne dépassait rarement la première impression. Il était persuadé que le simple nom de famille de Ron suffisait à faire émerger chez elle les réminiscences d'une vieille haine ancestrale.
- Et n'oublie pas qu'il est roux, aussi. C'est un argument de poids en sa défaveur.
- Je ne vois pas où est le problème, grinça Harry qui commençait à être particulièrement irrité par ce genre d'argument puéril et infondé.
- Ce n'est pas une jolie couleur.
- Ma mère était rousse, tu sais.
Harry tentait de se contenir mais ses gestes devenaient de plus en plus saccadés et quand il déposa la poêle sur les grilles en fonte de sa gazinière, la violence du geste manqua de le faire sursauter lui-même.
- Et Dieu merci tu as hérité des gênes de ton père !
- Ça suffit maintenant, siffla-t-il entre ses dents.
Harry laissa tomber la cuisinière et vint se planter face à son miroir en pied, les poings résolument fixés sur les hanches. Il regardait son reflet, droit dans les yeux, comme si, de cette façon, il pouvait s'adresser à elle en face à face.
- Que tu n'apprécies pas Ron est une chose que je peux concevoir. Mais que tu l'attaques sur son physique, sérieusement ? Et puis c'est quoi ce racisme anti-roux que tu nous sors de je ne sais où ? Tu te rends compte du nombre de conneries que tu peux sortir à la seconde, quand tu veux ?
Harry voyait ses joues rougir sous la colère et ses sourcils se froncer. Encore une fois, elle était parvenue à le mettre hors de lui.
- Je ne savais pas que c'était un sujet aussi sensible, dit-elle d'un ton qui n'avait rien à voir avec des excuses. Je tâcherai de m'en souvenir et de m'abstenir si c'est pour que tu te mettes dans tous tes états.
- Ce serait préférable, effectivement, répondit-il avec une telle froideur qu'il fut surpris lui-même par son ton.
Harry hocha la tête face à son reflet, comme s'il mettait un terme à la conversation de ce simple geste.
- Et si tu reprenais ta préparation, plutôt ? suggéra Parkinson d'une voix trop douce pour être naturelle. Je meurs de faim.
- C'est moi qui meurs de faim, marmonna-t-il.
De mauvaise foi, il suivit tout de même son conseil et se mit à remplir une casserole d'eau.
- Toi, moi, c'est du pareil au même.
Harry préféra se contenter de lever les yeux au ciel. Ne s'arrêtait-elle donc jamais ?
- Rajoute un peu de sauce, ça risque d'être horriblement sec, dit-elle comme si, d'un coup, elle était devenue une experte en cuisine.
Elle venait de lui laisser une dizaine de minutes de répit. Dix minutes de silence qui lui avaient semblé n'être qu'une seule et dont Harry avait bien eu du mal à se délecter, craignant à chaque seconde qu'elle serait la dernière.
- Est-ce que c'est à la convenance de Madame ? demanda-t-il finalement après avoir rajouté une belle cuillerée de sauce. Je peux manger maintenant ?
- C'est parfait ! répondit-elle avec joie. Mangeons.
En prenant la première bouchée, Harry dut reconnaître qu'elle avait raison, encore une fois. Le plat était bien meilleur ainsi.
Par chance, elle eut le triomphe modeste et le laissa manger dans le silence jusqu'à la fin de la soirée. Avait-elle fini par comprendre que dans certains moments, le silence valait mille mots ? Ou s'était-elle simplement endormie au beau milieu de ses pensées ? Peu importe, mais Harry en profita pour se remettre à griffonner ses difformes personnages sur un bout de parchemin.
- Au fait, souffla-t-elle alors qu'il venait de s'étendre dans son lit, je me suis plutôt bien tenue, cet après-midi, non ?
- Où est-ce que tu veux en venir ? demanda-t-il, méfiant.
- Et bien tout à l'heure, tu sais, minauda-t-elle, tu m'as dit que si je te laissais tranquille avec Weasley, j'aurais une récompense.
- Ah, ça…
- Et bien j'attends toujours.
Harry soupira, ferma les yeux et se retourna sous les couvertures.
- Très bien, qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-il avec patience.
- Ah parce que tu n'avais rien en tête en me proposant ça ?
- Si j'ai quelque chose en tête, Parkinson, tu en es la première informée.
- Tout à fait, c'est pour ça qu'il est vain de tenter de me mentir, Potter.
Échec et mat. Il venait de se faire prendre à son propre piège. Évidemment qu'il avait quelque chose en tête à ce moment-là et évidemment qu'elle en connaissait la nature. Sinon, elle n'aurait jamais accepté de la fermer.
Mais pour le moment, Harry était fatigué et n'avait qu'une seule envie, s'endormir le plus vite possible.
- Laisse tomber, dit-elle alors sans pour autant lui faire sentir un reproche, on verra ça demain.
- Non, j'ai fait une promesse. Allons-y. Tu veux que je te dise quoi, ce soir ? Que t'es une pute ?
Mais ses paroles, entachées par ses bâillements, manquaient cruellement de conviction.
- Laisse tomber, je te dis. J'ai pas envie de faire ça si tu n'en as pas envie. Et puis de prévoir la chose c'est… non, je crois qu'on est beaucoup plus habiles dans la spontanéité.
- Alors on ne reporte pas à demain ? demanda-t-il, ne sachant pas vraiment comment interpréter ses propos.
- On verra bien si demain tu as envie de me récompenser pour ma conduite, souffla-t-elle d'une voix suave.
Et c'est avec un sourire aux lèvres et la tête remplie d'image qu'Harry s'abandonna à la douceur d'un profond sommeil.
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Quand Hermione lui avait fait parvenir un hibou la veille, Harry n'avait pas été très convaincu. Sa proposition partait d'une excellente intention, certes, mais elle le mettait particulièrement mal à l'aise.
"Drago a invité Daphné à dîner à la maison, demain soir. Je pense que je peux raisonnablement avoir mon invité, moi aussi. Qu'en penses-tu ?" lui avait-elle gentiment écrit.
Bien sûr, Harry était ravi d'avoir une nouvelle occasion de revoir Daphné et n'était jamais contre passer une soirée avec Hermione. Mais la perspective d'un rendez-vous arrangé n'était pas ce qu'il y avait de plus charmant.
Et puis, revoir Malefoy ne l'enthousiasmait guère plus. Le regard froid et dur qu'il lui avait lancé la dernière fois qu'ils s'étaient vus s'imprimait encore sur sa rétine. Harry n'était pas certain de savoir ce que Drago lui reprochait. Mais une chose était sûre, mieux valait être ami qu'ennemi de ce genre de personnage. Et s'il n'était pas de son côté lors du dîner, ses perspectives de réussite deviendraient presque nulles.
En milieu d'après-midi, Harry n'avait toujours pas rendu réponse. Il s'était contenté de griffonner des mots sur un parchemin qui, sans vraiment faire de sens, s'étaient transformés en un amas informe de signes qui ne menaient à rien.
- Je ne sais pas trop quoi penser de cette invitation, lança Parkinson alors qu'Harry hésitait toujours.
- Oui, j'imagine…
- Quoi ? demanda-t-elle, devenant presque agressive.
- C'est pas comme si tu adorais Daphné, répondit-il simplement en haussant les épaules.
- Cette fille est aussi intéressante qu'un botruc. Personne ne devrait l'adorer.
Cette fois-ci, Harry leva les yeux au ciel et reposa sa plume sur son bureau. Il croisa les bras, s'adossa confortablement sur sa chaise en bois et prit un air concerné. Parti comme c'était, les arguments de Parkinson risquaient d'être particulièrement dénués de sens et il allait avoir besoin de toute sa concentration pour que ça ne se termine pas en une énième dispute.
- Mais qu'est-ce qu'elle a bien pu te faire pour que tu la détestes à ce point ?
- Si seulement elle avait fait quelque chose, je pourrais avoir un peu d'estime pour elle. Le problème est justement là, Potter. Daphné Greengrass est une gentille fille, de bonne famille, qui adore cligner lentement des yeux, brosser son cheval pendant des heures et s'essuyer modestement le coin des lèvres du bout de sa serviette en coton égyptien.
- C'est censé être de bonnes raisons pour la détester ?
- Elle est chiante comme la pluie, Potter. Elle n'a aucun relief, aucune saveur. Greengrass est toujours prévisible, bienveillante et attentionnée. Qui a envie de passer sa vie avec ce genre de personne ?
Harry dut réunir toutes ses forces pour ne pas exprimer à voix haute le fond de ses pensées. Daphné et Parkinson étaient sans doute les exactes opposées. Quand l'une réfléchissait calmement à une situation, l'autre était l'incarnation même de l'impulsivité. Daphné était posée, délicate et incroyablement belle. Parkinson était un petit démon égocentrique qui n'avait pour elle qu'une voix qu'elle pouvait faire tomber dans les graves pour lui donner un galbe éraillé.
- Si tu crois vraiment pouvoir t'attacher à une poupée en chiffon vas-y, Potter. Mais quand tu seras rempli de remords parce que tu auras envie de la balancer après trois rencarts et qu'elle s'imaginera déjà prendre ton nom, il ne faudra pas compter sur moi pour te rassurer.
Mais Harry n'aurait nullement besoin d'être rassuré, il en était certain. Une relation simple, saine et remplie de tendresse était tout ce à quoi il aspirait. Il avait eu assez de drames dans sa vie pour perpétuer cette sinistre tradition. Harry voulait aimer, être aimé et dériver lentement sur le courant de l'affection jusqu'à la fin de ses jours. Si quelqu'un semblait pouvoir lui apporter tout cela, ce n'était autre que Daphné Greengrass.
Alors, il décida d'accepter l'invitation de sa meilleure amie. Et ce soir-là, il ne fut pas surpris de sentir son cœur louper un battement lorsqu'il vit Daphné, joliment apprêtée d'une petite robe noire. Ses yeux se brouillèrent quand, effectivement, elle se mit à battre des cils avec une affolante lenteur.
Hermione venait de leur ouvrir la porte et il n'avait toujours pas dépassé le vestibule que déjà, Harry comprit dans son regard qu'elle avait toujours besoin de son soutien. Elle se dissimulait derrière de grands sourires et des gestes chaleureux. Mais il la connaissait mieux que quiconque, et cette lueur victorieuse qui jadis brûlait si vigoureusement dans ses prunelles, avait du mal à reprendre vie.
Alors Harry serra sa main entre la sienne lorsqu'il s'approcha d'elle, lui montrant qu'il savait, qu'il était là et qu'encore une fois, elle pourrait compter sur lui. Il frissonna à peine quand Malefoy l'emprisonna dans son regard de glace. Était-ce parce que le bien-être d'Hermione comptait plus que toutes ses menaces ou parce que la présence de Daphné à ses côtés avait un réel pouvoir apaisant ? Harry n'était pas encore certain de connaître la réponse mais le sourire rayonnant qu'elle lui adressa lui fit vite oublier les éclairs de Malefoy.
La nourriture aurait pu être cuisinée par un grand chef comme complètement carbonisée, Harry n'aurait certainement pas vu la différence. A la seconde où ils s'étaient installés à table, Daphné avait glissé sa jambe contre la sienne, et il avait complètement perdu de vue le cours de la soirée.
Hermione avait lancé un sujet qu'il peinait à suivre. Drago ne le lâchait pas des yeux, les plissant pour se donner un côté encore plus menaçant que d'ordinaire. Daphné semblait entretenir la conversation et Harry se demandait comment elle parvenait à le rendre fou sans même perdre la face. Elle restait aussi calme et souriante qu'à l'ordinaire.
Le repas touchait déjà à sa fin quand, reprenant ses esprits, il proposa son aide à Hermione pour débarasser la table. Retrouvés seuls dans la cuisine, elle s'empressa de lui dire qu'elle trouvait Daphné délicieuse. Harry se retint de glousser, songeant qu'il serait ravi de pouvoir lui conf-
- N'y pense même pas, le coupa Parkinson dans un grincement de dents.
- Je n'ai rien dit, se défendit Harry qui n'arrivait pas à se défaire de son petit sourire en coin.
- Tu vas la baiser ?
- Ne sois pas aussi vulgaire.
- Tu n'as pas répondu à ma question.
- En tout cas, continua Hermione, elle n'a pas cessé de te dévorer des yeux. A ta place, je foncerais.
Hermione semblait sincèrement ravie pour lui et son avis comptait bien plus pour lui que celui de Parkinson.
- En attendant, c'est pas Granger qui va devoir supporter la vision de Greengrass au petit-déjeuner, grogna-t-elle.
Harry s'imaginait déjà lui apporter le petit déjeuner au lit. Prenait-elle du lait avec son thé ? Il avait hâte de pouvoir le découvrir et les ignobles bruits de régurgitation que produisait sans cesse Parkinson ne vinrent pas à bout de son optimisme.
Il était toujours perdu dans ses pensées quand Drago entra à grand fracas dans la cuisine. Hermione bafouilla, prétextant qu'il était impoli de laisser une invitée toute seule et s'enfuit à petits pas précipités en jetant un sourire désolé à Harry.
Comment pouvait-elle encore tolérer ça ? Ils se fuyaient continuellement, ne s'adressaient qu'à peine la parole. A sa place, Harry serait resté toute sa vie en Thaïlande.
Drago le regardait depuis l'autre côté de l'ilot central et d'un coup, Harry se sentit particulièrement stupide avec son torchon vichy entre les mains.
- Je connais ce regard, Potter, le prévint Parkinson. A ta place, je baisserais la tête et je me tirerais d'ici le plus vite possible.
Quelque chose lui disait qu'il aurait dû l'écouter. Mais cette fois-ci, Harry n'avait aucune envie de se laisser faire. Après tout, il n'avait rien fait de mal et la froideur de Malefoy commençait sérieusement à l'agacer.
- Tu voulais me dire quelque chose, peut-être ? lança-t-il sur le ton de la conversation.
Drago semblait fou de rage, pour une raison qui lui était encore obscure. Sa lèvre supérieure s'était méchamment retroussée et le simple fait de regarder Harry semblait le mettre hors de lui. Il n'avait pas eu le temps d'esquisser le moindre geste que déjà, Drago le plaquait contre un mur, la baguette sous la jugulaire.
- Mais c'est quoi ton problème ? s'écria Harry en le repoussant violemment.
Malefoy avait reculé de quelques pas mais sa baguette le visait toujours, menaçante.
- Crache le morceau, Potter, siffla-t-il finalement entre ses dents.
- Mais qu'est-ce que tu veux que j'te dise ? demanda-t-il, sincèrement perdu.
- Peu importe, Potter. Avoue un truc, n'importe quoi. Quand il a ce regard-là, Drago est prêt à tout. Alors arrête de le provoquer et sauve notre peau, c'est clair ?
Mais Harry n'avait aucune envie de se faire marcher dessus sans rien dire. Drago était son ami, non ? Alors pourquoi n'agissait-il pas comme tel depuis quelques temps ?
- C'est toi qui lui as dit de…, commença Drago mais les mots semblaient rester coincés dans sa gorge, bloqués par une quantité incommensurable de rage. Pour le bébé. C'est toi qui lui a dit de ne pas le garder, pas vrai ?
Alors le problème était là. Drago n'arrivait pas à digérer qu'Hermione ait pu mettre un terme à sa grossesse. Il était certainement plus facile de le reprocher à un tiers que d'accabler sa propre épouse.
- Écoute Drago, soupira Harry en s'approchant lentement de lui, Hermione a pris sa décision toute seule. Alors bien sûr, je lui ai conseillé de suivre ce qu'elle jugeait le meilleur pour elle, mais aussi d'en discuter avec toi. Cette décision ne me revient pas, c'est la vôtre.
Le rire froid qui sortit de la gorge de Drago lui donna la chair de poule.
- La nôtre, hein ? Parce que tu crois que j'ai voulu ça, peut-être ? Tu crois que j'aurais décidé de… de… C'était mon enfant, Potter. Et elle me l'a pris. Elle me l'a pris avant de s'enfuir en courant chez toi. Tu imagines un peu ce que ça me fait ?
Harry n'était pas certain de vouloir imaginer quoi que ce soit. La douleur qu'il pouvait lire dans les yeux de Drago était suffisante. Il semblait brisé, complètement anéanti. Et une part de lui s'en voulait de ne pas avoir poussé Hermione à rentrer chez elle.
- Cette situation a été extrêmement douloureuse à vivre pour elle aussi, tu sais. Ce n'est pas parce qu'elle ne voulait pas être mère que c'était une décision facile à prendre pour autant. Elle avait besoin de temps et j'avais de la place pour elle chez moi alors…
A nouveau, la haine avait repris le pas sur la douleur dans le regard de Drago. Et cette fois-ci, Harry commença sérieusement à se demander s'il ne serait pas plus prudent de sortir à son tour sa baguette. Jusqu'ici, il avait préféré apaiser les tensions et ne pas s'engager dans un duel qui n'avait aucun sens. Mais Drago semblait si furieux qu'il craignait de voir de quoi il pouvait être capable. Alors, lentement, tentant d'agir le plus discrètement possible, Harry glissa sa main jusqu'à sa poche arrière, encerclant ses doigts autour de son bâton de bois.
- Tu vis dans un putain de clapier, Potter. Si tu tiens sincèrement à tes couilles, ne t'avise pas de me rappeler une nouvelle fois que tu étais confiné dans un si petit espace avec ma femme.
Il s'était rapproché et Harry décida qu'il en était trop. Mais qu'est-ce qu'il s'imaginait à la fin ? Et comment osait-il insinuer ce genre de chose ? Malefoy devenait complètement fou et d'un discret moulinet du poignet, Harry préféra le désarmer. Il pensait qu'ils en seraient restés là, que Drago aurait réalisé la bêtise de la situation.
Mais Drago n'avait jamais été très raisonnable.
Furieux de s'être fait avoir aussi facilement, il se jeta sur Harry, l'attrapa par le col de sa veste et le plaqua avec force contre le mur en pierre de la cuisine.
- Qu'est-ce que tu lui as fait ? répétait-il en boucle, ponctuant chaque phrase d'une nouvelle secousse.
La tête d'Harry s'écrasait à chaque fois contre la pierre et les yeux rendus fous de Drago commençaient à devenir troubles sous son regard.
- Il ne s'est absolument rien passé, Malefoy. Lâche-moi !
Mais Drago ne voulait rien entendre. Il était brisé, sa peine était si forte qu'elle brouillait sa raison, ne lui laissant qu'un océan d'émotions contradictoires qui lui ravageait l'esprit.
- Qu'est-ce que tu lui as fait ? continuait-il.
Les oreilles d'Harry se mirent à bourdonner, la douleur devenait si intense qu'il commençait à se sentir partir. Dans le choc, sa baguette lui avait glissé des mains et maintenant, il se sentait complètement démuni face à un Drago qui avait perdu pied. Il tentait de se défendre, de dire qu'Hermione et lui n'étaient qu'amis mais les mots peinaient à sortir avec clarté de sa gorge. Harry savait qu'il n'allait pas tarder à s'évanouir.
Petit à petit, ses forces le quittèrent, ses yeux se fermèrent et il s'entendit vaguement dire quelque chose qu'il ne comprit pas avant que, d'un coup, Malefoy s'éloigne de lui. Comme s'il venait de s'électriser, il lâcha Harry, se recula et le laissa s'écrouler au sol, inconscient.
Quand il se réveilla, quelques secondes plus tard, Drago était penché sur l'évier de la cuisine, le visage détrempé et la respiration décousue. Harry cligna plusieurs fois des yeux avant de voir plus clair. Il passa une main à l'arrière de son crâne, s'attendant à la voir tachée de sang mais rien. Il ne lui restait qu'une sombre douleur qui s'écrasait contre ses tempes.
Drago se tourna vers lui alors qu'Harry tentait de se relever. Il n'y avait plus de haine ni de colère dans son regard. A la place, Harry y lut la peur, une grande terreur mêlée à de l'incompréhension. Aucun des deux ne prononça le moindre mot.
Harry ramassa sa baguette, remit sa veste en place et s'apprêtait à sortir lorsque, sans pouvoir résister, il se retourna une dernière fois, jetant un regard à Drago. Il semblait sous le choc, comme s'il venait de voir un fantôme et Harry secoua la tête. Malefoy avait besoin d'aide, il devenait vraiment dément.
Harry préféra ne rien dire à Hermione de leur mésaventure dans la cuisine. Il savait que Drago ne lui ferait jamais rien et qu'il était simplement rendu fou par la douleur. Il n'y avait qu'ensemble qu'ils pourraient se reconstruire, en laissant tomber la fierté et les faux semblants. Ils avaient besoin de se mettre à nu, de se parler plus sincèrement qu'ils ne l'avaient jamais fait. Mais Harry ne devait plus s'immiscer entre eux. Cette épreuve, ils devaient la vivre ensemble et la surmonter à deux.
Il remercia Hermione pour l'invitation, l'embrassa sur la joue et enroula un foulard autour de sa gorge avant de sortir. Il n'avait fait que quelques pas dans l'allée que déjà, la porte d'entrée s'ouvrait de nouveau derrière lui et des petits pas précipités le rattrapèrent.
- Harry ? demanda une Daphné légèrement essoufflée. Je… est-ce que tout va bien ?
Harry en avait grandement oublié ses bonnes manières. Dans le choc de l'altercation, il avait oublié de la saluer comme il se devait.
- Oui bien sûr, excuse-moi Daphné, je suis confus, je… Je suis plutôt fatigué, je pense qu'il vaut mieux que je rentre tout de suite.
- Tu as raison, je suis fatiguée moi aussi, je devrais faire comme toi. Je te raccompagne ? proposa-t-elle dans un sourire.
- Oh mais c'est pas vrai ! Elle peut pas nous laisser tranquille cinq minutes, celle-ci ? Mais quel pot de colle, j'te jure.
- Avec plaisir.
Parkinson avait beau la détester, Harry ne pouvait qu'admettre que Daphné était charmante. Ses yeux en amandes semblaient avoir des centaines d'histoire à lui raconter, ses belles boucles blondes le transportaient au paradis et son sourire lui faisait oublier toute la noirceur de ce monde.
Alors Parkinson pouvait ravaler son venin, Daphné était sa perle rare et Harry ne la laisserait pas filer.
