26. Gibbeuse Décroissante
En ouvrant la portière passager pour libérer ma fille de sa ceinture, je fus éclairée par les phares de la voiture de Mike. Il remonta l'allée et manœuvra pour garer sa voiture à côté de moi. Ni le crissement du gravier ni le puissant éclairage des phares halogènes en plein visage ne suffirent à faire bouger Annie. Elle dormait à poings fermés et était molle comme une poupée de chiffon, et je peinais toujours à la sortir de son siège auto quand Mike ouvrit sa portière.
"K.O. ?" demanda-t-il.
"Complètement H.S.," approuvais-je.
"Je peux la prendre si tu veux," proposa Mike. "Henry est toujours réveillé, ce sera plus simple."
"Merci."
Après l'avoir brièvement embrassé, je contournais sa voiture, ouvrit la portière passager et délivrais Henry de son siège auto.
Mike, pendant ce temps, avait tendrement sorti Annie de ma voiture. Il la portait sur un seul bras. Son autre main maintenait de façon apaisante sa tête, qui était posée sur son épaule. Le bras ballant d'Annie remonta pour s'agripper autour de son cou.
"Skanniedor ?" marmonna Henry en se redressant dans son siège et glissant sur le sol de la voiture.
"Oui, Annie dort," confirmais-je. "Et il ne va pas falloir très longtemps pour que tu la rejoignes au royaume du marchand de sable, Henry."
"Chuipeufatigué," admit-il.
"Tu es beaucoup fatigué," dis-je, parce que mon fils ne reconnaît sa fatigue que lorsqu'il est sur le point de s'effondrer. "Ça a encore été une journée chargée, hein Henry ?"
"Mmm," approuva-t-il.
Je tendis la main vers lui et, cela me surprit un peu, avant de sauter hors de la voiture, il l'attrapa. Lui souriant, je le conduisis lentement vers la porte de la cuisine. Il essaya de me sourire en retour, mais sa tentative fut interrompue par un bâillement aussi grand et rond que la pleine lune flottant au-dessus des collines.
"Je vais t'aider à te préparer pour dormir," dis-je quand nous passâmes la porte vers la lumière accueillante de la cuisine.
Une fois que j'eus refermé la porte et que nous fûmes en sécurité à l'intérieur de Lintzgarth, je me sentis bien plus calme. Cela me surprit, car je n'avais pas eu conscience d'être nerveuse. Chassant mes inquiétudes, je repensais à cette journée longue et assez particulière. Les journées avec les Potter étaient, semblait-il, toujours intéressantes et je me demandais si je finirais par m'y habituer. Peut-être que lorsque l'affaire de Harry serait résolue, les choses pourraient devenir un peu plus normales.
Retirant mes chaussures, je les plaçais à côté des bottes boueuses de Mike avant de m'accroupir pour aider Henry à retirer ses chaussures. Même les chaussettes de Henry étaient pleines de boue à cause de son exploration du bois autour de Drakeshaugh, et j'espérais qu'il n'avait pas répandu trop de saletés tout autour de la maison de Ginny. Je lui fis enlever ses chaussettes avant de le faire monter à l'étage.
La porte de la chambre d'Annie était ouverte et, quand je regardais à l'intérieur, Mike faisait délicatement passer la tête désarticulée d'Annie par le col de son haut de pyjama.
"Complètement épuisée, la pauvre chérie," chuchota Mike.
Il sourit gaiement en retirant doucement ses cheveux du col. La portant prudemment jusqu'à son lit, il tira les couvertures sur elle et embrassa son front.
"Bonne nuit, petite Annie," murmura-t-il.
Pendant que Mike ramassait ses vêtements au pied du lit, j'amenais Henry dans la chambre de sa sœur. Je me penchais au-dessus du lit et lui donnais un baiser de bonne nuit. À ma surprise, Henry se hissa sur le lit et embrassa sa joue. Je jetais un coup d'œil vers Mike, qui me rendit un regard les yeux écarquillés, les mains levées, en pantomime d'étonnement. Une telle démonstration de tendresse de notre fils était presque une première.
"Bonne nuit," chuchotâmes Henry et moi.
"Je vais mettre ça dans le panier de linge sale," murmura Mike alors que nous quittions tous la chambre d'Annie, soulevant les vêtements de notre fille. "Ensuite je vais aller mettre la bouilloire. Je suppose que tu prendras un thé ?"
"Merci." Je hochais la tête.
Il referma la porte de la chambre d'Annie, caressa ma joue du bout des doigts, se tourna et descendit sur la pointe des pieds.
Quelques minutes plus tard, Henry se tenait tout nu devant moi et tentait toujours de me raconter les bois qu'ils avaient explorés avec Mike.
"Et j'ai trouvé un arbre treux," me dit-il.
"creux," le corrigeais-je. "Les mains en l'air." Henry leva sagement les bras et je passais son haut de pyjama par-dessus sa tête. "Coucou !" ajoutais-je quand sa tête réapparut par le col.
"É on a joué sur la balançare, même Annie é Lily !" poursuivit Henry. Ignorant mon commentaire visiblement trop enfantin et apparemment incapable de s'arrêter de parler, il refusa de se laisser distraire de son récit. "É on a trouvé une 'norme branch qu'avait tombé d'un arbre. É Papa il a dit qu'il allait demander à Harry si on pourra l'avoir pour le grand feu de mon 'niversaire." Il marqua une pause, plongé dans ses pensées. "Je crois il a oublié," conclut-il tristement.
"Harry a eu des visiteurs, souviens-toi," dis-je. "Ces personnes de son travail. Papa a sûrement pensé que Harry était trop occupé. Je demanderai à Ginny lundi." Tout en parlant, je me demandais à quel point cette 'branche' était grosse, et comment nous pourrions la transporter de Drakeshaugh à Lintzgarth.
"Oui," dit Henry, sa bouche pincée alors qu'il se souvenait de quelque chose d'autre. "sauf qu'James l'a dit qu'y pensait qu'un grand feu pour son 'niversaire s'rait bien é y veut un feu d'joie et tout. É son 'niversaire l'est d'abord ! Mais papa l'a dit p't'être on pourra partager ou trouver d'aut' bois, pa'ce que y'a plein d'trucs par terre partout, pa'ce qu'c'est une forêt."
"L'anniversaire de James est avant ? C'est quand ?" demandais-je. Ça c'était de la nouvelle. Je savais que Henry et James devaient être proches en âge, avec tous les deux leur anniversaire entre septembre et décembre, mais je n'avais pas réalisé à quel point. Ginny ne m'avait jamais parlé des anniversaires.
Henry haussa les épaules. "Bientôt," me dit-il. "Mais pas d'main ou l'jour après," ajouta-t-il pour aider.
"Je le saurais," dis-je. "On va devoir lui faire une carte, tu ne crois pas ?"
"Ouais." Henry hocha la tête si fort qu'il manqua de perdre l'équilibre.
"Pied, ordonnais-je une fois qu'il eut retrouvé son équilibre. Je tins son pantalon de pyjama levé et il leva une jambe et la passa à l'intérieur. Ce faisant, il posa ses mains sur mes épaules pour se tenir. Puis, à ma surprise, il fit glisser ses bras autour de mon cou et m'étreignit.
"Je t'aime Manman," dit-il pendant que je l'aidais à passer l'ourlet du pantalon autour de son pied.
"Et je t'aime aussi, Henry," dis-je joyeusement. "L'autre jambe, s'il te plaît." Me tenant toujours autour du cou, il obéit.
"Je t'aime plus que tu m'aimes toi," me dit-il alors que je remontais son pantalon.
Il me relâcha, fit un pas en arrière et je regardais son visage et souris. C'était tout lui. Il avait transformé son commentaire en compétition. "Vraiment ? Combien tu m'aimes ?" demandais-je, lissant son pyjama et lui ébouriffant les cheveux.
"Comme ça," dit-il, me relâchant et écartant les bras aussi loin qu'il le pouvait.
"Ah, et moi je t'aime comme ça !" dis-je. Je tendis mes bras aussi loin que possible. Il regarda mes bras écartés, puis les siens et fronça les sourcils. Je le regardais réfléchir, vit une idée briller dans ses yeux et attendit.
"Je t'aime deux fois comme ça," dit-il, essayant d'étendre ses bras encore plus loin. "Et c'est plus que toi tu m'aimes."
Je décidais de ne pas surenchérir. Si je l'avais fait, nous y aurions passé la nuit. "Merci Henry," lui dis-je, le serrant contre moi.
Après avoir embrassé ses joues, je le soulevais dans mes bras et le portais jusqu'à la salle de bain.
"Dents !" dis-je en prenant sa brosse à dents. Je pressais un peu de dentifrice dessus et ouvris le robinet. "Je les fais pour toi, d'accord ?"
Henry hocha la tête et bailla je saisis l'opportunité que sa bouche grande ouverte présentait.
"Ensuite pipi, les mains et au lit," lui dis-je. Son absence de protestation m'indiqua à quel point il était épuisé.
Après avoir bordé Henry et lui avoir dit bonne nuit, je l'embrassais et, à sa demande, lui promis que j'enverrais Papa lui dire bonne nuit. J'étais presque certaine que Mike arriverait trop tard, car les yeux de Henry s'étaient fermés avant même que j'aie quitté la chambre.
Quand j'entrais dans le salon, Mike était assis sur le canapé, la théière dans la main. Il venait juste de finir de me servir une tasse de thé.
"Je t'ai entendu descendre les escaliers," dit-il quand je le remerciais. Quand je lui fis passer la requête de Henry, il bondit sur ses pieds et alla le voir.
Seule dans le salon, je remarquais que Mike n'avait pas tiré les rideaux. Le ciel de nuit était sans nuage et la pleine lune lumineuse rendait pâle certaines des étoiles les moins lumineuses. Alors que je regardais par la fenêtre, je vis à nouveau les chauves-souris. Cette fois, elles voletaient à travers les arbres dans les champs en face. Pour une raison inconnue, leur présence continue me mettait mal à l'aise. Je tirais les rideaux, mais cela n'apaisa pas mes inquiétudes. Elles étaient hors de vue, mais pas hors de pensée. Je faisais les cent pas devant les rideaux quand Mike redescendit.
"Je crois avoir vu…" commençais-je lorsqu'il entra dans la pièce.
"Et divague devant les vitres, telle une divagante voyante devant les vitres," dit en plaisantant Mike. Il vit mon expression. "Désolé, qu'est-ce qui se passe, Jacqui ?" demanda-t-il avec sollicitude.
"Je ne sais pas," admis-je. "C'est juste une sensation, un picotement dans la nuque. J'ai l'impression qu'on est observé. Est-ce que tu as vu les chauves-souris quand on a quitté Drakeshaugh ? Je crois qu'elles nous ont suivi ici et qu'elles observent la maison."
"Allons Jacqui," dit-il. "Tu as déjà le mystère des meurtres de loup-garou de Harry pour te tenir occupée, tu n'as pas besoin de vampires en plus. Des loups-garous et des vampires !" Il m'offrit un regard affligé et secoua la tête avant de sourire. "Ça me fait penser, Being Human reprendra pour une deuxième saison en début d'année prochain."
"Comment tu le sais ?" demandais-je.
"Notre nouvelle administratrice – Sophie – a une photo du groupe d'acteurs comme fond d'écran. J'ai fait un commentaire stupide dessus."
"Un commentaire stupide ? Toi ? Non !" dis-je sarcastiquement.
Il m'ignora et poursuivit. "J'ai dit quelque chose comme quoi c'était la seule série fantastique que j'avais réussi à te faire regarder et c'est là qu'elle me l'a dit. Elle est visiblement une très grande fan du programme." Il souriait toujours. "En fait, je pense que c'est une très grande fan de Mitchell. Tu as une rivale !" Il me fit un clin d'œil en se laissant tomber sur le canapé et prit sa tasse de thé.
J'essayais de composer mon expression pour indiquer que le charmant personnage du vampire n'était pas la raison pour laquelle je regardais.
"Je suis presque certain que si les vampires existaient, on le saurait. Et puis de toute façon, nous ne sommes pas en danger ici. Ils ne peuvent pas entrer sans y être invités, tu te souviens ?" Mike sourit en parlant.
"La jeune fille, Camelia," dis-je avec inquiétude. "Elle a attendu à l'extérieur de Drakshaugh, elle attendait d'être invitée à l'intérieur !"
"Enfin, Jacqui," dit Mike. "Tu ne peux pas être sérieuse. Qu'est-ce que tu dis, que Harry emploie une adolescente vampire ? Elle était dehors en plein soleil."
"Elle pourrait ne pas être une adolescente, elle pourrait avoir des centaines d'années," protestais-je. "Et Mitchell sort en pleine journée !" Mike rit et je réalisais à quel point j'avais l'air idiote.
"Vrai, mais si tu avais regardé Near Dark ou Vampires de John Carpenter, ou même Buffy avec moi, tu saurais que les vampires s'enflamment s'ils sont dehors sous le soleil," dit Mike. Il s'arrêta et me fixa." "J'y suis ! Les vampires Américains sont différents des Britanniques, et ceci est la conversation la plus débile qu'on ait eu depuis des années !" Il rigolait toujours et je souriais également. "Tu as vu quelques chauves-souris, Jacqui. Il y a des tas de chauves-souris dans le coin, tu le sais bien. Elles ont des tas de nichoirs dans les vieilles granges."
"Je suppose," dis-je, acceptant finalement qu'il avait raison. La conversation que nous avions devenait de plus en plus ridicule. "Mais c'est toi qui as commencé ! Je ne t'ai rien dit sur les vampires, seulement sur les chauves-souris," ajoutais-je. Ma tentative pour rejeter une partie de la faute pour mon idée folle sur Mike ne fonctionna pas.
"Des chauves-souris nous suivant jusqu'à la maison !" me rappela-t-il. "Ce qui n'est pas un comportement normal de chauve-souris, tu ne crois pas ? Mais ne t'inquiètes pas, ma chérie. Je serais ton Batman, ton homme chauve-souris !"
Je ris, m'assis à côté de lui et pris mon mug. "Encore une bonne journée," dis-je.
"Encore une bonne journée, cette fois avec le petit chaperon rouge et un vampire pour aller avec le loup-garou de Harry," dit Mike. "Quelle vie excitante nous menons, tout ce qui nous manque, c'est un fantôme."
"L'anniversaire de James approche !" dis-je abruptement, me souvenant de ma conversation avec Henry. "Je suppose que tu ne sais pas quand c'est."
"Eh bien en vérité, ma chérie, je le sais," dit-il pompeusement. J'étais impressionnée, jusqu'à ce qu'il ajoute le mot : "Probablement."
"Donc tu ne sais pas," l'accusais-je.
"Cé zeudi" me dit Mike. Il échoua à imiter l'accent de James, mais c'était suffisamment proche pour que je sache qu'il m'offrait une citation directe. " Je suppose que c'est jeudi qui vient. J'ai ajouté le 'probablement' parce que mon informateur est un garçon âgé de presque cinq ans. Un garçon qui n'est pas plus fiable que le seul autre garçon de presque cinq ans que je connais. En fait, quand on revenait de la piscine, James m'a dit que la voiture de son Papa pouvait voler. Il pourrait être encore moins fiable que Henry."
"Je vérifierai auprès de Ginny," dis-je.
"Ouaip," approuva-t-il, passant son bras autour de mes épaules.
~~~oooOOOooo~~~
Dimanche commença tendu et acrimonieux. Malgré un bon sommeil, Annie s'était réveillée de mauvaise humeur. Elle avait une bonne raison : son nez coulait comme un robinet. L'affection que Henry lui avait témoigné la veille au soir s'était évanouie et il n'avait aucune empathie pour sa sœur. Il se moqua d'elle sans merci, spécialement quand elle éternuait. Il l'embêta à tel point que, alors qu'ils jouaient avec des cubes, elle lui en lança un dessus. Avant que je ne puisse l'admonester, il la frappa.
Évidemment, je criais et alors les deux enfants pleurèrent. Mike se précipita depuis le jardin pour m'aider à les gérer. Il emmena Henry et lui fit une sévère remontrance pendant que je me chargeais d'Annie.
Après avoir gavé Annie de Calpol, elle commença à s'animer un peu plus. À onze heures, nous attachâmes les enfants dans la voiture de Mike et nous mîmes en route pour Hawksburn. Les deux enfants chantèrent tout le voyage, bien que le rhume d'Annie lui donne de nombreux problèmes de prononciation. Malgré tout, le trajet fut étonnamment bon.
Alors que nous traversions Otterburn, j'appelais mes parents pour leur indiquer que nous approchions et les prévenir pour le rhume d'Annie. Papa tenait le portail ouvert quand nous arrivâmes et Maman était à la porte d'entrée. Ils ignorèrent complètement mon avertissement concernant le rhume d'Annie et elle fut d'abord dorlotée par Maman avant d'être passée à Papa, qui l'installa sur sa hanche. Elle éternua et il lui essuya le nez avec un mouchoir assez douteux qui, connaissant mon père, avait certainement dû nettoyer des choses bien pires. Ma mère essaya de dorloter Henry, mais il l'ignora, car la première chose que Papa avaite fait à notre arrivée avait été de donner à mon fils sept douilles usagées.
"Elles sont de fusils de l'armée, Henry," avait dit Papa, ignorant mes protestations. "Je les ai trouvées sur les sommets." Il indiqua les collines derrière la maison où ses moutons broutaient un amas de points blancs distants bougeaient lentement sur le vert.
"De fusils de l'armée !" dit savamment Henry à Mike, comme si Mike n'avait pas entendu les paroles de mon père.
"Je ne savais pas ça. En quoi elles sont faites ?" demanda Mike. "Est-ce que c'est de l'or ?" Il plaça sa main gauche à côté des douilles et compara la couleur à celle de son alliance.
"De l'or," dit Henry. "Oui, de l'or ! De l'or, Maman !"
"C'est du cuivre, Henry," lui dis-je. "Ce n'est pas de l'or. Il y a une grosse différence."
Malgré tous mes efforts, Henry ne voulut pas abandonner ses 'balles'. Je regardais Mike d'un air implorant, mais il refusa de me soutenir.
"Elles sont usagées, Jacqui," dit-il doucement, se mettant du côté de mon père. "Ce ne sont que des bouts de vieux métal et elles le gardent calme."
C'était vrai, elles l'étaient, j'abandonnais donc et suivit mes parents dans la maison. Nous allions déjeuner dans la grande salle à manger, puisque les hôtes de Maman allaient être dans les collines toute la journée. Bien que Hawksburn soit une ferme active, les bêtes ne généraient pas énormément d'argent, donc Maman et Papa – ou du moins Maman – accroissaient leurs revenus en gérant un Bed and Breakfast de cinq chambres. Cela fonctionnait bien, surtout pendant l'été.
Quand nous passâmes de la salle à manger des hôtes vers la cuisine, je remarquais que la plus grande table était déjà dressée. La saucière remplie de sauce à la menthe était un indice suffisant. Avant même d'entrer dans la cuisine et de sentir l'arôme inimitable, je savais déjà que nous aurions un rôti d'agneau pour le repas. Par chance, Mike ne laissa pas échapper que nous avions eu un ragoût d'agneau la veille au soir. Au lieu de ça, quand le déjeuner fut servi une heure plus tard, il n'eut que des compliments élogieux sur le menu.
"Fayot," lui dis-je.
"Enfin Jacqui, il n'y a pas de raison d'être comme ça," me sermonna Maman.
"Ouais," agréa Henry avec son père. "C'est vraiment trop bon, Mamie. Mieux qu'les r'pas d'Maman."
"Je ne dirais pas dit ça," dit loyalement Mike, me regardant avec sincérité dans les yeux. Il se tourna alors et fit un clin d'œil à ma mère. "Dans ce genre de situation, je ne sais pas si je dois me placer du côté de ma femme ou de ma belle-mère. Aucun homme ne devrait avoir à faire face à de telles décisions, n'est-ce pas Jack ?" Pendant que mon père riait et que ma mère souriait de toutes ses dents, Mike se tourna vers Henry. "Tu vas devoir apprendre à avoir un peu de tact, fiston," dit-il.
"C'est quoi le tact ?" demanda Henry.
"Ce n'est absolument pas la peine de demander à ton père," dis-je. "Il n'en a pas la moindre idée."
Le temps que Mike arrête de rire, Henry avait oublié qu'il attendait une réponse.
Après le déjeuner, les enfants allèrent dans les champs avec 'Grand-Papa Wake' pour aider avec les bêtes. Il y avait peu qu'ils puissent faire, car la majorité des champs bas étaient vides. Bien que la majorité du troupeau soit dans les collines, Papa entraînait un nouveau chien – bien que, pour être correcte, Jessie soit une chienne. C'était une Border Collie, évidemment.
Je regardais pendant quelques minutes durant lesquelles mes enfants et Jessie écoutèrent attentivement Papa. Il essayait de leur apprendre à tous la différence entre 'vers près' et 'au loin', utilisant certaines des plus âgées et des plus dociles de ses brebis. Jessie, tel qu'il fallait s'y attendre de la race de chien la plus intelligente et la plus utile sur la planète, apprenait rapidement. Elle progressait bien plus vite que mes enfants.
Je rentrais à l'intérieur et, après avoir aidé Maman à faire la vaisselle, Mike et moi passâmes deux heures à tout raconter à Maman sur nos nouveaux amis, les Potter. Papa et les enfants ne rentrèrent pas à l'intérieur avant que je ne les appelle pour les prévenir que le thé était presque prêt. Jessie avait été, naturellement, laissée dehors dans sa niche. C'était un chien de travail, pas un animal de compagnie.
Les hôtes de Maman arrivèrent peu à peu, les premiers peu après quatre heures, les derniers à six heures. Nous avions alors terminé notre thé et étions presque prêts à partir, et Maman préparait les repas du soir pour les trois couples qui les avaient commandés. Comme les deux enfants avaient vraiment bien besoin d'un bain avant d'aller se coucher et que Maman avait à s'occuper de ses hôtes, nous nous excusâmes et partîmes.
"J'me demande James il a fait quoi aujourd'hui," demanda Henry alors qu'en rentrant nous passâmes devant l'allée montant vers Drakeshaugh.
"É Al é Lily," ajouta Annie.
Elle éternua et, alors que je me contorsionnais pour essuyer son nez de plus en plus collant, je décidais qu'après son bain je lui donnerais une nouvelle dose de Calpol.
"Aujourd'hui j'ai eu des balles de fusil é j'ai apprendu à être un berger," dit Henry. "Je parie James il a pas eu des balles," ajouta-t-il fièrement.
~~~oooOOOooo~~~
La journée de lundi fut couverte et frisquette. L'automne avait planté ses griffes moroses dans la vallée et, alors que je regardais le ciel, je sus qu'il n'allait pas desserrer son étreinte de sitôt. La météo continuait de changer et les jours raccourcissaient avec une inévitabilité inarrêtable. Les nuages qui étaient arrivés durant la nuit étaient assez bas pour masquer les sommets des collines sous un voile gris humide. Au fond de la vallée, les arbres viraient à l'orange et au rouge tandis qu'à flancs de collines, leurs voisins persistants s'étendaient vers le haut de la vallée et la grisaille.
Henry était gai comme un pinson pendant le petit-déjeuner Annie en revanche était apathique, geignarde et son nez était encore plus encombré que la veille au soir. Inquiète, je lui pris sa température. Elle était normale, donc je considérais que c'était un simple rhume. Elle râla, toussa et éternua tout le chemin jusqu'à l'école, où j'installais Henry dans sa classe le plus vite que je pus. Par conséquent, je ne vis pas Harry.
C'était l'un de ces jours où Annie exigeait – et obtenait – toute mon attention. Son nez était bouché, elle reniflait continuellement et, si je ne la suivais pas avec un mouchoir pour la faire se moucher, elle l'essuyait sur sa manche.
Je continuais à donner régulièrement à Annie du Calpol. La bouteille de médicament se vidait rapidement, j'envoyais donc un message à Mike pour lui demander d'en racheter. Cela aidait clairement à calmer ses symptômes.
Quand je descendis pour récupérer Henry, Annie s'endormit dans son siège auto. Ne pouvant l'abandonner, je me tins simplement à côté de la voiture en regardant en direction du portail de l'école. Ginny était déjà devant la grille, discutant avec deux autres mères. Quand elle regarda le long de la route dans ma direction, je pointais la voiture du doigt, mis mes paumes jointes sur le côté de ma tête et appuyais ma joue dessus. Ginny sourit, dit quelque chose aux dames avec qui elle discutait et remonta la route en poussant Al et Lily dans leur poussette.
"Annie a un rhume," dis-je. "Elle a dû commencer à l'avoir à la piscine samedi. Heureusement Henry semble y avoir échappé. Est-ce que tes enfants vont tous bien ?"
"Ils vont bien," me rassura Ginny. "Ils reniflaient tous un peu hier, mais je les ai gavés de Pimentine…" Elle s'interrompit.
"Po-son-pim-tine," dit Al serviablement, ses grands yeux verts brillants.
"C'est, euh… une vieille recette de grand-mère de Maman," expliqua Ginny. "Ça a l'air d'avoir fonctionné."
"Bien, bien," dis-je. "Je voulais te demander si toi, Al et Lily vouliez venir déjeuner à Lintzgarth mercredi. C'est comme tu veux, parce que je ne veux vraiment pas faire passer les germes d'Annie. On pourra attendre et voir comment elle va demain. Ça à l'air de passer rapidement. Elle a dépassé les stades coulant, gluant et collant et elle a l'air d'arriver au stade des croûtes."
"Je suis presque sûre que ça ira pour nous," dit Ginny, grimaçant à ma description. "Mais je vais confirmer des choses avec Harry et te dire ça."
"Super," dis-je avec bonheur. "Oh ! Et il y a autre chose qu'il fallait que je te demande. J'espère que tu ne vas pas penser que je suis trop curieuse, Ginny, mais…"
"L'affaire se passe bien", dit Ginny. "Harry a plusieurs nouvelles pistes et Frances – la fille en blouson rouge qui est arrivé inopinément – est soignée pour son amnésie. Je serais heureuse si tu ne la mentionnais à personne, Jacqui. Harry… la police garde son existence secrète. Il est… Ils espèrent qu'une fois qu'elle sera rétablie, elle sera capable de leur fournir encore plus d'informations. Quant à Robards…"
Je la fis taire d'un geste. "Merci pour les nouvelles informations," dis-je. "Mais ce n'est en fait pas ça que je souhaitais te demander."
Ginny parut surprise et un peu inquiète.
"J'allais te demander pour l'anniversaire de James," la rassurais-je. "Il a dit à Henry que c'était très bientôt Henry veut faire une carte."
"Zeudi," me dit Al avec empressement. "James il va avoir cinq ans." Il tendit la main, les doigts écartés, pour le cas où je ne saurais pas à quel point le nombre cinq était grand.
"Deudi," couina Lily en hochant la tête. "James cinq."
"Merci les enfants." Ginny ébouriffa les cheveux d'Al et pressa l'épaule de Lily. "Ils ont raison, c'est jeudi," confirma Ginny. "Le huit octobre. Et celui de Henry est le cinq novembre, la nuit des feux de joie, exactement quatre semaines plus tard."
"Jeudi," dis-je. Mike avait eu raison. L'anniversaire de James était dans trois jours. Je me demandais si nous serions capables d'aller quelque part pour acheter un cadeau pour James, et ce que nous pourrions lui prendre. "Parfait, merci."
Malgré le fait que nous soyons à bonne distance du portail, Ginny se rapprocha un peu. "Je n'y ai pas du tout pensé," confessa-t-elle. Voyant mon expression, elle rit. "Je veux dire, nous y avons beaucoup pensé. Nous avons acheté et emballé ses cadeaux et il y aura une fête familiale pour lui chez Maman dimanche, mais je n'ai pas pensé à ça." Elle pointa le doigt vers l'école. "Je ne sais pas ce qui est attendu de moi jeudi."
"Rien," lui assurais-je.
"Rien ?" demanda-t-elle, incertaine. "Harry m'a raconté les anniversaires de son cousin. Il avait droit à des sorties et des fêtes dans des restaurants à hamburger ou dans n'importe quel endroit où il voulait aller." Elle hésita avant de se confier. "Nous pensions inviter ses camarades de classe à Drakeshaugh jeudi. Mais après samedi dernier…"
"C'est votre décision, Ginny," lui conseillais-je. "Vous pouvez faire autant ou aussi peu que vous le voulez. Est-ce que ça aiderait si je te disais ce que je compte faire pour Henry ?"
"Oui." Ginny m'offrit un sourire plein de gratitude.
"J'ai l'intention de demander à James et à toute sa famille de venir à Lintzgarth pour son feu de joie d'anniversaire." dis-je avec un sourire. "Les grands-parents de Henry seront aussi présents. Mais c'est tout. Henry n'est vraiment proche d'aucun autre enfant à l'école et personnellement je ne vois pas l'intérêt d'organiser une fête pour des enfants qui ne sont pas vraiment ses amis. Mary a organisé des grandes fêtes pour ses enfants et elle décidait qui serait invité. Je ne veux vraiment pas partir dans ce genre d'aberration."
"Merci." La gratitude illumina le visage de Ginny. "J'ai demandé à James qui il voulait inviter et il a dit 'Henry', mais personne d'autre. Dans ma famille, les fêtes d'anniversaires ont toujours été des histoires uniquement familiales. C'était bien assez chaotique avec tous mes frères, mais ces temps-ci, quand on rajoute tous les cousins…" Elle leva les yeux au ciel. "C'est plus que suffisant ! Je ne pense pas que ma mère serait prête pour une nouvelle fête pour les enfants si peu de temps après notre pendaison de crémaillère. Au fait, cela me fait penser, est-ce que tu as toujours ton invitation à la fête ?"
"Bien sûr," dis-je. "Elle est dans ma pile 'album'. Elle ira rejoindre les cartes d'anniversaire de Henry et les autres souvenir dans l'album, quand je trouverai l'occasion de m'y mettre."
"Oh." Ginny semblait un peu embarrassée. "J'allais… euh… est-ce que tu serais contrariée si je te demandais de la rendre ?"
"Si tu la veux, tu peux l'avoir," dis-je, essayant – et échouant – de dissimuler le dépit de ma voix. "Mais j'espère que tu me fais confiance pour la garder en sécurité, Ginny. Je ne vais pas la donner au premier inconnu, tu sais ! Est-ce que tu vas demander à tous les autres invités de la rendre ? Mary aura certainement quelque chose à redire dans ce cas !" L'embarras de Ginny se transforma en agacement je manquais un peu de tact et je pensais savoir pourquoi elle le demandait. Ça avait été l'idée de Harry. "Évidemment, vu le travail de Harry, je suppose que vous devez être prudent quant à qui vous donnez votre adresse. Est-ce que vous pensez que c'est ce qui s'est passé ? Est-ce que Michael et Trudi ont donné leur invitation à cette fille ?" J'hésitais tandis que mon cerveau me rattrapait enfin. "Vous pensez que cette fille – Frances – a vu le tueur, et Harry craint que le tueur sache où vous vivez !"
Ginny jeta un coup d'œil inquiet sur Al et Lily, qui écoutaient tous les deux attentivement, et hocha presque imperceptiblement la tête. Je me demandais comment m'excuser, ma réponse avait commencé sèchement et j'avais ensuite fait une vraie bévue.
"Désolée," murmurais-je.
"Il y a des jours où je hais le boulot de Harry," dit avec passion Ginny. "Oui, on est un peu inquiet pour notre sécurité, mais si on ne peut pas faire confiance à nos amis, alors à qui faire confiance ? Je lui en parlerai quand il rentrera de Sheffield. Est-ce que ça te dirait de venir à Drakeshaugh demain matin, après avoir déposé Henry à l'école ? On pourra discuter… de choses et d'autres."
"Tu n'as pas besoin de m'inviter à chaque fois à Drakeshaugh," protestais-je. "Si Annie va mieux, vous pourriez venir à Lintzgarth. Je sais que c'est un peu compliqué de bouger les sièges auto et que ce sera un peu serré dans la Micra, mais ça ne me dérange pas, promis."
"C'est d'accord," dit Ginny.
"Oh, et je dois aussi te demander pour du bois," dis-je. C'était trop tard, Henry et James courraient vers nous sur le trottoir et ils ne voulaient pas se taire.
James était extrêmement heureux, parce que Henry lui avait donné une balle de fusil. Ginny parut horrifiée. Je me pris la tête dans les mains et la secouais.
"Désolée," dis-je. "Je ne savais pas qu'il les avait apportées à l'école. Il n'y a rien à craindre, Ginny. C'est une douille usagée, pas une balle c'est totalement inoffensif."
