Je perds la tête, j'en suis conscient et c'est ça qui m'oblige à faire tout mon possible pour passer outre. Les hallucinations créées par Peter sont tenaces, ce qui fait qu'à chaque fois que je ferme les yeux, j'imagine non plus Peter, mais Derek au-dessus de moi. Je pourrais me dire qu'être conscient du caractère faux de cette vision est une bonne chose, que c'est un pas en avant, mais je n'y arrive pas. J'y ai cru. J'ai réellement cru que Derek m'avait touché à son tour, comme son oncle. En fait, il a réussi à me persuader que Derek était comme lui. Et même si je sais que ce n'est pas le cas au fond de moi, je suis encore troublé, perturbé par ce que j'ai vu et ressenti. Parce que ça paraissait… Réel. C'était réel.
Le problème, c'est que si je ne me dis pas sans arrêt que c'était un coup de Peter, je sais que je finirai par y croire. Et si j'y crois, je ne vais pas m'en sortir. Alors, je me raccroche à Derek comme je peux, j'essaie de me prouver qu'il ne me veut que du bien. Parce qu'il est là depuis le début, parce qu'il est le premier à s'opposer à son oncle, parce qu'il fait tout pour moi.
Mais aussi et surtout, parce qu'on est liés.
Il m'a proposé le lien, pas imposé, comme chacune des actions de Peter. Et moi, j'ai accepté. Pas ce genre d'acceptation forcée qui m'oblige à me laisser faire, plutôt une acceptation consciente, désirée. Est-ce mon attirance pour lui qui a facilité les choses ? C'est possible. C'est possible et probable. Je l'aime et ça, ça ne change pas.
En y réfléchissant un peu de manière consciente, je me souviens que je ne lui ai toujours pas dit. L'autre jour, dans ce petit endroit que j'aime tant, j'ai failli lui dire. J'étais à deux doigts de le faire, j'avais trouvé la motivation et assez de courage pour lui confier ce secret que je gardais depuis des mois, que Scott a appris, que Peter a entendu. Secret dont il s'est servi pour se rapprocher de moi. Je frissonne et de légers tremblements parcourent mon corps. Derek caresse mes cheveux et au bout d'un moment, cela suffit à les faire cesser. N'aie pas peur en sa présence, c'est ce que je ne cesse de me dire. Faire confiance à Derek, c'était facile. C'était parce que depuis cette vision, j'ai du mal. Peut-être qu'il me faudra un peu de temps pour réussir à faire disparaître ce doute qui continue de s'insinuer en moi avec perfidie. Je n'ai plus beaucoup de choses auxquelles me raccrocher et Derek fait partie des dernières. Si je le lâche, je tombe. Alors, je me mentalise et me rappelle régulièrement qu'il est celui à qui je dois me fier. Mon phare dans les ténèbres.
Je devrais essayer de lui dire à nouveau. Je sais que je le devrais, avant de disparaître définitivement. La question c'est : est-ce que je vais y arriver ? J'allais réussir, j'allais réussir mais j'ai été coupé par Deaton. S'il n'avait pas appelé, je l'aurais dit, je… Derek aurait su. Je ne sais pas comment il aurait réagi, mais il aurait su et si je devais m'en aller, céder la place à ce pantin que désire Peter, je serais parti… L'esprit un peu plus tranquille. Parler, c'est un luxe que j'ai bien du mal à me permettre. Par la force des choses, ça devient difficile, même si je sais que je suis entouré et, mieux, cru. Mais ce n'est pas simple pour autant.
- J'en ai marre de me faire manipuler, je souffle.
Et j'ai l'impression que ça ne s'arrêtera jamais. La seule chose concrète à mes yeux, c'est le corps de Derek contre le mien, ses bras qui m'entourent, nos jambes désormais entrelacées parce que j'ai amorcé le mouvement. Derek est comme… Absent. Je vois bien qu'il ose moins, qu'il fait plus attention, qu'il est plus précautionneux. Je sais pourquoi. Et rien que ça continue de me prouver qu'il est bon. Qu'il ne m'a rien fait, contrairement à ce que Peter cherche à me faire croire.
- Je sais, murmure-t-il à mon oreille. Je sais, Stiles…
Je ferme les yeux. J'aime tant sa voix. Je pourrais l'entendre jour et nuit, je sais que je ne m'en lasserais jamais. L'amour que je lui porte n'est pas quelque chose que l'on peut facilement effacer. Quelque part en moi, je sais qu'il n'y a que lui. Qu'il n'y aura jamais que lui. Je n'ai pas beaucoup d'expérience en amour, certes, mais je sens que… C'est particulier. Même après ce cauchemar éveillé, mes sentiments n'ont pas bougé. Je crois que… Je l'aimerai toujours, quoi qu'il arrive, quoi qu'il me fasse. Une pulsion électrique légère me parcourt et je me redresse légèrement, très légèrement. Je regard Derek, qui a l'air perplexe. Sa main est posée sur ma hanche alors que je m'appuie sur mon coude pour rester un peu redressé. Je crois que j'ai compris quelque chose.
- Il a essayé de… De te faire passer pour méchant parce que… Tu le gênes, je lâche.
Ce qui signifierait donc que le lien, dont je ne sens pourtant pas l'influence, fait son effet, quelque part.
- Développe, me dit-il doucement, une lueur d'intérêt dans le regard.
Je me mords la lèvre. La peur me prend. Oui, j'ai compris quelque chose et il faut qu'il le sache, néanmoins je sais que ce quelque chose risque de nécessiter… Que oui, je lui dise. Même si j'ai toujours cette envie de me confier et de lui avouer ce que je ressens, c'est loin d'être simple et je suis terrifié à l'idée que son regard sur moi change, qu'il perde tout à coup l'envie de m'aider. Bien sûr, je le comprendrais sans problème, mais… Comment pourrais-je arriver à m'en sortir si je me retrouve seul ? Je prends alors une décision rapide. Je le ferai, mais pas tout de suite. Je ne peux pas. Je ne peux pas risquer de le perdre maintenant, j'ai encore un peu de temps. Sa main libre vient caresser ma joue avec douceur et je me donne du courage pour me lancer :
- Il… Il sait que tu es là, il doit sentir le lien qu'on a créé et je… Il est dans ma tête. Il sait tout de moi. Il a accès à mes pensées.
Je crois lire de la peur dans les yeux du loup face à moi. Mais ses caresses ne s'arrêtent pas. Mon cœur bat la chamade. Il faut que je continue. Il faut que j'y arrive.
- Tout ? Me demande-t-il quand même pour confirmer.
- Tout, je répète. Je n'ai plus aucun secret pour lui et il en profite. Il profite de toutes mes failles.
Son regard se durcit. J'essaie de ne pas y faire attention.
- Il sait que tu es important pour moi. Il sait que tu m'aides. Je te le dis, je suis certain qu'il a repéré le lien et qu'il veut… Le briser. P-pour ça, il doit détruire ma confiance en toi.
J'omets de préciser qu'il a presque réussi. Mais cette fois, je suis maître de moi et les gestes doux de Derek consolident petit à petit ce qui s'était fragilisé en moi. Son attention m'aide aussi grandement.
- Il m'a fait… Il m'a fait croire que tu… Enfin, tu le sais déjà, je souffle, incapable de sortir ces mots, de les associer à Derek.
Parce que je ne le veux pas.
- Alors c'est que… Quelque part, ça marche. Le lien marche.
Je ne vais pas dire que cette découverte me redonne de l'espoir, mais presque. J'arrive à me dire que, peut-être, Derek ne fait pas tout ça pour moi en vain. Son regard se voile.
- Pas assez, me dit-il en détournant le regard, comme s'il s'en voulait. Il arrive à prendre possession de toi. A modifier ta perception de la réalité de temps en temps.
- Parce qu'il a tout le pouvoir, je m'empresse d'ajouter. Mais c'est pas immuable et j'arrive à… Avoir des moments de lucidité de temps en temps… Comme maintenant.
Je n'aime pas cette ombre dans ses yeux. De mon côté, je m'efforce de croire en ce que je dis et qui me paraît, d'un coup, peut-être plus… Logique. Ce n'est pas vraiment le mot adéquat, mais c'est le seul qui me vient à l'esprit en cet instant.
- S'il a le pouvoir d'agir grâce à son lien, je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas faire de même. Je suis sûr qu'il y a un moyen de faire pareil. Je ne sais pas lequel, mais… Je vais trouver.
- On va trouver, me dit-il, le regard toujours voilé.
Mais l'ombre semble se désépaissir. Légèrement. Une bouffée de chaleur m'enserre le cœur alors que ce « on » éveille ma compréhension. On. Ensemble.
- Une chose est sûre, il connaît tout de moi, je répète, alors qu'une idée me vient à l'esprit. Peut-être qu'il faut… Que tu saches tout de moi aussi. Je veux dire, peut-être que… Peut-être que ça pourrait aider.
Et autant dire que cette perspective, même si elle me permet d'envisager les choses sous un autre angle, me fait passablement peur. Je veux qu'il sache, et en même temps non.
- Et tu as un avantage qu'il n'a pas, je continue.
Il hausse légèrement un sourcil, intéressé.
- On est proches. Avec toi, je… Je suis consentant. Je parle pas de… Tu sais, je veux dire… J'accepte la proximité. Lui, non. Rien que l'idée qu'il m'embrasse à nouveau, je… Je peux pas, gémis-je.
Je me suis remis à trembler, je le sens. Il pose un doux baiser sur mon front alors que je me recouche, mais j'avoue que cela ne sera sans doute pas suffisant pour me calmer actuellement. Je n'en suis pas encore à la crise de panique, mais je ne peux pas dire que ça aille réellement. Dans ma tête, j'ai les images, que j'ai malheureusement provoquées en titillant ma mémoire pour essayer de comprendre et de faire comprendre mon idée.
- Hey, souffle-t-il. Je suis là, n'y pense pas.
Il caresse ma nuque, ses doigts passent sur mon duvet érigé. L'image de Peter posant ses lèvres sur les miennes m'a donné la chair de poule. Me la donne encore. Je me serre contre lui, me raccroche à la certitude que je dois continuer de lui faire confiance. Qu'il ne me fera rien que je ne désire pas.
- Embrasse-moi, je murmure, suppliant.
Parce que Derek est le seul à pouvoir me faire oublier, même temporairement, ces choses qui m'ont marqué. Parce qu'on est liés. Parce qu'on doit nécessairement partager des contacts de ce genre. Parce que ça, je peux le supporter. Pour l'instant, j'en suis encore capable. Mes yeux sont fermés, mais je le sens arriver. Son souffle percute mes lèvres. Mon cœur voit son rythme partir en vrille. Et rien que de sentir son souffle chaud, je commence à oublier. Il resserre son étreinte sur moi. Frotte son nez au mien, en une sorte de baiser esquimau qui manque de me faire sourire légèrement. Enfin, la délivrance.
A partir de là, nous partageons le même souffle, la même salive, la même urgence. J'oublie tout. Je me libère de cette prison mentale l'espace d'un instant. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est mieux que rien.
Même si je ne suis pas remis de ce cauchemar éveillé, je fais ce que je peux pour garder la tête hors de l'eau et au fond de moi, je sais que Derek peut m'aider malgré mes visions. Sa douceur me persuade que j'ai raison et que je dois redoubler de vigilance face à Peter. D'un autre côté, je dois continuer à croire en ce loup qui m'embrasse avec préciosité, comme s'il avait peur de me faire du mal. Je dois tout faire pour ne pas douter de lui. Ses lèvres contre les miennes, sa langue dansant avec la mienne, ses mains au creux de mes reins… Je m'abandonne à cette douceur et à cette affection qu'il m'offre. Je sais que cela n'ira pas plus loin, ni de son côté ni du mien. Alors, je suis un peu rassuré et je continue d'oublier avec soulagement. Du répit. Ce moment me permet de goûter à un peu de répit. Je me calme petit à petit et une certitude vient cogner à la porte de mon esprit.
Je peux tenir. Je peux tenir encore un peu.
