– Un silence absolu doit être maintenu dans cette affaire, déclara Tanya.

Effaré par ce qu'il venait de voir, le baron Rastek acquiesça d'un simple signe de tête.

– Combien de personnes savaient qu'une chasse aurait lieu aujourd'hui ?

– Des centaines, répondit Rastek. Tous les habitants du village et du château étaient au courant depuis des semaines. Ce sont même les villageois qui ont demandé que les sangliers soient traqués.

– Pensez-vous qu'il puisse s'agir d'un piège dans ce cas ?

– J'en doute. De telles chasses sont organisées régulièrement et à chaque fois en fonction du gibier. Ce sont les villageois et les paysans des alentours qui nous font savoir qu'il y a des sanglier ou des loups. Nous connaissons bien ceux qui nous averti cette fois. Ça fait des années qu'ils auraient agi si les villageois étaient vraiment en lien avec les Vardens.

– Je vois. Il serait bon d'enquêter tout de même. Je repars dès demain vers Gil'ead avec les prisonniers.

Une cagoule fut enfoncée sur la tête des elfes pour cacher leur race.

La troupe de chasseurs repartit au château silencieusement.

Leur arrivée ne passa pas inaperçue.

Malgré le gibier qu'ils rapportaient, les chasseurs étaient loin d'être triomphants.

Les elfes furent présentés comme des braconniers trouvés par hasard.

Ils avaient marchés sans voir où ils allaient sous la surveillance de Tanya.

Elle les menaça en ancien langage de les dépecer s'ils osaient rechigner à avancer.

Dans ce monde, il existait des conventions concernant les prisonniers de guerre. Il était considéré comme normal qu'ils soient traités rudement, interrogés et même mis à contribution pour travailler. Il était perçu comme indigne de porter atteinte à leur santé et plus encore à leur vie, sauf en cas de révolte naturellement.

En revanche, des rebelles qui tentaient d'assassiner des dignitaires n'étaient pas considérés comme des soldats ennemis. Ils n'étaient protégés d'aucune façon.

D'ailleurs, l'empire n'était pas officiellement en guerre depuis un siècle.

Les membres d'autres peuples venus en soutien des rebelles n'étaient pas non plus protégés.

Si vous venez dans un pays en toute clandestinité pour participer à des opérations visant à déstabiliser le pays, vous ne pouviez espérer être traité comme un soldat affrontant loyalement son ennemi.

Le lendemain, Tanya et son escorte repartirent. Les elfes étaient toujours cagoulés et attachés ensemble pour limiter le risque d'une tentative d'évasion.

Elle avait drogué leur nourriture pour qu'ils soient engourdis.

En passant les portes, Tanya revit le baron qui avait tenu à la saluer alors qu'elle partait dès l'aurore.

L'expression de son regard était le signe de la grande impression que lui avait laissé Tanya.

Cette histoire ne resterait pas sans lendemain.

L'adolescent qu'elle avait sauvé était présent également.

– Je vous remercie encore pour m'avoir sauvé hier. Je ne sais pas ce qui ce serait passé si vous n'aviez pas été là.

– J'ai fais mon devoir. J'ai été formée pour protéger l'empire et son peuple contre ses ennemis.

Tanya hésita à poursuivre devant le baron. Si l'elfe avait dit vrai et que l'adolescent était vraiment le fils de Morzan, alors sa présence était inattendue. Peut-être était-ce la volonté royale de lui faire découvrir le monde en dehors du palais en le mettant en apprentissage auprès du baron. Il arrivait que des gens de bonne famille placent leurs rejetons se durcir le cuir dans des métiers pénibles. Ça leur apprenait la dure réalité de la vie pour les ouvriers et ça renforçait l'autorité des parents.

Cela étant, l'elfe pouvait tout aussi bien s'être trompé. Il n'avait pas vu Morzan depuis un siècle, après tout.

– Mais l'oreille pointue a paru vous porter beaucoup d'intérêt, dit-elle néanmoins en ignorant le cri indigné qui s'échappa de l'une des cagoules.

L'adolescent tiqua légèrement mis il ne fuit pas du regard.

Il avait clairement quelque chose à cacher mais il avait un certain aplomb.

Tanya ne chercha pas plus avant. Ça ne la regardait pas après tout. Elle présenta ses respects au baron en exprimant ses regrets de partir précipitamment malgré son hospitalité.

– J'ai été ravi de vous recevoir, croyez-moi. Je comprends bien volonté votre loyauté au roi et à votre devoir. J'admets regretter de ne pas avoir eu plus d'occasion de parler avec vous, demoiselle. Je regrette que mon fils soit aussi jeune.

Ignorant sa dernière phrase, Tanya le salua encore et partit.

Pendant le trajet, les elfes demeurèrent remarquablement calmes.

Le fait que Tanya avait fait plusieurs démonstrations d'attaques mentales en détruisant leurs barrières déjà fragilisée par la honte qui les empêchait de se concentrait avait probablement joué.

Ils semblaient très perturbés et incapable d'une pensée cohérente.

Pour les maintenir dans cet état, Tanya continuait à les droguer. Elle savait très bien ce que la drogue pouvait faire à des humains en bonne santé physique et mentale et elle ne pouvait s'empêcher de se demander si ce serait différent avec des elfes.

Mais elle devait faire en sorte qu'ils soient assez lucides pour les interrogatoires dès leur arrivée.

Tout en avançant, Tanya mettait par écrit ses idées par ordre de priorité pour faire entrer l'empire dans une nouvelle ère la création d'un service de poste, l'imprimerie, l'apprentissage des jeunes de tout l'empire à l'écrit et à la lecture, la formation d'une nouvelle élite, la fondation d'une grande bibliothèque rassemblant tout le savoir connu…

Elle examina les diamants qu'elle avait trouvé sur les elfes. Ils étaient de petite taille mais contenaient beaucoup d'énergie. C'était une bonne prise.

Le voyage se déroula sans encombre.

Tanya fit enfermer les elfes et apprit que Durza n'était pas encore rentré.

Bien sûr, personne ne savait où il était. Ce n'était pas comme si quelqu'un allait prendre le risque de l'interroger.

Elle eut la désagréable surprise de voir sa chambre ouverte et une femme à l'intérieur en train de lire ses notes diverses.

La porte était d'ordinaire fermée par magie donc Tanya se tint sur ses gardes.

– J'ignorais qu'il était d'usage d'entrer dans la chambre d'une jeune fille ? lança-t-elle.

Ce n'était pas comme si elle gardait quelque chose de compromettant mais il était terriblement agaçant d'avoir quelqu'un fouillant dans ses affaires.

La femme se retourna avec un grand sourire.

– Degurechaff, je présume ? Je suis ravie de vous rencontrer. Vous avez l'air d'une personne fascinante entre un caractère enfantin et des idées, ma foi, bien surprenantes qui bouleverseraient tout l'empire.

La poupée trônant au milieu du lit n'aidait pas à être pris au sérieux. Les divinités sont censées être majestueuses alors pourquoi cet Être X faisait-il ce genre de chose ? Ce n'est pas comme ça que Tanya allait le reconnaître comme Dieu.

Les yeux de la femme se posèrent sur la liasse de parchemins que Tanya tenait et la prit sans cérémonie.

– Mon nom est Meroflede Darouglade, émissaire du roi, dit-elle en finissant sa phrase en ancien langage.

– Je suis honorée, dit placidement Tanya.

– Le roi a reçu des rapports qui l'ont vivement intéressés vous concernant.

Il était prévisible que le baron Rastek fasse un rapport malgré sa demande de discrétion mais il était surprenant que la réaction soit aussi rapide.

– Le roi vous adresse ses remerciements pour avoir sauvé Murtagh d'une tentative d'enlèvement.

Donc, c'était probablement effectivement le fils de Morzan.

– Pourquoi avoir emmené les elfes prisonniers ici plutôt qu'à la forteresse d'Uru'Baen ?

– Je n'étais pas certaine de la procédure à suivre, avoua Tanya. Étant inconnue à Uru'Baen, je n'était pas certaine de pouvoir arriver avec des prisonniers. Je me suis dits qu'il était plus prudent de les emmener ici. L'endroit est réputé pour sa sécurité, après tout.

– Je vois. Il est très rare de faire des prisonniers parmi les elfes. Dans toute l'histoire humaine, ce n'est arrivé qu'à de rares occasions. Même les dragonniers avaient du mal à capturer des elfes dans l'ancien temps. Ils sont plus forts, plus vifs et plus endurants que les humains et ont en plus une meilleure connaissance de la magie.

Elle regarda Tanya avec une expression indéchiffrable.

– Ils sont plus forts mais pas invincibles pour autant. Leur plus grande force les rend justement trop sûrs d'eux. Après avoir reconnu le fils de Morzan, l'un d'eux a immédiatement ignoré l'objectif qu'il poursuivait. Un tel manque de discipline pose de graves problèmes dans une armée. La discipline est l'âme d'une armée.

– Vous avez retenu l'attention du roi et j'ai été envoyée ici pour voir si vous en valiez la peine. Je suis arrivée hier. J'ai eu le temps d'interroger plusieurs personnes et de regarder vos papiers. Seul Durza est pour l'instant en mission donc n'a pu nous faire part de ses impressions. Je suppose qu'il compte vous faire entrer dans la Main noire. Il serait dommage de gâcher un tel talent.

Elle se retourna pour attrapa un parchemin qu'elle brandit.

– Vous semblez vous intéresser au Surda. Vous venez de constater par vous même que les rebelles bénéficient de soutiens parmi les elfes. Pensez-vous qu'il soit préférable de laisser le Surda où il est pour s'occuper des elfes d'abord ?

– Je pense qu'aucun des deux ne doit être négligé. Les rebelles bénéficient du soutien actif des nains et des elfes mais également du soutien passif du Surda. Il est possible que des soldats surdans participent aux actions des rebelles mais ils ne sont pas le plus grand soutien sur le terrain. En revanche, le Surda apporte un soutien en ravitaillement et en armement évident. Leur faire perdre ce soutien serait un rude coup pour les rebelles. D'ailleurs, la situation pourrait changer par rapport aux elfes. Ils ont parlé de quitter le combat peu après l'avoir commencé. Je compte sur l'interrogatoire pour savoir d'où est venu ce revirement. Si pour une raison obscure, les elfes se détournent des rebelles, alors le Surda prendra une position essentielle pour eux. Il devient donc une cible prioritaire.

– Une cible ? Une invasion du Surda alors ?

– Négatif ! Un plan combinant échanges commerciaux, diplomatie et espionnage devrait suffire à les mettre hors jeu.

Darouglade leva un sourcil confus.

– Vous avez déjà réfléchi à la question. Je vous laisse installer vos affaires ensuite nous trouverons un endroit calme pour que vous puissiez m'exposer votre plan.

– Je n'ai besoin que d'un instant.

En effet, moins d'un quart d'heure plus tard, elles étaient installées autour d'une table avec une carte de l'Alagaesia.

– Le Surda et l'empire sont autosuffisants pour leur alimentation grâce à leur production agricole. Mais l'empire peut produire des produits manufacturés en grande quantité qui peuvent être écoulés dans le marché surdan. Les produits viseraient surtout les milieux bourgeois et aristocratique et dans une moindre mesure les artisans et paysans. Nous pouvons envisager d'inonder leur marché au point de rendre leur manufacture incapable de suivre la cadence et de rendre le Surda dépendant. Faire du Surda et de l'empire des partenaires commerciaux devrait faire reconsidérer la position du Surda. L'investissement initial serait léger et amorti en quelques années. En baissant des taxes à l'exportation, l'empire inciterait au commerce sans que le gouvernement y prenne part directement. L'accroissement des échanges suffisaient à compenser la perte due à la baisse des taxes.

Tout en parlant, Tanya pointait du doigt les routes commerciales.

– De plus, les relations commerciales permettraient de faire entrer des agents dans un nouveau cadre. Il serait possible de faire entrer des espions sous couverture. Ils pourraient travailler pour établir des réseaux avec des Surdans impliqués avec des gens de pouvoir pour fournir à l'empire des renseignements sur la situation politique, économique, diplomatique et militaire du Surda.

– C'est très ambitieux, commenta Darouglade. Mais ça semble trop beau pour être vrai. Comment des Surdans travailleraient-ils pour l'empire ? Toute le trésor royal y passerait pour corrompre les dignitaires surdans !

– Avec du temps, il est possible de créer des réseaux. Sans forcément que ce soit des dignitaires, on peut établir des contacts parmi le personnel administratif, les serviteurs, des prostitués ou autres… Il existe différents moyens pour faire changer de camp et graisser quelques pattes n'est pas toujours le plus efficace.

Tanya exposa longuement son plan.

Darouglade garda une expression indéchiffrable mais ne fit pas de commentaires.

Tanya se doutait bien qu'il y avait déjà des espions au Surda mais elle continua de parler. L'histoire de son monde avait été le théâtre de guerres qui avaient été l'occasion de transformer l'espionnage. L'Alagaesia avait encore beaucoup à découvrir.

Pour finir, Darouglade se leva.

– Hé bien, vos théories sont intéressantes ! Je ferai mon rapport au roi mais soyez assurée que nous suivrons votre carrière avec la plus grande attention !

Tanya salua sans ajouter un mot.

Durant le temps qu'elle passa seule, elle se lança dans un autre projet.

Elle se fit apporter du salpêtre, du souffre et du charbon et commença à expérimenter. Elle ne savait que la base mais elle se lança avec prudence.

Dans toute l'histoire militaire, l'innovation était l'une des clés de la victoire.

Après quelques jours, Durza rentra.

En enfermant un prisonnier, il découvrit les elfes que Tanya avait capturé.

– Excellent ! Voilà une opportunité exceptionnelle ! Beaucoup prétendent résister à la douleur mais sont incapables de laisser les leurs souffrir !

Il ne s'expliqua pas et garda les elfes pour lui.

– Pendant que j'étais loin, j'ai pensé à un moyen d'exploiter tes talents.

Il lui confia une trentaine d'hommes.

– Ils seront parfaits pour que tu en fasse une force spéciale pour frapper les rebelles là où ils se croient en sécurité !