52

CROC DU DRAGON


Depuis leur audience avec le Gurg, Albus et Liam avaient pris de la distance.

Durant quelques jours, ils s'installèrent dans une grotte, bien à l'écart de celles de géants pour décider de la suite. Albus passait des heures à étudier la carte de Hugo pour déchiffrer chaque inscription à peine visible. Il s'inquiétait pour leur fille avec la crainte qu'elle n'ait empruntée la route des marécages pour se frotter aux givres cornues. Albus ne se plaignait jamais des conditions précaires de leur camping sauvage. Liam avait deviné qu'il avait connu pire au château de Balmoral.

Celui-ci passait ses journées, pensif, assis sur l'une des corniches les plus élevées, le regard braqué sur le pic devant lui. Il méditait l'histoire racontée par Katgir au sujet des sorciers et de la magie ancestrale qui coulait dans ses veines. Lors de son récit, ces faits avaient fait écho à une mémoire oubliée mais inscrite dans son esprit, en sommeil jusqu'à lors. Chaque matin, il venait observer cette montagne et les flux d'énergie qui y convergeaient. Il y avait quelque chose là-bas, une puissance qui l'attirait.

Un matin, Albus s'assit à ses côtés, la carte en main.

— Je pense que j'ai trouvé un moyen de contourner les géants pour suivre la route de pierre jusqu'à la forêt, annonça-t-il.

Liam ne répondit pas. Il avait autre chose en tête mais n'osait pas en parler à son compagnon. Il était tiraillé entre le besoin de retrouver Morgane et celui d'escalader la montagne.

— J'ai réfléchi, commença-t-il.

— À quoi?

— Nous avons besoin des géants pour gagner cette guerre…

Il arracha son regard du sommet pour se concentrer sur Albus. Celui-ci le dévisagea sans comprendre, avec une certaine appréhension dans les yeux.

— Je pourrais leur ordonner de nous suivre…

— Liam…, soupira Albus.

— Il me suffit de leur parler. C'est ce dont nous avons besoin.

— Liam, ce sont des êtres dotés de raison et de libre-arbitre. Nous ne pouvons pas faire ça.

— Je suis le dernier gardien. Je sais ce qu'il y a de bon en eux et ce dont ils sont capables. Pourquoi ne l'utiliserais-je pas?

— Tu n'es pas comme ça, soutint Albus.

Liam poussa un profond soupir. Il capitula car Albus avait raison. Il était frustré par autant de facilité. Il avait eu si peur depuis que sa famille s'était faite attaquer par les chevaliers pour leur priver de la paix qu'ils avaient mis tant d'années à construire. D'un claquement de doigts, il aurait pu acquérir une puissance que Merlin n'aurait jamais pu rêver d'acquérir. Pourtant, il le savait au fond de lui, ce n'était pas la solution. Albus le lui rappelait chaque jour, lui qui avait plus de raison que son compagnon d'être en colère. Ce n'était pas l'essence de la véritable magie. Ce n'était pas ainsi qu'elle devait être utilisée.

— J'ai besoin de faire quelque chose, dit-il enfin.

— Quoi?

Il hésita. Il n'avait parlé à personne de ce qu'il était capable de discerner. Mais s'il y avait bien quelqu'un assez ouvert pour le comprendre, c'était bien sa moitié anciennement langue-de-plomb.

— Tu vois cette montagne? demanda-t-il en la désignant. Il y a quelque chose là-bas. Quelque chose d'important.

— Comment le sais-tu?

— Je le vois…

Albus fixa le mont à son tour, l'air intrigué. Liam sut immédiatement qu'il ne voyait rien. Lorsque le sorcier tourna vers lui ses yeux verts interloqués, il sourit.

— Tu es sûr?

— Comme je te vois…

Il sourit de plus belle car il pouvait aussi voir la magie qui pénétrait dans le corps de son compagnon sans arriver à se manifester, comme un puits asséché. Il aurait tant aimé lui faire partager cette vision pour lui faire comprendre. Albus le dévisagea avec un mélange de curiosité et d'effroi. Liam était habitué, à présent, à ce regard.

— Très bien, décida Albus. Allons-y. Ensuite, nous partirons chercher notre fille.

Ils se mirent en route une heure plus tard. Liam menait la marche et aidait de temps en temps son compagnon à gravir les obstacles les plus importants. Albus pestait contre les pentes raides, les éboulis de roches et la pierre chauffée par un soleil un peu trop radieux. Il était en nage avec tous ces efforts physiques.

Quant à Liam, curieusement, il était à l'aise parmi la roche. L'air pur qui lui emplissait ses poumons lui redonnait des forces à chaque respiration. Il bougeait avec l'aisance d'un cabri. Il suivait les flux, touchait du bout des doigts l'énergie pure qui circulait dans la terre pour monter toujours plus haut vers leur destination.

Bientôt, ils arrivèrent devant une grotte immense et sombre. Albus dut se poser quelques minutes pour reprendre son souffle. Liam était concentré sur l'entrée. L'énergie était telle qu'il avait du mal à respirer. Il pressentit que quelque chose l'attendait au bout de cette galerie. Quelque chose de puissant et de merveilleux. Il sortit une lampe torche de son sac et éclaira les parois brillantes du tunnel. L'air était plus froid et sec et le vent qui s'y engouffrait résonnait en une plainte presque humaine.

— Tu es sûr que c'est ici? demanda Albus, quelque peu inquiet.

— C'est là, assura Liam.

Il entra le premier tel le maître des lieux, trop longtemps en voyage et qui rentrait enfin. Les ténèbres ne l'effrayaient en rien. Il le sentait au plus profond de son être. Il était chez lui. Albus le suivit de près, plus mal à l'aise que son guide. Les parois de la grotte étaient lisses, d'un vert émeraude curieux. La galerie était large et haute, comme pour y laisser entrer des êtres beaucoup plus grands qu'eux.

Plus ils progressaient, à tâtons, le chemin éclairé par la lueur faiblarde de la lampe-torche, et plus un bruit d'eau s'élevait du fond de la grotte. Liam perçut l'humidité. Une mousse opalescente recouvrait la pierre d'émeraude. À chaque fois qu'il balayait sa lampe sur la moisissure, celle-ci s'illuminait en un millier de points lumineux. Ils arrivèrent enfin au bout de la galerie et passèrent le portique sculpté vers l'antichambre tant recherchée.

Liam et Albus s'arrêtèrent sur son porche, subjugués et émerveillés.

— Tu te souviens quand on a découvert la source de Stonehenge? commenta Liam en éclairant la salle.

Son compagnon ne répondit pas. Il était bien trop fasciné par le décor devant lui. La salle gigantesque était arrondie. Un dôme formait sa voûte dans une architecture qui n'avait pu qu'être pensée et façonnée de la main d'esprits supérieurs. Chaque dalle était pourvue d'inscriptions, de sculptures, d'illustrations gravées dans la pierre. Au fil des siècles, la roche avait repris ses droits et formé des stalactites du plafond jusqu'au sol, dans des sortes de colonnes de calcaires effrayantes. Les véritables colonnes de pierre s'érigeaient tout au long de la salle sous le socle d'un être fabuleux, plus grand qu'un homme, moins expressif que sa progéniture.

Sous leurs pieds, un pont traversait une étendue d'eau calme, d'un noir profond. Ce n'était qu'inscriptions runiques partout, sur tous les murs, à perte de vue. Liam sut qu'il aurait fallu toute une vie pour déchiffrer tout ça, une vie de langue-de-plomb à voir le regard avide de son compagnon. Mais le plus impressionnant était le titanesque squelette de ce qui avait dû être le dragon légendaire de Charlie. Sa queue partait de l'entrée, sillonnait l'oval des murs. Ses ailes gigantesques s'élevaient en éventail jusqu'à la voûte de lumière pour éclairer sa gueule béante au centre de la pièce. Il avait dû mesurer près de dix mètres de long, ravager des continents entiers de son souffle brûlant. Jadis, il avait dû être le maître des dragons.

Ses deux crocs acérés protégeaient le trône au fond de sa gueule. Liam braqua son faisceau de lumière dans sa direction. Un être y reposait. Il était aussi mort que son dragon et ses mains étaient repliés sur les bras de son trône. Liam s'approcha, comme attiré par la dépouille du seigneur des lieux.

— Qui est-ce? demanda Albus à ses côtés.

Liam étudia le corps. Il était grand, plus grand que lui et que n'importe quel humain. Ses membres allongés rappelaient ceux des sculptures qui soutiennent le dôme.

— C'est un hécatéri, comprit Liam. Celui dont parlait Katgir. Le roi des géants…

Il contempla longtemps la dépouille de ce qui avait été jadis son ancêtre. Il avait presque envie de le toucher pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Albus l'interrompit.

— Cela veut dire…Nous nous trouvons à la source de pierre… Il y a une source ici?

— Épuisée…, rappela Liam.

Il voulut s'en assurer. Il s'abaissa devant le trône, comme s'il était sur le point de prêter allégeance au souverain décédé. Il posa sa main sur la roche et se concentra. Les flux convergeaient en ce point, sous le trône. Il laissa son esprit creuser les profondeurs de la terre. Il revit la magie s'infiltrer à travers les couches de calcaires. Il sentit un battement, faible, ténu. Mais un battement tout de même. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il mentit.

— Il n'y a rien…, dit-il.

Albus soupira. Liam ne savait pas pourquoi il ne lui avait pas dit la vérité. Peut-être pour ne pas lui donner de faux espoirs. La source de pierre était presque éteinte, en sommeil depuis un millier d'années. Il était sûr de ne pas avoir les pouvoirs pour la soustraire à son contrôle. Il avait peur d'essayer.

— Bon! s'exclama Albus en se défaisant de son manteau. Il ne reste plus qu'une chose à faire.

— Quoi, donc?

— Déchiffrer tout ça, dit-il avec un grand sourire.

OoO

Albus avait l'air d'avoir retrouvé ses vingt ans devant les fresques du temple souterrain. Le sorcier s'était mis au travail, comme lorsqu'ils avaient visité ensemble Poudlard, vingt ans plus tôt. Albus avait sorti un calepin, une plume, de l'encre, s'était assis devant la première moitié de mur empli d'inscription cunéiforme et s'était mis au travail. Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'il était occupé, plongé tout entier dans l'étude de cette écriture.

Liam se tenait en retrait pour l'observer. Il avait un sourire aux lèvres en détaillant le mouvement de ses doigts qui s'agitaient, ses lèvres qui articulaient, sans bruit, les traductions possibles. Il revoyait Albus dans sa jeunesse, lorsqu'il l'avait rencontré. Il reconnaissait cette passion pour le mystère, son air si sérieux alors qu'il tentait de résoudre une énigme. En cet instant, Liam se souvenait pourquoi et comment il était tombé sous le charme du jeune sorcier. Il était envahi d'une bouffée d'amour aujourd'hui qu'il était en train de le retrouver.

Pendant qu'Albus était perdu dans le déchiffrage de reliques anciennes, Liam contemplait la dépouille du dragon géant et de son maître. Les résidus de magie sous ses pieds l'obsédaient. Les paroles du Gurg tournaient dans sa tête, celles de Firenze aussi alors que son regard se perdait dans les orbites vides de la dépouille de son ancêtre.

Les images lui vinrent en tête: celles de la résistance, de leur souffrance, des pertes qu'ils avaient dû pleurer. Il pensa à l'exécution ratée de son compagnon, dans quel état il l'avait retrouvé, ce qu'il avait dû vivre, seul, parmi les hommes de Merlin. Il pensait à sa fille, à ce qu'elle avait encore à accomplir et comment lui pouvait l'aider. Tout ce qu'il avait appris de ce monde, de sa magie et des sorciers. Tout ce qu'il lui restait encore à expérimenter. Cette dépouille sur son trône était comme un reflet de ce qu'il pouvait devenir. L'écho persistant de toutes ces voix, de toutes ces énergies avaient toutes convergé en ce point, l'appelant de toutes leurs forces pour qu'il endosse un rôle, pour qu'il accepte l'inéluctable. Liam avait peur d'essayer et de décevoir.

— Bon! s'exclama Albus en se relevant péniblement. Je sais ce qu'il lui est arrivé, dit-il en désignant le cadavre du roi.

— Dis-moi, s'arracha Liam à ses réflexions.

— Katgir n'a pas menti. Les humains ont essayé de récupérer leur magie qui déclinait.

Il se frotta l'arête du nez par-dessus ses lunettes, en plissant ses yeux fatigués.

— Ils ont petit à petit été chassés de la forêt de Brocéliande à cause de leur attaque répétées contre les créatures magiques. La…Reine les a bannis.

— La reine? répéta Liam.

Albus haussa les épaules.

— Ils ne disent même pas son nom dans ce temple. Ils se contentent de l'appeler Reine. Je ne saurai pas t'en dire plus. Par contre, désespérés comme ils l'étaient, les humains ont eu la pire idée du monde.

Il s'approcha de Liam ainsi que du trône du vieil hécatéri.

— Ils connaissaient la source des Pierres. Ils n'avaient plus accès à celle de Brocéliande alors ils ont investi le temple. Ils ont cru qu'ils forceraient un hécatéri à les aider, rit-il. Il s'est défendu. Il a fait apparaître un immense dragon pour les repousser. Cela n'a pas suffit… Ils l'ont tué, Liam. Les gardiens sont les réceptacles de la vie. Ils ne peuvent pas s'en prendre physiquement à des êtres doués de magie. Ils ne peuvent, par essence, les priver de leur vie. Il n'a pas cherché à se défendre. Il les a laissés faire… Il n'avait pas d'autres choix.

Albus posa une main compatissante sur son épaule comme si la dépouille devant eux avait été un proche parent. À vrai dire, Liam était attristé par son sort malgré lui. Il se rendit aussi compte à quel point il était éloigné de l'idéal de la magie de ses ancêtres. Il avait laissé beaucoup de cadavres derrière lui, sans cultiver leur patience et leur bonté.

— Après cet ultime affront, la Reine les a définitivement punis. Elle leur a privé de magie et a fait tarir la source des pierres ainsi que toutes les autres. Katgir a raison. Les humains sont maudits.

— Ils en ont assez payé le prix…, murmura Liam.

Même si le sang de ces êtres coulait dans ses veines, Liam ne partageait pas leur philosophie. Il n'avait rien de commun avec eux si ce n'était sa capacité à percevoir cette énergie et à la faire émerger. C'était son idée. Liam écarta le squelette de son ancêtre du trône. Il y prit place, non pas pour assiéger son pouvoir et son autorité mais pour se placer pile dans l'axe des derniers vestiges de la source.

— Mais qu'est-ce que tu fais? s'exclama Albus choqué de voir les ossements d'un hécatéri jetés à terre.

— Je t'ai menti, avoua-t-il. Il reste une trace de la source.

— Quoi?! Mais qu'est-ce que tu comptes faire au juste?

— Laisse-moi essayer…

Il ne put finir sa phrase. Les paupières closes, l'air concentré, il ne pouvait se laisser aller à la moindre distraction. Ses doigts s'agrippèrent aux bras du trône de pierre, comme ceux de son aïeux. La voix d'Albus devint un bourdonnement. Il se concentra plutôt sur celui sous ses pieds. La rumeur des battements de coeurs du dragon trépassé monta dans sa chair. Le bruit, d'abord faible, devint un tambour au rythme de celui de la vie.

Katgir n'avait pas menti. La source était presque épuisée. Il ne restait que le résidu tenace d'une magie ancienne. Liam usa de toutes sa force, puisa au plus profond de lui-même, sua à grosses eaux sur la pierre inerte, fit remonter la magie jusqu'à lui en lui rappelant qui était son maître.

Albus parlait toujours mais Liam ne l'entendait pas. Il était bien trop fixé sur l'appel de l'énergie qui montait de plus en plus jusqu'à lui. Soudain, il rouvrit les yeux, en sueur, haletant. Il se leva d'un bond, sous le regard effaré de son compagnon.

— Bon sang! s'écria celui-ci. Mais qu'est-ce qu'il te prend?

— Il me faut un réceptacle, lâcha Liam en fouillant la pièce du regard.

— Un réceptacle?! Mais de quoi parles-tu?

La réponse lui vint comme une évidence. Ses yeux se posèrent sur l'un des crocs du dragon légendaire. Il sourit, le sourire d'un fou.

— Liam, attends! Tu n'as pas l'air dans ton état normal. Viens, sortons d'ici!

Hélas, il ne pouvait faire marche arrière. Le processus était lancé. Il repoussa Albus avec le plus de douceur dont il était capable en pareille situation. D'un coup sec, il arracha le croc de la gueule du dragon. Puis, il en planta l'extrémité, face au trône, là où les tambours se faisaient de plus en plus sonores.

Albus l'observa faire, sans comprendre. Il recula d'un pas, effrayé, lorsque la roche se fissura à l'endroit où Liam avait abattu son sceptre. Un puissant faisceau de lumière jaillit tel un geyser d'eau claire. Albus fut aveuglé par l'énergie qui s'en dégagea. Liam avait le regard concentré, les mains jointes sur la dent, sa magie réceptive à celle qui s'écoula à travers son corps et dans ce qu'il avait choisi pour l'aider à la maintenir.

Lorsque tout fut aspiré, lorsque tout se calma, les ténèbres retombèrent et Liam chancela. Albus surmonta son choc pour venir en aide à son compagnon. Il l'aida à s'asseoir sur le trône, sa main droite serrée autour du croc. Il la lâcha lorsqu'il reprit ses esprits et son sceptre, nouvellement forgé, roula près de la dépouille de l'hécateri.

— Qu'est-ce que tu as fait? s'exclama Albus, inquiet.

— J'ai…j'ai rassemblé les dernières miettes, articula-t-il faiblement. Tout…tout est…dans la dent…

Il fut soudain pris de terribles nausées qui lui retournèrent l'estomac. Il ne put s'empêcher de vomir aux pieds du trône et Albus l'aida sans laisser échapper la moindre grimace de dégoût.

— Tu es fou d'avoir fait ça, s'exclama Albus, se permettant d'enfin être en colère. Ça aurait pu te tuer! Qu'est-ce que tu comptais faire avec les dernières gouttes d'une source épuisée?

Le teint blême, le front en sueur, Liam leva la tête vers Albus pour lui adresser un sourire fatigué.

— Tu te souviens de ce que tu m'as dit à propos des Gurgs sur le chemin?

— Je pensais que tu ne m'écoutais pas.

Il lui serra la main. Sa peau était chaude comme s'il était pris de fièvre.

— Je t'écoute toujours…et j'ai trouvé le moyen de me faire entendre.

Albus mit du temps à comprendre. Son regard alla du sceptre toujours à terre, au trône, au visage pâle de son compagnon et à la lueur de défi dans ses yeux bleus. Puis, il percuta et son regard s'agrandit de terreur.

— Tu es fou! lâcha-t-il.

Pour toute réponse, Liam lui sourit de plus belle.

OoO

Liam se présenta à la cour de Katgir le lendemain.

Tandis qu'il traversait le gouffre, entre les géantes des géants, son sceptre à la main, il avait conscience d'avoir perdu de sa superbe. Le roi des rois tremblaient à chacun de ses pas. Sa respiration était entrecoupée de halètements discrets mais bien présents. Son bras, celui qui tenait la dent de dragon, le faisait souffrir le martyr. Il était obligé de soutenir son membre pour maîtriser la douleur. Son corps humain ne pouvait endurer la puissance d'une source même à petite dose.

Albus avait raison. Il était fou et il allait certainement se faire tuer. Pourtant, cela n'allait pas l'empêcher de tenter l'impensable, de se hisser à la hauteur de ses ancêtres, d'utiliser cette magie et cette puissance dont on lui rabattait sans cesse les oreilles. En cet instant, il testait ses limites avec le risque d'une mort prématurée ou, au minimum, d'une grande souffrance. C'était pour cette raison qu'il avait refusé qu'Albus assiste à son audience. Il ne voulait pas l'exposer à son échec ni à la fureur des géants si cela tournait mal.

Les créatures de roche le laissèrent passer, sans broncher mais leurs regards courroucés ne se souvenaient que trop bien des dures paroles qu'il avait eu durant leur précédent entretien. Le Gurg était assis sur son trône, imposant et menaçant. Katgir attendit avec patience que l'humain se plante au milieu de l'estrade. Les gradins se remplirent. Les géants désiraient entendre ce que l'homme peu commun avait à leur dire. Le regard perçant de Katgir alla à la mine blafarde de Liam puis à la dent de dragon qu'il serrait, comme un damné, dans sa main droite.

Je vois que tu es entré dans le tombeau.

Liam acquiesça.

Tu as trouvé ce que tu étais venu chercher? demanda le Gurg comme s'il s'en souciait.

— Non…, lâcha Liam.

— Alors… pars, répondit Katgir. Veut…pas toi…ici!

J'ai besoin de votre aide! cria Liam dans la langue des géants. J'ai besoin de vous pour la guerre.

Sa voix et ses mots éclatèrent dans le gouffre. Les géants firent silence, impressionnés. Pour Liam, parler était une torture. Il avait besoin d'économiser son souffle pour supporter le poids de la magie dans le creux de sa main.

Nous te l'avons déjà dit. Nous ne suivrons plus jamais les humains, les maudits.

Liam s'était attendu à cette réponse. Il aurait aimé que cela se passe autrement, pour lui comme pour Katgir. Malheureusement, il ne lui laissait pas le choix. Liam fit l'effort de se redresser pour avoir l'air le plus noble et le plus digne possible. Il brandit le croc du dragon face à Katgir.

Alors, je te défie…

Le silence se fit, un silence de mort. Puis, soudain, un premier talon frappa la pierre et résonna comme le battement puissant d'un cœur de roche. Katgir cligna ses yeux sombres, sans comprendre. Son ombre recouvrait, tout entier, le petit homme qui brandissait devant lui son cure-dent. Il sourit.

— Toi…pas savoir…

Si, je sais. Lorsqu'un géant veut détrôner un Gurg, il doit le défier à mort. Je te défie Katgir, roi des géants de l'ouest. Accepte mon défi ou abandonne ton trône dans la honte.

Les bruits de pas, le choc des talons sur les corniches se firent plus nombreux, plus puissants. Katgir regarda tout autour de lui, encouragé par ses sujets dans l'espoir d'un beau combat.

— TOI…PAS GÉANT! s'écria Katgir pour que sa voix porte au-dessus de l'appel des créatures.

— Je suis un hécatéri, répondit Liam. Je suis toutes les créatures.

Pour la première fois, Liam libéra la magie de son sceptre. Il n'avait qu'un souhait et ignorait si ce qu'il avait extrait serait suffisant. Dès qu'il commença à se métamorphoser, les géants se turent. Les bruits de pas s'estompèrent tandis que le petit homme s'élevait à la hauteur de leur chef. Les vêtements de Liam s'arrachèrent. Sa peau se tendit, ses membres s'allongèrent. Il grandit dans la douleur et hurla déjà alors qu'il se redressait face à son adversaire. Katgir s'était levé de son siège, estomaqué, furieux et déterminé. La soif de sang se lisait sur son visage. Il contempla le corps nu et allongé de Liam comme une abomination.

Très bien, humain… Si tu le veux, je te traiterai comme l'un des nôtres et je te tuerai pour avoir osé me défier devant tous.

Les géants poussèrent des cris d'allégresse et Liam serra la mâchoire. Maintenant qu'il lui faisait face, de toute sa hauteur, Katgir avait l'allure d'un colosse. Même à sa taille, Liam n'était pas sûr de l'emporter. Il se félicita d'avoir empêché Albus d'assister au massacre. Liam bomba le torse à son tour. Maintenant qu'il avait usé un peu de sa magie, il se sentait mieux, avec toutefois conscience que cette puissance était de courte durée. Il n'avait que très peu de temps pour forcer le roi des géants à capituler.

Katgir attaqua le premier. Il avait plus l'habitude de sa taille titanesque ainsi que du combat. Il prit Liam au ventre, pressa de ses poings sa colonne et le jeta en travers de la fosse de pierre. Liam tomba lourdement, s'enfonça dans la roche, eut le souffle coupé par la douleur et perçut les acclamations bruyantes du public. La cavité des audiences était devenue une arène.

Le roi eut la noblesse de le laisser se relever sans attaquer. Liam s'extirpa de son trou, ignora les écorchures sur sa peau. Il tenait toujours serré dans sa main, la dent de dragon qui lui redonna des forces. Il cracha un glaire de sang et affronta Katgir. Celui-ci courut, une nouvelle fois, vers lui avec un hurlement de rage. Cette fois, Liam se tint prêt Il le frappa au visage comme n'importe quel ennemi humain. Il cogna, encore et encore, jusqu'à ce que le géant ploie sous son poids.

Abandonne! s'écria Liam.

Tu ne connais pas les rites des géants. Tu n'es qu'un homme! cracha le Gurg.

Il se saisit d'un énorme rocher et le fracassa sur la tête de Liam qui tituba en arrière, sonné. Alors que Katgir s'apprêtait à frapper, Liam le prit de court. Il percuta sa mâchoire de son poing, frappa du croc à la tempe. Les géants dans les tribunes étaient survoltés. Trop concentré sur le combat, Liam ne percevait pas les cris d'encouragements qui avaient tourné en sa faveur. Il porte ses coups avec fureur jusqu'à ce que Katgir ne tombe à genoux.

La rage aveuglait Liam et il en fut reconnaissant. Elle-seule lui permettait de ne pas flancher, de ne pas succomber à la souffrance de la magie qu'il puisait jusqu'à la dernière goutte. Son bras tremblait tandis qu'il contemplait Katgir à genoux, devant lui. Il pria pour qu'il capitule. Il ne pouvait pas tenir une seconde de plus.

Suis-je ton roi? demanda Liam à bout de souffle.

À sa question, les géants se calmèrent. Tous tendirent l'oreille pour entendre la réponse de l'ancien Gurg. Celui-ci gardait un silence résigné.

DIS-LE! hurla Liam. QUI EST TON ROI?

C'est toi…

Liam sentit le sceptre se fissurer dans sa main. La magie de la source se tarit. Déjà, il perdait sa taille de géant.

ET VOUS? s'écria Liam en se tournant vers les gradins. À qui va votre allégeance?

Il ne fallut pas longtemps aux géants pour donner leur réponse. Katgir était déjà à terre, l'échine courbée devant le petit roi qui reprenait forme humaine. Liam revint à sa taille normale au milieu de la centaine de géants qui se plièrent tous en deux, sans exception, pour saluer leur nouveau roi.

Irez-vous à la guerre pour moi? cria encore Liam. Vous présenterez-vous face à mon ennemi? Triompherez-vous avec votre nouveau roi?

Liam avait hurlé à s'en déchirer les poumons. Sa voix, terriblement humaine, porta jusqu'à la plus haute corniche. Il attendit la réponse, avec crainte car la magie de son sceptre s'était éteinte et il n'avait même plus la force de se tenir debout. Au bout d'un instant qui sembla lui durer une éternité, le premier géant donna sa réponse.

GURG! s'écria-t-il avec force et tous l'imitèrent.

Ils le crièrent à l'unisson, longtemps, à en faire trembler la pierre. Le vent des montagnes porta loin le cri d'allégeance des géants pour leur tout nouveau Gurg.

OoO

— Un menton écorché, une arcade sourcilière ouverte, un nez en sang, deux côtes fêlées et l'attirail à l'air devant une bonne centaine de géants…

Albus palpait le biceps de Liam qui grimaça de douleur. Il poussa un long soupir.

— Comment te sens-tu, roi des géants?

— Mal, répondit ce dernier avec un léger râle.

En tant que nouveau Gurg, Liam avait reçu en cadeau la plus grande et confortable des grottes de la région. Une immense paillasse de peaux et de pailles recouvrait le sol. Une table, grossièrement taillée dans la roche, avait été disposée ainsi que quelques tabourets de pierre. Liam était adossé à l'un d'eux, toujours aussi nu, la dent de dragon laissée traîner sur la table. Il était en piteux état et se forçait à saluer de la main tout géant venu lui offrir un présent pour sa grande victoire.

— Comme c'est curieux! ironisa Albus avec une pointe de reproche. Qui aurait pu croire que se battre en duel avec un géant Gurg puisse faire aussi mal, pas vrai?

Albus lui donne une tape sur l'arrière du crâne et Liam ne put s'empêcher de pousser un cri.

— Tu l'as échappé belle, crétin! Comment j'aurais fait sans toi? Qu'est-ce que j'aurai dit à Morgane? "Oh, oui…ma chérie, ça tombe bien que tu sois partie très loin, ça t'as empêché de découvrir à quel point ton père peut être stupide!"

Nouvelle tape à l'arrière du crâne. Celle-ci était gratuite.

— Hé! s'exclama Liam. J'ai gagné, non? C'est le principal.

Une géante femelle les interrompit. Plus petite et plus menue que ses congénères, elle entra de toute sa hauteur pour déposer des habits humains aux pieds de son nouveau roi. Liam haussa les sourcils. Il ne pensait pas que les géants possèdent ce genre de vêtements et n'osa pas demander comment ils les avaient acquis. Il se contenta de remercier la créature et celle-ci s'inclina avec politesse avant de s'éclipser.

— Au moins, je ne finirai pas le voyage dans le plus simple appareil…, soupira Liam.

— Tu as eu de la chance, répéta Albus. Apparemment, tu n'as rien de cassé. Je vais quand même te bander, juste au cas où… Tiens-toi droit et lève les bras!

Albus sortit quelques bandages de sa sacoche tout en continuant à maugréer contre son "abruti de compagnon".

— Je n'avais pas le choix…Aïe!

— Tu me l'as déjà dit mais je reste persuadé qu'il y avait d'autres options que celles de te transformer en géant pour affronter le Gurg.

— Lesquelles? demanda Liam qui connaissait déjà la réponse.

Le sorcier ne répondit pas. Il se concentrait sur son pansement, ignorant le regard de Liam.

— Je devais les persuader de se battre. Ils font partie de cette guerre. Toi-même, tu l'as vu dans la pensine de Merlin. Ils seront là à la fin.

Albus se contenta de grommeler.

— Tu m'as dit de ne pas les asservir…

— Je ne t'ai pas dit non plus de les combattre.

— Ils peuvent nous aider, Al. Je leur ai demandé de porter le squelette du dragon au gobelin. Comme Tonks à fait brûler toutes les baguettes fabriquées par les Botrucs. J'ai pensé que l'os d'un dragon ferait une bonne baguette de sorcier…

Les doigts d'Albus se suspendirent dans les airs.

— Tu es sérieux? demanda-t-il fébrile.

Liam lui adressa un sourire au coin.

— Un peu plus impressionnant que du bois d'aubépine, non?

Albus garda le silence mais Liam sur qu'il n'en pensait pas moins. Il était toujours furieux contre lui, pour l'avoir laissé de côté, pour s'être frotté à un géant de dix mètres, pour avoir risqué sa vie sans lui avoir demandé son avis. Liam avait encore du mal à croire ce qui s'était passé, plus tôt dans la journée. Il devait bien admettre qu'il était devenu le nouveau Gurg lorsqu'un géant s'inclinait sur son passage, à chaque fois qu'une des créatures lui apportait à manger ou à boire. Il avait vaincu en usant de la magie pure. Il avait presque perdu la vie mais il avait triomphé. Et les tremblements de ses doigts n'avaient rien à voir avec la peur.

Albus finit par le panser. Il noua les extrémités en un nœud serré. Alors qu'il était sur le point de s'écarter pour bouder encore un peu, Liam lui prit la main. Il baissa les yeux vers son partenaire. Ceux-ci brillaient d'un éclat nouveau, particulièrement envoûtant.

— Tu devrais t'habiller maintenant, dit Albus d'une voix enrouée. Tu ne vas pas rester nu jusqu'à la nuit…

— Tu as eu si peur pour moi?

Liam lui caressait la main de son pouce. Son poignet était devenu si fin depuis ces derniers mois, loin de lui. Mais sa peau était chaude, tout comme la sienne. Albus s'abaissa près de lui et posa son autre main sur sa joue écorchée. Leurs regards se croisèrent, tout près l'un de l'autre.

— Tout comme tu as eu peur pour moi à Balmoral…

Albus l'embrassa plus longuement que les autres fois. Liam sentit aussitôt le désir monter en lui. L'adrénaline du combat avait laissé place à une toute autre excitation. Lorsqu'il le comprit, Albus grogna entre ses lèvres et rit sous cette impulsion nouvelle. Liam en voulait plus. Il attira Albus près de la table, monta dessus tandis qu'il invitait son partenaire à se presser contre lui. Il s'accrochait à sa nuque, à ses épaules beaucoup trop frêle à son goût. Il passait ses mains sous sa chemise tandis que celle d'Albus descendait le long de son ventre jusqu'à son entrejambe.

— Cela fait longtemps…, murmura Albus à son oreille.

— Trop longtemps, répondit-il en embrassant sa gorge.

— J'ai un peu peur qu'on vienne nous déranger, lui susurra-t-il.

Liam ouvrit sa chemise d'un coup sec, dévoilant son torse. Le geste brusque de son amant émoustilla Albus qui poussa un gémissement de plaisir alors que ses doigts pinçaient ses points faibles.

— Je suis roi, rit Liam avec un sourire coquin. Personne ne dérange son souverain lorsqu'il fait l'amour avec sa moitié.

Il feignait l'assurance mais Liam craignait une nouvelle visite d'un géant venu rendre hommage à son nouveau Gurg. La bienséance lui soufflait de tout arrêter, de mettre les vêtements offerts et d'éteindre ce feu sur le point de le consumer. Mais cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas eu Albus dans les bras, de cette façon, sans sa famille dans les parages. Ce n'était pas une bande de géants qui allaient l'empêcher ce moment intime avec l'homme qu'il aimait depuis quinze ans.