53
Morgane avait la tête lourde, un goût de bile dans la bouche. Elle s'éveilla d'un long songe où des bribes de rêves sans aucun sens embrumaient encore son esprit. Elle battit des paupières, accueillit la lumière du jour beaucoup trop vive à son goût et se redressa avec un gémissement de douleur.
— Doucement…, fit la voix d'Harry en l'aidant à se lever.
— Où est-ce qu'on est?
Ses yeux firent le point et la jeune fille lâcha un soupir. Elle reconnut l'ameublement poussiéreux de la cabane de Merlin. Ils étaient toujours dans cette fichue forêt où personne ne prenait la peine de l'aider dans sa tâche. Le regard sombre du Grand Sorcier hanta sa mémoire. Il n'avait fait qu'une bouchée d'elle et pourtant, elle avait tout donné. Pas assez, visiblement…
Elle fit mine de se remettre debout et Harry l'arrêta.
— Non. Attends… Tu as dormi pendant trois jours.
— Trois jours?! s'exclama-t-elle. Ce n'est pas possible…
Sa tête lui tourna à nouveau. Trois jours de perdu dans ce cocon ignare. Trois jours à dormir alors que d'autres se faisaient massacrer dehors. Cette idée la rendait malade. Morgane repoussa son cousin et tituba jusqu'à la porte d'entrée. Elle n'avait aucune idée d'où se trouvait Maximus. Elle s'en fichait. Tout ce qu'elle désirait, était de plonger dans ce fichu lac, nager jusqu'à la grotte et récupérer la magie qui permettra de vaincre Merlin. Et ce n'était pas un vieux barbu magique qui allait l'en empêcher.
— Morgane! s'exclama Harry, agacé. Tu n'es pas en état.
Son cousin tenta de la retenir mais elle chassa sa main posée sur son épaule et sortit dans le jardin. Harry la poursuivit.
— Tu comptes faire quoi au juste? Tu as bien vu ce qu'il s'est passé quand tu as essayé la première fois. Il ne te laissera pas passer. Il te vaincra encore.
— La dernière fois, il m'a eu par surprise, s'écria Morgane.
— Attends…
Harry courut. Il se planta devant sa cousine, posa ses bras sur ses épaules pour l'arrêter. Morgane croisa son regard, celui-ci était désespéré.
— Tu ne comprends pas, dit-il. Ou tu ne veux pas comprendre. Morgane, tu ne peux pas entrer dans la source. Pas comme ça… Pas telle que tu es. C'est ce que Merlin essaie de t'expliquer mais tu ne veux pas écouter.
— Laisse-moi!
— Le pouvoir du détraqueur t'a corrompu! s'exclama-t-il.
Un silence de mort plana entre les deux adolescents. Harry s'en voulait d'avoir proféré cette évidence qui sonnait comme une insulte. Il voyait bien le teint de sa cousine virer au rouge vif, signe d'une grande fureur. Les créatures du lac sortirent leurs têtes de la surface de l'eau pour les observer. Des yeux étranges s'écarquillèrent dans les bosquets aux alentours. Morgane avait une furieuse envie de briser les doigts de son cousin.
— Oh! Harry! s'éleva une voix non loin d'eux. Tu es matinal! J'en ai fini avec Maximus. Prêt pour ton entraînement?
Le fantôme voletait de la forêt, près de sa cabane, un panier rempli de champignons sous le bras. En prenant conscience des mots de Merlin, Morgane comprit et se sentit trahie. Elle fusilla du regard son cousin qui osait lui faire la morale alors qu'il profitait des enseignements de ce charlatan qui lui refusait la prochaine étape de leur voyage primordial.
— Sale hypocrite! cracha-t-elle en le poussant violemment.
Elle ne s'inquiéta pas de lui avoir fait mal. Elle était bien trop en colère pour se soucier de qui que ce soit. Qu'ils aillent au diable, tous! Une bande d'incapables, bien trop concentrés sur leur propre ascension que sur l'aide qu'ils pourraient lui fournir pour sauver le monde. L'élu n'était mieux servi que par lui-même et Morgane marcha résolument vers la grotte et son appel mystérieux.
— Où crois-tu aller comme ça, jeune fille? dit Merlin en se plantant, une nouvelle fois, devant elle. N'ai-je pas été suffisamment clair la dernière fois?
Morgane stoppa, plus méfiance que lors de leur premier affrontement. Elle toisa l'esprit avec suffisance. Ce pitre ne pouvait pas être le véritable Merlin. S'il avait été ce qu'il dit, jamais il ne l'aurait empêché d'accomplir son destin.
— Vous ne semblez pas avoir saisi l'importance de ma mission!
— Oh, si… Ne t'en fais pas. Tes compagnons m'ont tout expliqué dans les moindres détails. Même l'épisode où tu as aspiré la magie d'une pauvre givre et les fois où tu t'es laissée allée à la magie noire d'un esprit corrompu par la haine.
Son ton était léger, comme amusé, mais ses paroles glacèrent le sang de Morgane. Elle se retourna vivement vers son cousin qui fuit son regard.
— Je ne l'ai fait que pour survivre! se justifia Morgane, les poings serrés pour les empêcher de trembler.
— Oh vraiment? Et crois-tu être tirée d'affaires en ce moment? Ne perçois-tu pas ces voix qui te soufflent des choix faciles qui te font oublier les autres et l'amour qu'ils te portent? Et lorsque tu te retrouveras seule…avec ces voix d'outre tombe, crois-tu que tu seras encore sauvée? À quel moment prendras-tu conscience que cette magie est en train de te détruire en même temps que tout ce que tu as eu tant de mal à construire?
— Vous ne comprenez pas! s'écria Morgane, à bout. Je suis l'élue. C'est ma mission! Je dois être assez puissante pour les vaincre!
Le regard de Merlin, d'abord compatissant, s'éteignit dans une froideur menaçante. La pitié fit place au mépris.
— Sais-tu quelle est la différence entre toi et ton ennemi, jeune élue?
Morgane se tut, prise de court par la question. Elle avait une liste longue comme le bras de différences à soumettre pour lui clouer le bec. Mais à mesure qu'elle les passait en revue, elle se rendit compte que la liste s'amenuisait de plus en plus.
— Aucune…, répondit Merlin à sa place. La différence fondamentale entre un élu et un seigneur des ténèbres se mesure par la nature de leurs actes. Et en ce moment, jeune fille, la seule véritable différence entre toi et ce faux Merlin est le titre mensonger que tu te donnes. J'ai connu de vrais élus, très chère. Des hommes et des femmes dignes qui mettaient toujours leurs forces et leur courage au service des autres. Toi, tu ne cherches qu'à rassurer ta petite personne. Tu n'es pas digne de cette magie, tu n'es pas digne de tes amis. Et si tu as la moindre compassion pour eux, tu repartiras dans l'ombre sans les entraîner avec toi.
Les dernières paroles du sorcier furent cinglantes. Harry était pâle, bouche bée. Il fixait le dos tremblant de sa cousine qui se tenait bien droite, face à son détracteur. Celle-ci se félicita de tourner le dos à son cousin. Il ne pouvait voir les larmes de fureur qui perlaient dans ses yeux.
— Vous…vous trompez, articula-t-elle d'une voix enrouée par l'émotion.
Pour toute réponse, Merlin lui adressa un sourire dédaigneux qui la mettait au défi de lui donner tort. Mais telle qu'elle était maintenant, Morgane ne pouvait que se soumettre à sa sentence. Elle enrageait de ne pouvoir faire éclater sa magie pour lui clouer le bec. Elle était furieuse d'avoir été aussi touchée par les insultes d'un vieux fou. Elle se maudit de ne trouver, comme seule solution, la fuite.
Harry l'appela mais elle ne lui accorda pas le moindre regard, trop occupée à cacher ses larmes. Elle courut dans les bois en se retenant le plus possible de lâcher son cri d'animal blessé, sans plus aucune dignité.
OoO
Morgane courut longtemps dans la forêt sans savoir où elle allait. Elle se laissa guider par sa rage et par la voix de Merlin qui lui donnait envie de hurler. Les murmures des pouvoirs enfouis en elle explosaient de toutes parts. Elle fuit le plus loin possible de cette cabane de malheur, de cette grotte et de cette source. Elle ne voulait plus sentir cette magie qui lui brûlait la peau. Elle s'arrêta lorsqu'elle n'eut plus d'air dans ses poumons, lorsque son sang lui tambourina si fort dans ses tempes qu'elle en eut mal au cœur.
Elle tomba à genoux, dans cette herbe désespérément tendre. Elle chassa le gazouilli des créatures des bois, le parfum des fleurs et le bonheur ambiant qui la dégoûtait au plus haut point. Rien n'allait, rien n'était beau. Tout n'était que ténèbres. Personne ne comprenait ce qu'il se passait dehors. Ses compagnons apprenaient à maîtriser de nouveaux pouvoirs. Raymar volait sa meilleure vie. Personne ne s'inquiétait de son sort et de sa mission. Tous avaient oublié pourquoi ils étaient là, pourquoi ils avaient tant souffert pour arriver jusqu'ici. Tout ce qu'ils avaient vécu… Ils s'étaient laissé séduire par cet endroit maléfique et par cet esprit corrompu.
Car Morgane en était de plus en plus persuadée, Merlin n'était qu'un mauvais sorcier, un mage noir. Il avait compris pourquoi ils avaient pénétré cette forêt. Il voulait garder le pouvoir de la source pour lui tout seul. Il les avait endormi par de beaux discours et combattait la seule en mesure de discerner ses véritables intentions. Harry s'était rebellé contre elle. Son propre cousin, celui en qui elle avait toute confiance. Il ne la croyait pas capable d'y arriver. Il ne la pensait pas assez forte et il riait de ses faiblesses.
Elle hurla et son cri de détresse résonna comme une fausse note dans ce paradis. Les lutins s'enfuirent. Les fées la couvrirent d'insultes. Les fleurs se refermèrent et l'air devint lourd d'une tension insupportable. Elle arracha les brins d'herbes, souleva d'énormes mottes de terre. Elle frappa de toutes ses forces contre le tronc d'un arbre qui n'avait rien demandé. Elle se saisit d'une de ses branches et la fracassa contre un rocher. Son sang bouillonnait dans ses veines. Elle n'arrivait plus à réfléchir.
— Je suis l'élue! JE SUIS L'ELUE! hurla-t-elle à la forêt.
Mais personne ne lui donna raison.
À bout de souffle, elle retint ses larmes en enfonçant ses ongles dans la paume de sa main. Morgane se refusa de pleurer plus encore. Elle ne laisserait pas son ennemi avoir raison d'elle. L'élue devait se montrer forte. Elle devait être plus intelligente, plus puissante. Mais en l'état actuel, elle devait bien admettre qu'elle n'avait pas les capacités à vaincre l'esprit de cette forêt.
Dans le calme apparent de la clairière, Morgane discerna une effluve particulière. Un souffle pur, clair, d'une infinie bonté planait autour d'elle. Son instinct fut immédiatement attiré. Sa soif s'éveilla. Elle tourna la tête vers l'ombre du sous-bois. Il y avait quelque chose de puissant non loin. Un être qui l'appelait et qui pourrait résoudre tous ses problèmes.
Plus sereine, plus décidée, Morgane se releva et suivit la trace. Elle s'enfonça dans la pénombre, ignora les bruits ambiants pour ne se concentrer que sur cette magie d'une pureté à couper le souffle. Elle s'arrêta à quelques mètres devant la créature qui broutait tranquillement, sans se soucier de l'aura sombre qui la fixait avec gourmandise.
C'était plus fort qu'elle. Morgane avait les yeux rivés sur la magnifique licorne à quelques mètres d'elle. Sa magie puissante débordait, illuminait tout autour d'elle. Elle était si extraordinaire qu'elle fit trembler les mains de la jeune fille à la seule idée de la toucher. L'énergie de la licorne était alléchante. Avec un tel pouvoir, Morgane pourrait peut-être se mesurer enfin à Merlin pour lui faire mordre la poussière. Elle pourrait acquérir cette pureté qui lui manque tant. Il lui suffisait de prendre ce dont elle avait besoin.
Morgane sortit du buisson et attendit. La licorne la vit. Son crin scintillait de mille diamants. Sa corne lustrée pointait dans sa direction comme un avertissement. Ses yeux sombres la fixaient avec curiosité. Morgane retint son souffle et son excitation. La licorne ne bougeait pas. Elle fit un pas et la créature resta sur place.
Elle ne faisait rien de mal. Elle ne faisait que prendre ce dont elle avait besoin. La licorne devait avoir senti la noblesse de ses intentions car elle ne bougeait pas même alors qu'elle était assez proche pour la caresser. La magie du détraqueur et de la givre s'éveilla au fond de son être. En réalité, ceux-ci ne dormaient jamais complètement. Ils étaient toujours là, tapis dans son esprit à attendre une occasion comme celle-ci. Ils lui soufflaient qu'avec la magie de la licorne, elle serait enfin assez forte pour affronter Merlin et la source. Oui, elle devait le faire. La souffrance de l'animal ne serait que de courte durée…
Les doigts tremblants, le souffle court, Morgane avança sa main vers son pelage. Elle pouvait presque déjà sentir la chaleur de son corps parcourir ses veines. Tout serait bientôt terminé.
Trop concentrée sur la créature enchanteresse, Morgane ne remarqua pas l'ombre qui se fondit sur elle. Une main se replia sur son poignet, tira de toutes ses forces pour l'éloigner de la licorne. L'animal prit enfin peur et s'enfuit dans les fourrés. Le regard sombre, Morgane se tourna sur l'intru, prêt à le punir de son audace. Celui-ci bondit en arrière, présageant le danger, une grimace de douleur étirant ses lèvres sur sa main brûlée.
— Qu'est-ce qui t'a pris? rugit Morgane.
Maximus se redressa en conservant, toutefois, une bonne distance avec l'élue.
— J'ai senti une aura meurtrière dans les environs. Je ne pensais pas tomber sur toi, dit-il en se massant la paume de la main. Tu comptais vraiment tuer une licorne?
Morgane ne répondit pas. Son expression était si haineuse que Maximus craignit qu'elle ne s'en prenne finalement à lui. Il afficha un masque d'indifférence pour faire bonne mesure.
— Tu sais que celui qui ose tuer une licorne est maudit?
— Ne te mets plus jamais en travers de mon chemin, le menaça-t-elle.
Il ne chercha pas à la retenir lorsqu'elle se remit en chasse. Maximus attendit qu'elle disparaisse dans les buissons, que sa présence sombre ne soit plus qu'un mauvais souvenir pour se détendre. Il avait eu peur et cela ne présageait rien de bon.
OoO
Lorsque la nuit tomba sur la forêt de Brocéliande, Morgane n'était toujours pas rentrée. Maximus revint à la cabane plusieurs heures plus tard après son altercation avec la jeune fille. Durant toute l'après-midi, il avait échafaudé un plan et lorsqu'il fut prêt à en parler au principal concerné, il sortit des bois pour aller à la rencontre de Harry.
Celui-ci était assis sur le porche de la maison, encore en sueur de son entraînement intensif avec leur nouveau professeur. De la fourrure blanche parsemait encore ses avant-bras et il avait conservé ses canines de loup. Son regard était perdu dans le vide de ses pensées. Maximus n'eut pas besoin de se concentrer pour deviner qui était le sujet de ses inquiétudes. Ils partageaient, tous deux, les mêmes peurs.
Il se laissa tomber à ses côtés avec un profond soupir. Harry fut d'abord trop fatigué pour parler et ils contemplèrent les derniers rayons du soleil étincelant de Brocéliande inonder de douces couleurs la surface du lac tranquille. Maximus fut le premier à se décider à parler.
— J'ai croisé Morgane… Elle a tenté de tuer une licorne.
Harry en oublia sa fatigue. Il redevint le jeune adolescent mortifié qui lança un regard désespéré à son compagnon.
— Elle…elle a pas osé…
— Je ne sais pas ce qu'elle avait en tête mais crois-moi, elle était prête à le faire.
Harry poussa un profond soupir, résigné et apeuré. Maximus perçut son profond désespoir et sa déception. Il avait envie de pleurer mais se retenait de toutes ses forces pour ne pas paraître faible devant lui.
— Qu'est-ce qu'on va faire? gémit-il. Elle ne peut pas… Si Morgane devient un être maléfique… On va devoir la tuer? s'exclama-t-il horrifié. On a déjà le faux Merlin. Maintenant Morgane? Imagine s'ils font équipe? On est foutu! Je ne pourrais jamais la tuer. Ce n'est pas possible… Ou alors dans un combat épique. Mais elle est beaucoup plus puissante que moi! On est mort. Morgane… non, ce n'est pas possible!
— Calme-toi, petit génie. J'ai peut-être une solution.
Harry se calma. Il lança à Maximus un regard plein d'espoir.
— Morgane n'est pas condamnée, je te l'ai déjà dit. Il y a encore du bon en elle mais elle laisse ces saloperies de créatures noires lui bouffer le cerveau. Il faut qu'on lui rappelle ce qu'elle était avant qu'elle ne les aspire.
— Comment? Avec le pouvoir de l'amour? On lui chante des chansons et on espère qu'elle se souvienne de notre amitié?
— Pas exactement… T'en es où avec ton loup?
— Ça va…, soupira-t-il encore. Merlin m'a appris à le faire apparaître quand je le voulais. Mais je ne peux pas maintenir la transformation très longtemps. Pourquoi?
Maximus fouilla sa poche et lui balança une fiole dans sa direction. Harry se surprit de l'attraper en plein vol. Grâce à l'apprentissage de Merlin, ses réflexes de loups s'étaient décuplés. Harry étudia la petite fiole d'un air interrogateur. Maximus lui répondit par un sourire complice.
— Qu'est-ce que c'est?
— Une potion de sommeil, répondit-il.
— Comment tu l'as eu? s'étonna Harry.
Il tira sur le bouton de liège pour humer le parfum de la potion. Déjà, une somnolence étrange le fit cligner des yeux. Harry se hâta de boucher la fiole.
— C'est une fée qui me l'a préparée. Très sympa, d'ailleurs. Elles sont très sensibles à mon charme, expliqua-t-il avec un clin d'œil.
— Tu veux une médaille? Tu comptes faire quoi avec ça? Tu crois vraiment qu'en l'endormant elle va changer d'avis?
— On a tous les deux fait des progrès grâce à Merlin. Je pense qu'on est de taille à l'affronter.
Le teint d'Harry pâlit un peu plus.
— Tu veux qu'on se batte avec elle? s'étrangla-t-il à moitié.
— Pas de front, expliqua Maximus. C'est à ça que sert la potion. Je vais pénétrer son esprit et essayer de ramener la vraie Morgane. Mais même si elle est endormie, je pense que ça reste très dangereux. Je pense aussi que son détraqueur va chercher à nous tuer. C'est à ce moment-là que j'aurais besoin de ton loup pour me protéger. Les créatures sont moins sensibles au pouvoir d'un détraqueur.
Harry assimila chaque explication de Maximus la gorge sèche. Il fixa ensuite la fiole, toujours dans sa main. Il se demanda comment ils allaient seulement réussir à lui faire ingérer la mixture sans qu'elle ne se rende compte du coup fourré.
— C'est risqué…, dit-il sceptique.
— C'est ça ou on repart bredouille. Tu te sens d'annoncer à la résistance que l'élue a viré seigneur des ténèbres et que Merlin a gagné? Il faudra que ce soit toi qui lui donne la potion. Tu es celui en qui elle a le plus confiance.
— Pourquoi fais-tu tout ça?
Ce fut au tour de Maximus de pousser un profond soupir. Il se passa une main dans ses épais cheveux de jais.
— Elle m'a donné une seconde chance. Je lui dois bien ça…Et puis, j'ai surtout peur qu'elle s'en prenne à moi si elle vire à fond magie noire…
— Moi aussi, avoua Harry.
OoO
La licorne avait disparu.
Morgane l'avait cherchée toute la nuit, sans prendre la moindre minute pour se reposer et fermer les yeux. La créature mythique était introuvable à cause de ce crétin de Maximus. Elle était persuadée qu'il l'avait fait exprès. Il l'avait fait fuir pour l'empêcher d'acquérir son pouvoir. Mais ce n'était qu'un contretemps. Morgane allait bientôt la retrouver et elle savait de quelle manière.
La jeune fille était assise au milieu d'une grande clairière, en tailleur, les yeux clos. Elle ne dormait pas, elle se concentrait. Sa magie filtrait dans la terre, s'insinuait dans chaque particule risible de cet écosystème puant. Elle percevait chaque saveur, chaque odeur, chaque bruit. Elle la cherchait désespérément. Elle la trouverait. Il suffisait qu'elle pénètre plus loin, toujours plus en profondeur pour débusquer cette licorne. Peut-être avec un peu de chance, elle pourrait retrouver sa horde. Plus de pureté, plus de magie. Un véritable buffet…
Morgane perçut un craquement à sa droite, la sensation d'un talon posé dans son périmètre de recherche. Aussitôt, elle leva le bras et concentra un jet dévastateur qui frôla de peu la tête d'Harry. Heureusement, le jeune sorcier s'était baissé à temps. Il crut mourir de peur lorsqu'il vit le cratère dans le bois de l'arbre qui lui avait servi de bouclier. Il trembla bien plus lorsqu'il croisa le regard de sa cousine. Il ne la reconnaissait plus.
— Tu es là…, dit-il d'une voix tremblante.
— Qu'est-ce que tu veux?
Son ton était sec, menaçant. Harry ne perdit pas courage. Même si ses jambes lui criaient de s'enfuir, il s'approcha avec un sourire qu'il voulut confiant.
— Je te cherchais.
— Tu n'es pas en train de t'entraîner avec l'autre abruti?
Harry ignorait si elle parlait de Maximus ou de Merlin. L'un patientait l'occasion inespérée dans un buisson à bonne distance. Tandis que l'autre…ne se souciait guère de leurs soucis. Harry pria pour que sa cousine ne décèle pas la présence de Maximus ainsi que leur piège.
— Non, j'en ai marre, mentit-il.
Aussitôt, il la remarqua se détendre. Il comprit qu'il avait une manœuvre d'approche. Il s'assit en face d'elle et elle l'observa comme un serpent prêt à se fondre sur sa proie. Il tressaillit en sortant la fiole de sa poche.
— Ce vieux fou ne m'apprend pas ce que je veux, rit-il nerveusement. Il est vraiment sénile. Il raconte n'importe quoi!
— Comme quoi? demanda-t-elle avec insistance.
— Euh… Il me dit que je ne devrais pas appeler mon loup. Que les loups-garous sont une engeance maléfique. Tu imagines?
— Ouais, j'imagine bien, cracha-t-elle.
Harry lui sourit. Ses lèvres s'étirèrent mais il avait plus l'impression de lui faire une grimace d'horreur que de lui montrer un signe de sympathie. Il sortit deux gobelets avant qu'il n'ait plus le courage de mettre leur plan à exécution. Il ouvrit la fiole et versa le liquide mélangé avec du jus de pommes du verger de Merlin. Lorsqu'il tendit le verre à sa cousine, Harry pria pour qu'elle le boive sans discuter.
— Il faut qu'on trouve un moyen d'entrer dans cette grotte sans qu'il s'en aperçoive, dit Morgane en portant le verre à ses lèvres.
— Tu as raison, dit-il les yeux rivés sur sa bouche.
— Tu pourrais faire diversion pendant que moi, je…
Elle s'interrompit, son regard braqué sur le contenu de son gobelet. Harry se figea sur place, la gorge sèche, les yeux écarquillés d'horreur. Il sentit un cri mourir entre ses lèvres lorsque les yeux menaçants de Morgane se levèrent vers lui.
— Tu essaies de m'empoisonner? dit-elle d'un ton affreusement calme.
— Non…pas du tout, répondit-il d'une voix blanche.
— Alors…bois-le!
Elle tendit son verre à son cousin qui n'eut d'autre choix que de le prendre. Aucune émotion ne filtrait sur le visage de Morgane. Elle le contemplait comme son ennemi, un adversaire risible qui avait osé la trahir avec une ruse puérile. Harry porta le verre à ses lèvres avec la certitude qu'ils allaient tous mourir. Morgane ne leur pardonnerait pas cette trahison.
— Bois-le! répéta-t-elle avec plus de force.
Harry sut à cet instant qu'il n'avait vraiment plus le choix. Il poussa un grognement canon, se révolta contre la fureur de sa cousine et se transforma en loup. Il bondit sur elle pour la plaquer au sol. Prise par surprise, Morgane ne pensa pas à se défendre ou à se débattre. Elle contempla, impuissante, son cousin reprendre forme humaine pour la forcer à avaler tout le contenu de la fiole.
— AVALE! hurla-t-il plus effrayé qu'en colère.
Le liquide s'engouffra dans sa gorge. Harry la libéra et elle tenta maladroitement de se relever. Déjà, sa vue se brouillait. Son cousin n'était plus qu'un amas de couleurs disparates. Elle eut envie de vomir mais n'avait plus aucune énergie pour lutter. Elle s'effondra, les yeux révulsés, dans l'herbe.
Harry la contempla, essoufflé, terrorisé, meurtri par le comportement de sa cousine. Celle-ci ne bougeait plus.
— C'est bon! hurla-t-il à sa droite. Elle est endormie!
Il eut des bruits de branches cassées, de feuillages dérangés. Maximus s'approcha au pas de course. Il fixa Harry, sur le point de vomir, puis Morgane allongée à ses pieds. Il s'abaissa près d'elle et prit son poul.
— Je lui ai donné toute la fiole. On a combien de temps, tu crois?
— Vu sa puissance. Pas beaucoup…Chaque minute compte.
Il se défit de sa veste et remonta ses manches. Maximus avait profité de ces quelques jours pour apprendre avec le maître de la magie primale. Il l'avait poussé dans ses retranchements et lui avait dévoilé une facette de ses capacités qu'il n'avait jamais soupçonnée. C'était le moment de faire ses preuves. Maximus s'assit en tailleur et se prépara.
— Quand je suis là-dedans, je ne suis plus là, tenta-t-il d'expliquer à Harry. Si jamais elle se réveille, il va falloir que tu la gères. Je ne serai d'aucun secours, compris? Il va falloir aussi que tu me protèges, d'accord? Je peux compter sur toi?
Harry acquiesça douloureusement. Maximus était nerveux. Il prit une grande inspiration, secoua ses bras d'anxiété. Il avait déjà tenté l'exercice avec Merlin mais celui-ci avait été patient et clément avec lui. Il l'avait laissé entrer. Jamais il ne s'était attaqué à un esprit qui allait se débattre et riposter. Jamais il ne s'était frotté à celui d'une personne aussi puissante que Morgane. Il avait peur et il avait raison.
— J'y vais…
OoO
Pénétrer un esprit n'avait rien de facile.
Sonder les émotions était bien plus abordable car, et cela Merlin lui en avait parlé pendant un long moment, ces émotions étaient à chaque fois familières.
— Tu n'as aucun mérite à reconnaître quelque chose que tu as déjà pu expérimenter, le gronda le Grand Sorcier. Ta véritable magie doit résider dans la perspective d'assimiler tout un esprit, toute la complexité des ressentis et dualités de chacun. Tu dois être capable, en un regard, de déceler la moindre faille et comprendre comment elle s'est construite.
Ce que Merlin lui avait proposé, était un saut dans le vide.
Il n'avait jamais été aussi terrifié de sauter dans l'esprit de la tourmentée Morgane.
La première étape était l'antichambre.
Merlin l'avait décrit comme le hall d'entrée d'une maison de maître. L'antichambre était différente pour chaque individu. Elle formait aussi la première défense de l'esprit. Si Maximus passait sans encombre la première étape, alors il pouvait espérer.
Maximus reprit conscience dans un lieu sombre. Le sol de pierre était froid sous sa plante de pieds. Les murs plongés dans la pénombre étaient circulaires et menaçants. Chacun renfermait une galerie tout aussi obscure. Lorsqu'il leva la tête, il eut la surprise de voir le ciel, mais celui-ci était couvert, nuageux et annonciateur de tempête. Maximus avait froid et cela ne présageait rien de bon. Son souffle s'extirpait en volute blanche et le sol se remplit tout à coup de sang.
Il y eut un puissant courant d'air qui traversa toute la cour et fit frissonner le nouveau-né. Le vent hurla un rire terrifiant puis l'appela. Mais ce n'était pas son nom qui était prononcé dans ce faible écho, c'était celui de Morgane.
— D'accord, chuchota Maximus pour lui-même. Je m'attendais à un truc flippant…Tout va bien.
Un brouillard épais envahit la cour. Maximus ne s'en étonna pas. Merlin l'avait prévenu. Les esprits se rebellaient, se protégeaient. La brume était un grand classique de l'inconscient. Un des plus terrifiants aussi dans ce lieu sinistre. Maximus sut d'instinct qu'il devait suivre la voix qui appelait l'hôte de cet esprit. Elle était douce, calme et posée. Mais pour rien au monde, en d'autres circonstances, il ne l'aurait suivi de son plein gré.
Maximus se pencha vers l'une des galeries. Il avait l'impression de discerner une ombre, accroupie sur elle-même. Ses murmures se mêlaient avec la voix-guide. On aurait dit celle d'une femme. Maximus voulut l'appeler mais la peur le retint. Il avait un mauvais pressentiment.
— L'élue est là…, chuchotait la voix. L'élue est là…l'élue est là…l'élue est là…
Il recula, profondément mal à l'aise. Ses doigts avaient touché la pierre de la galerie et elle se couvrirent d'un liquide noir épais et chaud qui ressemblait à la texture du sang. Dégoûté, apeuré, il fit un pas en arrière avec l'espoir de se confondre dans le brouillard et de disparaître. Merlin l'avait entraîné dans des cauchemars pour le préparer à ce genre de situation. Mais en aucun cas, il n'avait eu à se confronter à une telle vision d'horreur et à ce malaise ambiant. Quelque chose n'allait pas, quelque chose de sombre et de puissant. Il n'aimait pas cela.
Maximus fixait toujours la silhouette de dos, plongée dans le noir, sans se soucier du brouillard. Elle murmurait encore et encore. Il reculait de plus en plus jusqu'à ce que ses pas résonne dans le clapotis des flaques de sang de la cour. Il retint son souffle. La silhouette tourna la tête vers lui. Ses yeux n'étaient que deux points lumineux déshumanisés dans l'obscurité. Elle tenait quelque chose dans ses mains et avant qu'il ne la surprenne, elle était en train d'en faire son festin.
Les murmures cessèrent. Le silence se fit, ponctué uniquement par les battements intempestifs de son cœur et sa respiration qu'il jugea trop forte. Il se rassura en se remémorant la voix de son professeur: l'antichambre était la salle la plus dure, la plus dangereuse. Il lui suffisait d'affronter le pire, maintenant.
Il s'immobilisa devant la silhouette, leurs regards braqués l'un dans l'autre, dans une tension insoutenable. Tout à coup, l'ombre se mouva. Un être recouvert de draps noirs et d'une cagoule vola hors de la galerie. Elle ne fut pas la seule. Plusieurs autres de son espèce la rejoignirent pour un ballet des horreurs. Maximus n'avait encore jamais côtoyé de détraqueur mais il n'eut aucun doute sur la nature des créatures qui se ruèrent sur lui.
Il prit la fuite à travers un escalier en colimaçon. Il courut à en perdre haleine, les détraqueurs dans son ombre.
OoO
Harry était inquiet.
Morgane était toujours étendue sur le sol, profondément endormie. Quant à Maximus, il était assis à ses côtés, le dos voûté, la tête baissée. Il bougeait de temps en temps, c'était imperceptible mais Harry guettait la moindre de ses réactions avec angoisse.
— C'est une mauvaise idée, se répétait-il en boucle.
Il ne tenait plus en place. Il devait faire les cents pas pour se calmer. Un millier de questions bombardaient son esprit, questions qu'il aurait tant aimé poser à Maximus avant qu'il ne pénètre l'esprit de Morgane. Est-ce que ça prenait beaucoup de temps d'exorciser quelqu'un? Est-ce que cela faisait mal? Et l'hôte? En sortait-il indemne? De quels dangers parlaient-ils?
Harry se sentait impuissant.
Il détourna son regard, tourna le dos à ses deux amis inconscients. Il ne pouvait plus le supporter. Il fixa un point dans les bois avec l'espoir fou que quelqu'un vienne pour les secourir. Merlin peut-être? S'il daignait accorder son pardon à la jeune fille censée sauver le monde des sorciers comme le lui dictait son destin. Mais ils étaient seuls. Même les créatures semblaient avoir déserté ce périmètre.
Soudain, Harry eut froid. La lumière s'amenuisa. Il leva la tête et se figea. Quelque chose d'étrange était en train de se produire. Des ronces, des lianes, toutes sortes de végétaux s'élevaient autour d'eux. Ils montaient haut dans le ciel pour se rejoindre en un point culminant. Harry hurla.
— Qu'est-ce qui se passe?! s'exclama-t-il pris de panique.
Il courut vers le mur végétal. Il tapa de ses poings les racines qui s'entortillaient les unes sur les autres pour les enfermer dans une sorte de dôme. Il arracha des lianes, tira sur tout ce qu'il pouvait, en pure perte. La nature de la forêt était plus puissante que lui et avait sa volonté propre. Alors que l'obscurité se fit tout autour de lui, il comprit, dans la peur, que la forêt avait rendu son verdict. Elle les enfermait car elle avait pressenti un danger pour elle-même ainsi que pour la vie qu'elle préservait.
Tremblant de peur, tout le corps d'Harry fut parcouru de frisson ignoble. Sa nuque se raidit. Le souffle glacial de tout à l'heure devint de plus en plus persistant. Il s'immobilisa, son front contre le mur de végétaux, les lèvres glacées, les ongles enfoncés dans la sève. Il était terrorisé et n'avait aucun courage à se retourner.
Un râle s'éleva dans son dos. D'abord timide, faible puis de plus en plus fort. Craignant pour la vie de ses amis, Harry prit une grande inspiration et trouva la force de faire face au danger. Il se tétanisa lorsqu'il contempla Morgane, debout, devant lui.
— Oh merde! lâcha-t-il d'une voix blanche.
Morgane avait changé. Ses longs cheveux bouclés étaient devenus blancs et lisses. Son visage s'était émacié. Sa bouche était devenue un gouffre sombre d'où émanait ce râle si caractéristique. Ses yeux n'étaient plus que deux trous noirs sans vie. Harry eut le souvenir vivace des créatures qu'il avait dû affronter à Azkaban. Aussitôt, des voix s'élevèrent dans sa tête, la voix de ses parents, de sa sœur qui lui murmurèrent ce qu'il ne voulait jamais plus entendre.
Harry sortit sa baguette de sa poche et la brandit devant Morgane, saisi de tremblements.
— Sp…spero Patronum…, articula-t-il faiblement.
Un panache de fumée blanche s'échappa de l'extrémité de sa baguette. La tête de Morgane se pencha d'un air menaçant. Le râle devint plus sonore.
— Merde…merde…merde…, répéta Harry qui ne contrôlait plus les spasmes de ses doigts. Morgane…, appela-t-il faiblement. Morgane, je sais que tu es là-dedans. S'il te plaît… Tu me fais peur. Redeviens normale, je t'en prie…
Le détraqueur n'était pas sensible aux suppliques. Morgane fonça vers lui.
— SPERO PATRONUM! hurla-t-il.
De nouveau, il produisit un nuage de fumée blanche qui réussit à peine à ralentir le détraqueur qui filait vers lui à toute vitesse, son râle de plus en plus aiguë. Harry poussa un hurlement et sauta sur le côté pour esquiver l'attaque sombre. Morgane fondit sur lui. Dotée d'une force surhumaine, elle le saisit à la gorge, le souleva de terre et approcha sa bouche de la sienne.
Les voix dans la tête d'Harry hurlaient à présent. Ses forces l'abandonnaient. Le râle engloutissait la moindre parcelle de bonheur de son esprit. Il ne lui restait plus que les morts, la solitude, la culpabilité. Il revit le visage haineux de sa sœur, les yeux tristes de ses parents, le visage de morts de ceux qu'il avait laissés derrière lui. Harry voulut crier. Il balança son bras muni de sa baguette pour contrer la créature qui n'avait plus rien d'humain. Il flancha lorsqu'une nouvelle vague de désespoir le saisit. Des larmes de souffrance coulèrent sur ses joues devenues froides. Il était épouvanté.
Soudain, Morgane suspendit son geste. Son visage se tourna dans un craquement effrayant vers Maximus toujours endormi. Elle rejeta son cousin qui tomba, avec fracas, sur le sol, pétri de douleur. Le détraqueur marcha ensuite droit vers Maximus avec son râle caractéristique.
— MAX! hurla Harry en vain.
OoO
Maximus courait.
Ses poumons étaient en feu, ses jambes peinaient à le porter. Il courait toujours tout droit, dans un long couloir, un escalier, un couloir et le râle des détraqueurs dans son sillage. À chaque fois qu'il sentait leur souffle glacé dans sa nuque, il accélérait. Les voix commençaient à s'insinuer dans son esprit. Mais contrairement à ce qu'on lui avait appris des détraqueurs, elles ne le concernaient pas. C'était les propres souffrances de Morgane qui lui pétrissaient le cœur et lui faisait perdre tout espoir.
"Mon père s'est sacrifié pour que tu vives!"
"Je vais tous les tuer", susurra une voix sadique à son oreille. "Mais si tu parles, je les épargnerai peut-être…"
"Je pourrai te dénoncer…"
Sans le vouloir, il avait ralenti. La main croûtée, aux doigts effilés, attrapa sa cheville. Il tomba en avant avec un cri désespéré. Lorsqu'il se retourna sur le dos, il contempla, horrifié, les trois silhouettes encapuchonnées, sombres et malveillantes des détraqueurs au-dessus de lui. Il voulut hurler mais aucun son ne franchit ses lèvres gelées. Alors, il se mit à ramper. Il glissa sur la pierre froide, se remit sur pied. Il ouvrit la première porte devant lui et s'y enferma, le souffle court.
La porte trembla d'un premier coup violent.
Il recula, le cœur battant. Il avait du mal à avaler sa propre salive. Nouveau coup, plus violent cette fois et il sursauta en même temps que la porte sur ses gonds.
"Dis leur, Morgane! Dis-leur que tu es l'élue! Celle qui nous sauvera tous! le supplia Harry. Dis-leur ce que tu m'as dit! "
"Tes pères sont morts… Et ils ne sont même pas tes vrais parents. Les vrais t'ont abandonné en te laissant un terrible fardeau. Tu ne comptes pour personne, tu n'es là que pour accomplir une prophétie qui te coûtera certainement la vie."
"Tu es une menteuse. Tu n'es pas ce que tu prétends être."
"C'est toi le monstre qui provoque toute cette souffrance. C'est toi qui mérite de pourrir au fond de cette geôle…"
— SORTEZ DE MA TÊTE! hurla Maximus.
La porte fut encore secouée de plusieurs coups. Il prit peur. Il fouilla la pièce du regard. Dans sa précipitation, il n'avait pas remarqué où il se trouvait. La salle était exiguë, pas plus grande qu'un bureau. Un grand fauteuil noir, dont les bras étaient pouvus de chaînes lugubres, trônait au milieu de la pièce. Du sang maculait son cuir noir. Il eut un frisson en accueillant l'émotion de ce souvenir. Morgane avait souffert dans ce trône de la torture. Il ne voulut pas en savoir plus.
Il se força à se concentrer sur l'enseignement de Merlin. Dans les pires dangers, dans le plus sombre des esprits, il y avait toujours une issue, un artefact, symbole de lumière et d'espoir. Il se concentra sur cette énergie et la fit se manifester. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il remarqua la baguette aux pieds de la chaise des horreurs. Il s'en saisit avec un grognement de joie. Il remarqua le griffon sculpté dans le bois. Maintenant, il pouvait se battre.
La porte céda. Les détraqueurs s'engouffrèrent dans la pièce et l'air devint glace. Maximus fit face, la baguette en main. Il contempla le vide de leur bouche avec angoisse.
"Il m'a demandé de t'épargner. Il m'a supplié alors que j'étais en train de lui faire du mal."
La voix était plus puissante que toutes les autres. Bien plus sombre, bien plus pernicieux, à mesure que les détraqueurs glissaient vers lui. Maximus dut rassembler toutes ses forces, toutes ses pensées heureuses pour se concentrer dans cet unique sort car il savait qu'il n'avait qu'une seule chance.
"Il m'a dit aussi que lorsque je te trouverai, je devrai te tuer. "
— SPERO PATRONUM! s'écria Maximus en brandissant sa baguette.
Un griffon d'argent rugit à travers la pièce. L'animal translucide, étincelant, bondit sur les détraqueurs qui poussèrent des cris stridents. Le lion griffa, rua, mordit le drapé et fit fuir les spectres loin de son sorcier. Maximus était épuisé mais il ne s'arrêta pas là. Il sortit en trombe dans la pièce, sans un regard dans son dos. Il reprit sa course en serrant la baguette dans sa main.
C'était loin d'être terminé et les voix reprirent de plus belle. Cette fois-ci, elles n'étaient pas émises par les détraqueurs. Elles lui servaient de guide dans le dédale de l'esprit de Morgane. C'était la prochaine étape. Il lui restait à trouver le cœur.
"Tu n'as plus de pères! éclata encore la voix la plus douloureuse. Albus Potter est à Balmoral dans une des cellules de Galaad, affamé, enchaîné et torturé tous les jours. Quant à ton autre père, il est mort sans même réussir à franchir le seuil de ton misérable nid douillet"!
C'était comme une vague, un écho. Il la suivit. Il se mit à descendre un autre escalier. Puis, peu à peu, les marches se transformèrent en chemin de terre battue. Le tunnel devint plus étroit. L'air plus rare. Il n'avait plus froid. Il avait chaud à présent et la peur était toujours bien présente.
"Morgane, non…"
Cela lui faisait mal. Chaque réplique, chaque souvenir douloureux était comme un poignard qui lui charcutait la poitrine. Lorsqu'il sentait venir une voix, il ralentissait, voire s'arrêtait totalement. Il attendait que la souffrance passe. Elle finissait toujours par passer mais il redoutait la prochaine. Il fut d'autant plus difficile pour lui de reconnaître sa propre voix.
"Tu as beaucoup de peurs en toi. Par pour toi mais pour ceux que tu aimes. Tu as peur aussi d'échouer. Tu es en colère, une rage profonde et sombre qui aspire tout autour de toi."
— Non…, gémit-il en rampant dans le souterrain de plus en plus étroit. Qu'est-ce que je peux raconter comme conneries! se maudit-il.
Le sol s'était soudain recouvert de cadavres de toutes sortes: créatures, elfes, élèves de poudlard. Leurs visages le dévisageaient à mesure qu'il progressait. Leurs membres tapissaient les parois. Il avait le goût de leur sang dans la bouche, l'odeur de leur mort dans le nez. Il gémit et sa voix résonnait à chacun de ses pas, de plus en plus douloureuse.
"Sans rancune…"
— Non! hurla-t-il plus fort en repoussant du pied les monceaux de cadavres pour continuer sa descente. Non…non…non! Ne m'écoute pas!
Il poussa le dos d'un elfe de maison mort, de toutes ses forces et il bascula en avant. Il tomba lourdement sur un sol de pierre. Le choc lui coupa le souffle mais les voix s'étaient enfin tues.
Maximus se releva, en sueur et couvert de sang poisseux. Il contempla, un moment, le nouveau décor de l'esprit de Morgane. Il ne connaissait pas cet endroit et il lui sembla étrange que la jeune fille y ait un jour mis les pieds. Cela ne ressemblait en rien à ce qu'il avait déjà pu admirer.
Il se trouvait dans une caverne gigantesque. Un gouffre profond en formait l'épicentre, là où se dégageait une énergie et une lueur resplendissante. Maximus fut épouvanté par la magie qui s'en dégageait. Il ne la contrôlait pas. Elle était bien trop puissante. Il fut aussi surpris de découvrir un arbre immense de l'autre côté du gouffre. Il crut, un instant, qu'il s'agissait de l'arbre de vie de la forêt Brocéliande mais cet arbre n'avait pas la prestance du gardien de la source primale. Il était d'une banalité affligeante. La seule chose qui le rendait unique était la cabane construite entre ses branches. Celle-ci était branlante, mal fichue, un peu comme si quelqu'un, avec toute la bonne volonté du monde, avait fabriqué la cabane perchée la plus hideuse.
Maximus y vit de la lumière, un éclat roux. Il découvrit enfin où se situait le cœur de la jeune fille. Dans cette fichue cabane, de l'autre côté du gouffre profond de magie pure, sans pont. Une simple corde à noeud pendait le long d'une de ses branches qui s'étirait pile au milieu du trou béant bouillonnant de magma d'énergie.
— Morgane! appela Maximus.
Elle ne répondit pas. À la place, il perçut la respiration profonde d'un nouveau venu. Il crut d'abord un détraqueur mais c'était bien un homme qui se matérialisa devant lui. L'ultime gardien de l'esprit de Morgane, venu protéger son cœur. Maximus contempla, avec effroi, la haute stature d'un des chevaliers les plus puissants de Merlin. Sa longue chevelure blonde flottait autour de son visage menaçant sous le souffle de la magie qui régnait dans ces lieux. Son regard était si semblable à celui de Morgane que Maximus en eut la nausée. Il n'avait jamais eu la malchance de rencontrer en personne le chevalier Lancelot. Cependant, il connaissait sa réputation, sa légende et surtout sa puissance.
— Si tu la veux, il faudra passer par moi…, dit-il.
Maximus sut, à cet instant, que son professeur lui avait menti. Le pire était à venir.
OoO
L'ombre de Morgane grandit sur l'épaule de Maximus toujours endormi. Son râle guttural aspirait l'air autour d'elle. Les poils des avant-bras de sa proie s'hérissèrent. Elle approcha sa main près de sa gorge.
Elle ne perçut pas tout de suite le grognement rauque de l'animal dans son dos. Elle ne sentit pas le tremblement de la terre sous ses pas pesant. Le monstre surgit, gueule béante, écume aux lèvres, le pelage blanc gonflé. Pris de fureur, il s'abattit sur le détraqueur, lui donna un violent coup de griffe qui fit voler la jeune fille dans les airs.
Harry se positionna devant Maximus, en garde, le dos arrondi et les pattes pétrissant le sol. Morgane se redressa, poussa un cri suraigu en guise de menace. Les deux se jaugèrent, l'un aboyant, l'autre sifflant sa haine. Le détraqueur bondit. Harry se précipita sur elle. Il avait appris à maîtriser la fureur de son loup mais ses pouvoirs étaient encore jeunes et passionnés. Il avait du mal à contrôler cette soif de chair. Morgane atterrit dans son dos velu. Elle planta ses doigts dans sa peau, approcha son visage de l'une de ses oreilles. Son souffle glacé lui rappela plutôt celle de la givre qu'elle avait tué dans les marais. Ses jambes, incroyablement robustes, s'enroulèrent autour de sa cage thoracique et elle serra à lui briser les côtes.
Le loup poussa une plainte. La douleur était insoutenable. La panique prit le pas sur la modération. Sa main velue tira ses cheveux, firent basculer la givre en avant pour la faire se fracasser à ses pieds. Il leva le pied pour l'écraser de son talon. Morgane poussa un autre cri strident. Aussitôt, des stalactites de glaces émergèrent du sol soudain devenu glace. L'un d'eux se planta dans la paume ouverte du loup, l'autre dans son épaule. Son sang éclaboussa le visage de la givre terriblement blanc.
Morgane se retourna pour courir vers Maximus, encore une fois. Elle fut sur le point de l'atteindre lorsque le loup agrippa une de ses jambes avec un hurlement de fureur. Il la tira de toutes ses forces, malgré la puissance démesurée de la givre. Celle-ci rampait, tirait, s'époumonait de cris et de sifflements, les bras tendus vers Maximus. Il la fit voler dans les airs pour l'éloigner le plus possible.
L'esprit d'Harry était embrouillé. Il avait mal aux côtes. Sa main lui lançait. Il sentait sa magie s'amenuir. Il ne pourrait pas tenir longtemps ainsi. Il scruta la silhouette, anormalement allongée de sa cousine. Ses cheveux plus blancs que la neige avaient poussé. Ses doigts étaient pourvus de longues griffes. Son visage était déformé par la haine et la soif de sang. Le gouffre de sa bouche ne s'était pas tari. Il avait peur mais il se tint prêt.
Elle glissa sur la glace à toute vitesse. Elle sortit ses griffes acérées. Il fit de même. Il se força à ne pas penser à Morgane. La créature qui se précipitait vers lui n'était plus sa cousine et si Maximus ne parvenait pas à la guérir, il n'y avait plus d'espoir pour elle. Elle chercha à lui arracher le visage et il esquiva. Il porta son coup, la griffa au ventre sans ménagement. La givre poussa un cri de surprise et de douleur. Il eut l'occasion de la saisir à la gorge mais se retint. À la place, il lui envoya un méchant coup de pied là où il venait de la blesser. Morgane ne se laissa pas faire. Ses ongles lacèrèrent sa peau, s'enfonçant dans sa chair jusqu'à l'extrémité de sa cheville.
Harry hurla. Il était en sueur. L'odeur du sang lui faisait tourner la tête. Déjà, ses mains reprenaient forme humaine. Son pelage blanc se faisait plus fin et ses oreilles rapetissaient. Il ne lui restait plus beaucoup de temps.
— Grouille-toi, Maximus…, articula-t-il faiblement.
OoO
— Bordel, souffla-t-il en admirant le chevalier qu'il avait devant lui.
Lancelot était plus fort, plus puissant. Morgane lui avait fourni une immense épée qui plus est. Il la tapait sur le sol de pierre comme pour l'inviter à l'affronter. Maximus n'en avait aucune envie.
— Morgane! cria-t-il. Je t'en supplie! Fais-le dégager!
La jeune fille ne pouvait l'entendre. Il contempla le visage fermé de son futur adversaire sans avoir la moindre idée de comment le battre. Ses yeux écarquillés par la peur allaient du chevalier, au gouffre immense à la paisible cabane perchée dans cet arbre désespérément haut.
— Evidemment, soupira-t-il. Elle ne pouvait pas rendre ça facile.
Tant qu'il ne bougeait pas, le chevalier ne l'attaquait pas. Mais il savait pertinemment qu'il ne pouvait en demeurer ainsi plus longtemps. Il ignorait ce qu'il se passait à l'extérieur mais les secousses dans la cavernes laissaient deviner un combat féroce. Il devait faire sa part du marché même s'il mourait d'envie de retourner sur ses pas pour abandonner la jeune fille à ses tourments.
Il se prépara, serra la baguette dans sa paume même s'il ne fut pas sûr qu'elle serve à grand chose. Lorsqu'il se sentit enfin prêt à faire l'impossible, il fit un pas en direction de la cabane. Sur le champ, Lancelot abattit sa lourde épée sur lui. Il ne put s'empêcher de pousser un cri de frayeur en esquivant la lame qui s'enfonça dans la roche comme dans du beurre. Il la tira du sol, comme si elle ne pensait rien. Son épée siffla dans les airs, trancha le mur derrière lui. Il s'aplatit in-extremis pour l'éviter, l'estomac dans les talons, l'envie de fuir lui tenaillant l'esprit.
Il frappait, encore et encore, sans relâche, sans effort. Le bras puissant du chevalier cauchemardesque de Morgane n'avait aucune limite. Maximus sautait, éludait, s'abaissait, reculait, le souffle court, le sang figé dans ses veines et l'esprit embrouillé par la peur. Il ne maîtrisait plus rien.
— Protego! s'écria-t-il alors qu'il savait le coup inévitable.
La lame tranchante se fracassa contre son faible bouclier. L'épée lui entailla le bras et il tomba en arrière avec un gémissement de douleur. Il se tint le membre, meurtri et choqué. Lancelot s'avança, à pas lents, près de lui, traînant sa longue épée dans son sillage. L'ombre du chevalier se peignait sur le visage blême du sorcier. Il n'y avait aucune émotion dans celui du chevalier, seulement l'aura de la mort. Il leva son pommeau, haut au-dessus de sa tête, et ne prononça aucune sentence alors qu'il s'apprêtait à embrocher l'intru.
La terre se remit à trembler. Une violente secousse, cette fois. Maximus profita de ce moment d'inattention. Il rampa à toute vitesse sous les jambes du chevalier, trop lourd pour réagir à temps. Il se remit sur pieds avec la frénésie d'un homme aux portes de la mort. Il courut, comme sa vie en dépendait. Hors d'haleine, il se précipita jusqu'au rebord du gouffre sans fond et sauta.
Entre une chute mortelle et le fou de chevalier, il avait fait son choix. Son saut était celui d'un fou et il tendit les bras avec l'espoir insensé de saisir la corde qui le narguait au milieu du trou. Ses doigts saisirent le cordage. Il poussa un cri de joie, inespéré et enroula ses jambes autour des nœuds pour assurer sa prise.
— J'arrive Morgane, souffla-t-il comme un bœuf.
Il tira sur ses bras pour grimper. Sa blessure le lançait. Du sang lui coula entre les doigts, sur son visage déjà maculé. Il tendit la main pour atteindre le palier. Maximus entendit un sifflement dans son dos. Il eut juste le temps de s'écarter lorsque l'épée vint le frôler juste assez pour l'égratiner sur son flanc. La lame se planta dans la roche. Il eut envie de pleurer ou de tout lâcher. Mais le chevalier n'avait plus d'armes et il était bien trop loin. Alors il se hissa dans la cabane et s'échoua sur le plancher lorsqu'il fut enfin à l'intérieur.
OoO
Harry avait quasi retrouvé forme humaine tandis que Morgane disparaissait de plus en plus pour laisser place aux monstres qu'elle avait aspirés. Son cousin était désespéré. Des larmes perlèrent dans ses yeux. Il avait mal partout mais surtout à l'intérieur. Voir Morgane dans cet état était insoutenable. Elle lui avait fait du mal. Il lui en avait fait. Il voulait que tout s'arrête.
— Je t'en supplie, pleura Harry. Je t'en prie, Morgane. Reviens…
La givre ne l'écoutait pas. Elle allait, venait, jaugeait la puissance du loup en train de s'estomper. Sa gorge dégoulinait du sang de sa proie. Harry avait peur. Pas de la givre ou du détraqueur mais de la perte de son amie.
— Je veux que tu reviennes…
Pour toute réponse, elle se précipita sur lui. Harry n'avait perdu la force de son loup. Il n'avait que ses poings d'adolescents. Il les brandit tout de même, la gorge serrée par l'émotion et la gravité de la situation. Son visage ensanglanté s'inonda de ses larmes. La gueule béante du détraqueur s'ouvrit. Elle poussa un sifflement strident mêlé d'un râle de mort. Morgane bondit sur Harry. Il tomba à la renverse et elle l'écrasa de tout son poids.
Ils luttèrent et Harry tint bon. Car Maximus se battait de son côté, derrière lui. Le bras distendu de la givre s'allongea vers le visage de Maximus. Harry poussa un cri. Il agrippa son bras, tira de toutes ses forces en ignorant le malheur qui s'abattait sur lui. S'il lâchait tout, alors ils auraient souffert pour rien et Morgane serait perdue à jamais. Ses ongles acérés de la givre touchèrent la jambe de Maximus.
Agacée par l'intervention de Harry, Morgane le frappa avec violence à la tête. L'arrière de son crâne tapa une roche et il vit trouble pendant une seconde. Un instant décisif… La givre s'était levée, s'était avancée vers son véritable objectif et brandit ses serres meurtrières pour l'éventrer.
OoO
— Morgane! appela-t-il. Morgane!
Pendant que Maximus risquait sa vie avec Lancelot, la jeune fille était installée dans des coussins moelleux. Elle n'avait cependant pas l'air très heureuse. Son visage était figé dans une expression de crainte. Elle avait ramené ses genoux sur sa poitrine et fixait le vide avec angoisse.
Maximus vint à ses côtés. Toujours couvert de sang et de boue, il lui saisit les épaules. Il la força à le dévisager.
— Morgane, il faut que tu m'aides!
— Je ne peux pas…
— Morgane, ce n'est pas le moment de tergiverser. Il y a beaucoup de monde qui compte sur toi. C'est un peu urgent, tu vois? Je ne suis pas sûr que ton cousin tienne très longtemps vu comment ton esprit se défend…
— Je ne peux pas…Je ne suis pas assez forte…
— Mais si, tu l'es! s'écria-t-il presque. Ton chevalier-de-mes-deux a failli me couper en deux. Tu peux vaincre n'importe qui! Abandonne cette magie! Elle ne te sert à rien!
Morgane ne répondit pas. Maximus remarqua qu'elle était de plus en plus pâle. Ses mains étaient froides. La cabane trembla de plus belle. Des pans entiers de rochers se détachèrent de la voûte pour éclabousser la surface miroitante du magma magique.
— Morgane, tu es en train de nous tuer. Tu es en train de mourir. Il faut que tu lâches prise!
— Je ne peux pas…, murmurait-elle toujours.
— Bon sang!
Maximus se laissa tomber en face de la jeune fille mortifiée. Il la contempla sans comprendre, sans savoir quoi faire. Elle ne l'écoutait pas. Il avait l'impression d'avoir un souvenir vide d'une petite fille effrayée dans le corps d'une adolescente tout aussi apeurée. La cabane oscilla dangereusement vers le vide. Maximus poussa un cri en s'agrippant à la rambarde branlante dans son dos. Il fixa Morgane qui ne bougeait toujours pas. S'ils continuaient ainsi, elle allait se laisser tomber dans le vide pour disparaître à jamais.
Que lui avait enseigné Merlin à propos du cœur? Celui-ci était la partie la plus complexe. Elle dépendait de chacun, était différente et unique. Tout devait lui servir, chaque étape lui avait fait comprendre quelque chose sur l'hôte. Son dilemme…C'était cela qu'il devait découvrir chez Morgane. La réponse à la question qui la meurtrissait le plus.
Tout tremblait autour d'eux. Maximus s'obligea à calmer sa panique. Il prit une profonde inspiration alors que le monde mental de Morgane était en train de s'effondrer. Il prit ses mains glacées dans les siennes. Il chercha ses mots.
— Morgane…
Son ton était doux, sa voix apaisée. Il s'approcha tout près d'elle. Il la serra dans ses bras. Il communiqua un peu de sa chaleur à la sienne déclinante. Il chercha les battements de son cœur et sa respiration. Il la serra encore et encore, assimilant toutes ses émotions refoulées. Il appliqua ses mains dans dos, la soutint dans sa tristesse en la faisant sienne.
Enfin, il lui murmura ce qu'elle avait toujours voulu entendre:
— Ce n'est pas de ta faute…
OoO
Maximus ouvrit les yeux.
Il cligna plusieurs fois ses paupières. Il avait encore le goût du sang sur ses lèvres et le toucher des épaules de Morgane contre sa poitrine. Ses membres étaient ankylosés. Il avait mal partout comme s'il avait vraiment accompli tous ses exploits dans le monde réel. Il leva la tête et retint un hoquet de stupeur.
Morgane se tenait devant lui. Sa main, encore pourvue de longues griffes, était à quelques centimètres de sa gorge. Harry était inconscient à ses pieds. Ils étaient sous un dôme végétal étrange. Il n'avait aucune idée de ce qu'il s'y était passé ni comment il était tout à coup apparu. Il s'en fichait. Ses yeux sombres étaient braqués sur la jeune fille qui reprenait vie petit à petit.
Sa peau redevint rose, ses bras retrouvèrent leur taille normale. Ses cheveux tombèrent en une cascade de boucle autour de son visage redevenu humain. Une épaisse fumée noire, opaque s'échappa d'entre ses lèvres. Le bourdonnement et les râles cessèrent enfin. Lorsqu'ils disparurent pour de bon, le dôme s'ouvrit au-dessus de leurs têtes. La lumière revint pour inonder de ses rayons le visage blessé de Morgane.
Elle s'effondra dans les bras de Maximus. Ses jambes ne la supportaient plus. Elle portait de lourds stigmates sur tout le corps. Ses vêtements étaient couverts de sang. Maximus ne réussit pas à déterminer s'il s'agissait du sien ou de celui d'Harry. Celui-ci fut saisi par une violente quinte de toux. Il se redressa légèrement et contempla sa cousine qui reposait dans les bras de son ancien ennemi.
Morgane tremblait. Elle fixa le ciel, désespérée. Elle contempla la lumière pour la première fois depuis longtemps. Elle avait enfin de nouveau froid après tout ce temps. Elle éclata en sanglots.
— Je suis désolée, pleura-t-elle.
Les larmes s'écoulaient sans qu'elle puisse les retenir. Elle en était tout bonnement incapable car elle les avait retenues trop longtemps. Elle gémit, hurla, s'époumona jusqu'à se briser la voix. Elle pleura pour ses pères, pour celui qui avait essayé de la tuer, pour les morts, pour ce qu'elle avait fait, pour la souffrance qui meurtrissait sa chair et son âme. Harry se traîna près d'eux. Il serra, à son tour, sa cousine dans ses bras, lui aussi en pleurs.
— Je suis désolée, répéta-t-elle inlassablement. Tellement désolée.
Maximus les tint contre lui un long moment, sans rien dire. Il était fourbu, cassé et avait absolument besoin d'un sommeil réparateur, surtout sans rêve. Il avait une furieuse envie de se vanter de tout ce qu'il venait de réussir. Mais il tint sa langue. Il soulagea Morgane de sa peine, accompagna son deuil et sa tristesse. Il calma Harry et le choc d'avoir dû affronter sa cousine.
Lorsqu'il leva la tête, il crut apercevoir Merlin qui les observait. Le vieux sorcier avait le regard fixé sur l'élue.
Il souriait.
