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SAINT-GRAAL


Il fallut une semaine entière aux trois adolescents pour se remettre de leur petite altercation dans la clairière. Maximus dormit durant trois jours entiers, comme une masse, aidé des fées et des lutins qui prirent soin de lui dans son sommeil. Harry pansa ses blessures. La forêt de Brocéliande offrait une diversité de plantes médicinales aux effets plus efficaces que n'importe quel sort. C'était sans compter sur l'eau du lac, aussi pure que du sang de licorne, dont une seule goutte vous donnait l'énergie de dix hommes pendant une heure.

Morgane mit plus de temps que ses compagnons. Son corps et son âme avaient été bousculés plus que les autres. Elle fit une forte fièvre le premier jour. Lorsque celle-ci tomba, grâce aux bons soins de gnomes, Morgane ne trouva la force de se lever pour respirer l'air frais de la forêt qu'une bonne semaine plus tard. Enveloppée dans sa couverture où elle avait sué sang et eau, elle tomba nez à nez avec le fantôme de Merlin.

— Tu es réveillée, c'est bien, dit-il en croisant les bras sur sa poitrine. Tes compagnons ont pris de l'avance sur toi et il va falloir que tu travailles plus dur et plus vite pour les rattraper. Et dans ton cas, ajouta-t-il, il y a beaucoup à faire et à apprendre.

Une fois son discours fini, il lui tourna le dos pour voleter un peu plus loin.

— Attendez! Vous êtes en train de dire que vous acceptez finalement de m'aider?

— N'ai-je pas été clair?

— Alors laissez-moi approcher de la source…

Merlin eut un rire gras. Il mit longtemps avant de se calmer. La tête de Morgane la lançait encore.

— Tu n'es pas encore prête, mon enfant. Tu as retrouvé la pureté de ton âme mais tu n'es pas en état de plonger dans la source et d'y rapporter ce que tu y cherches. Et même si tu étais dans une forme olympique, ce qui est loin d'être le cas, ton corps ne supporterait pas la pression magique qu'elle renferme.

Morgane encaissa sans broncher. Elle n'en avait de toute façon pas l'énergie. Ses bras et jambes tremblaient toujours et les rayons du soleil du midi lui brûlaient les yeux. Elle avait encore envie de fondre en larmes. Elle devait bien reconnaître qu'il avait raison et cela l'agaçait au plus haut point.

— Repose-toi encore aujourd'hui, élue. Demain, nous commencerons ton entraînement.

OoO

Si Morgane trouvait Merlin caustique et un poil sadique alors qu'il lui refusait l'entrée de la source, elle ne se doutait pas à quel point il ménageait son petit égo torturé. Une fois certain qu'elle avait retrouvé ses esprits, que celui-ci s'était renforcé après ces épreuves, Merlin n'eut aucune pitié pour elle.

Lorsqu'elle était encore en convalescence, elle avait pu observer Harry et Maximus s'entraîner avec Merlin. Il était impitoyable avec les deux garçons. Harry devait enchaîner les transformations à une vitesse effrayante. Morgane frissonnait à chaque fois que son loup émergeait de sa peau humaine. Puis, Merlin lui lançait un sort et il devait conserver sa forme alors qu'il se faisait bombarder de magie. Maximus était plutôt maltraité en pensée. Il passait ses journées assis en tailleurs, les yeux clos. Au bout de quelques heures, il finissait toujours par sortir de ce sommeil avec un cri de douleur, son regard courroucé braqué sur celui qui l'avait une nouvelle fois défait.

Toutes ces brimades n'étaient rien en comparaison de ce qui attendait l'Élue.

— La première étape, annonça Merlin après l'avoir sorti du lit aux aurores, est de renforcer ton corps.

— Je n'ai pas besoin de le renforcer. Mes pères m'entraînent depuis que j'ai l'âge de dix ans.

Merlin sourit sous sa moustache blanche. Morgane eut un mauvais pressentiment. Le Grand Sorcier agit trop vite. D'un coup de poignet, du bout des doigts, il lui envoya une salve de magie qui la fit décoller du sol, valdinguer dans les airs et écraser lourdement dans l'herbe, le souffle coupé.

— Alors cet entraînement? se moqua Merlin tandis que sa jeune élève grimaçait de douleur en se relevant.

Elle n'osa rien dire et se contenta de lui envoyer un regard noir en priant pour qu'il ne la malmène pas trop. Elle n'avait jamais eu autant tort de sa vie.

Pendant une semaine, il la fit courir.

Sans arrêt, de l'aube jusqu'au coucher du soleil. Elle partait d'une clairière où vadrouillait les licornes en quête de nourriture, gravissait la butte où reposait le nid de l'aigle d'or et toutes les autres créatures volantes qui s'envolaient à son passage, traversait les grottes obscures des lutins et nains qui ne se privaient pas de la singer et d'éclater de rire à chaque fois qu'elle trébuchait sur un caillou, remontait autour de la statue à moitié dévoré par le lierre, se faisait narguer par les sirènes et repassait devant la cabane où la sifflait son cousin et Maximus, bien reposé depuis des heures.

Durant la première journée, elle ne fit qu'une fois le tour de la forêt. Les jours suivants, elle était capable de le faire sept fois. Les premières fois, Harry l'accompagnait pour l'encourager et la motiver. Lorsqu'il fit une crise d'asthme pendant l'escalade jusqu'au mont de l'aigle, il ne chercha plus à la suivre. Raymar volait souvent à ses côtés, plus resplendissant que jamais. Morgane mourrait d'envie d'envoyer paître Merlin pour sauter sur son dos et faire le reste du parcours en volant. Hélas pour elle, la jeune fille avait toujours l'impression que le regard perçant du fantôme était fixé sur son dos, en toute circonstance. Elle n'osa jamais défier son autorité.

— Tu sais te servir de ça? lui demanda-t-il lorsqu'il estima qu'elle avait assez couru.

Morgane et lui se tenait à l'écart des regards indiscrets, dans la clairière qui l'avait vu renaître. Malgré leur précaution, la jeune fille pouvait sentir la centaine d'yeux dans les fourrés et bosquets. Elle pouvait même percevoir les chuchotements de Harry et Maximus, cachés dans la pénombre, venus observer ses progrès.

Face au puissant fantôme, il tenait, bien serrée dans sa main, la précieuse baguette que lui avait offerte Grim. Après une semaine à courir et à suer, elle allait enfin apprendre la magie.

— Oui, répondit machinalement Morgane. Les parents de Harry me l'ont appris. Il faut se concentrer sur sa cible, penser très fort à la formule, la prononcer et laisser la baguette faire le reste…

Merlin poussa un profond soupir.

— Sais-tu que c'est moi qui ai introduit l'usage de baguette magique chez les sorciers…

— Qu'est-ce que vous n'avez pas fait? maugréa Morgane, de plus en plus agacée.

— Ne sois pas insolente!

Sa voix autoritaire résonna dans la plaine. Quelques créatures prirent la fuite, des fées s'envolèrent devenues craintives. Les chuchotements de ses compagnons se turent soudain. Morgane serra la mâchoire.

— Peux-tu me dire pourquoi une baguette de bois?

— Je ne sais pas, répondit-elle aussitôt de peur de se faire à nouveau rabrouer.

— Pourquoi pas un caillou? Une fleur? Un brin d'herbe? Pourquoi une brindille?

Elle garda le silence.

— Parce qu'il rappelle l'origine où nous trouvons tous notre magie, expliqua-t-il avec emphase. Chaque baguette est le symbole du précieux don qui nous a été accordé par l'Arbre de Vie. Elles l'incarnent. Elles le complètent. À chaque fois que tu brandis cette baguette, tu dois te rappeler de quelle énergie elle tire son pouvoir.

— Et quel est-il? demanda Morgane.

— Celui de la vie.

Merlin marqua une pause, prit une profonde inspiration et joignit ses mains derrière son dos.

— Tout sort dont la seule motivation est de faire du mal, quel qu'il soit, est issu de la magie noire. Les intentions et les motivations d'un sorcier sont la base primale de ses sorts. Les formules ne comptent pas. Les moulinets du bras non plus. Ils ne sont que des aides pour les jeunes esprits. Des pistes de réflexion pour maîtriser cette énergie. Le plus important, Morgane, est le pourquoi de son utilisation. Si ton esprit ne peut donner une bonne justification à l'usage de ta magie, alors tu empruntes le chemin sombre d'une magie corrosive et manipulatrice.

— Et la baguette, alors? À quoi sert-elle?

Il sourit.

— La baguette est en accord avec le sorcier. La baguette révèle le sorcier. Si tu es en phase avec elle, celle-ci décuplera ton sort et ta magie. Mais souviens-toi bien, ma jeune élève, le plus important est d'être en paix avec toi-même.

Depuis qu'on l'avait arraché à l'emprise du détraqueur, Morgane avait toutes les peines du monde à faire la paix avec elle-même. Elle déglutit de peur sous le conseil du Grand Sorcier. Elle serra plus fort sa baguette et se prépara à la suite.

— On commence? se réjouit d'avance Merlin.

Il la bombarda de sorts. La première salve la fit tomber. Elle gémit dans l'herbe et ses vieilles blessures réveillèrent ses vieux traumatismes. Merlin attendit qu'elle se relève. Puis, lorsqu'elle fut enfin sur pied, il recommença. Par réflexe, Morgane lança un bouclier. La magie de Merlin le fracassa à son simple toucher. Le sort la toucha en pleine poitrine et elle se plia en deux de douleur.

— Ne cherche pas à te défendre! lui cria Merlin.

Il lança une nouvelle vague de magie. Celle-ci était intense, puissante. Morgane brandissait sa baguette inutilement. Celle-ci tremblait dans sa main. La magie la toucha aux épaules, au visage. Ses jambes flageolèrent. Elle se mordit la joue et sentit ses forces l'abandonner.

— Ne lutte pas! Assimile-la.

Il écarta les bras et le sort la frappa de plein fouet. Elle céda, tomba à nouveau. Cette fois-ci, elle préféra rester à terre, la tête sur le point d'exploser de douleur et le corps secoué de tremblements. Tout se calma. Merlin cessa. Il abaissa ses bras et la contempla sans aucune compassion.

— Encore…, lui dit-il pour seul encouragement.

Durant des jours et des jours, elle alterna entre les séances d'exercices physiques et les vagues de magie déferlantes. Merlin ne lui faisait aucun cadeau et à la fin de la journée, lorsque son professeur en avait assez, il lui autorisait à revenir à la cabane pour se reposer. Maximus et Harry dormaient déjà. Elle n'avait même pas la force de se déshabiller et elle tombait dans son lit avec un grognement de satisfaction, sa baguette figée dans ses doigts devenus rugueux.

Le lendemain, tout recommençait.

Lors d'une de ses séances, alors que la magie de Merlin devenait de plus en plus intense, elle réussit enfin à l'assimiler. Elle comprit enfin le rôle de sa baguette et fit passer l'énergie par son extrémité, la fit traverser son bras tremblant, sa poitrine effrayée, puis la renvoya à son expéditeur. Elle fusa vers Merlin avec beaucoup moins de puissance que le sort initial. Toutefois, son maître eut, pour la toute première fois, l'air satisfait.

— Bien…, commenta-t-il avec un petit sourire. On recommence demain.

Cela dura des semaines, la même routine, la même douleur, les mêmes efforts. Mais Morgane devait bien admettre, malgré ses envie de meurtre sur le Grand Sorcier, que celui-ci avait raison. À force d'entraînement, elle sentit son corps devenir plus résistant aux efforts comme à la magie. Elle comprenait de plus en plus la sienne et l'énergie qui bouillonnait dans ses entrailles. Libérée de l'engeance du détraqueur et de la givre, elle découvrait une toute autre puissance, une magie foncièrement pure et bienveillante. Sa baguette ne tremblait plus entre ses doigts. Son cœur ne s'affolait plus à chaque fois qu'elle se concentrait pour riposter contre les attaques intempestives de Merlin.

Elle rayonnait de plus en plus.

Enfin, elle se sentit prête pour l'étape suivante.

Ce n'était d'abord qu'un murmure dans la nuit, qui l'effrayait au plus profond de son être. Morgane ne se souvenait que trop bien des paroles perfides du détraqueur dans sa tête. Elle eut peur qu'il ne soit revenu et qu'elle ne soit à nouveau poursuivie par sa magie noire. Mais la voix qui s'élevait toutes les nuits n'étaient pas mauvaises. Elle l'appelait dans son sommeil et bientôt, pendant la journée. Morgane mit du temps à comprendre que cet appel venait de la source elle-même car celle-ci devait sentir aussi qu'elle était prête.

Lorsqu'elle osa en parler à son professeur, celui-ci n'eut pas la réaction qu'elle espérait.

— Non! répondit-il sur un ton catégorique.

— Comment ça, non? s'étonna Morgane.

— Tu crois l'être, mais tu n'es pas prête.

Dans un désir évident de fuite, Merlin glissa sur l'herbe pour s'éloigner le plus possible de sa jeune élève.

— Attendez! s'écria Morgane en essayant de le rattraper. J'ai fait absolument tout ce que vous m'avez demandé. J'arrive à présent à repousser vos attaques. Mon…mon corps et mon esprit sont prêts. Je le sens!

— Non…non, non! dit-il en secouant la tête. C'est beaucoup trop tôt.

— C'est vous qui me répétez sans cesse que je dois sentir cette magie qui coule dans mes veines. Je vous assure que je la sens! Laissez-moi tenter ma chance. Vous connaissez les enjeux. Il y a des gens qui meurent dehors en attendant que je revienne. Vous ne pouvez pas…

Pour toute réponse, il la traversa sans prévenir. Morgane perçut un souffle froid sur sa peau, l'écho de la mort dans ses oreilles et un frisson glacé lui parcourir l'échine. Elle grimaça. Merlin continua à voler jusqu'aux bords du lac. Maximus et Harry sortaient enfin de la cabane après une bonne nuit de sommeil. Morgane était réveillée depuis plus de trois heures.

Devant l'indifférence de son maître, le sang de Morgane ne fit qu'un tour. Sa frustration l'emporta sur sa patience. Elle sortit sa baguette, prête à en découdre.

— Vous ne pouvez pas m'empêcher d'atteindre cette source, s'exclama Morgane.

Merlin stoppa. Il se retourna lentement devant la jeune fille. Celle-ci l'affronta du regard. L'écho de la source, à seulement quelques mètres d'elle, résonnait de plus en plus fort dans sa tête.

— Tu veux me défier? la menaça-t-il. Je t'en ai déjà empêché deux fois.

— Comme vous l'avez dit…, répliqua Morgane. Le plus important est ma motivation et je peux vous assurer que je suis en paix.

Harry et Maximus s'approchèrent, sans comprendre. L'élève et le maître se faisaient face dans une tension palpable.

— Morgane, l'appela Harry. Tout va bien?

— Très bien oui, excepté que Merlin refuse de me donner accès à la source.

— Ça fait plus d'un mois qu'on est ici, lança Maximus avec un soupir. Je pense qu'il est temps.

— Vous ne pensez rien du tout, maître Wilson. Il n'y a que moi pour dire si vous êtes prêts ou pas. Et si je m'écoutais, vous resterez ici encore une décennie pour seulement espérer atteindre mes espérances.

— Nous n'avons pas dix ans! s'exclama Morgane, de plus en plus furieuse. Merlin aura ravagé le pays et tué tous nos proches d'ici-là.

— Ce n'est pas le vrai Merlin. Il n'y a qu'un Merlin ici.

— Si vous ne me laissez pas passer, vous ne vaudrez pas mieux que lui.

Morgane fusilla du regard son maître. Celui-ci avait mal digéré la réplique cinglante qu'elle venait de lui lancer. La tension monta. Son énergie aussi. Il retrouva un peu plus de matière ce qui, Morgane l'avait compris à travers leurs nombreuses leçons, indiquait qu'il était sur le point de déchaîner une puissance redoutable.

Il y avait quelques semaines, cela l'aurait effrayée. Aujourd'hui, comme elle le lui avait maintes et maintes fois répété, elle se sentait prête à l'affronter. Elle se mit en position, prit une grande inspiration et prépara son esprit et son corps comme il le lui avait appris. Elle sortit sa baguette qu'elle tapota sur sa cuisse pour lui donner bonne figure. Le tapotement se synchronisa avec sa respiration.

Maximus tapa l'épaule de Harry.

— Ils vont se battre! s'exclama-t-il, partagé entre l'excitation et la crainte.

— Faut se mettre à l'abri!

Il en était ainsi depuis que Morgane avait acquis plus de puissance. Les affrontements avec son maître était plus dévastateur, plus robuste et alors qu'ils avaient eu un public lors des premières humiliations de la jeune élève, aujourd'hui tous se réfugiaient bien loin pour ne pas être pris dans le vortex de leurs magies.

Morgane attendit la première attaque qui ne vint jamais. Sur le point d'exploser, Merlin poussa un profond soupir. Il calma ses ardeurs et redevint le simple esprit immatériel, vieux et fatigué.

— Très bien, lâcha-t-il, résigné. Si tu veux y aller, vas-y. Je n'ai plus aucune raison de t'en priver.

Morgane relâcha sa propre tension. Elle se redressa, un large sourire aux lèvres. Ses yeux cherchaient un coup fourré sur le visage barbu et ridé de son professeur. Mais au lieu de la lueur de malice dans le fond de son œil, elle n'y décela qu'une profonde tristesse qui la troubla.

Elle n'y croyait pas. Après des semaines à espérer franchir le bord de ce lac, elle s'y trouvait enfin, libre d'y plonger pour rejoindre l'appel de la grotte. Tout à coup, elle se sentit nerveuse.

— Tu n'auras pas besoin de ta baguette, l'avertit Merlin. Et aucun de tes amis ne peut t'accompagner, dit-il en se tournant vers Harry et Maximus qui s'étaient approchés. C'est un chemin que tu dois faire seule.

Morgane acquiesça. Elle ôta ses chaussures, laissa tomber sa baguette au sol, à regret, lança un dernier regard gêné et nerveux vers son cousin et Maximus. Harry lui adressa un signe d'encouragement et Maximus lui fit un bref salut. Morgane sonda une dernière fois l'expression de son professeur. Merlin la contemplait sans réellement la voir. Son regard vide se détourna et il s'éloigna dans une posture voûtée.

Elle s'enfonça dans le lac. Celle-ci était curieusement chaude. Morgane plongea sa tête sous la surface. L'eau était si claire qu'elle put admirer la faune et la flore sous-marine d'une exceptionnelle beauté. Des algues brillantes et d'un chatoiement multicolore dansaient au fond, telles des danseuses exotiques. Un banc de poissons aux écailles dorées tournoyaient dans sa direction. Les sirènes sortaient de leurs grottes pour observer la visiteuse et lui firent des signes de la main lorsqu'elles l'apercevèrent. Morgane dut se souvenir de remonter pour respirer. Si ses poumons ne lui avaient pas signifié douloureusement son manque d'air, jamais elle ne serait soustraite à la beauté des profondeurs du lac.

Morgane aspira une grande coulée d'air. Elle perçut des applaudissements dans son dos. Harry la congratulait par des cris de victoire. Merlin, qui se tenait à ses côtés, lui donna une violente tape à l'arrière du crâne.

— Elle n'a pas encore plongé dans la source, imbécile!

Elle entendit les protestations de son cousin mais ne chercha pas à les comprendre. Morgane devait rester concentrée. Malgré son envie de rester barboter dans ses eaux pour l'éternité, elle se força à nager vers la berge de la grotte en espérant qu'une des sirènes de l'entraîne pas par le fond pour s'amuser.

Elle s'extirpa du lac avec beaucoup de difficulté et l'irrépressible désir d'y replonger aussitôt. Les jambes lourdes, elle se dirigea, d'un pas chancelant, vers l'entrée de la grotte. Elle ne percevait plus aucun son si ce n'était celle des assourdissantes cascades à sa gauche et à sa droite. Morgane pensa à sa première tentative pour rejoindre la source. Vu son niveau et son état d'esprit, elle n'aurait même pas réussi à atteindre la berge. Merlin avait eu raison de l'en empêcher. Cela l'agaçait au plus haut point mais ce fantôme têtu et sadique avait malheureusement toujours raison.

Le silence se fit lorsqu'elle passa le portique de pierre. L'atmosphère devint plus glaciale. Morgane n'y voyait rien mais se laissait guider par l'appel qui montait de plus en plus. La pression s'intensifia à mesure qu'elle pénétrait dans l'étroite galerie de roche. Elle avait soudain l'impression que sa tête était prise dans un étau. La pierre vibrait sous ses doigts alors qu'elle cherchait son chemin. Il n'y avait cependant qu'une route possible, celle qui descendait toujours plus bas, jusqu'aux entrailles de la terre.

Une lumière diffuse et intense chassa les ténèbres de la galerie. Son souffle se raréfia. La pression devint si forte qu'elle avait à présent du mal à avancer. Elle s'extirpa du tunnel pour tomber à genoux dans l'antichambre de la mère de toutes les sources. Lorsqu'elle leva la tête, encore trempée de l'eau du lac, elle ouvrit de grands yeux en se sachant impie d'avoir eu l'impudence de pénétrer ce lieu sacré.

Les racines de l'Arbre de Vie encerclaient un gouffre béant. Elles se nourrissaient de la lumière et de la force du magma de magie. Une lumière diffuse inondait la roche, le bois, l'eau. Des flammes bleutées, irréelles, s'échappaient en panache de l'ouverture béante de la terre. Le sol vibrait sous les paumes de la sorcière. Elle eut soudain peur de ne pas y arriver. Cette vision enchanteresse lui rappelait ses rêves. Hélas, aucune licorne ni sombral ne la guidait dans son choix. Elle ne rêvait pas et s'apprêtait à faire le grand saut, seule.

Elle se redressa et s'approcha, à pas lents. Morgane eut l'impression de mettre une éternité à seulement se retrouver au bord du gouffre. Le flux magique était bien trop puissant pour elle. Plus elle contemplait les profondeurs de la source et plus elle avait l'impression de perdre la tête. Son corps était comme déjà disloqué par la puissance qui s'en dégageait. Si elle restait plus longtemps ainsi statique, elle allait mourir.

Morgane eut une seconde d'hésitation. Une seule pendant laquelle elle s'imagina fuir. Le temps d'une inspiration et ce doute s'évanouit. Elle pria pour ses proches puis se laissa tomber au centre.

OoO

Elle n'eut pas réellement conscience de la chute vertigineuse.

Morgane était prise dans un tel étau de magie qu'elle n'avait plus aucune prise sur la matière. Elle n'était devenue qu'un esprit pensant dans un flux d'énergie qui la dépassait. Ses pensées tentèrent de survivre à ce plongeon. Lorsqu'elle se poussa à ouvrir les yeux, tout avait cessé de tourner et de bouger.

Morgane s'était imaginée beaucoup de choses à propos de son passage de sa source. Elle n'avait posé aucune question à Merlin qui avait forcément dû la passer un jour pour créer la source de Stonehenge. Mais elle n'aurait jamais cru qu'elle se relèverait dans un décor si blanc et désert.

Il n'y avait rien si ce n'était elle-même. Elle fut heureuse d'être toujours en vie, du moins l'espérait-elle. Cet état était si étrange. Elle ne ressentait aucune douleur, avait conscience de son corps sans toutefois s'en inquiéter. Morgane se trouvait dans une brume claire, brillante, une brume telle qu'elle n'en avait jamais connue. Ce n'était pas comme un nuage vaporeux qui aurait masqué les alentours, c'était plutôt que les alentours ne s'étaient pas encore formés au sein de ce nuage.

Morgane aurait souhaité se trouver dans un lieu plus accueillant. Elle n'était pas effrayée mais pas à l'aise non plus. Elle se fraya un chemin inutile à travers la brume légère sans savoir ce qu'elle y cherchait exactement. Hugo lui avait expliqué qu'elle devait plonger dans la source primale pour y puiser la magie nécessaire à leur victoire. Mais il ne lui avait jamais révélé le comment.

Alors qu'elle commençait à avoir l'impression de tourner en rond, elle discerna une silhouette humaine dans la brume. Morgane s'immobilisa, intriguée. Elle attendit que le nouveau venu s'approche suffisamment pour qu'elle distingue son visage avec plus de netteté. Celui-ci ne tarda pas à se présenter devant elle, un large sourire aux lèvres.

Morgane émit un petit hoquet de stupeur. L'homme qui lui faisait face était le portrait de son père. Il y avait cependant quelques différences comme leurs cheveux, plus fins et disciplinés chez son père. Ceux de l'homme devant elle, pointaient dans tous les sens comme un hérisson fou. Il était aussi un peu plus vieux. Ses lunettes rondes agrandissaient ses yeux d'un vert éblouissant. Il portait une curieuse tenue avec un insigne épinglé sur son torse et Morgane se concentra sur le petit éclair marqué sur son front.

— Morgane, sourit-il.

Sa voix était chaleureuse et mit aussitôt la jeune fille en confiance. Alors qu'elle ouvrait la bouche pour lui demander son identité, il la prit dans ses bras et la serra à tout rompre. Il eut un petit rire ému en la relâchant. Il souriait et ses yeux s'embrumèrent de larmes légères qui touchèrent la jeune fille. Il lui caressa la joue, avec une joie communicative.

— Je suis si heureux de te voir enfin! J'avais dit à Albus d'y croire. Je suis heureux qu'il l'ait fait. Tu es une fille si courageuse, Morgane.

— Qui êtes-vous? demanda-t-elle, gênée par tant de compliments.

L'inconnu lui adressa alors un sourire empli d'amusement.

— Je suis le père de ton père. Je suis Harry Potter. Je t'en prie, installe-toi, on a beaucoup de choses à se dire.

Après sa révélation, il prit place à ses pieds et tapota la brume comme un bon fauteuil moelleux. Morgane le considéra, bouche bée. Elle avait devant elle le grand héros du monde des sorciers, le héros de son cousin, le père de son père, l'élu qui avait affronté et gagné face à l'un des plus grands seigneurs des ténèbres de leur époque.

Quand elle racontera ça à Harry…

Elle ne savait quoi dire. Morgane oscillait entre un incommensurable respect et la confiance que lui inspirait l'homme qui ressemblait tant à son père. Il avait les mêmes gestes un peu maladroits et elle eut soudain envie de rire lorsqu'il lui lança un regard interrogateur, légèrement écarquillé. Elle finit par s'asseoir à ses côtés.

— J'imagine que tu as beaucoup de questions…, commença-t-il avec un sourire complice. Alors sache déjà que tu n'es pas morte. Moi, je le suis… Mais on m'a autorisé à venir te parler.

— Qui vous a autorisé?

Harry haussa les épaules.

— Quelle importance? Le plus génial c'est que je sois là avec toi. Je dois t'avouer que cela me fait un petit quelque chose. J'ai l'impression de prendre le rôle du professeur Dumbledore. Je comprends maintenant à quel point ça a dû être amusant pour lui.

Il eut à nouveau un petit rire et Morgane comprit, tout à coup, d'où venait les excentricités de son père.

— Monsieur, dit-elle d'une petite voix, je suis venue ici pour demander de l'aide.

— Je le sais, répondit patiemment Harry. Et la source te répondra. Mais il faut que tu saches ce dont tu as vraiment besoin et bien être en accord avec tes intentions.

Prise de court, Morgane se tut pour réfléchir. Harry l'observa du coin de l'œil avec toujours cet éternel sourire au coin. Il avait l'air de bien s'amuser.

— Hugo m'a demandé de…

— Oublie Hugo. Tu as compris à quel point il était difficile de faire le grand plongeon. Pourquoi y es-tu allée en fin de compte?

— Je…je dois vaincre Merlin.

Pour la première fois, Harry prit un air triste. Morgane crut qu'elle avait mal répondu, elle s'en excusa immédiatement.

— Tu n'as rien à te reprocher, lui sourit Harry. C'est ce qu'on t'a appris. C'est certainement ce qu'on te répète depuis que tu es mêlée à cette histoire. C'est épuisant, n'est-ce-pas?

— Vous n'avez même pas idée…, soupira Morgane.

— Oh, je peux t'assurer que si.

Elle contempla l'ancien élu et sut qu'il disait vrai. Morgane se sentit infiniment reconnaissante d'avoir à ses côtés la seule personne capable de la comprendre. Harry la prit par l'épaule pour la réconforter.

— Je sais à quel point cela peut être frustrant. On te parle sans arrêt de ce que tu es supposée faire. Évidemment, ce sont toujours des choses grandioses qui risquent ta mort. Jamais une petite promenade au bord d'un lac. Ou si c'est le cas, tu dois affronter des êtres des eaux qui veulent ta peau. J'imagine que tu t'es sentie en colère?

— Oui…, se rappela Morgane. Je ne voulais pas faire tout ça. Je n'avais rien choisi. On ne m'a jamais demandé mon avis. Mais…, continua-t-elle, il le faut, pas vrai? Pour les autres. Ils comptent sur nous. Au départ, j'ai fui cette prophétie. Mais lorsque j'ai commencé à apprécier les personnes qui en étaient dépendantes, alors j'ai assumé et j'ai commencé à me battre, pour eux. C'est ce qu'il faut faire, pas vrai?

Harry acquiesça, plus douloureusement qu'il ne l'aurait voulu.

— Tu as raison. Mais lorsque tu commences à t'attacher, tu as la peur qui arrive, celle de perdre tout ceux pour lesquels tu te bats… Celle qui te souffle que tu ne seras jamais à la hauteur.

— Oui…

Elle se tut, une boule de culpabilité coincée dans sa gorge. Elle repensa à ses actes sous l'influence du détraqueur. Elle repensa aux âmes qu'elle avait prises, à celles qu'elle avait tenté de voler. Elle eut soudain honte. Harry lui tapota l'épaule.

— Ne t'en fais pas. Tu es là et je sais par quelles épreuves tu as dû passer pour te retrouver avec moi. Tu n'as rien à te reprocher et tu peux être fière de toi.

— J'ai eu tellement peur…, dit-elle dans un souffle.

— Moi aussi à ton âge.

— Comment y êtes-vous arrivé…? Avec Voldemort, je veux dire? Comment avez-vous réussi à gagner contre lui?

Harry eut un petit rictus. Son regard se perdit dans vide blanc de sa mémoire.

— Je crois que ce qui a fait pencher la balance en ma faveur ne sont ni des pouvoirs extraordinaires, ni des armes cachées ou une prophétie qui annonçait mon destin glorieux. Il y a eu la chance évidemment. Un courage et une inconscience démesurés, rit-il. Mais surtout, mes amis et ma famille.

Le visage de l'élu resplendissait de la tendresse vivace qu'il éprouvait encore pour chacun d'entre eux. Le cœur de la jeune fille se serra. Elle partageait son sentiment. Elle-même était accompagnée, sans cesse, du souvenir des gens qu'elle aimait profondément.

— Sans eux, je serais mort un millier de fois. Ta grand-mère Hermione et ton grand-père Ron m'ont accompagné dans toutes les situations les plus périlleuses de leur vie. Je sais qu'ils ont eu peur et qu'ils ont parfois douté mais ils étaient toujours à mes côtés. Il en va de même de tous ceux qui m'ont aidé à vaincre Tom Jedusor.

— C'est pareil pour moi, murmura Morgane. Je ne suis pas là pour la prophétie, avoua-t-elle. Je ne suis pas là pour vaincre Merlin. Je suis là pour eux. Tout ce que je souhaite, c'est les sauver.

Harry lui adressa, tout à coup, un sourire empli de fierté.

— C'est ce que je voulais entendre…

Soudain, le nuage de brume éclata d'une lueur vive. Morgane plissa les yeux, éblouie. Elle dut attendre un petit moment jusqu'à ce qu'elle s'habitue à la clarté. Elle réussit enfin à discerner une forme allongée qui volait jusqu'à elle. Elle ouvrit les paumes et contempla la fine baguette de bois blanc tomber entre ses mains. Dès qu'elle la toucha, elle perçut une puissante décharge se déverser dans tout le corps.

— La source te fait le don d'une de ses branches. Tu es la deuxième détentrice d'une des baguettes de vie. C'est un grand honneur.

— Deuxième? s'étonna Morgane.

— Tu ne devines pas de qui il s'agit?

Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre.

— C'est le vrai Merlin, n'est-ce-pas? C'est lui le premier à avoir plongé dans cette source.

Harry acquiesça.

— Et elle lui a donné aussi une baguette? Mais pour quelle raison? Qu'est-ce qu'il lui avait demandé?

Il poussa un profond soupir.

— Je ne crois pas être la meilleure personne pour t'en parler. Sache seulement que ses intentions étaient louables, tout comme les tiennes. Sinon vous n'auriez jamais reçu ce précieux cadeau. Mais tu dois savoir qu'il a un prix.

— Lequel? demanda Morgane.

Harry hésita. Il se frotta le visage par-dessus ses lunettes.

— C'est tellement difficile d'en parler, soupira-t-il encore. Je comprends à présent ce qu'a pu ressentir Dumbledore. Morgane, je suis navré de devoir te l'annoncer. Quoique tu décides de faire avec cette baguette et la magie qu'elle renferme, une vie doit être payée.

Un lourd silence suivit la déclaration du grand Harry Potter. Morgane avait la gorge sèche tout à coup. Elle contempla la baguette entre ses doigts avec le poids de son coût.

— Si je m'en sers pour abattre Merlin, réfléchit-elle, c'est sa vie qui sera sacrifiée. Mais ce n'est pas le but de cette magie. Vous l'avez dit vous-même. Elle est le symbole de la vie. Je ne peux m'en servir pour apporter la mort. J'irai à l'encontre de son essence et cela ne pourra apporter que du malheur…

— Tu as raison, opina tristement Harry.

— Dans ce cas…, si je veux rapporter la vie au monde. Si je veux réparer l'injustice qui a été faite et honorer le sacrifice de ceux qui sont morts pour cela, c'est ma propre vie que je devrais sacrifier…

Lorsqu'elle prononça ces mots terribles, la baguette de vie se mit à chauffer dans ses mains. Une profonde vérité s'insinua en elle. Morgane n'eut plus aucun doute sur ce qu'elle devait entreprendre. Toute peur l'avait quittée. Elle savait exactement ce qu'il lui restait à faire. Elle serra la baguette contre elle, le cœur meurtri.

— C'est pour cette raison que je suis née…

— Tu as encore le choix, Morgane.

La jeune fille le dévisagea sans comprendre.

— La source offre toujours le choix. Tu peux rester ici avec moi ou ressortir. Si tu sors de la source avec la baguette, tu devras accomplir ce pourquoi tu es venue ici.

— Et si je reste, demanda-t-elle, que va-t'il se passer pour ceux d'en haut?

Harry n'eut pas besoin de lui expliquer. Morgane connaissait déjà la réponse. Harry et Maximus sortiraient de la forêt de Brocéliande avec le deuil et l'annonce de l'échec de l'Elue. La résistance affronterait Merlin dans un combat inégal. Le monde sombrerait un peu plus dans les ténèbres et tout espoir s'éteindrait à tout jamais.

— Rassure-toi, répondit Harry qui avait deviné ses pensées. Certes, ce combat sera perdu. Mais les ténèbres ne durent jamais. Tôt ou tard, ils retrouveront la lumière, dans dix ans ou un siècle. Un jour, tout renaîtra avec ou sans toi.

Morgane eut un sourire triste.

— Vous l'avez dit vous-même. Le plus important sont ceux que je souhaite protéger. Je ne suis pas ici pour ramener la lumière. Je veux seulement qu'ils soient heureux.

— Alors tu sais ce qu'il te reste à faire…, conclut Harry.

L'élue opina. Elle se releva, la baguette de vie dans la main, bien décidée à affronter son destin. Harry se redressa aussi. Il lui souriait, heureux et triste à la fois. Il la serra une dernière fois dans ses bras. Elle profita de cette chaleur réconfortante en se disant que lui aussi était passé par là.

— Je suis tellement content d'avoir eu la chance de te rencontrer. Mon fils a fait des merveilles avec toi.

— Il a été le meilleur des pères, sans compter…

Elle se tut. Le souvenir de son autre père, certainement mort, fit renaître son chagrin. Harry la rassura en lui caressant la tête.

— Je peux te demander un service? dit-il d'une voix douce.

— Tout ce que vous voulez.

— S'il te plaît, dis à ma famille que je les aime.

Morgane tomba à nouveau dans ses bras, émue. Elle n'avait pas envie de le quitter. Elle n'avait aucune envie d'affronter sa propre mort. Elle refusait de devoir dire au revoir à ceux qu'elle aimait autant que Harry Potter. Il la serra à son tour mais son touché se fit moins pressant. Il disparaissait en même temps que la brume à mesure que l'esprit de Morgane remontait à la surface. Elle tira sur ses vêtements, chercha son regard, une dernière fois. Elle eut soudain peur et cette crainte s'évanouit lorsqu'elle vit le visage de l'élu à moitié effacé.

— N'oublie pas, Morgane… Le seul moyen de vaincre la mort, c'est de l'accueillir en amie…

OoO

Morgane eut beaucoup plus de facilités à sortir du lac qu'à y entrer. Elle rampa dans l'herbe, saisie d'une quinte de toux, les vêtements gorgés d'eau. Dans sa main droite, elle tenait fermement la baguette qui lui avait été offerte. Lorsqu'elle se redressa, les dernières paroles de Harry Potter tintaient encore à ses oreilles.

— Tu as réussi! s'écria Harry, ravi.

Il tomba dans ses bras et Morgane en eut le souffle coupé. Elle perçut la chaleur de son corps, savoura son contact bien réel. Elle calma les battements de son cœur et fit ralentir sa respiration. L'angoisse de ce qu'elle avait découvert menaçait d'imploser dans son esprit. Pour son cousin et pour tous les autres, elle se força à la cacher. Elle l'enferma au plus profond d'elle-même pour que jamais ils ne puissent deviner ce qu'elle s'apprêtait à faire.

Lorsque Harry s'écarta, ses yeux tombèrent sur la baguette que tenait Morgane.

— Alors, c'est ça…, murmura-t-il fasciné. La puissance capable de vaincre Merlin…

— Comment tu te sens? demanda Maximus qui s'était approché.

— Bien, mentit-elle.

Elle sonda son regard pour déceler du doute dans ses yeux. Il la dévisagea un long moment pendant que Harry s'extasiait sur le précieux don de la source primale. Morgane fit un effort surhumain pour vider son esprit. Finalement, Maximus poussa un long soupir.

— Tu es partie longtemps. Tu nous as fait peur.

— Où est Merlin?

Maximus désigna la clairière derrière la cabane, là où ils avaient l'habitude de s'entraîner. Morgane ne prit pas le temps de se sécher. Elle laissa ses compagnons sur le bord du lac et se dirigea vers leur aire d'entraînement.

— Où tu vas? cria Harry dans sa direction.

— Je n'en ai pas pour longtemps. Préparez déjà vos affaires. On part demain matin.

— Mais…

Elle n'écouta pas la suite. Morgane traversa le chemin d'un pas rapide. Elle avait rangé la baguette de vie dans sa poche arrière, celle de Grim dans l'autre. Elle était maintenant l'heureuse propriétaire de deux baguettes magiques, l'une offerte par un ami, l'autre qui la conduirait à sa mort. Elle chassa ces pensées et s'avança droit vers l'esprit assis sur l'un des rochers les plus imposants.

Le soleil était en train de se coucher et les aigles commençaient leur parade dans le ciel étoilé. Morgane grelottait dans ses vêtements mouillés mais elle ne s'en soucia pas. Elle avait d'autres préoccupations en tête. Elle s'approcha tout près de son maître. Celui-ci tourna la tête pour la dévisager. Il avait perdu son air joyeux. Son expression était désespérément triste.

— Alors, ça y est, soupira-t-il. Tu l'as reçu…

Morgane sortit la baguette de sa poche et la présenta au Grand Sorcier. Celui-ci refusa de la toucher.

— Morrigan offre de bien curieux cadeaux, ironisa-t-il.

— Morrigan?

Merlin eut un sourire, son regard savant se perdit dans le vide de ses souvenirs.

— Elle était l'une des leurs, expliqua-t-il en fixant l'une des statues des êtres extraordinaires. Elle était leur Reine, la gardienne de la source de la vie. Tu savais que les hommes avaient été maudits?

— Non…, avoua Morgane en s'installant à côté de lui.

Elle rassembla ses cheveux trempés, les essora entre ses doigts. Merlin continuait son récit.

— J'ai toujours trouvé injuste la manière dont les hommes avaient été puni. Certes, ils le méritaient pour ce qu'ils avaient fait. Mais pouvait-on condamner indéfiniment les générations suivantes qui n'avaient rien demandé? J'ai voulu réparer nos fautes. Je voulais que l'harmonie revienne. Je savais qu'elle était possible puisqu'elle avait déjà existé. Il me suffisait simplement de convaincre la principale concernée.

La pénombre s'installait dans la forêt. Les créatures nocturnes sortirent de leur sommeil journalier. Les lucioles voletèrent autour d'eux en essaim. Les boursoufs se gonflaient de lumière et de chant. Une panthère des nuits s'extirpa des fourrés, son pelage tacheté de points lumineux qui semblaient danser à chacun de ses mouvements. La créature était accompagnée par ses petits qui la suivaient en miaulant.

— Morrigan était la dernière de son espèce. Elle était fatiguée de sa charge. Elle se sentait seule aussi. Le souvenir de la trahison des hommes n'étaient plus qu'un lointain souvenir et elle avait appris à me connaître. Je suis devenu son disciple. Tout ce que je t'ai enseigné, elle me l'avait appris bien avant ta naissance. Lorsque je lui ai demandé le moyen de rendre la magie aux hommes, elle m'a dit de plonger dans la source.

Il s'interrompit et Morgane comprit pourquoi. Dans ce silence et la brise du soir, ils partagèrent leur expérience commune. Les yeux de Merlin s'abaissèrent à nouveau sur la baguette de Vie.

— Tu en connais le prix, n'est-ce-pas? Ils te l'ont dit…

— Oui.

— J'ai essayé de trouver un autre moyen, murmura Merlin. J'ai tenté de reproduire l'équilibre entre la vie et la mort. J'ai passé des années à vouloir contrer le temps. J'ai cru que cela avait marché à Stonehenge. J'y ai vraiment cru… Mais je n'ai fait que rendre plus dépendant les hommes à une magie corrompue.

Il baissa la tête, vaincu par la honte.

— Je ne voulais rien de tout ça. Je ne voulais pas attiser la haine. Je ne voulais pas contempler le spectacle horrible de mes disciples qui se déchirent dans des luttes de pouvoirs inutiles. Je voulais seulement la paix. Je voulais…

— C'est pour cela que vous ne vouliez pas que je plonge dans la source, comprit Morgane. Vous saviez ce que cela signifiait pour moi.

Pour la première fois depuis le début de leur discussion, le maître se tourna vers son élève pour lui parler.

— Je n'ai pas pu, Morgane. J'avais l'intention de réparer mon erreur mais je n'ai pas réussi à me sacrifier. La honte m'a fait me retrancher ici, pour ma pénitence. La culpabilité m'a attaché à cet endroit bien après ma mort. Je suis maudit, comme l'étaient mes ancêtres et je ne voulais pas que tu connaisses ce sort à ton tour.

Morgane garda le silence. Ses doigts jouaient avec la baguette comme si elle était d'une banalité affligeante. Comme si elle lui avait toujours appartenu. Elle inspira profondément l'air frais du soir. Elle s'inspira, une dernière fois, de la beauté de la plus belle forêt qu'elle n'aura jamais eu la chance de contempler.

— Cet endroit va me manquer, se contenta-t-elle de répondre.

— Tu vas me manquer aussi, jeune élue.

Pour une fois, Morgane lui adressa un sourire sincère.