55

GALLION FELON


Morgane quitta la clairière, l'air terriblement lasse.

Elle s'approcha de la cabane qu'elle voyait sans doute pour la dernière fois. Le soleil déclinait dans le ciel. Les couleurs chatoyantes du soir inondaient les cieux de sa douce torpeur. Le grand aigle se nettoyait les plumes sur la butte élevée et les oiseaux nocturnes débutaient leur parade dans les derniers rayons de lumière. Celle-ci brillait sur la surface du lac que Morgane venait de quitter il y avait seulement une heure. Elle avait la curieuse impression que cela faisait une éternité qu'elle s'immergeait dans les profondeurs de la source.

Elle aperçut Maximus sur la véranda, appuyé sur la rambarde sculptée pour admirer le paysage. Elle s'approcha, tout aussi méditative que lui.

— Où est Harry? demanda-t-elle en croisant ses bras engourdis par la brise du soir.

— Il veut fêter ton exploit et notre départ de Brocéliande en grande pompe, répondit-il avec un sourire en coin. Il est allé demander de l'aide aux fées pour notre dernière soirée ici.

Morgane acquiesça. Son regard se perdit dans le même vide qui l'habitait à présent.

— Comment tu te sens?

Maximus était toujours appuyé, penché sur la rambarde, ses yeux braqués sur la jeune fille. Morgane s'égara un instant dans son regard sombre. Il était pénétrant. Elle sut immédiatement qu'il cherchait à comprendre. Morgane devait faire attention.

— Tout va bien, mentit-elle.

— Je sais que tu me caches quelque chose…

Elle détourna tout de suite la tête pour s'arracher à son regard. Elle se frotta les avants-bras. Elle sut qu'elle aurait dû s'éloigner pour échapper à cette conversation mais elle en avait assez de fuir. De plus, depuis l'incident dans la clairière, même si elle n'en avait aucun souvenir, elle percevait ce lien qu'ils avaient partagé. Elle sentait encore sa présence dans son esprit, comme les dernières fragrances d'une aura agréable et familière.

Face à son silence, Maximus se redressa pour s'approcher d'elle. Elle se détourna de lui le plus possible en espérant que Harry débarque d'une minute à l'autre pour rompre cette tension grandissante entre eux. Sa présence était tout près. Il l'encouragea à lui faire face mais elle garda résolument la tête baissée. Dans un geste très tendre, il lui leva le menton pour que leurs regards se croisent à nouveau. L'intensité de ses yeux fit battre un peu plus vite le cœur de Morgane.

— Tu devrais me le dire.

— Je voulais te remercier pour ce que tu as fait pour moi.

Il fut quelque peu désarçonné par sa réponse. Aussitôt, il fit un pas en arrière, gêné.

— Ce n'est rien, marmonna-t-il.

Ce fut son tour d'éviter le regard de la jeune fille. Morgane aima ce soudain revirement. Elle en oublia ce qu'il lui avait été révélé ou ce qu'il l'attendait dans très peu de temps. Elle se délecta, pour une fois, de ses yeux fuyants, de sa retenue et de son air défensif. À son tour, elle s'approcha de la même manière.

— Tu n'étais pas obligé et j'imagine à quel point cela a dû être terrifiant. Je suis dans ma tête depuis un petit temps et avec un détraqueur comme squatteur…, rit-elle.

Il rit à son tour, plus gêné que jamais et son visage encore empli de la peur qu'il avait dû éprouver.

— C'était intense, commenta-t-il en se détendant enfin. Mais si je devais le refaire, je n'hésiterai pas.

Morgane fut plus touchée qu'elle ne le crut par son ton sincère. Elle se détendit à son tour et ils se sourirent l'un l'autre, comme ils l'avaient fait à la forêt interdite. Durant cet instant, ils eurent tous deux le souvenir de ce qu'ils avaient partagé. Maximus posa sa main sur la sienne et Morgane comprit trop tard son erreur.

Il ne l'avait sans doute pas manigancé. Peut-être que ce geste d'affection était sincère et qu'il ne put s'empêcher de lire en elle, porté par son intuition. Morgane n'eut pas le temps de protéger son cœur, son âme ni son esprit. Elle était si détendue, si dans l'instant de ce beau moment, qu'elle lui laissa, sans le vouloir, la porte ouverte.

Il ne fallut qu'un effleurement pour que les yeux de Maximus ne s'agrandirent d'effroi, pour que son teint ne palisse tout à coup. Son visage était passé d'un bonheur à une horreur sans nom. Il fixa le vide, effrayé ou désespéré, la main toujours dans la sienne. Lorsqu'il la relâcha et qu'il se tourna à nouveau vers elle, il ouvrit la bouche pour parler. Morgane posa ses doigts sur ses lèvres pour le faire taire.

— S'il te plaît, murmura-t-elle. Ne dis rien.

Pour toute réponse, il lui saisit le visage entre ses deux mains et appuya son front contre le sien. Sa peau était glacée comme la sienne mais son souffle était chaud contre ses lèvres. Il tremblait.

— Tu n'es pas obligé de faire ça, mentit-il d'une voix éraillée.

— Merci, souffla-t-elle. Merci d'être là.

Elle ne put se retenir plus longtemps. Elle le prit dans ses bras. Il la serra contre lui à tout rompre et son étreinte avait un goût de déjà-vu. Morgane avait du mal à s'arracher à son contact. Il était le seul à pouvoir la comprendre sans mot, seulement avec son toucher et celui-ci était si agréable. Il représentait une bouée dans un océan d'incertitude et de peur.

— Les gars! s'écria la voix lointaine d'Harry.

L'instant était brisé. Ils s'écartèrent l'un de l'autre, gênés. Morgane afficha un grand sourire à son cousin qui s'approchait gaiement, un panier tressé sous le bras.

— Qu'est-ce que tu ramènes de bon? demanda Morgane.

— De la bière artisanale de lutin, des gâteaux confectionnés par les fées. Mais je me méfie. Elles m'ont fait un clin d'œil en me les donnant. Je suis sûr qu'elles les ont ensorcelés. Et puis j'ai des fruits magiques cultivés par les gnomes.

Harry avait les yeux rivés dans son panier ; kiet ne remarqua pas la tension entre ses deux amis. Il dévoila le contenu de son butin, très excité. Morgane rit lorsqu'il se mit à relater son altercation avec un gnome particulièrement caractériel. Puis, elle suivit son cousin pour préparer leur festin devant un feu de bois.

— Morgane…, l'appela Maximus.

Le pied sur les marches de la véranda, elle se retourna vers lui et le dévisagea sans comprendre. Son expression était curieuse. Il n'était pas aussi désespéré que lorsqu'il avait sondé son âme et son terrible secret. Il y avait plutôt de la culpabilité dans ses yeux. Il ouvrit la bouche pour parler puis se ravisa.

OoO

Le départ fut plus douloureux qu'ils ne le crurent de prime abord. D'une part, car ils s'étaient profondément attaché à ce lieu paradisiaque et d'autre part car la boisson des fées était plus costaude qu'il n'y paraissait. Morgane avait l'impression que sa tête allait exploser. Harry gémissait à chacun de ses pas avec un teint verdâtre qui n'annonçait rien de bon. Le seul encore présentable était Maximus qui semblait avoir plus l'habitude. Cependant sa mine défaite ne l'avait plus quitté depuis hier soir et Morgane se sentit coupable de lui avoir légué un si lourd secret.

Beaucoup des créatures de la forêt avaient suivi leur préparation avec enthousiasme et une certaine curiosité sadique. Il en alla de même pour leurs préparatifs de départ. Des pestes de lutines et farfadets éclatèrent de rire lorsque Morgane eut toutes les peines du monde à persuader Raymar de quitter son nouveau nid douillet pour se laisser harnacher leurs affaires. Lorsqu'ils furent fin prêts, ils se dirigèrent ensemble vers le portail qui devait les mener vers leur véritable monde.

Morgane avait le cœur lourd tout au long de la remontée de la colline. Elle percevait, dans son dos, les rires des fées, le gazouillis des boursouflets et les cris joyeux des gnomes ravis de leur départ. Mais Merlin ne s'était plus montré depuis qu'elle lui avait parlé. Elle aurait aimé qu'il leur dise au moins au revoir avant de se retrouver seul à nouveau pour l'éternité.

Lorsque leurs pieds foulèrent l'herbe plus rêche et plus jaunie de la zone d'entrée, aussitôt une myriade de lucioles formèrent à nouveau le rond parfait du portail. Déjà, ils pouvaient apercevoir les premiers troncs noirâtres des marais et déjà sentir les effluves nauséabondes de la vase.

— Prête? demanda Harry.

Morgane se retourna une dernière fois. Elle ne le regretta pas. Au loin, à son seul regard, la silhouette translucide de l'esprit de Merlin se tenait à l'orée des plus grands arbres de la forêt. Il comprit qu'elle l'avait aperçu et il lui fit un bref signe pour la saluer. Même s'il ne pouvait pas le voir, Morgane lui adressa son plus beau sourire et suivit ses compagnons, ainsi que son griffon, à travers le portail.

Le retour fut plus facile mais plus atroce quant aux sensations qui les assaillirent tout à coup. Morgane tomba dans l'eau sombre et puante des marécages. Elle fut immédiatement piquée par un moustique et l'obscurité la gêna. Il faisait jour mais peu de rayons de soleil filtraient à travers l'épais feuillage des arbres qui s'élevaient jusqu'au ciel. Elle qui n'avait connu qu'une lumière douce et chaleureuse pendant un mois, fut angoissée par ce brusque changement.

— On ferait mieux de se dépêcher de sortir de ce marais, commenta Maximus.

Ils marchèrent un long moment en silence, de l'eau jusqu'au genoux. Tous avaient le même sentiment, celui d'avoir quitté un lieu idyllique qu'ils ne verraient jamais plus. Déjà, Morgane oubliait le parfum des fleurs enchanteresses de la clairière, le toucher de la terre chaude sous ses doigts ou celui de la brise dans ses cheveux. Raymar poussa une longue complainte qui ne se tut que lorsqu'ils sortirent enfin des marécages.

La nuit était sur le point de tomber. Exténué, Harry proposa de camper dans une forêt qui n'avait plus rien d'accueillant. Ils préparèrent leur couche. Maximus alluma un feu. Raymar partit chassa sans joie et les trois adolescents dînèrent sans oser se remémorer leur séjour à Brocéliande.

— J'ai hâte de voir la tête de Merlin lorsque tu vas te présenter à lui avec la baguette la plus puissante du monde magique, sourit enfin Harry.

— Il faut déjà que j'arrive jusqu'à lui.

— Oh mais c'est sûr! s'exclama son cousin en se levant soudain. On va jusqu'à son repaire. Moi et Maximus, on s'occupera de ses chevaliers. Je me transformerai en loup. A coup de griffes, je les dégomme! expliqua-t-il en mimant son attaque. Maximus entre dans leurs esprits et leur rappelle leur trauma d'enfance. Toi, imagine… Tu chevauches Raymar, tu voles jusqu'à la chambre de Merlin et PAF! hurla-t-il. Coup de baguette et BOUM! Le monde est sauvé. C'est pas beau ça?

Morgane n'eut pas besoin de se forcer à rire devant les grands gestes de son cousin, même si elle savait très bien qu'il en serait tout autre. Maximus esquissa un léger sourire sans joie. Morgane encouragea Harry en lui demandant de lui raconter ce qu'il ferait à sa place. Ils rirent pendant des heures pour oublier leur départ. Puis, vaincus par la fatigue, ils allèrent se coucher.

Raymar n'était toujours pas revenu de sa chasse. Sa maîtresse ne s'en inquiéta pas lorsqu'elle s'étendit dans son duvet fabriqué par les lutins. Elle devait lui laisser le temps de s'en remettre, tout comme elle devait accepter son sort et le poids de sa nouvelle baguette dans sa poche. Elle ferma enfin les yeux lorsqu'elle fut bercée par les ronflements sonores de Harry.

Morgane s'éveilla en sursaut, la respiration haletante et le front en sueur malgré le froid de l'aube. Quelque chose n'allait pas. Harry et Maximus dormaient toujours à ses côtés. Le feu était sur le point de mourir. Une faible brume stagnait entre les troncs et tout était calme. Trop calme. Elle n'entendait plus la voix de Raymar dans sa tête.

Elle se leva, marcha un peu dans la direction où elle l'avait vu partir. Elle sondait la brume pour discerner la forme de son griffon et elle l'appelait désespérément dans sa tête. Il ne répondait pas. Ses yeux se fixèrent sur une masse sombre. Elle eut l'espoir de l'avoir retrouvé mais s'immobilisa lorsque la forme prit les contours d'une silhouette humaine. Ils n'étaient pas seuls.

Morgane patienta, les sens en alerte, le regard braqué sur l'intru. Elle ne bougeait pas tout en se demandant s'il l'avait vu à son tour. Elle eut la réponse une seconde trop tard, lorsqu'un puissant jet lumineux fusa dans sa direction. Morgane bondit sur le côté, s'écrasa dans l'herbe tandis que la puissante magie frappa l'écorce d'un grand chêne qui craqua sous son poids. L'arbre plia, son bois se déchira, ses branches ployèrent dangereusement.

— ILS SONT LÀ! hurla une voix masculine qui fit glacer le sang de Morgane. ATTRAPEZ-LES!

Elle se releva à toute vitesse, ses semelles raclant la terre humide et ses doigts arrachant l'herbe. Morgane se mit à courir, le plus vite possible jusqu'à leur camp. Elle sortit sa baguette, celle que lui avait offert Grim, prête à se battre. Elle avait promis de ne jamais se servir de la baguette de vie dans un autre but que celui de sa quête finale. Mais elle n'avait jamais dit qu'elle ne combattrait plus.

— Maximus! Harry! On est attaqué! Il y a des chevaliers! s'écria-t-elle en s'approchant de plus en plus.

Ses compagnons étaient déjà réveillés, entravés par des miliciens qui les maintenaient péniblement en place tandis qu'ils se débattaient comme des beaux diables. Un autre se tenait devant eux, plus jeune, plus pâle, plus chétif, mais sa main tendue vers Harry et Maximus indiqua à Morgane qu'il avait une influence sur eux. Lorsque le milicien se retourna vers elle après son appel, celui-ci lui sourit.

— Ah! Tiens… Il ne manquait plus que toi!

Son sourire était trompeur, ses yeux sombres méchants et vicieux. Il tendit une autre main vers Morgane alors que celle-ci levait déjà sa baguette. Aussitôt, une migraine terrible la foudroya sur place. Elle se mit à hurler de douleur pour s'effondrer sur le sol, les doigts compressés autour de son crâne qui lui donnait l'impression d'exploser. Avec la douleur, elle lâcha sa baguette que s'empressa de ramasser son tortionnaire avec un œil avide. Deux autres soldats l'emprisonnèrent bientôt et la douleur se calma quelque peu, juste assez pour la maintenir docile et sans force.

— Lâ…chez-...la! s'écria Harry malgré sa propre souffrance.

Morgane poussa un gémissement lorsque le poing du milicien s'abattit brutalement sur son visage. Harry poussa un grognement de douleur et il leva son nez en sang.

— Nous les avons tous! prévint le jeune milicien en se tournant vers les bois.

Ses coudes étaient maintenus en arrière par une espèce de gros pachyderme aux traits humains. Morgane leva les yeux vers les nouveaux arrivants. Elle reconnut immédiatement la démarche arrogante des chevaliers, entourés de leur cour de soldats ignares. Le sang de Morgane se figea dans ses veines lorsqu'elle reconnut la beauté froide de la sœur d'Harry s'avancer aux côtés de Bedivere, l'homme qui avait sans doute tué son père.

— Bravo, messieurs, félicita Tonks avec un sourire faux. Vous avez capturé l'élue et mon jeune frère.

— Et vous oubliez celui-là! ajouta le jeune milicien en désignant Maximus.

— Non, vous pouvez le libérer. C'est grâce à lui si nous sommes ici. Relâchez-le.

Malgré leur migraine, Harry et Morgane tournèrent lentement la tête vers Maximus. Celui-ci fut immédiatement relâché. Mais bien qu'il fût libre, il ne bougea pas d'un pouce, la tête baissée, se refusant de croiser le regard des compagnons qu'il venait de trahir.

— SALAUD! hurla Harry.

Il balança sa jambe pour l'atteindre et réussir à le frapper mais il était trop loin et le milicien le tira un peu plus en arrière.

— Je te faisais CONFIANCE! s'écria encore Harry, ivre de colère. Après que tu nous as trahis la première fois… Comment a-t-on pu être aussi stupide?! Comment avons-nous pu te croire?! ON A PICOLÉ ENSEMBLE! ÇA NE COMPTE PAS POUR TOI?! Quand je pense que je voulais que tu deviennes mon nouveau meilleur ami…

Tonks se mit à rire.

— Tu es toujours aussi pathétique…, se moqua-t-elle de son frère.

— Et toi, t'as toujours le cheveu gras.

Sa sœur répliqua immédiatement avec une flamme balancée en plein visage. Harry grogna de plus belle.

— Calme-toi, la prévint Bedivere. Tu es chevalier maintenant. Tu représentes la haute puissance de notre maître.

— Oh! Voyez-vous ça…, ironisa Harry qui n'avait plus du tout conscience du danger. Chevalier… Papa et Maman seront si déçus quand ils vont l'apprendre.

— La ferme…ou je te tue, répondit Tonks.

Son ton fut assez convaincant pour faire soudain taire son frère. Morgane n'avait toujours pas parlé. Elle contemplait le sol à ses pieds, le visage fermé, les traits tirés. Lorsqu'elle releva la tête, elle s'adressa directement à Tonks.

— Comment? lui lança-t-elle.

— "Comment" quoi?

— Comment vous a-t-il guidé jusqu'à nous?

Elle parlait de Maximus sans vouloir lui parler, sans même avoir la force de lui lancer le moindre regard. Tonks eut un sourire horrible, sadique, comme ceux qu'elle lui adressait alors qu'elle l'avait torturé sur la chaise noire d'Azkaban. Morgane attendit qu'elle lui réponde et elle savait qu'elle allait le faire. Le chevalier avait deviné le lien entre les deux adolescents. Tonks se faisait un plaisir de le détruire.

Elle fouilla dans sa poche et en sortit un galion qu'elle jeta aux pieds de Morgane. Celui-ci brilla à la lumière des torches des miliciens.

— Qu'est-ce que…? commença Harry qui avait aussi reconnu la relique.

— Je l'ai prise, il y a longtemps, à ce cher Londubat quand il est entré à Azkaban. Ce vieux fou ne s'en séparait jamais. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai senti la pièce chauffée dans ma poche. Cet idiot, dit-elle en désignant Maximus, a subtilisé le gallion à mon cher petit abruti de frère. Il cherchait à communiquer avec n'importe qui pour peu qu'on le sorte de sa situation "intenable" d'après ses dires. Il n'a pas hésité longtemps avant de nous donner votre position.

— C'était avant! s'exclama tout à coup Maximus.

Morgane ne put s'empêcher de se tourner vers lui. Elle se maudit à la seconde où elle croisa son regard empli de culpabilité et de détresse. Il semblait profondément sincère. Il la regardait, uniquement elle et cherchait à tout prix une réaction qui lui indiquerait qu'il était compris et pardonné.

— C'était… c'était avant qu'on entre dans la forêt. Quand tu étais en train de te perdre… Je l'ai regretté dès que je suis entré…, il n'acheva pas sa phrase. Tu dois me croire.

Son regard était trop douloureux pour Morgane. Elle s'y arracha en ravalant toutes les émotions occupées à la submerger. Maximus poussa la plainte d'un animal blessé.

— Où est Raymar? demanda encore Morgane d'une voix étrangement calme.

— Ton griffon est entre nos mains, rit encore Tonks. Je me vois bien le monter quand tu seras morte et une fois que je l'aurai dressé évidemment.

Morgane acquiesça. Elle supposa que le dressage de Tonks était similaire à la manière dont elle surveillait ses prisonniers à l'ancienne prison des sorciers. L'élue réfléchit, sonda son âme, écouta les suppliques de Maximus qui voulait encore attirer son attention. Elle se concentra sur la respiration devenue beaucoup plus calme de son cousin. Elle baissa la tête un court moment puis la leva vers sa cousine.

— Tonks, je te préviens. C'est ta dernière chance. Je te le demande du fond du cœur. Libère-nous et laisse-nous partir.

Il y eut un silence à la fin de l'avertissement de l'adolescente. Puis, les miliciens éclatèrent d'un rire franc. Bedivere se mit à sourire et Tonks se moqua avec toute la magnificence et la prétention possibles.

— Et tu comptes faire quoi si je refuse?

— Je prends ça pour un non, répondit l'élue.

Morgane prit une profonde inspiration, cambra le dos. Lorsqu'elle se redressa soudain, une vague d'énergie souffla autour d'elle. Le milicien qui la maintenait prisonnière vola dans les airs, emportés par le souffle de la magie. Désarçonnés et surpris, personne n'osa bouger tout de suite et Morgane était déjà prête à agir. Elle fit léviter sa baguette aux mains du jeune milicien chétif, jusque dans sa paume. Celui-ci tendit aussitôt son bras vers elle pour lui faire le même tour que tout à l'heure. Cette fois-ci, Morgane s'y était préparée. Elle fixa son regard dans le sien, comme le lui avait appris son maître. Et lorsqu'elle pressentit la magie de ce milicien affluer dans sa direction, elle la lui renvoya décuplée. Le milicien se mit à se tortiller au sol, tel un ver de terre embroché sur un hameçon dans des hurlements de douleurs stridents.

L'élue se tourna vers le reste des miliciens et chevaliers avec un petit sourire. Harry et elle s'étaient certes senti triste de quitter la forêt Brocéliande et sa magie. Mais ils n'étaient pas repartis les mains vides. Lors de leurs entraînements intensifs, ils s'en étaient gorgés jusqu'à plus soif. Merlin leur avait permis non seulement de révéler leurs potentiels et qualités cachés mais aussi de décupler leur puissance. Morgane l'avait senti, dès qu'elle avait franchi le portail. La magie du pays était corrompue et surtout faible en comparaison de celle que leur avait dévoilé le plus grand sorcier de tous les temps. Mais celà, Tonks ne pouvait pas le savoir.

— Harry? appela Morgane.

Il n'avait pas attendu l'autorisation de sa cousine. Harry se métamorphosa sous les yeux ébahis de la dizaine de miliciens. Son corps s'allongea, pris du muscle, un pelage blanc comme de la neige recouvrit ses membres ainsi que son visage. Bientôt un son terrible sortit de sa gorge et le loup immense cracha sa fureur sur ceux qui avaient osé les défier.

— C'est quoi ce monstre…, souffla Bedivere, horrifié.

Tonks n'arrivait plus à prononcer le moindre mot. Elle contempla, blême comme la mort, la créature qu'était devenue son frère. Elle recula, par instinct, terrifiée.

— Fais quelque chose! lui hurla Bedivere.

Harry se précipita sur leur assaillant. Il mordit un milicien à l'épaule, fit voler un autre d'un coup de patte et déchiqueta la jambe d'un ennemi qui avait sorti une épée pour le pourfendre. Bedivere jura. Il leva ses mains et une lance de glace jaillit de ses paumes dans la direction de Harry. Morgane la fit voler en éclat avant que le sort n'atteigne son cousin. Le chevalier recula à son tour tout aussi effrayé, tout à coup.

Morgane se concentra, au milieu de la panique. Elle appela de toutes ses forces Raymar qui répondit à l'appel de sa maîtresse aussi loin pouvait-il se trouver. Soudain, un rugissement éclata dans la forêt, plus terrifiant encore que ceux qu'il avait pu pousser autrefois. Le griffon émergea dans le ciel avec les premiers rayons du soleil qui illuminèrent son pelage doré. Il piqua jusqu'à eux et son ombre grandit sur Bedivère.

— Nom de…, jura celui-ci, les yeux terrassés par la peur.

Il tenta de toucher l'animal par une colonne de glace acérée qui fusa dans le ciel. Raymar cracha son feu et la fit fondre sans le moindre effort. Il se rua sur l'homme qui l'avait jadis enserré de pique de glace jusqu'à la mort. Bedivere lâcha toute sa magie, en vain. Le lion arriva jusqu'à lui pour l'écraser de tout son poids. Le hurlement de rage et de terreur de chevalier mourut sous ses énormes pattes griffues.

Sous les attaques de Harry et l'arrivée flamboyante de Raymar firent fuir le peu de miliciens encore présents. Ils disparurent dans la brume dans des cris apeurés en laissant seul leur chef. Tonks reculait toujours face à Raymar qui grondait, Harry qui s'approchait de son pas de loup et Morgane la baguette tendue dans sa direction. Les mains de Mordred tremblaient alors qu'elle dévisageait tour à tour ses anciennes proies. Son expression trahissait sa défaite.

Harry reprit peu à peu forme humaine car le danger était écarté. Il caressa l'encolure du griffon puis se tourna vers sa sœur.

— Rends-toi, Tonks, lui demanda-t-il. Ça ne sert plus à rien…

Cette simple phrase, pourtant pleine de compassion et de pardon, eut tôt fait de réveiller Mordred. Elle serra tout à coup les poings, se mordit la lèvre jusqu'au sang, les yeux embués de larmes amères. Pour toute réponse, elle poussa un cri terrible et fit éclater sa puissance.

Un brasier incandescent enflamma son corps. Ses cheveux dansaient dans les flammes tel une démone, ivre de sang. Mordred se déchaîna et envoya sur eux toute sa puissance. Raymar ouvrit aussitôt ses grandes ailes blanches. Il les agita et le souffle de ses ailes puissantes chassa le feu dévoreur de Tonks. Les flammes furent soufflées comme des bougies. Tonks cessa sa magie, à bout de souffle, les larmes coulant sur ses joues.

Elle mérite d'être punie! gronda Raymar en faisant mine de s'avancer vers elle.

— Non, lui interdit Morgane. Il y a eu assez de morts comme ça. Elle ne peut plus rien faire de toute façon.

— Qu'est-ce qu'on va faire d'elle? demanda Harry. On ne va tout de même pas la conduire à…

Morgane n'entendit pas la fin de la phrase de son cousin. Elle vit Tonks sortir un poignard de sa ceinture et foncer droit vers son frère qui lui avait tourné le dos pour s'adresser à ses compagnons. Elle eut à peine le temps de hurler, crier, son corps bougeait déjà. Morgane fondit sur Tonks. La colère de voir sa cousine s'en prendre à son propre frère lui fit oublier tous les enseignements de son maître. Pendant un instant, elle crut que le détraqueur avait repris possession d'elle mais Morgane se rendit compte bien vite qu'il ne s'agissait que de sa fureur naturelle. Elle désarma Tonks et la repoussa loin de ses amis.

La jeune femme tomba au sol avec fracas. Elle n'avait plus de magie, elle s'était épuisée à vouloir les carboniser. Elle n'avait même pas réussi à poignarder un jeune garçon. Elle tomba à genoux dans l'herbe et martela le sol de ses poings en hurlant sa défaite qu'elle refusait d'accepter. Morgane s'approcha rapidement. Harry et Raymar se tinrent en retrait. Tous deux avaient senti l'aura farouche et menaçante de l'élue. Celle-ci se présenta devant Tonks qui leva des yeux luisant de haine vers elle.

— C'est de ta faute, cracha-t-elle. Tout est de ta faute. Tu n'es qu'un monstre.

— Je ne suis certainement pas le monstre qui a tenté d'assassiner son frère…, rétorqua Morgane, le sang lui battant encore les tempes.

— Mais qui s'apprête à tuer sa cousine. Vas-y! l'encourage-t-elle. Tue-moi! Qu'est-ce que tu attends? Prouve-moi que tu es celle qui le vaincra!

— Je ne vais pas te tuer. Je vais simplement te montrer ce que tu as mis tant d'efforts à chercher. Je vais te montrer la vraie magie…

Morgane fut heureuse qu'elle se soit tenue loin de Harry et de Raymar. Peut-être son griffon aurait-il pu le supporter mais certainement pas son cousin. Aucun œil humain ne pouvait l'endurer. L'élue sortit la baguette de la vie de sa poche. Son simple contact fit réveiller en elle cette magie ancienne qui lui avait été confiée. Il lui suffit de s'y concentrer pour la laisser simplement briller. Une intense lumière jaillit de sa paume, autour de l'artefact aussi ancien que le monde.

— Qu'est-ce que tu fais? s'affola Tonks.

Mais il était déjà trop tard. La jeune femme ne pouvait plus détourner le regard du spectacle qui s'offrit à elle. Morgane ne pouvait gâcher une seule goutte de cette magie, ni apporter la mort. Mais elle pouvait la dévoiler aux yeux de son ennemi en sachant très bien que ceux-ci n'y survivraient pas. Tonks se mit à hurler. Son cri résonna plus fort encore que le rugissement de Raymar qui protégea Harry de la lumière grâce à ses ailes. Tonks ne chercha pas à fuir, terrassé par cette envie irrépressible de voir et la douleur de s'y soustraire.

Lorsque Morgane cessa, Tonks ne voyait plus.

— QU'EST-CE QUE TU M'AS FAIT? beugla-t-elle en se roulant dans l'herbe. QU'EST-CE QUE TU M'AS FAIT?!

— Je t'ai puni.

Les hurlements de la jeune femme se mêlèrent à ses pleurs. Elle se traîna aux pieds de l'élue à tâton.

— J'en supplie, gémit-elle en s'accrochant à ses chevilles. Rends…rends-moi la vue! Ne me laisse pas comme ça!

— Je t'avais prévenu, se contenta de répondre Morgane.

Elle fit mine de s'éloigner mais Tonks la retint encore.

— ATTENDS! s'écria-t-elle. Attends! J'ai ta cape…, elle sortit, les mains tremblantes et avec des gestes maladroits la cape de sa besace. Je te la rends si tu me rends la vue. Je t'en supplie. Prends-la!

Tonks présenta la cape en offrande, aux pieds de sa légitime propriétaire. Morgane contempla son bien. Elle ne s'était pas attendu à la revoir. Elle comprit comment Tonks avait dû l'obtenir et qui elle avait torturé et tué pour s'en emparer. Le gobelin avait sans doute essayé de sauver sa vie par ce même marché. Morgane en eut la nausée.

— Non…, répondit-elle d'une voix terrible et tout le corps de Tonks se mit à trembler de désespoir. Garde-la. Sers-t'en pour te cacher. Prends le temps qu'il te faudra. Quand tu seras prête, reviens auprès de ta famille.

Tonks poussa une longue plainte et serra la cape contre sa poitrine. Son front toucha le sol. Puis, elle se mit à se balancer d'avant en arrière. Lorsqu'elle comprit ce que signifiait le silence de Morgane, Tonks se remit à hurler de rage. Elle se remit péniblement debout, cracha dans la direction de l'élue et s'enfuit à toutes jambes.

— JE TE MAUDIS! cria-t-elle. SOIS MAUDIT!

Sa voix mourut entre les arbres, au loin. Morgane la contempla courir, tomber, se relever, chercher son chemin, puis disparaître. Lorsqu'elle se retourna vers Harry, elle chercha dans son regard son approbation. Celui-ci acquiesça, l'air toutefois profondément attristé.

OoO

Le plus dur restait à venir et Morgane le savait.

Maximus n'avait pas fui et elle ne s'en étonna pas. Il s'était écarté des combats, avait attendu plus loin, en retrait, adossé à un arbre. Ils n'eurent aucun mal à le retrouver car pour une fois, il n'avait pas eu la lâcheté de sauver sa peau en priorité. Ils se présentèrent devant lui et il se leva, sans surprise de leur venue, pour leur faire face.

Morgane était terriblement lasse et il en alla de même pour Harry. Toute colère avait disparu après l'attaque de Tonks et le sort qui lui avait été lancé. Il ne restait plus que de la tristesse et de la déception dans ses yeux. Même Raymar ne grognait plus car il savait ce qu'avait accompli Maximus pour sa maîtresse. En dépit de la haine qu'il vouait au traître, il n'exprimait plus que du respect envers le sorcier qui avait affronté le détraqueur qui pourrissait le cœur de Morgane.

Encore une fois, Maximus ne s'adressa qu'à Morgane et elle comprit quelle importance elle avait pour lui.

— Je suis désolé, répéta-t-il. J'ai…été idiot. Je ne pensais pas que l'on y arriverait…je veux dire…jusqu'à la forêt de Brocéliande. Je…

— Tu as eu peur, termina Harry à sa place.

Maximus le dévisagea, surpris. Puis, il acquiesça, la tête baissée de dépit.

— Mais je n'ai plus peur maintenant. Vous devez me croire. Je…j'ai vu ce dont tu étais capable! assura-t-il à Morgane en plongeant son regard dans le sien. J'ai…j'ai vu ce que tu vois. J'ai senti…toute la force qu'il y a en toi. Je…je ne peux plus te laisser maintenant, avoua-t-il à demi-mot. Il est hors de question que je te laisse affronter ça seule!

— Elle n'est pas seule! corrigea Harry, agacé.

Raymar reprit de plus belle par un feulement du même genre.

Morgane gardait le silence. Elle savait de quoi il parlait en réalité, du secret qu'elle lui avait confié. Son cœur lui hurlait de l'écouter, de le laisser avoir encore un passe-droit sur ses sentiments. Sa tête l'emporta et Maximus le décela avant même qu'elle ne prononce sa sentence.

— Pars, dit-elle simplement.

— Non, Morgane, la supplia-t-il. Je ne peux plus m'en aller. Je suis trop concerné. Je…

— Tu nous as encore trahi, le coupa-t-elle.

Sa voix tremblait des émotions qu'elle peinait à refouler. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux et sa fierté leur interdit, par tous les moyens de couler devant lui. Maximus ouvrit la bouche pour la contredire mais ses mots restèrent bloqués dans sa gorge.

— Pars et ne reviens jamais, dit-elle plus durement.

Les bras de Maximus retombèrent. Il lança un dernier regard à Harry, même à Raymar mais ils ne s'opposèrent pas à la décision de l'élue. Il acquiesça, lourdement et le poids de sa faute pesa soudain sur ses épaules. Il ne prononça plus aucun mot car ceux-ci étaient devenus inutiles. Morgane le contempla rassembler ses affaires, ni trop vite, ni trop lentement, comme s'il était encore partagé par l'envie de rester ou de respecter sa décision. Il passa devant Harry et Raymar venus le surveiller pour qu'il ne vole plus rien d'autre. Il jeta d'ailleurs le gallion sur le duvet de Harry avant de se diriger dans la direction opposée à celle qu'avait pris Tonks.

Il s'arrêta un bref instant devant Morgane, sans oser lever les yeux vers elle car il sut qu'il n'en avait plus le droit. Pourtant, elle l'avait désiré. Au plus profond de son cœur, elle voulait qu'il la regarde une dernière fois.

Il ne le fit pas.

— J'espère que tu pourras un jour me pardonner, furent ses derniers mots.