56
PROCHAINE ÉTAPE
Les jours qui suivirent le départ de Maximus furent douloureux.
Après ces longues semaines passées ensembles, après tout ce qu'ils avaient connu dans les marécages et dans la forêt de Brocéliande, Harry et Morgane s'étaient habitués à endurer les épreuves et les malheurs à trois, et jusqu'à ce que Maximus ne disparaisse, ils ne s'étaient jamais rendu compte à quel point ce train de vie en duo, avant lui, leur pesait.
Les deux adolescents durent aller de l'avant, continuer, marcher, Raymar à leurs côtés tout aussi taiseux que ses compagnons humains. Alors que Harry se retournait de temps en temps pour guetter le retour de celui qui avait été son seul ami durant la détresse de Morgane, celle-ci marchait en tête sans jamais jeter un œil par-dessus son épaule.
Pourtant Harry savait qu'il lui manquait. Il faisait semblant de ne pas l'entendre pleurer la nuit. Et au matin, il ignorait ses yeux rouges et bouffis. Ils n'en parlaient jamais lorsqu'ils s'arrêtaient pour manger ou pour se reposer. C'était comme si Maximus ne les avait jamais suivis, qu'il n'avait jamais franchi le portail avec eux et qu'il n'avait jamais sauvé l'âme de Morgane. Harry ne savait pas quoi penser de la trahison de Maximus. Tous les soirs, autour de leur feu de camp, il touillait dans sa gamelle ce que Raymar leur avait apporté et ce que Morgane leur avait cuisiné, perdu dans ses pensées, dans un silence pesant.
Il se demanda pourquoi il les avait encore trahi. Est-ce qu'il leur avait toujours menti? Il touilla de plus belle, les sourcils froncés en se demandant s'il avait été sincère lorsqu'il leur avait crié qu'il le regrettait. Il leva les yeux vers Morgane avec le doute de sa sentence. N'aurait-il pas été mieux de lui pardonner, même pour la seconde fois? Il était toujours aussi en colère et à chaque fois qu'il se remémorait la satisfaction de sa sœur lorsqu'elle leur avait révélé sa trahison, il le haïssait de plus belle. Et pourtant, il devait bien admettre que son rire et sa nonchalance lui manquaient.
Il n'osa pas imaginer ce que devait ressentir Morgane de son côté.
Morgane passait ses soirées dans un silence absolu, allongée contre Raymar qui veillait sur elle, même dans son sommeil. Les lendemains, ils marchaient sans véritable but. Harry n'osa pas demander à sa cousine où elle pouvait bien se rendre à s'en épuiser. Il comprit bien vite qu'elle avait besoin de marcher pour oublier. Il ne chercha pas à l'en empêcher en se disant que tôt ou tard, elle finirait par lui reparler.
Cela arriva le cinquième soir.
— Il faut qu'on décide où aller…, dit-elle tout à coup les yeux fixés dans les flammes de leur feu de camp.
Harry se redressa tout à coup, réveillé lui aussi par la question qu'elle venait de poser. Il s'attendait plutôt à ce qu'elle se confie sur ses sentiments à propos de Maximus mais il se réjouit de la voir aussi alerte. À vrai dire, «alerte» était un bien grand mot. Morgane fixait le vide, plongée dans une profonde réflexion. Enfin, elle leva les yeux vers lui pour le dévisager. Harry ne put s'empêcher de sourire intérieurement. Il préférait la voir décidée que meurtrie.
— Notre objectif est de tuer le faux Merlin, non? Répondit-il sur le même ton.
Leur professeur de magie de Brocéliande les avait réprimandés pendant des semaines à chaque fois que l'un d'eux appelait leur ennemi par son propre prénom. Ils avaient promis de le qualifier de "Faux Merlin" pour ménager la susceptibilité de l'esprit. Depuis, ils en avaient pris l'habitude. Même s'ils étaient partis depuis quelque temps de ce qui avait été pendant un foyer, ils avaient gardé ce patronyme en hommage à celui qui leur avait appris la beauté de la magie.
— Le but est surtout d'atteindre Stonehenge, le corrigea Morgane. Merlin m'a dit que c'était là qu'il avait tenté de dupliquer la magie de Brocéliande. C'est là que le Faux Merlin en a aspiré toute l'essence. C'est là-bas que tout doit repartir.
— "L'élue qui ramènera la vie"... J'ai encore du mal à y croire, commenta Harry. Tu sais où c'est Stonehenge?
— Tu as encore la carte de Hugo?
Harry fouilla son sac pour la retrouver. Il la déplia précieusement dans l'herbe et les deux adolescents penchèrent la tête vers elle. Ils ignorèrent le coin supérieur droit qui leur rappela leur périple et les plus beaux souvenirs qu'ils s'étaient construits lorsqu'ils étaient encore à trois. Ils cherchèrent du doigt les dolmens de Stonehenge sans succès. Aucun des deux n'étaient capables de déchiffrer une carte de plus de deux milles ans et la seule personne un tant soit peu habile, les avaient abandonnés. Morgane soupira.
— Ça ne sert à rien… On n'y arrivera pas comme ça. Tu connais la direction de Stonehenge? demanda-t-elle à Raymar.
Celui-ci lui signifia qu'il l'ignorait par un feulement et Morgane soupira de plus belle.
— De toute façon, intervint Harry en repliant la carte avec soin, je nous vois mal débarquer à Stonehenge comme des fleurs par la voie des airs. Mes parents m'ont dit que c'était là que le Faux Merlin avait son repaire. Une sorte de grande tour blanche hyper flippante. Tu nous imagines se poser tranquillement sur la colline, taper à la porte du Faux Merlin pour lui demander s'il peut bien gentiment nous donner accès à l'ancienne source éteinte? Sans parler de tous les miliciens qu'on a laissé filer à la dernière attaque et qui ont dû avertir leur maître que tu étais sortie de la forêt plus puissante que jamais.
— Avec un peu de chance, ils ne reviendront jamais à la tour blanche par peur de devoir dire à leur maître qu'ils ont échoué.
— Tu oublies ma sœur…, lui rappela Harry.
Son ton n'était pas rancunier car Morgane avait eu peur, pendant longtemps qu'il ne lui reproche la manière dont elle l'avait punie. Peu à peu, elle en était venue à se demander si Harry n'aurait pas préféré qu'elle ne la tue pas directement. Morgane était assez perdue à propos de la relation fraternelle entre ses deux cousins. Harry n'avait pas l'air particulièrement triste mais pas en paix non plus.
— Tu crois qu'elle retournerait à la Tour Blanche? hésita Morgane.
— Si ce n'est pas elle, ça peut être aussi…
Harry hésita et préféra s'interrompre avant de prononcer le prénom interdit. Il comprit qu'il avait eu raison lorsqu'il croisa le regard noir et empli d'avertissement de la jeune fille. Elle ne dit rien non plus, méditant sur la réflexion de son cousin. Son air tout à coup triste témoignait de la grande peine qu'elle pouvait éprouver si jamais leur ancien compagnon les trahissait une dernière fois et de la pire des manières. Morgane mourrait d'envie de sortir la carte du Maraudeur pour vérifier s'il avait eu le culot de revenir à Poudlard. Heureusement, elle avait trop honte pour la demander à son cousin.
En y réfléchissant bien, elle aurait aimé avoir une carte du genre pour tout le pays. Elle saurait précisément où il se trouverait en cet instant et s'il était, oui ou non, en train de les trahir une nouvelle fois.
— On a besoin d'aide, dit tout à coup Harry.
Morgane sortit de sa rêverie. Elle se gifla mentalement d'avoir été assez bête pour oublier leur sujet de conversation pour se concentrer sur lui. Plus jamais. Il n'existait plus. Il se força à se concentrer sur son cousin.
— On a besoin de la résistance, continua-t-il.
— On ignore où ils se trouvent, tu te souviens? lui rappela Morgane.
— Oui mais les créatures de Grimstones devaient les rencontrer pour leur demander un marché.
— Tu parles de cet affreux gobelin à qui j'ai cédé ma cape…Cape qui s'est retrouvée sur les épaules de ta sœur, d'ailleurs. Alors elle l'a pris sur son cadavre, soit ils nous ont trahi et Lunegoutte la lui a cédée. Et je te rappelle que la cape ne marche que si elle est donnée de plein gré.
— C'est sûr que c'est dangereux! répliqua Harry. Mais rien ne nous dit que Tonks a trouvé Grimstone et que la ville soit tombée aux mains de Merlin. Ce n'est peut-être que Lunegoutte qui a dérapé. De toute façon, c'est notre seule piste, insista-t-il. Nous n'avons pas d'autres endroits où aller. Je crois que nous devons prendre le risque.
Comme toujours, l'idée de Harry était loin d'être bête. Morgane fut heureuse de l'avoir encore à ses côtés. Si elle s'était écoutée, elle aurait foncé tête baissée jusqu'à Stonehenge pour en finir une bonne fois pour toute. Elle réfléchit un long moment, son regard de nouveau perdu dans les flammes. Le crépitement des branches berçait ses espérances. Hugo lui avait promis qu'il sauverait son père, son dernier père encore en vie. Avait-il tenu sa promesse? Avait-il réussi à le sauver avant de disparaître? Car Morgane le savait au plus profond de son être que son oncle n'était plus. Sinon elle n'aurait pas fait ce rêve étrange.
S'ils finissaient par rejoindre les résistants, peut-être y retrouverait-elle Albus. Cet espoir fit renaître un feu ardent dans le fond de ses entrailles. Cette idée la réjouissait plus que de raisons. S'ils les retrouvaient, alors peut-être qu'elle reverrait l'un de ses pères pour lui dire au revoir.
— D'accord, fit Morgane. On prend le risque, tout en restant prudent. On va aller à Grimstone. Et puis, si jamais on tombe dans une embuscade, ce n'est pas comme si c'était la première…
OoO
Après une bonne nuit de sommeil, bien plus légère que les premières depuis qu'ils avaient quitté Brocéliande, ils prirent la voie des airs pour rejoindre Grimstone.
Raymar était ravi de dégourdir ses grandes ailes. Le temps était splendide en cette fin de printemps. L'été faisait peu à peu son entrée. Les matins étaient plus lumineux, la chaleur plus douce, et la forêt pleine de vie. Les mers vertes n'égalait en rien la beauté de ce qu'ils avaient eu la chance de côtoyer mais Morgane inspira l'air imparfait des collines, savoura la brise matinale dans ses boucles rousses et s'accrocha au pelage de Raymar tandis qu'il prenait de la hauteur.
Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas montée sur son dos et sa conversation mentale lui manquait. Il eut la décence de ne lui poser aucune question sur les sujets délicats comme la profonde tristesse tapie dans le fond de son cœur. Le départ de celui dont elle ne prononcerait jamais plus le nom masquait le grand secret que la source lui avait confié. Raymar ne pouvait ainsi la deviner même en sondant son âme. Mais Morgane avait une autre émotion puissante qui prenait le pas sur l'abandon: celle de l'espoir.
— Tu es sûr que ton père t'attend là-bas? demanda Raymar en volant près des nuages.
— Je n'en sais rien, répondit sa maîtresse.
— J'ai peur que tu ne sois déçue.
— Je me suis déjà préparée au pire. Je sais que mon autre père est mort. Il ne me reste que Albus. Je dois y croire encore.
Elle serra les poings dans sa fourrure et il se tut pour ne pas réveiller de vieilles blessures. Morgane se força à ne pas penser à Liam. Elle ne l'avait plus fait depuis que Lancelot lui avait annoncé son décès dans cette horrible geôle car elle n'aurait pas supporté son souvenir. Elle ne voulait se concentrer que sur la seule famille qu'il lui restait. L'espoir était mince mais réel et si elle avait la possibilité de la saisir, alors elle tenterait tout ce qui était en son pouvoir pour le retrouver.
Ils volèrent de nombreuses heures. Morgane s'étonna de ne plus entendre son cousin à l'arrière et se retourna pour le surprendre en train d'analyser la Carte du Maraudeur. Morgane n'eut pas besoin de lui poser la question pour savoir ce qu'il était en train de faire. La même idée leur avait traversé l'esprit. Lorsque Harry croisa le regard de Morgane, il chiffonna rapidement la carte qu'il rangea dans sa poche.
— Tu sais, tu n'es pas obligé de te cacher, ironisa Morgane.
— Ce n'est pas ce que tu crois! J'étais…j'étais en train de vérifier si elle marchait toujours.
— C'est ça… Tu…
Morgane s'interrompit car elle perçut l'angoisse soudain de son griffon. Elle tourna la tête et entendit le cri d'alerte de Raymar dans sa tête. Une énorme main faite d'un amas de peaux, de terre et de roche tentait de les saisir comme s'il cherchait à faire prisonnier un insecte gênant. Le cri d'horreur de Morgane mourut dans sa gorge. Harry lâcha un gros mot et Raymar vira dangereusement pour éviter les doigts boudinés du géant.
— NOTRE TERRITOIRE! rugit la créature dans l'esprit de Morgane. PAS DE MERLIN!
— NOUS NE SOMMES PAS DES HOMMES DE MERLIN! hurla-t-elle sans savoir si la créature gigantesque pouvait l'entendre.
Elle s'accrocha de toutes ses forces au pelage de son griffon qui piqua, remonta en flèche, zigzagua entre les tentatives lente mais dévastatrices des mains tendues du géant. À chaque fois que celui-ci claquait ses paumes l'une contre l'autre, cela provoquait une onde de choc qui déstabilisait le plan de vol du griffon. Raymar peinait à retrouver son équilibre et les deux adolescents manquèrent plusieurs fois de basculer dans le vide.
— On a eu chaud…, commenta Harry avec un sourire.
Son sourire amusé disparut lorsque l'énorme main fusa au-dessus de la tête de Morgane pour se saisir d'une proie, même minuscule. Harry eut le souffle coupé lorsque l'un des doigts rocheux le poussa du lion ailé pour le projeter dans le vide. Sa cousine devint blême en observant sa petite silhouette gigoter dans le vide, filant à toutes vitesses vers le sol.
— HARRY! hurla Morgane.
Raymar esquiva une nouvelle tentative et profita de l'onde pour piquer vers Harry, aile rétractée vers son flanc, pattes en avant. Il fusait à toute allure vers le sorcier et Morgane l'encourageait de toutes ses forces. Harry hurlait toujours et lorsqu'il fut sur le point de se fracasser contre les branches, Morgane décida d'agir. Elle sortit la baguette de Grim et se concentra sur son sort. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la vitesse de Harry avait nettement diminué. Il poussa toutefois un horrible grognement lorsqu'il tomba sur la première branche épineuse.
Son hurlement devint une série de petits cris à mesure qu'il se cognait aux obstacles comme une bille dans un jeu de plateformes. Raymar vola avec plus de grâce sous les arbres et atterrit non loin de lui. Harry était allongé dans l'herbe au pied d'un grand chêne, les cheveux et les habits couverts de brindilles et de feuilles. Au moins, le géant ne cherchait plus à les écraser et ses énormes jambes étaient assez loin de leur position pour ne pas s'en soucier pour le moment.
Prise de panique, Morgane bondit de Raymar pour se précipiter sur son cousin. Celui-ci ne s'était toujours pas relevé.
— Harry, ça va? demanda-t-elle en l'auscultant.
— Aïe! Répondit-il.
Il finit par se redresser en se massant les avants-bras. Il allait avoir de sérieux bleus mais il n'avait, fort heureusement, rien de cassé. Morgane l'aida à se relever et Raymar se mit à lécher son pelage, là où les mains crasseuses du géant l'avaient effleurées.
— J'espère que c'est la dernière fois que je tombe dans le vide, grimaça Harry. C'était quoi?
— Un géant, je crois…
Harry devint encore plus blême.
— Tu es sérieuse?
— Je l'ai entendu dans ma tête. Ils nous a pris pour des miliciens. Il protégeait son territoire.
— Mais qu'est-ce qu'il fiche ici?! Les géants sont bien plus à l'ouest, dans les collines et les montagnes. Ils n'ont rien à faire ici.
Il épousseta les branchages et vieilles feuilles tout en scrutant les énormes jambes anguleuses à quelques mètres d'eux.
— Tu crois qu'on peut le contourner?
— À pieds, peut-être…
Tout à coup, Raymar se mit à gronder, ses yeux sombres braqués vers le sous-bois. Aussitôt, il se mit en position d'attaque. Harry et Morgane sortirent leurs baguettes, fin prêts. Ils furent bientôt encerclés par une dizaine de gobelins. Tous étaient vêtus d'armures, de casques et ils tenaient une lance, une épée et certains des boucliers ouvragés. Ils s'avancèrent en formation, guidés par un vieux gobelin que Morgane n'eut aucun mal à reconnaître.
— Girga! s'exclama-t-elle en baissant immédiatement sa baguette.
Le vieux gobelin sonda les adolescents, puis le griffon. Il eut un petit sourire, toujours effrayant chez ce genre de créature. Il abaissa à son tour sa petite épée et indiqua à ses compagnons de faire de même. Morgane ne sut pas pourquoi mais elle était réellement heureuse de le retrouver.
L'ambiance n'était ni joyeuse, ni détendue. Même si Girga avait l'air le plus content de les retrouver, ses compagnons avaient la même méfiance que le jeune Noak qui n'était pas parmi eux. Beaucoup d'entre eux avaient leurs petites mains griffues toujours serrées sur leurs longues lances. Girga s'approcha d'eux alors que les autres se tinrent à bonne distance, surtout de Raymar qui n'avait pas arrêté son terrible feulement.
— Miss Potter, la salua-t-il par une petite révérence. Nous ne pensions plus vous croiser.
— Nous non plus, commenta Harry.
— Vous avez l'air changés.
Toute l'attention de Girga était fixée sur Morgane. Ses petits yeux sombres s'étaient arrêtés sur la baguette que lui avait fabriquée Grim mais la jeune fille se demanda s'il ne captait pas les émanations de celle offerte par la source. Son regard la mit mal à l'aise.
— Euh…Faites attention, dit-elle. Il y a un géant dans les parages.
— Nous le savons très bien, répondit Girga.
— Il est avec vous? comprit Harry.
Girga acquiesça sans se défaire de son sourire effrayant. Morgane trouva qu'ils avaient l'air beaucoup plus sûrs d'eux que lorsqu'elle les avait rencontrés pour la première fois.
— Les gobelins et les géants travaillent ensemble depuis le retour du roi.
— Le roi? s'étonne Morgane. Vous parlez de Lunegoutte? Il est revenu de chez les résistants?
Son cœur se gonfla d'espoir. Si Kreattur et Lunegoutte étaient de retour de la base des sorciers, ils devaient avoir reçu des nouvelles de son père. Mais l'air triste de Girga fit tomber une pierre dans ses entrailles.
— Maître Lunegoutte nous a quittés, attaqué par la fille chevalier. Nous avons perdu beaucoup d'hommes et surtout notre armement. Il nous a fallu un autre mois pour tout forger à nouveau mais nous sommes loin de nos premiers quotas. Heureusement, le roi assure notre protection dorénavant dans cette région.
— Qui est ce roi? demanda Morgane, méfiante.
Le sourire de Girga s'élargit de plus en plus, ce qui ne disait rien de bon.
— Vous le rencontrerez bien assez tôt, dit-il sur un ton bien mystérieux. Mais avant cela, vous devez savoir que votre père est ici.
OoO
— Ce canasson n'écoute rien! s'écria Dron en agitant son poing, d'un air menaçant.
Liam leva les yeux au ciel tout comme Alcades, l'émissaire centaure, cible du courroux du vieux gobelin et forgeron. Il en était ainsi tous les jours depuis des semaines. Depuis que Liam et Albus avaient fait leur entrée à Grimstone, entrée introduite par la légendaire diplomatie de Bill. Il fallut beaucoup de temps et de patience pour que les créatures (et surtout les gobelins) daignent accepter le nouveau statut de Liam. Bien sûr, comme tous leurs congénères, ils furent fascinés par l'aura du moldu hors norme. Evidemment, ils reconnurent tous, au plus profond de leur instinct, la magie ancestrale qui coulait dans leur veine. Et si la plupart eurent la sagesse et la prudence de l'accepter comme souverain, d'autres furent plus difficiles à convaincre.
Fort heureusement pour lui, le cadeau de l'ossement de dragon fut accueilli comme un somptueux présent. Les maîtres forgerons lorgnèrent sur le squelette comme sur une montagne d'or dans leur ancien bastion sur le chemin de Traverse. Il y eut un conseil, mené par les gobelins les plus éminents ainsi que par Liam et Bill. Albus n'eut pas le droit d'y assister, relégué au rang de sorcier déchu. Les négociations prirent plusieurs jours, longs, ponctués de cris de colère, de médisance et parfois d'insultes. Au bout du compte, ils réussirent à faire promettre aux gobelins leur allégeance le temps de la guerre et ils se mirent aussitôt au travail. Les ossements furent distribués entre les gobelins artisans ainsi que pour les Botruc qui promirent les plus belles et puissantes baguettes jamais fabriquées.
Avec son nouveau titre, Liam dut organiser la base, veiller à l'entente des diverses races. Il comprit toute la difficulté et la fatigue du rôle d'un hécateri. Les centaures et les gobelins se haïssaient, les géants se sentaient méprisés par les autres races et toutes les autres créatures n'en faisaient qu'à leur tête. Liam dut courir pendant des heures derrière un troupeau de niffleur qui avait fait main basse sur la matière première des gobelins. Ceux-ci l'avaient menacé de grève s'il ne trouvait pas une solution. Liam réussit à distraire ces créatures avec l'aide d'Albus comme l'on piège des chats joueurs. Une petite lumière brillante dans un trou et le tour était joué.
Ainsi allait ses journées. Un problème après l'autre. Il dut réfléchir à sécuriser le territoire. Il craignit d'abord que le déplacement des géants n'attire trop l'attention des miliciens. Mais Liam se rendit très vite compte que ceux-ci avaient déserté leur poste. Les centaures arrivèrent la deuxième semaine. Ce n'était pas la harde de Firenze mais de proches parents, envoyés par ce dernier. Il avait lu dans les astres le couronnement du nouveau roi et s'était empressé de rassembler les forces pour le dernier combat. Alcades, le chef de la harde, un épais centaure au crin aussi blanc que la neige, lui tendit un message de son maître.
"Mars brille dans le ciel. La dernière étoile va bientôt dévoiler sa lumière. Prépare-toi."
Cela n'annonçait rien de bon mais Liam s'était senti soutenu par son vieux professeur. Celui-ci avait fédéré les centaures et au moins, le dernier représentant des hécatéris n'avait pas eu besoin de les convaincre de se joindre à eux.
Aujourd'hui, il devait se concentrer sur le transport des armes. Bill était déjà parti avec un premier chargement sur le dos d'Iro. Mais le second devait partir bientôt. Liam avait envoyé plusieurs groupes de gobelins armés et entraînés pour surveiller les routes. Ils devaient les prévenir s'ils rencontraient la moindre résistance. Pour l'instant, personne n'était venu s'approcher de Grimstone, pas même Tonks. Liam discutait en ce moment avec les représentants des centaures et des gobelins en vue du long voyage qui les attendait jusqu'à la base des résistants.
Comme d'habitude, Dron ronchonnait.
— Je leur ai dit, croassa-t-il de sa voix cassée et désagréable. Je leur ai dit maintes et maintes fois qu'ils n'étaient pas question qu'ils transportent nos biens sur leur dos. Ils doivent tirer les charrettes comme les chevaux qu'ils sont!
Liam grimaça. Albus lui avait expliqué en long, en large et en travers à quel point les centaures détestaient qu'on les compare à de vulgaires chevaux. Comme il l'avait prévu, Alcades frappa le sol de son sabot et son visage s'empourpra de belle couleur qui trahirent sa fureur. Dron ne se laissa pas démonter et Liam trouva qu'il avait beaucoup d'aplomb pour une si petite créature. Il regretta de n'avoir ni Albus, ni Bill à ses côtés. Albus était trop occupé à étudier les fresques des légendaires galeries de la ville cachée, tandis que Bill volait encore en direction de la base rebelle. Il aurait été si facile pour lui de leur donner l'ordre de lui obéir aveuglément mais son compagnon aurait été très déçu de lui.
— Comment osez-vous?! tonna Alcades en s'approchant dangereusement de Dron pour le piétiner sauvagement.
— Du calme! s'interposa Liam. Nous pouvons trouver une solution. Dron, les centaures ne sont pas un moyen de locomotion, c'est clair? Que diriez-vous si je vous disais de transporter les botrucs sur vos épaules pour moins les fatiguer?
Le gobelin s'étrangla de dégoût. Sa peau grise et ridée prit une jolie teinte rosée. Ses longs poils qui lui sortaient des oreilles se mirent à frémir. Liam sourit.
— Aucune de vos dignités ne se trouvera bafouée, assura Liam. Nous pouvons faire appel à d'autres créatures pour le transport, celles qui se porteront volontaires. Dron, je préférerai que vous restiez au bastion de Grimstone, en sécurité. Seuls les plus courageux d'entre vous nous accompagneront, tout comme pour les centaures.
— Nous vous suivrons tous, répondit Alcades en s'inclinant devant son roi.
Dron le prit comme une insulte. Il serra ses petits poings et ses yeux méchants se plissèrent.
— Nous sommes aussi courageux chez les gobelins, renchérit-il pour ne pas perdre la face devant la race qu'il méprisait le plus. Nous viendrons avec vous et nous nous battrons!
Après ce tour de passe passe, les deux créatures furent beaucoup plus réceptives aux directives de Liam. Il fallut un bon moment pour qu'ils se mettent d'accord quant au chargement des armes. Puis, enfin, ils prirent congé de leur roi. Liam était affamé, exténué et terriblement las. Il avait hâte d'en finir avec tout ça.
Il sortit de la principale galerie de Grimstone pour sortir au grand jour. L'entrée de la grotte était gardée par deux centaures et deux gobelins. Les loups prenaient le relais la nuit tombée. Liam ne les aimait pas, en grande partie à cause de la nature de leur magie. Mais toute aide était la bienvenue. Les centaures étaient venus en masse et avaient établi leur camp un peu partout dans la forêt. Les géants avaient commencé leur marche vers les coordonnées indiquées par Liam. La terre tremblait à chacun de leur pas. Selon les instructions de Liam, ils se déplaçaient la nuit, se reposaient le jour, attendaient au point voulu par leur nouveau Gurg.
Il traversa plusieurs campements de centaures. Il avait besoin de s'éloigner de tout cela, juste une petite heure. Les effluves de magie de chaque créature était comme un signal répété à l'infini. Il en avait de terribles migraines et devait de temps en temps s'isoler pour calmer sa magie qui s'affolait à leur contact. Liam avait trouvé une petite clairière retranchée. Elle était calme, paisible. Un ruisseau coulait non loin et il se focalisait sur le bruit de l'écoulement de l'eau pour se concentrer. Il se savait en sécurité. Deux de ses plus loyaux compagnons centaures le surveillaient de loin, munis d'arc et de flèches.
Au centre de cette clairière, il eut envie d'hurler sa frustration. À la place, il se frotta le visage, serra les poing et se passa les mains dans ses cheveux bruns devenus un peu trop longs à son goût. Son sang bouillonnait encore de la magie ambiante. Plus il rassemblait des créatures magiques autour de lui et plus sa propre puissance devenait instable. Il avait un besoin vital de se calmer.
Liam pensa à sa fille. Il se remémora ses bons souvenirs. C'était la seule chose qui réussissait à le calmer complètement. Quand tout cela serait fini, il pourrait se remettre en route pour la retrouver. Quand toutes les créatures à son service seraient en chemin vers la base des rebelles, il pourrait partir avec Albus vers leur véritable objectif.
Il avait fermé les yeux pour se répéter ce mantra. Lorsqu'il les rouvrit, il était plus calme. Il ne s'aperçut pas tout de suite du groupe qui marchait à pas lents vers lui.
Liam ne comprit pas tout de suite qui lui faisait face à plusieurs mètres de sa position, encore à l'orée de la forêt, entourée de gobelins. Il ne remarqua pas tout de suite l'immense lion aux ailes blanches qui les suivait de près. Il contempla, sans réaliser ni trop y croire, la silhouette féminine et rousse qui s'avançait dans sa direction. Instinctivement, il avait scruté l'immense clarté qui entourait la nouvelle venue, quelque chose de puissant, incroyablement pur et de familier. Il ignorait qui ou quelle créature magnifique pouvait émettre une telle lumière.
Ce fut au son de sa voix qu'il reprit ses esprits.
— PAPA!
Il ne vit plus la lumière. Il reconnut sa posture, son hésitation, ses boucles rousses qui s'affolèrent autour de son visage tandis qu'elle se mit à courir. Il reconnut la voix de sa fille qui criait inlassablement le nom par lequel elle l'avait qualifié toute sa vie.
— PAPA! cria-t-elle encore, sa voix brisée par ses pleurs.
— MORGANE! hurla-t-il à son tour.
Et il se mit lui aussi à courir.
Le père et la fille se rejoignirent et tous les autres s'étaient immobilisés. Liam la serra dans ses bras. Il en rêvait depuis des mois, depuis le jour où il l'avait perdu. Il la serra encore et encore, tremblant de tous ses membres à l'idée de l'avoir enfin retrouvé. Morgane s'accrochait à son cou, pleurait sur son épaule. Ses larmes ne cessaient plus de couler et Liam eut du mal à retenir les siennes.
Il la libéra et prit son visage entre ses mains. Sa fille avait grandi. Ses yeux bleus étaient emplis de larmes. Sa bouche se tordait par l'émotion et ses sanglots. Elle essayait de prononcer des mots mais en était incapable. Elle s'accrochait désespérément à son vêtement et Liam se laissa emporter par une bouffée d'amour pour sa petite fille qui revenait enfin vers lui.
— Tu vas bien? demanda-t-il la voix tout aussi tremblante que celle de sa fille.
— J'ai…j'ai cru que tu étais mort, gémit-elle. Il m'avait dit que tu étais mort!
— Je suis coriace, rit-il.
Il la prit encore dans ses bras et elle pleura de plus belle. Liam ne pouvait plus s'empêcher de sourire. Il la consola comme dans le temps. Il lui caressa les cheveux jusqu'à ce qu'elle se calme. Puis, il l'admira encore. Il aurait pu faire cela toute la journée.
— Tu es devenue tellement forte! sourit-il.
Morgane sourit à son tour, ses joues encore humides de ses larmes.
— C'est parce que je suis ta fille, répondit-elle.
Liam craqua. Il éclata de rire et de sanglots. Les larmes coulèrent sur ses propres joues. Il la serra dans ses bras, encore et encore, pour la couvrir de baisers.
— Je suis si fier de toi, lui murmura-t-il.
OoO
Morgane entra de nouveau à Grimstone. Cependant, cette fois-ci était bien différente de la première fois. Lorsqu'elle pénétra dans la galerie principale aux côtés de son père et de son cousin, elle fut surprise de voir les gobelins et les centaures s'incliner devant lui. La jeune fille n'osa pas poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. De toute façon, elle n'en eut pas réellement l'occasion. Liam l'interrogea sur son périple et Harry s'empressa de raconter leurs aventures avec beaucoup de détails inutiles. Son père l'écoutait avec attention tout en gardant une main protectrice sur l'épaule de sa fille comme s'il craignait qu'elle ne disparaisse à nouveau.
La délégation des gobelins les suivait de près lorsqu'ils traversèrent le pont jusqu'à l'immense bâtisse de l'ancien trône de Lunegoutte. Son père lui avait d'ailleurs relaté ce qu'il avait découvert en arrivant ici et Harry se dépêcha de rebondir sur l'attaque de Tonks dans les bois.
— C'est elle qui a la cape maintenant mais je doute qu'elle revienne un jour, expliqua-t-il. Il faut savoir que Tonks a toujours eu un grain, dit Harry en mimant le geste de la folie. Déjà petite, elle s'amusait à torturer ses poupées. Mais on ne l'aurait jamais recroisée si Maximus ne vous avait pas vendu…
Il s'interrompit en croisant le regard de Morgane. Il avait enfreint l'une de leurs règles tacites. Il avait prononcé le nom interdit. Liam sentit la tension soudaine qui s'était installée entre les deux adolescents.
— C'est qui ce Maximus? demanda-t-il, soupçonneux.
Morgane se mit à rougir de la base de son cou à la racine de ses cheveux. Harry s'empressa de répondre, l'air de rien.
— C'était un élève à Poudlard qui nous a un peu aidé. Mais il nous a lâché quand Tonks nous a attaqués.
— Et bien, commenta Liam. On peut dire que ce n'est pas une grosse perte.
Les lourdes portes dorées s'ouvrirent devant eux et Morgane s'immobilisa en son seuil. Son deuxième père se tenait au centre du grand hall dallé. Il était en train de converser avec un vieux gobelin, un grimoire à la main, comme dans ses souvenirs. Morgane remarqua qu'il avait maigri mais son visage était souriant, ses yeux rieurs. Il ne l'avait pas encore remarqué.
— Je voulais t'en faire la surprise, lui chuchota Liam à l'oreille. Al! appela-t-il plus fort.
Albus se retourna, comme agacé d'être ainsi dérangé dans sa passionnante discussion. Son expression se décomposa lorsqu'il reconnut sa fille. Celle-ci lui sourit, les larmes aux yeux. Elle pensait pourtant avoir assez pleuré pour la journée.
— Morgane! souffla-t-il.
Il en lâcha son grimoire qui s'écrasa lourdement sur le sol. Morgane ne pouvait plus se défaire de son large sourire. Elle courut dans ses bras et son père l'embrassa de plus belle.
— Mais…, bégaya-t-il, terrassé par l'émotion. Comment…tu…quoi?
Il leva la tête vers son compagnon et celui-ci n'avait jamais été aussi rayonnant. Albus éclata de rire, ému lui aussi. Il souleva sa fille dans ses bras même si l'effort lui coûtait. Il rit en savourant son étreinte, pour se rassurer qu'il ne s'agissait pas d'un rêve.
— Tu m'as tellement manquée! bafouilla-t-il. Je…je suis tellement désolé de t'avoir imposé ça. Tu as dû avoir tellement peur!
— J'ai fait ce que tu m'as appris, répondit-elle contre son épaule. Mais j'ai eu si peur de ne plus jamais vous voir.
Liam s'approcha à son tour et la petite famille se réunit dans une folle étreinte qui n'avait plus eu lieu depuis trop longtemps. Morgane profita de la chaleur et de l'amour de ses deux pères, enfin réunis. Ils la serrèrent dans leurs bras comme le plus beau présent qu'ils leur avaient été faits. Morgane partagea leur amour, leur joie, leur peur et leur espoir. Tout irait beaucoup mieux à présent, car ils étaient enfin ensemble.
Lorsqu'elle se défit de leur étreinte, Morgane croisa le regard rusé de Girga. Son air suffisant l'agaça car il perturbait son bonheur.
— Pourquoi ne pas m'avoir dit que mes deux pères étaient là?
Morgane n'était pas au fait des mœurs des gobelins. Elle ignorait si leur culture refusait l'amour entre deux hommes. Peut-être était-ce pour cette raison que le vieux gobelin l'avait induit en erreur. Mais Girga se mit à nier de la tête.
— Je ne parlais pas d'eux, répondit-il en s'inclinant.
— De qui alors…
Elle s'interrompit. Son sang se figea dans ses veines. Son estomac se révulsa. Elle se raidit dans les bras de ses pères. Ceux-ci le comprirent immédiatement. Ils la relâchèrent doucement, leurs regards inquiets. Liam s'était brusqué à son tour, son visage fermé et Morgane lui reconnut son expression des mauvais jours lorsqu'un sujet le mettait dans une telle fureur qu'il valait mieux de pas l'aborder avec lui. Albus était gêné, ce qui n'annonçait rien de bon. Le sorcier présenta à sa fille un visage terriblement las et déprimé.
Elle savait déjà ce qu'il allait lui révéler mais se refusait à l'entendre. Elle se força toutefois à l'écouter alors qu'il plongeait ses grands yeux verts dans les siens.
— Morgane…, commença-t-il avec beaucoup de difficultés. Scorpius est ici…
