- On a de la chance que Yukimura soit absent aujourd'hui. Résultat, on a fini à quatorze heures au lieu de seize ! S'exclama Scott, radieux.
Pas qu'il n'aimait pas le père de sa petite-amie kitsune, Kira, mais il fallait avouer que l'absence d'un professeur était toujours la bienvenue. La jeune asiatique sourit d'un air moqueur.
- Ne te fais pas d'illusions, il sera là demain. Il m'avait dit hier qu'il avait une réunion cet après-midi, dit-elle sournoisement.
Scott eut l'air outré.
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? S'écria-t-il.
- J'aime bien te voir aussi désespéré à l'idée d'avoir histoire, rit-elle.
- Si j'avais su, je serais directement rentré chez moi, maugréa Stiles.
L'hyperactif marchait à côté du couple depuis qu'ils étaient sortis de leur cours de littérature et qu'on leur avait annoncé la bonne nouvelle.
- À qui le dis-tu, soupira Lydia, son habituel air ennuyé collé au visage en les rejoignant.
Kira, quant à elle, continuait de sourire, accrochée au bras de Scott. Ils avaient officialisé leur relation il y a peu, mais Stiles était déjà agacé au possible car les deux êtres surnaturels qui ne se lâchaient pas d'une semelle lui rappelaient un peu trop qu'il était toujours le même célibataire. Il avait bien tenté une relation avec Malia, mais ça n'avait pas duré et ils étaient restés amis. Après plusieurs semaines de couple, la coyote en avait eu assez de voir Stiles refuser sans arrêt ses avances. Il y avait bien eu cette fois, à Eichen House, où les deux avaient dérapé, mais cela ne s'était jamais reproduit. Ce jour-là, Stiles n'était pas vraiment lui-même, partiellement possédé par le Nogitsune. Depuis qu'on l'en avait débarrassé, le jeune homme avait complètement repris le contrôle de sa personne et plus jamais il n'avait pu toucher intimement Malia, tout comme il l'avait empêchée de le toucher, lui. C'était plus fort que lui, il n'y arrivait pas, même après toutes ces années.
Stiles soupira et se mentalisa : hors de question d'y penser. Il se mit à entamer une discussion sans queue ni tête avec Lydia qui le regarda, les yeux ronds, avant de hausser les épaules : Stiles avait toujours été particulier, ce n'était pas aujourd'hui que ça allait changer. Cette petite technique toute simple eut le mérite de fonctionner. La distraction qu'elle lui apporta lui permit de penser à autre chose.
Alors que les quatre amis avançaient en direction du parking, le regard de Stiles fut attiré par une silhouette sur le côté. Un homme discutait avec son père, présent à l'autre bout du parking. Sa stature et sa silhouette si reconnaissables firent frissonner Stiles. Il se mentalisa en se disant qu'il ne fallait pas voir ses démons partout. C'était sans doute une erreur, il avait mal vu. Son monde s'écroula lorsque la personne se retourna pour, sans doute, gagner sa propre voiture. Il se figea instantanément, arrêtant soudainement de marcher. Ses yeux grands ouverts trahissaient son choc profond, mais sans doute pas la douleur mentale qui ressurgissait violemment. Il reconnut aisément ce visage carré à l'air adorable, ces yeux noirs, ce menton prononcé, ces cheveux blonds. Son démon. Son cœur se mit à battre la chamade et l'air commença à lui manquer.
- Stiles ? L'appela une voix féminine qu'il ne reconnut pas tout de suite.
L'interpelé recula de deux pas, au bord de la crise de panique. Il voulait s'enfuir, quitter cet endroit le plus vite possible, s'éloigner avant que cet homme ne le remarque. Avant qu'il ne s'avance vers lui, ne fasse ce sourire mielleux qui trompait tout le monde et ne se débrouille pour se retrouver seul avec lui. Avant qu'il ne le détruise.
- Stiles !
Une voix masculine, cette fois. Scott. Stiles reprit pied, revint à la réalité et releva la tête vers son meilleur ami. Il s'était placé devant lui et un air inquiet tordait son visage de beau gosse. Plus en retrait, Kira le regardait également. À ses côtés, Lydia avait les sourcils légèrement froncés. Stiles jeta un regard rapide dans la direction de son père. L'homme venait de gagner sa voiture et il était en train de démarrer.
- Stiles, ça va ? Lui demanda Scott, une main sur son épaule.
Sans un sourire, l'hyperactif lui répondit rapidement :
- Oui, oui, ça va… Désolé, j'ai eu une absence…
Mais Scott avait entendu le cœur de son meilleur ami. C'était son emballement soudain qui l'avait fait se retourner sans attendre vers lui. Kira ne l'avait pas entendu tout de suite mais l'avait suivi. Lydia l'avait simplement vu s'arrêter d'un seul coup. L'odeur que dégageait Stiles n'échappa pas à l'odorat surdéveloppé de l'alpha, qui n'avait pas rompu le contact physique. De la peur et de la douleur. C'était si soudain. Pourquoi ? Qu'est-ce que c'était ? Scott n'en avait aucune idée mais comptait bien le découvrir. Cependant, pour l'heure, il sentait qu'il ne valait mieux pas forcer Stiles à dire quoi que ce soit. Il était hors de question qu'il le brusque. Rares étaient les fois où il l'avait aperçu aussi bouleversé. Car Stiles avait déjà enfilé un masque, faisant disparaître toute trace de choc de son visage. Son odeur, elle, n'avait absolument pas changé.
Scott sentait toujours la terreur de Stiles. Elle le prenait aux tripes comme jamais auparavant.
Très vite, Stiles dissipa la gêne de ce moment en démarrant un nouveau sujet de discussion. Une vingtaine de minutes plus tard, le jeune homme dit au revoir à ses amis et monta dans sa voiture. Sur la route, il se gifla intérieurement. Il avait paniqué beaucoup trop facilement. Ce n'était sans doute pas lui qu'il avait vu, mais quelqu'un d'autre qui lui ressemblait beaucoup. Ce n'était pas possible qu'il soit ici, à Beacon Hills. Pas après ce qu'il s'était passé sept ans auparavant… Stiles souffla bruyamment. Dire qu'il était passé au bord de la crise de panique devant ses amis… Il avait vraiment honte. Déjà qu'il était le seul réel humain de la bande, s'il pouvait éviter de se montrer encore plus faible que d'ordinaire, ce serait bien. Il se passa une main sur le visage avant de se reconcentrer sur la route. Le tressautement de sa jambe trahissait son stress et Stiles espérait réellement s'être trompé. Si ce n'était pas le cas, le jeune homme ne savait absolument pas ce qu'il pourrait faire. Sombrer ? Possiblement. Mais Stiles voulait arriver à dépasser tout ça et vivre, véritablement. Il le voulait cependant, y arriverait-il ? Il n'en avait absolument aucune idée.
Stiles se gara à sa place habituelle et pénétra à l'intérieur de la maison qui était la sienne et s'arrêta au milieu du couloir. Rêvait-il ou entendait-il son père parler avec quelqu'un ? Pour en avoir le cœur net, Stiles partit vite déposer son sac dans sa chambre avant de descendre et de débarquer dans le salon. Son sang se glaça et l'horreur le prit. Néanmoins, le jeune homme ne pouvait pas montrer entièrement ce qu'il ressentait. Car son père était là. En sa présence, il n'avait plus le droit de montrer ce qui le torturait depuis des années.
- Ah, Stiles, te voilà ! Mon meilleur ami, Émile, est de passage en ville pour quelques jours. On a une enquête en commun. Je sais que tu ne le portes pas dans ton cœur, mais j'espère que tu sauras te tenir, contrairement à la dernière fois.
La voix de Noah Stilinski était dure mais c'était nécessaire. Son fils avait été à l'origine d'un tel grabuge quelques années plus tôt que, concernant cette affaire, il se montrait intransigeant. Il y a sept ans, Stiles avait perdu la confiance de son père en faisant ce qui lui avait paru juste et nécessaire, à cette époque-là. Après tout, n'était-ce pas son père qui lui avait appris à parler, à prévenir la police s'il avait un problème d'envergure ? Alors, c'était ce que l'hyperactif avait fait et tout lui était retombé dessus.
Il se souvenait encore de ce jour humiliant où son père l'avait traîné de force au poste pour présenter des excuses qui n'avaient pas lieu d'être. Stiles serra les poings. La justice était aléatoire. Et lui vivait depuis sept ans avec un traumatisme qu'il essayait désespérément d'oublier. Voilà que la raison de ses cauchemars se trouvait devant lui. Stiles eut envie d'hurler mais fit tout pour ne rien laisser paraître. Comment ce monstre pouvait-il être assis si sereinement sur le canapé ? Comment pouvait-il sourire à Noah Stilinski avec une telle facilité sans montrer son vrai visage ? Stiles avait envie de vomir. De fuir. D'oublier.
Il se contenta d'hocher la tête par rapport aux paroles de son père et se dépêcha de monter dans sa chambre pour échapper à la vue d'Émile, qui ne l'avait pas quitté des yeux depuis son entrée dans le salon.
- Ton fils a bien grandi, Noah. Un beau jeune homme, entendit Stiles avant de fermer précipitamment la porte de sa chambre.
À cet instant seulement, les jambes de l'adolescent se dérobèrent sous son poids et il s'effondra sur le sol, à côté de son lit. Il se recroquevilla sur lui-même et s'autorisa à relâcher ses émotions. Il était terrifié à tel point qu'il tremblait. Les yeux larmoyants, Stiles se dépêcha de dégainer son téléphone avant de ne plus en être capable. Il était au bord de la crise de panique, il devait agir rapidement. Hors de question que l'hyperactif reste ici alors qu'il savait très bien que Noah avait sans doute offert le gîte et le couvert à son meilleur ami. Stiles avait besoin du sien.
Scott. Ou quelqu'un d'autre, peu importe.
Fébrilement et toujours au sol, Stiles essaya tant bien que mal d'écrire un message correct. Sa vue se brouillait, ses doigts perdaient leur force, l'air commençait à lui manquer. La terreur était en train de le paralyser, au même rythme que la vitesse à laquelle certains souvenirs remontaient à la surface. Les larmes coulèrent toutes seules tandis que Stiles essayait désespérément de repousser la crise de panique, mais elle était si forte qu'il ne put écrire quoi que ce soit de cohérent. Ses mains tremblaient, à tel point que son téléphone finit rapidement au sol, ouvert sur un message inachevé qu'il ne réussit pas à envoyer tant la panique l'empêchait de se contrôler.
Et puis l'enfer était aux portes de sa chambre et le diable n'allait pas tarder à y entrer.
Stiles se traîna comme il le put jusqu'à son lit mais fut incapable de se hisser dessus et ce fut pire quand la porte de sa chambre s'ouvrit sur celui qui était son cauchemar personnel depuis de longues années. Des années durant lesquelles il s'était repu de son absence qui avait été plus que bienvenue.
- Et si on discutait, Stiles ?
Son sourire était carnassier.
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Stiles ouvrit brusquement les yeux. Il faisait nuit et il était là, allongé dans son lit, sous ses couvertures. Il suait et ne se sentait pas tranquille tandis qu'une étrange lourdeur avait pris place autour de son corps… Autour de son corps ? Les sensations se firent plus claires et il finit par sentir le bras passé autour de lui et le corps allongé contre le sien. Aussitôt, il se figea et n'eut qu'une envie : hurler. Il était là, dans son lit, avec lui, la main passée sous son t-shirt, caressant sa peau avec une sadique lenteur.
- Sors de mon lit… Osa-t-il souffler, terrifié.
Stiles aurait aimé bouger pour accompagner ses paroles, se débattre, mais il en était incapable. Avant qu'il perde connaissance – non, il ne s'était pas simplement endormi –, Emile Chabrier, policier, avait bel et bien discuté avec lui. Il avait mené la conversation et regardé Stiles se démener pour sortir de sa crise de panique. Ah ! Quel bonheur de l'avoir vu aussi faible rien qu'à l'idée de le savoir ici.
Pour toute réponse, une main s'écrasa sur sa bouche tandis que deux lèvres s'approchaient de son oreille pour susurrer :
- Ose me répéter ça.
Mais Stiles ne le fit pas, reconnaissant très bien la menace dans le ton bas et grave de l'homme qui se serrait contre lui. Pour l'instant, il était soft. Si Stiles faisait une erreur, disait un mot de travers, l'individu ne se gênerait pas pour le lui faire payer. Il le savait, il en était atrocement conscient et il ne pouvait de toute manière rien répondre : la main trop caleuse agissait comme un parfait bâillon qui étoufferait efficacement n'importe quel cri.
- Tu es à ma merci Stiles, et tu le sais.
Les larmes commencèrent à perler aux yeux de l'hyperactif tandis que la main libre de l'homme descendait lentement vers son bas-ventre, entre ses cuisses, sans jamais toucher son entrejambe. Il le faisait languir, espérer, craindre, tout cela à la fois et il adorait ça. Les frissons et la peur de ce garçon étaient deux choses qui l'avaient toujours enivré. Pour lui, la terreur avait différentes saveurs : celle de Stiles était addictive.
- Tu peux dormir sur tes deux oreilles, je ne vais pas te faire mien tout de suite. Je veux prendre mon temps, vois-tu ?
Stiles ne put retenir un sanglot alors que chacun de ses membres refusait de réagir, de se battre, de repousser celui qui s'était introduit de force dans son lit. Des traumatismes, il en avait et le retour de cet homme les ravivait avec une brutalité folle. C'était un cauchemar, un pur cauchemar, il allait se réveiller, forcément, tout ceci ne pouvait pas être vrai… Mais les doigts titillant la peau de l'intérieur de ses cuisses le détrompèrent avec horreur. Encore une fois, il jouait avec lui, s'amusait du moindre de ses soupirs muselés, du souffle erratique sortant de son nez, des frissons qui parcouraient l'intégralité de son corps. Chaque geste, chaque parole, chaque phrase, chaque mot que prononçait cet homme glaçait Stiles d'horreur, parce qu'il connaissait déjà la finalité de cette histoire.
Le meilleur ami de son père allait le briser. N'était-ce pas déjà le cas ?
