Hello tout le monde ! L'IRL a été très chronophage ces derniers temps, mais je n'ai pas arrêté tout à fait d'écrire. "Royaumes Éternels" est d'ailleurs quasiment complet, il me reste quelques paragraphes et je pourrais enfin vous livrer les derniers chapitres. Afin de vous donner une petite mise en bouche en attendant, je vous propose ce prologue de l'épisode qui lui succédera. Bonne lecture, et n'hésitez pas à me MP. On se dit à très bientôt, au détour d'une ligne !
Lenia41
Prologue — En Chute Libre
Cieux au-dessus de l'Irlande. Connemara. Irlande du Sud. Irlande — Année 2035.
En dépit de l'épaisse couche nuageuse qui recouvrait tout à fait le sol, la pureté des cieux en haute-altitude était incomparable quand la météo était clémente. Méprisant le front ouaté poivre-et-sel, le ciel était d'un bleu apaisant qui s'étendait jusque dans l'horizon lointain. Il était à peine perturbé par de rares traînées blanches qui sillonnaient le passage d'autres avions dans les environs, balisant leur route comme des petites volutes qui s'estomperaient bientôt. L'éclat vif et familier de l'astre solaire cachait l'immense froideur de cet empire céleste, parcouru par les courants aériens qui guidaient les avions des hommes et les ailes des grands migrateurs.
Emily ne pouvait, hélas, partager l'ivresse de l'envol et la liberté de ces maîtres des cieux.
La jeune femme de vingt ans contemplait le sourire aux lèvres ce paysage qui défilait derrière le hublot de l'avion de la British Airways qui la ramenait sur le sol anglais. Ses yeux noirs s'étaient posés sur les cumulus qui l'empêchaient de voir les terres qu'ils survolaient de nombreux mètres plus hauts, tandis que l'une de ses mains repoussait des mèches noires et bleues derrière son oreille. Á en croire la carte interactive de la console de son siège de classe affaire, ils survolaient actuellement l'Irlande. S'ils ne s'arrêtaient pas à Dublin ou Belfast pour une escale, puisqu'elle avait choisi un vol direct vers Londres, elle aurait pu observer de loin leur passage au-dessus de la contrée qui faisait partie intégrante des membres du Royaume-Uni même si cette appartenance était l'objet de fortes contestations depuis le controversé « Brexit ». Si l'Irlande du Nord tenait à rester attachée à l'Angleterre, l'Irlande du Sud, majoritaire sur le territoire, n'entendait pas quitter l'espace européen de la sorte et militait pour une réunification. Les cendres des conflits passés menaçaient de s'embraser de plus belle entre le Sud et le Nord.
Pour être honnête, elle commençait à le regretter un peu et le vol commençait à se faire long.
Cela faisait près de six heures qu'elle s'était envolée depuis New-York au terme de ses vacances d'hiver et malgré ses bas de contention de qualité, elle commençait à avoir la bougeotte. Une escale n'aurait pas été une si mauvaise idée. Qui sait, elle aurait pu passer faire un petit coucou à son parrain qui n'avait eu de cesse de l'inviter, vantant sans cesse les vertus irlandaises. Un sourire amusé étira ses lèvres charnues. Cela lui aurait bien plu de lui faire cette surprise. Aurait-il été surpris de la voir débarquer un large sourire aux lèvres, une valise dans chaque main ? La tête qu'il aurait tirée aurait valu son pesant d'or. Elle décida qu'elle l'appellerait pour prendre de ses nouvelles et au pire, elle pourrait toujours rendre visite à Liam une fois à Londres.
Le jeune homme n'avait jamais pu lui refuser quoi que ce soit, surtout concernant son père.
Emily décida à contrecœur de délaisser pour de bon le jeu auquel elle jouait sur la console switch qui ne la quittait jamais en voyage. Cela lui changeait toujours les idées et cet amour du jeu-vidéo, rétro comme actuel, était l'un des derniers liens qui la liait à son père ainsi qu'à cet incorrigible grand-frère à qui elle était venue rendre visite au cours de son voyage aux Etats-Unis. Quand il avait su qu'elle comptait faire une petite excursion américaine de deux mois, il avait tenu à ce qu'elle vienne le voir… et il n'avait rien voulu entendre d'autre, l'invitant même à le rejoindre une semaine dans l'un des complexes hôteliers de luxe qu'il gérait à Hawaï. Bon, cela avait clairement valu le détour et elle avait passé une très bonne semaine qui l'avait bien ressourcée. Elle voulait bien lui pardonner cet ajustement de dernière minute de ses plans.
Une violente turbulence secoua alors l'appareil, renversant la tasse de thé d'Emily sur son chemiser blanc à manches longues et sur le gilet rouge sans manches qu'elle portait, les entachant copieusement. Avec un soupir agacé, elle détacha sa ceinture et se leva de son siège. C'est alors qu'une secousse encore plus violente que la première fit trembler l'avion, Emily manquant de peu de tomber à terre alors qu'elle se raccrochait de justesse au dossier du siège.
- Mesdames et Messieurs, votre attention s'il vous plaît. Nous traversons actuellement une période de turbulences. Pour votre sécurité, veuillez regagner vos places dès que possible et attacher vos ceintures jusqu'à l'extinction du signal. Merci de votre attention.
La diode écarlate venait en effet de s'illuminer. Maugréant entre ses dents face à cet imprévu, Emily regagna à contrecœur son siège en jetant un regard dépité sur son chemisier et son gilet. Et dire qu'elle avait fait des efforts d'habillage pour le déjeuner qui l'attendait chez des amis de la famille, en portant une jupe longue sombre et des souliers qui plus est ! Elle aurait préféré de loin revêtir une paire de jeggings confortables avec un bon pull épais de laine en prévision de l'humidité froide de Londres et ses grosses chaussures de randonnée qu'elle aimait tant. Son expérience des voyages aériens l'encourageait néanmoins à ne pas chercher à discuter l'annonce et à prendre son mal en patience. Il ne fallait pas prendre les turbulences à la légère, si elle voulait éviter d'aggraver ses vêtements et surtout de se cogner partout en s'obstinant.
Ses yeux d'obsidienne remarquèrent d'ailleurs que les hôtes et hôtesses de l'air avaient l'air nerveux, les mains serrées sur leur talkie-walkie. Intriguée, elle observa leurs allers-retours entre la cabine de pilotage et les couloirs. Un flash doré zébra un ciel qui s'était vite assombri.
- Maman ! C'était quoi la grosse lumière ? Demanda un enfant deux sièges plus loin, curieux, le nez rivé sur le hublot alors que sa mère attachait tant bien que mal sa ceinture.
- Sans doute un éclair, mon chéri. Nous devons sans doute être près d'un orage.
Emily n'en aurait pas mis sa main au feu. Elle ne distinguait rien de particulier à travers son hublot sinon qu'ils se trouvaient en plein cœur des cumulus, désormais d'un gris d'encre. Elle fût surprise d'ailleurs de distinguer au loin les terres d'émeraude d'Irlande, sans avoir eu le sentiment qu'ils avaient perdu de l'altitude. La voix du capitaine de bord retentit à nouveau.
- Mesdames et Messieurs, votre attention s'il vous plaît. En raison des conditions climatiques dégradées, nous allons devoir atterrir à l'aéroport de Galway. Veuillez demeurer dans votre siège et garder votre ceinture attachée.
Plaçant son sac à dos sous son siège, Emily allait interpeller une hôtesse de l'air pour savoir ce qu'il passait lorsqu'une secousse plus violente que les autres fit trembler l'avion jusque dans sa charpente, dans un vacarme sonore. Des sirènes se mirent à vriller dans l'appareil alors que des masques à air tombaient du plafond. La panique commençait à saisir les passagers, alors qu'un appel du capitaine de bord sommait tant bien que mal dans la confusion générale.
- Mesdames et Messieurs, préparez-vous à un atterrissage d'urgence ! Je répète, préparez-vous à un atterrissage d'urgence !
S'efforçant de garder son sang-froid, Emily attrapa le masque à oxygène. Elle refusait de se décourager. Si les probabilités d'avoir un crash d'avion étaient minimes, il restait au moins quelques chances de s'en sortir vivant. C'était scientifiquement prouvé, tant que l'on respectait les consignes de sécurité et qu'on était bien placé dans l'appareil, à savoir vers l'arrière. Ce n'était certes pas son cas, mais elle pouvait agir sur les autres facteurs tant qu'elle restait calme. Après tout, après avoir réchappé à des forêts sauvages, aux dangers de la haute-montagne, aux sables du désert au cours de son tour du monde et de ses voyages en solitaire ou aux vagues de la récente pandémie, elle n'allait pas baisser les bras pour un atterrissage quelque peu musclé.
Elle allait se mettre en position d'urgence lorsque l'avion vira brusquement de bord, perdant dangereusement de l'altitude. Des éclats et des flammes bleutées attirèrent son attention. Elle fronça des sourcils, curieuse bien malgré elle. Non, elle n'avait pas rêvé, elle avait bien vu ce qu'elle avait cru voir et ce n'était pas du tout naturel. Mais qui était assez fou et assez con pour se battre de la sorte au vu et au su de tous, et recourir de la sorte à la magie en plein jour ?
Un sifflement terrifiant vint alors perforer la cabine de l'avion, telle une lance de pure magie à la traînée d'azur dont la puissance était telle qu'elle le transperça en deux moitiés tout en faisant exploser les hublots, laissant un trou béant sur son flanc qui dévorait avidement l'air pressurisé.
Les élastiques qui maintenaient son masque à oxygène cédèrent face à la décharge de pure magie et par réflexe, Emily prit une ultime gorgée d'air avant de bloquer sa respiration tandis qu'elle était aspirée dans la brèche béante qui engloutissait des voyageurs confus et terrorisés.
Sa conscience commençait déjà à vaciller. Emily se débattit contre l'étourdissement qui la gagnait et se concentra sur ses circuits magiques. Elle n'était pas en mesure de parler si elle ne voulait pas risquer de se perforer la langue aussi ne pourrait-elle pas recourir à des incantations, et elle se doutait que le peu de runes qu'elle connaissait puisse l'aider. Aussi se concentra-t-elle sur ce qu'elle savait mieux faire et s'efforça de dévier les courants d'air autour d'elle pour s'éloigner de la menace la plus immédiate, à savoir les turbines meurtrières de l'avion brisé.
Alors qu'elle avait perdu son baladeur MP3 dans sa chute, elle pouvait presque entendre dans son esprit les paroles du refrain d'une chanson qu'elle avait maintes fois entendue à la radio.
"This is the end / Hold your breath and count to ten
Feel the Earth move and then / Hear my heart burst again / For this is the end"
Malgré la situation dramatique dans laquelle elle se trouvait, Emily dût se faire violence pour ne pas éclater de rire et gâcher un air précieux. C'était une hilarité tout à fait déplacée, et pourtant la jeune magicienne franco-britannique ne pouvait pas s'empêcher de rire de l'ironie de la situation. Elle se sentait joyeuse, heureuse, légère… et s'efforçait avec peine de brider cet entrain qui devait être dû à cette panique impuissante qu'elle se contraignait à museler.
"Let the sky fall / When it crumbles
We will stand tall / Face it all together"
Un sursaut de conscience l'extirpa de l'abattement qui commençait à la gagner alors que sa vue se troublait, que le vent sifflait à ses oreilles tout en griffant la barrière qu'elle avait hâtivement conjurée autour d'elle alors que sa concentration vacillait. Elle n'était que trop consciente d'être ballotée comme une feuille morte, une feuille qui allait s'écraser comme une mouche au sol.
Sa barrière se brisa alors que les terres émeraudes d'Irlande se rapprochaient dangereusement. Désespérée, Emily essaya tant bien que mal de conjurer une nouvelle barrière, mais ses forces glissaient comme de l'eau entre ses doigts. Bordel, elle ne voulait pas mourir maintenant, il y avait tellement de choses qu'elle voulait faire, qu'elle voulait voir, qu'elle voulait vivre… !
Elle sentit la pierre qui pendait autour de son cou se briser alors que ses sens se troublaient. La jeune femme eût presque le sentiment que sa chute se ralentissait, que le vent cessait de la griffer et lui accordait un instant de répit. Cela devait sans doute être son imagination, peut-être un geste de survie de son cerveau pour limiter sa terreur et lui éviter d'avoir un arrêt cardiaque alors que son cœur battait la chamade dans sa poitrine, tant qu'elle croyait qu'il allait la perforer.
"Face it all together / At Skyfall"
Elle entrouvrit tant bien que mal ses paupières alourdies par le froid et l'inconscience proche. Une première barrière de magie s'était dressée autour d'elle alors que les échardes de pierres la conduisaient tout autour d'elle, ralentissant fortement sa chute quelques instants, sans parvenir à l'arrêter. Alors que le sol n'était plus qu'à quelques mètres d'elle et que sa vitesse restait importante, elle sentit le bracelet autour de son poignet chauffer et voler en éclat tandis que les pierres précieuses dont il était serti créaient une deuxième barrière, de diamants ensorcelés cette fois, qui l'enveloppait d'une aura de magie affectueuse et nostalgique. Ses larmes causées par le vent qui irritait ses yeux redoublèrent face aux fantômes que l'enchantement lui rappelait.
Des mains aux paumes meurtries qui la pressaient contre une présence rassurante, apaisante, tandis qu'une autre présence, grande et chaleureuse, s'ajoutait à cette douce étreinte. Emily leur tendait les bras pour les serrer dans ses bras, les supplier de rester… que déjà elles se dissipaient.
Ses yeux impuissants ne virent que l'immensité azurée des cieux implacables. Ses doigts ne purent qu'effleurer le bracelet d'or blanc serti de diamants orné par des runes qui avait quitté son avant-bras et flottait devant elle, alimentant de sa magie la barrière la plus proche d'elle. Les pierres précieuses se consumèrent jusqu'à être réduites à l'état de poussière minérale. Le sol n'était plus qu'à quelques pas de là et la première barrière avait fini par céder, tandis que la seconde commençait à montrer quelques signes de faiblesse. Elle allait se briser sous peu.
Épuisée par la lutte contre les éléments et la gravité, les poumons brûlés par l'air raréfié et les cheveux rongés par le givre, Emily sentit ses paupières s'alourdir et sa conscience s'assoupir.
Un cri muet de souffrance échappa à ses lèvres lors de l'impact alors qu'elle était engloutie dans un océan de pure douleur, si violent et si intense qu'il lui fit aussitôt perdre connaissance.
Connemara. Compté de Galway. Irlande.
La paix et le tapis vert des vallées irlandaises, parsemées ici et là par des tourbières et des lacs, avaient été perturbés. Sur près de deux cent mètres, les herbes tendres et fermes avaient été calcinées, le sol avait même marqué d'un trou béant là où le transporteur civil s'était écrasé, ses deux parties principales fichées profondément dans la terre dans un fracas retentissant. Tous les chevaux insulaires et toute la faune s'étaient enfuis de la zone, plongée dans un affreux silence.
Loin des yeux des villages les plus proches, la carcasse de métal gisait misérablement tandis que ses entrailles se consumaient encore dans les flammes et dans la fumée âcre et mortelle. Ses ailes pliées ou broyées, l'appareil était échoué, pathétique, impuissant dans sa lente agonie. Tout autour de lui étaient disséminés des silhouettes éparses, brisées comme des poupées désarticulées ou plus ou moins complètes, de tissu et de chair brûlée. Les appels des charognards des cieux comme des terres se faisaient déjà entendre au loin, approchants.
Les flammes dansaient encore, ronflantes, implacables, se repaissant de l'infortune des uns. Elles se reflétaient sur l'éclat froid du métal, psychopompes qui apaiseraient leur lente agonie.
De ces ombres dansantes jaillit une silhouette drapée de blanc. L'apparition déambula entre le métal fracassé et les corps brisés en sifflotant. Elle se promena dans le charnier avant que son regard encapuchonné ne se fixe sur un point particulier. Elle s'avança à pas mesurés avant de s'arrêter un petit peu plus loin, puis de s'agenouiller en commentant avec un sourire paisible.
- Eh bien, on dirait que tu es encore en vie toi.
Une jeune femme était allongée au sol sur un siège dont il ne restait guère plus que le dossier. Un filet de sang perlait entre ses lèvres et glissait sur ses tempes, tandis que l'une de ses jambes était tordue et déchirée par une profonde entaille, son épaule droite fracturée. Son œil droit était tuméfié. Sa peau claire était très pâle, ses cheveux noirs méchés de bleu poisseux, sa respiration faible. Autour d'elle se trouvaient un bracelet brisé et de fines échardes de pierres précieuses. L'ombre blanche se pencha sur elle, l'observant avant de déclarer avec entrain tandis qu'elle extirpait de son manteau de neige un objet dont le métal clair scintilla à la lueur des flammes.
- Il s'en est fallu de peu mais on va remédier à tout ça ! Après tout…
Une aura dorée entoura l'item alors qu'il s'éleva légèrement de la main de l'apparition, avant de disparaître en quelques instants. Satisfaite d'elle-même, la silhouette acquiesça et se redressa énergiquement, des mèches de cheveux blancs s'échappant des ombres de sa large capuche.
- J'ai le sentiment qu'on pourra faire de grandes choses, tous les deux.
Avec un sourire chaleureux et des yeux améthyste pétillants, l'étrange personnage frotta ses mains d'un air décidé. La route qui les attendait serait longue et ils avaient encore du temps devant eux, mais il avait encore bien trop de choses à faire. Un bâton noir émergea de nulle part dans sa main et d'un simple geste, un portail argenté apparût face à lui. Un instant plus tard, il n'y eut plus de trace de son passage, sinon des pétales de roses bientôt emportées par le vent.
