Situé dans le Pueblo magique, l'hôtel que tout le monde connaissait sous le nom A la Croisée des Mondes (Sirius avait eu le temps de rattraper un peu son retard en matière de pop culture entre deux séances de thérapie obligatoire, et il ne pouvait pas nier que ça faisait bizarre et même un petit peu marrant de penser à la trilogie fantasy alors qu'il se trouvait devant la façade du bâtiment) accueillait une clientèle pour le moins variée.
Les humains étaient présents, c'était bien obligés vu que l'hôtel se trouvait sur la Terre. Mais on y trouvait aussi des gobelins, des elfes de maison autant que des elfes de Lumière venus de la lointaine Alfheim (Asgard avait eu beau défendre tout contact entre Midgard et le reste des Neuf Mondes reliés par Yggdrasil, les interdictions étaient faites pour qu'on y désobéisse et les elfes n'obéissaient qu'à leurs propres règles), des Kree expulsés de leur empire galactique pour raisons plus ou moins méritoires, un ou deux gigantesques Nains, des harpies quand celles-ci s'abstenaient de fienter n'importe où, des banshees s'efforçant de ne pas hurler trop fort, des vampires plus ou moins couverts contre le soleil, bref toute une foule de multiples couleurs et formes, interagissant entre quatre murs de briques.
Au milieu de ce désordre animé, personne ne prêtait grande attention à un humble sorcier en veste de cuir, ce malgré son visage encore vaguement décharné et le fait que son visage était mis à prix. Mais c'était en Angleterre, et on se trouvait de l'autre côté de l'océan Atlantique, alors pareil manque de vigilance s'avérait excusable – même si ce bon vieux Fol Œil en cracherait des flammes enragées.
Personne ne prêtait grande attention non plus à une aimable petite vieille dame accompagnée de son petit-fils, en dépit de leur arrivée pour le moins imprévue et du fait qu'ils avaient réussi à obtenir une chambre malgré l'affluence de fin d'année (apparemment, le tourisme intergalactique pour admirer les fêtes de Noël existait et jouissait d'une folle popularité). Ce n'était pas plus mal, d'autant que personne ne soupçonnait ladite petite vieille dame d'avoir joué un rôle dans l'Incident de New York comme l'appelait le côté non-magique, ou le Réveil des Dieux comme les clients de l'hôtel préféraient le nommer – l'ancien Maraudeur ne voulait même pas imaginer le carnage dans le cas contraire.
C'était parfait pour qu'il puisse enfin approcher Harry.
Depuis l'invasion manquée des Chitauri, l'Animagus chien n'avait pas cessé de courir dans tous les sens, SHIELD l'envoyant aux quatre coins des États-Unis afin d'enquêter sur des phénomènes ou accidents plus ou moins suspects dans un accroissement de paranoïa – certains inoffensifs, un ou deux canulars dans le tas, plusieurs relevant du MACUSA même si ça ne plaisait pas aux agents qui n'aimaient pas se faire dire non, et parfois sincèrement dangereux. Non seulement c'était épuisant, ça bouffait son temps et il n'avait pas été en mesure d'aller plus loin que les présentations lors de l'Incident.
Sirius doutait sincèrement que Stark et Locke lui auraient permis d'aller plus loin. En fait, il se demandait si Locke n'avait pas conspiré avec Fury pour remplir son agenda à craquer – ça crevait les yeux qu'elle aurait souhaité le voir réduit à une simple note en bas de page dans la biographie de Harry, une simple mention promptement oubliée dont on ne discute jamais plus.
Dommage pour elle, Locke était à présent occupée avec le dernier désastre de Stark. En son for intérieur, le sang-pur anglais n'éprouvait pas grande sympathie pour le milliardaire : quand vous lanciez un défi à quelqu'un, il fallait s'attendre à une réponse, surtout s'il manquait plusieurs sandwiches dans le panier à pique-nique de l'autre bougre. Et ce n'était pas comme si l'ingénieur manquait d'argent pour s'acheter une maison flambant neuve.
Et surtout, l'absence de Stark signifiait qu'il ne pouvait pas empêcher Sirius d'aller voir son filleul. Bon, il fallait compter avec la grand-mère, mais d'après les rapports compilés sur Maria Stark (ressortis quand la particularité de sa situation avait été exposée à la lumière du jour), la femme était plutôt bonne pâte. Un peu comme sa propre grand-mère paternelle, Melania Macmillan – comment allait cette dernière, au fait ? Aux dernières nouvelles, elle habitait toujours dans le nord de la France… peut-être était-elle morte, depuis le temps.
Ce que Sirius avait négligé de prendre en compte, était que Melania Macmillan avait été une Poufsouffle. Le blaireau que la Maison en question avait adopté pour emblème ne cherchait pas à se faire remarquer, mais s'avérait étonnamment vicieux dès qu'il était question de défendre sa tanière, tant pis si l'agresseur pesait infiniment plus lourd que lui, il n'y avait qu'à viser aux couilles.
Le doux sourire rempli de dents très blanches arboré par Maria Stark à l'intention de l'Animagus chien aurait été applaudi vigoureusement par cette chère Bella ainsi que tante Cassiopeia. L'expression était moins large que les rictus triomphants préférés par les deux sorcières de la famille Black, mais il en disait tout aussi long et ça ne l'en rendait que plus terrifiant, à bien y réfléchir.
« Sirius Black » articula précautionneusement la vieille dame qui n'en était pas exactement une. « Oui, les engrammes de Loki ont enregistré ce nom. Vous me pardonnerez d'être un peu floue en ce qui concerne les détails précis, les souvenirs n'ont pas tous été épargnés par la transition que j'ai effectuée vers cette forme présente. Vous êtes donc le meurtrier ? »
Le sorcier anglais ne put s'empêcher de broncher.
« Pour votre gouverne, je n'ai pas réellement commis de meurtre... »
« Oh, ce n'est pas l'envie qui vous en manque, pourtant » commenta nonchalamment Maria Stark, « que ce soit maintenant, que ce soit quand vous avez envoyé un autre élève se faire dévorer par votre propre ami, ou que ce soit quand vous avez abandonné votre filleul pour pourchasser l'homme ayant contribué à en faire un orphelin. »
Dit de la sorte… Sirius se sentait petit. Mesquin et dégoûtant. Décidément, ce n'était pas pour rien que la mythologie Norroise redoutait tant chaque occasion donnée à Loki d'ouvrir la bouche – l'artisan de malheur trouverait immanquablement la faille dans la cuirasse de son interlocuteur, et sauterait à pieds joints là où ça faisait le plus mal.
Il inspira un grand coup afin de se ressaisir.
« Ce serait bien hypocrite de votre part, si vous me reprochiez d'être un meurtrier » lança-t-il, le ton plus accusateur que désinvolte, et cela malgré lui – les nerfs, malgré lui il était sur les nerfs, et il avait toutes les raisons de l'être, en face d'un dieu.
La vieille dame haussa distraitement les épaules.
« Mais je ne vous le reproche pas. Ce qui m'écœure, c'est que vous vous y prenez très mal, et ça finit par se retourner contre vous et ceux à qui vous tenez en conséquence. Passe encore si votre moralité était discutable, mais je ne tolérerais aucunement un nigaud à proximité de mon petit-fils. À son âge, c'est facilement influençable, et votre sottise pourrait lui indiquer le mauvais exemple à suivre. »
Sirius sentait sa mâchoire pendre mollement, tandis que ses yeux menaçaient de tomber de leurs orbites.
« Quoi… votre problème, c'est que vous me trouvez con ?! » ne put-il s'empêcher de laisser tomber.
« Je suppose que ce n'est pas exactement votre faute, toute cette consanguinité dans le Royaume-Uni ne peut pas faire de bien à l'intelligence » se désola Maria Stark, rien moins que pure sincérité dans la voix, « et l'environnement n'aura rien fait pour arranger votre cas. Voyez donc notre cher dieu bruyant de la météo, partir constamment à la guerre lui a pourri le cerveau… Enfin, vous me comprenez. »
Oui, Sirius comprenait très bien que non seulement la femme ne le croyait pas capable de se torcher sans qu'on lui tienne la main, elle comptait émuler la conduite de ses enfants et le tenir à l'écart de Harry. Il voulait rager… mais ce n'était pas un combat qu'il pouvait gagner. Pas contre un dieu.
« Et ça prendrait quoi pour vous faire changer d'avis ? »
Elle cligna de ses yeux noisette.
« Que vous gagniez un peu plus en sagesse. Prenez tout votre temps, j'ai encore quatre millénaires d'espérance de vie. »
En d'autres termes, son cas était si désespérant que ça lui prendrait des siècles pour arranger ça. Mais dit très, très subtilement.
En rétrospective, pas étonnant que l'armure de Loki soit verte. Les Serpentard l'auraient accueilli à bras ouverts.
