Chapitre 3 – Le Jardin d'Eden.
Le jour venait à peine de se lever, mais dans une certaine pièce d'un certain petit chalet, dans un certain pays enneigé, l'on se préparait déjà à se rendre sur le champs de bataille. Les rayons du soleil peinaient à passer à travers ces vaporeux nuages blancs qui semblaient régner en maîtres sur le ciel. Dès lors une guerre opposa le coton blanc et pur, venu du Nord de ce monde, au soleil chaud et inquisiteur, venu pour sa part de l'Est. Un duel qui prit fin au moment où la lumière vint éclairer le doux pendentif que portait notre jeune héroïne. Si la journée ne s'annonçait pas chaude par ici, au moins la pluie ne chercherait pas à troubler la quiétude du pays qui sommeillait encore. Nos deux protagonistes s'étaient levés depuis bien longtemps et entre eux semblaient régner la même tension que celle qui opposa les nuages au soleil. Ils étaient, chacun leur tour, allé prendre une douche puis s'étaient préparés dans un silence angoissant, semblable à celui qui guettent l'horizon lors d'un jour funeste semblable à celui de la mort qui emporte tout sur son sillage. June n'avait parlé à aucun instant. Elle n'avait pourtant cessé de jeter des regards anxieux à l'inconnu à ses côtés. Elle avait l'impression d'être en plein délire, incapable de quitter ce monde semblable à celui d'un rêve. Un rêve presque cauchemardesque si l'on y réfléchissait bien.
Tom, puisqu'il sembla à la jeune femme qu'il ne répondait qu'à ce prénom ou à l'appellation de « Lord » était habillé d'un costume qu'elle avait trouvé dans l'une des valises de ses parents qui siégeaient encore dans l'entrée. Il avait un style assez particulier, semblant voyager entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle, mais il lui fallait au moins ça pour que l'on évite de regarder son visage de trop près. L'absence de son nez restait véritablement perturbante aux yeux de la brune qui essayait encore de donner une explication logique à cela. Histoire de ne pas attirer davantage l'attention sur eux, elle avait, pour sa part, décidé de cacher au maximum ses très nombreux tatouages et portait ainsi un gros pull et un pantalon noir. Elle minimisa le maquillage et laissa ses cheveux vagabonder sur ses épaules. Elle enfila ensuite un manteau épais et se chaussa, signifiant à l'autre qu'ils devaient partir. Heureusement pour elle, tous deux quittèrent les lieux bien avant le réveil de ses parents.
Le choix du taxi s'imposa très vite, car, bien que June dispose d'un permis, elle ne souhaitait pas s'embêter avec une carte ou un GPS pour trouver sa route. Elle préférait être conduite et lorsqu'elle tenta de justifier sa décision à l'homme qui l'accompagnait, elle n'eut droit, pour toute réponse, qu'à un regard emplit de surprise. Prise de compassion pour l'inconnu, elle se contenta de hausser les épaules et de détourner le regard.
Plus tard, alors qu'ils se trouvaient tous deux à l'abri du froid, dans un véhicule qui roulait à une allure tranquille, June, qui observait le paysage, curieuse des montagnes qui se découpaient de part et d'autre de la route, fut interrompu. Tom -et elle avait encore grand mal à le nommer de la sorte dans son esprit- l'en tira en prenant enfin la parole. La bulle de tension, de stress et d'appréhension qui avait habité nos deux personnages explosa et notre héroïne soupira, soulagée. Ses épaules s'affaissèrent et elle posa le regard sur l'homme assise à ses côtés
« - Vous les moldus, vous avez une façon de voyager si particulière. C'est tellement rustre, tellement moyen-ageux. Mais dans quel monde vivez-vous ?
- Désolée, j'ai pas de Nimbus 2000 dans mon placard. Le seul balais qu'il y a, il sert à passer la serpillière. »
Bien que l'échange s'arrêta aussi subitement qu'il avait débuté, June se rendit compte à quel point l'homme était mal à l'aise dans sa façon de gigoter sur la banquette arrière comme si elle était parsemée de punaises. Elle ne put s'empêcher de sourire avant de se demander si cela n'était pas un peu sadique de laisser là un homme qui n'avait, décidément, pas du tout l'air dans son élément ici. Mais finalement, elle en arriva à la conclusion que non. Alors, certes, une personne altruiste et généreuse aurait sans doute tenté de relancer la conversation, de sympathiser ou d'en apprendre plus sur ce type. Mais June n'était pas altruiste et ne le serait sans doute jamais elle n'attendait qu'une seule chose, qu'il se tire dans un asile ou n'importe où tant que ce serait loin de chez elle. Elle n'avait pas aimé qu'il débarque aussi subitement dans sa vie et avait été bien aimable de le soigner, mais elle ne ferait rien de plus pour lui. Absolument rien. Aussi continua-t-elle de le regarder avec un sourire. Et il le vit puisque leurs regards se croisèrent. Si elle était moqueuse et taquine, lui semblait honteux, frustré et en colère. Peut-être même humilié, trahis par ses propres gestes. Elle se mordit la lèvre pour ne pas rire et finalement, elle détourna les yeux pour se concentrer de nouveau sur les alentours.
Une heure plus tard, ils étaient tous deux arrivés au refuge et sans chercher à faire le moindre détour, ils se dirigèrent d'un pas rapide et déterminé vers les terrariums. June n'était pas une grande adepte des reptiles et bien qu'elle se refusait à en adopter pour orner son salon, elle prenait tout de même un certain plaisir à observer ses petites bêtes bouger, dormir ou manger derrière des vitres qu'elle espérait tout de mêmes assez épaisses. Ils entrèrent dans un même mouvement, poussant les lourdes portes qui donnaient accès à une immense pièce découpée en plusieurs zones dans un milieu qui se voulait naturel, mais qui restait purement artificiel. La jeune anglaise laissa à l'homme le soin de choisir avec quel serpent il voulait s'humilier et le suivit donc, restant légèrement en retrait. Il lui sembla que quelques têtes reptiliennes se redressèrent sur leur pas, mais elle rêvait très probablement, car personne ne pouvait réellement parler à des serpents par le biais d'une langue inventée de toute pièce.
Elle se stoppa brusquement, manquant de heurter le dos de l'homme qui s'était immobilisé devant ce qui semblait être le plus gros terrarium de la pièce. En tout cas, la vitre laissait place sur un espace hors du commun et très vite, elle remarqua une énorme masse qui, glissant dans l'eau qui se trouvait au fond de l'immense enclos, vint à leur rencontre, comme par magie. June se mordit la lèvre pour ne pas faire la moindre remarque, mais elle avoua mentalement et, bien contre son grès, qu'elle était très surprise de voir une si grosse bête bouger autant, car depuis qu'elle était petite, elle n'en avait jamais vu d'aussi actives. Elle sursauta presque en entendant l'autre chuchoter quelque chose qu'elle ne comprit pas. Elle plissa les yeux, essayant de mettre des mots sur les sortes de bruissements qu'elle parvenait à capter, mais renonça bien vite. Ça n'avait ni queue ni tête et peut-être même que ce type tentait de la rouler, alors elle s'approcha afin d'être à sa hauteur et se racla la gorge pour attirer l'attention. L'autre la regarda à peine, mais il s'arrêta tout de même de chuchoter et elle devina qu'il attendait qu'elle ne prenne la parole
« - Je ne peux pas vous croire, désolée, je ne parle pas le Fourchelang. »
Son ton catégorique sembla affecter l'homme à ses côtés puisqu'il daigna lui accorder un regard à mi-chemin entre la colère et la lassitude. Comment faisait-il pour être aussi expressif du regard ? Sérieusement, même dans les films, l'acteur n'avait jamais paru aussi frustré par la vie et June en arriva presque à se demander si ce type n'était pas juste fou. Car après tout, comme toute bonne lectrice de romans, elle savait que le vrai Lord Voldemort l'aurait déjà tuée avec un sortilège. Ne savait-il plus dire « Avada Kedavra » ? Alors qu'elle semblait perdue dans sa réflexion, l'autre, toujours visiblement agacé par ses propos ne se laissa pas faire et décida de protester sous le regard étonné de la belle
« - Je suis Voldemort et je n'ai pas à me justifier devant une moldue idiote qui croit savoir de quoi elle parle. Lorsque mes fidèles mangemorts viendront à moi, alors petite, je ferais en sorte que ta lignée toute entière s'éteigne. Et ensuite, je reprendrais mon rôle de grand sorcier pour affronter et tuer, une bonne fois pour toute ce satané Harry Potter. »
June cligna des yeux plusieurs fois, entrouvrant légèrement la bouche. Elle resta là un bon moment, muette sous le coup de la surprise, incapable de protester. C'était bien la première fois qu'on lui parlait sur ce ton et pire encore, qu'on cherchait à la remettre à sa place. Et en plus de ça, les propos de l'autre étaient tellement tirés par les cheveux qu'elle s'en retrouva toute perturbée. Devait-elle seulement le prendre au sérieux ? A l'instant même il avait eu le genre de réaction qu'aurait pu avoir le vrai Voldemort si ce dernier avait réellement existé. Mais pourtant... Mais pourtant elle ne le croyait toujours pas. Il avait parlé de « fidèles mangemorts » et tout bon lecteur savait que les mangemorts étaient tout sauf fidèles. Il y avait des allumés, des extrémistes, mais la plupart n'étaient que des suiveurs et des faibles d'esprits qui retournaient leurs vestes si rapidement et facilement que cela en devenait presque comique parfois. Elle avala finalement sa salive et tenta de reprendre un minimum d'assurance. Après tout, elle n'allait pas se laisser intimider aussi facilement et il était hors de question qu'elle se laisse marcher sur les pieds.
« - Demandez-lui de sortir de l'eau et de se rouler en boule, juste pour voir.
- Ça ne servira à rien, il n'écoute pas mes propos. Je comprends ce qu'il dit, tout ce qu'il dit et sans doute comprends-t-il aussi ce que je dis, mais il ne m'obéit pas. Il se croit trop futé pour me craindre. »
Si elle ne prononça pas un mot, June compris pourtant que cette révélation venait de coûter très cher à l'homme à ses côtés. Elle fut tentée, l'espace d'un instant de tout croire, de croire à cette folie, à ces propos et tout le reste. Une part d'elle voulait vraiment y croire, plus que tout. Mais sa raison l'emporta et plutôt que d'être curieuse des propos tenus par le serpent, elle se contenta d'insister
« - Faites-le. C'est le seul moyen de me prouver que vous n'êtes pas un menteur. Et si vous pouvez le prouver, alors je vous aiderai à trouver vos mangemorts. Sinon vous vous débrouillerez seul.
- Je n'ai pas besoin d'une moldue.
- Je crois au contraire que dans ce monde où la magie n'existe pas, vous avez besoin d'une moldue pour vous aider. »
L'homme grimaça et notre jeune héroïne compris qu'elle avait vu juste, alors, sans ajouter un mot, elle le laissa faire. Son cœur battait si fortement dans sa poitrine qu'elle avait l'impression qu'il était sur le point d'exploser. Elle se sentait fiévreuse, stressée et l'adrénaline semblait parcourir son corps. Elle rêvait qu'elle pouvait croire à ça. Elle le voulait tellement. Elle crut entendre un chuchotis, mais elle était à des années lumières de là, loin, trop loin pour entendre Tom Jedusor parler au serpent. C'est comme si elle n'était plus là mentalement, comme si on l'avait brusquement arrachée à son corps pour la transporter jusqu'à ces rêves d'enfant.
Puis elle battit des cils et revint dans le monde réel. Tom à côté d'elle soupirait alors que le reptile se pavanait dans l'eau. Et June compris que ces rêves ne deviendraient jamais la réalité, que le réel, bien trop cruel, venait de lui montrer, encore une fois, que jamais elle ne vivrait de grandes aventures. La descente fut rapide, trop rapide et amère, elle tourna le dos à l'inconnu qui n'était ni Tom, ni Voldemort. Elle l'abandonna à son sort, le laissant seul avec ses belles paroles et ses mensonges. La tête baissée, elle quitta le zoo avec une certaine honte. Sotte de croire en quelque chose qui n'existait pas, elle laissa derrière elle tout l'espoir qu'elle avait cumulé l'espace de quelques heures et quitta le zoo, vidée par cette expérience.
Plus tard alors qu'elle tentait d'oublier cette expérience à l'aide d'une douche chaude, elle songea une dernière fois à la façon dont l'inconnu avait débarqué dans sa chambre, à ce premier regard rempli de haine, de colère, qu'il lui avait jeté alors qu'il était blessé, presque mourant. Puis elle se rappela avec douleur ce mot, presque chuchoté qu'elle avait entendu en entrant dans sa chambre le soir là. « Kedavra ». Il l'avait dit, elle n'en doutait pas. Elle savait que partout dans le monde, des fans, plus ou moins extrêmes de la saga Harry Potter avaient tendance à faire des choses loufoques. Elle-même était de ce genre puisqu'il lui arrivait parfois de lire des fictions homosexuelles où Harry sortait tour à tour avec Ron, Drago, Lucius, Rogue et parfois même Voldemort en personne. Néanmoins, elle n'avait jamais entendu parler de fans assez fous pour se prendre pour les personnages eux-mêmes. Était-elle tombée sur un adepte des jeux de rôles ? Alors qu'elle coupait l'eau pour s'envelopper dans une grande serviette chaude, elle songea qu'il y avait tout de même quelques petites choses étranges. L'homme lui avait semblé tellement persuadé d'être Tom Jedusor après tout !.. Et puis, la mise en scène du soir de leur rencontre était particulière et elle ne parvenait toujours pas à comprendre comment il avait réussi à rentrer dans ce chalet. Elle en regretta subitement d'avoir ainsi abandonné aussi rapidement cet homme.
Et si elle avait attendu, le matin-là au zoo, alors, elle aurait été aussi surprise que le Lord en constatant que ce n'était pas uniquement le plus gros des reptiles qui était sortis de l'eau pour se rouler en boule dans un coin, mais bien tous les serpents du terrarium qui l'avait fait quelques instants après son départ...
