Allez, on en parle depuis quelques chapitres alors à présent, il est temps de rencontrer le souverain de la province de Morrowind et d'enfin obtenir quelques réponses.
Chapitre XIII
Les machinations du roi Helseth
« Seriez-vous nerveuse, ma belle étincelle ? » demanda Nels Llendo.
Alinor lui jeta un regard noir mais n'eut aucune réplique cinglante à lui envoyer au visage car, à son grand dam, le voleur ne se trompait pas : elle était nerveuse. Comment ne pas l'être lorsqu'on allait être présenté devant un roi, surtout celui de Morrowind ?
La réputation de Helseth Hlaalu le précédait : connu dans Cyrodiil comme un fidèle partisan de l'Empire, son génie politique était aussi craint que reconnu mais les raisons quelques peu mystérieuses et troublantes de son ascension au trône dérangeaient. Si Alinor était agitée à l'idée de rencontrer un monarque, le fait que le roi de Morrowind paraissait être un sinistre personnage jouait un rôle dans tout cela.
Seul le calme dont faisait preuve Almasea la persuadait que tout se passerait bien mais cela ne l'empêchait pas pour autant d'être nerveuse et de serrer fermement son bâton de verre. Nels Llendo lui avait rendu sa gemme noire ce matin même, prétextant qu'il avait essayé de la vendre mais qu'aucun marchand honnête n'en voulait et que donc il préférait s'en débarrasser plutôt qu'elle encombre ses poches.
C'était une excuse pitoyable mais Alinor s'était abstenue de faire la moindre remarque, reconnaissante d'avoir récupéré son héritage familial. Ainsi, d'une certaine façon, la vue de la gemme noire de nouveau à sa place sur le Sceptre d'Ulrich lui donnait l'impression de retrouver un semblant de normalité.
Elle était d'ailleurs surprise qu'on lui ait permis de garder ses armes. Les gardes de la cour étaient-ils désinvoltes ou trop confiants quant à leur capacité d'intervenir en cas d'agression envers la personne du roi ? Cela lui semblait inconsidéré mais cette prédisposition à être armé en toute situation semblait propre à la région de Morrowind, bien que Longsanglot soit une exception.
« Vous êtes encore là, vous ? s'étonna Almasea en le dévisageant, songeuse. Il ne me semble pourtant pas que vous soyez convié à cette audience. »
Nels Llendo eut un sourire en coin suffisant.
« Vraiment ? Ne savez-vous pas qu'il est difficile de se débarrasser de moi ? De plus, je suis très intéressé à l'idée de savoir ce qui sera dit dans la salle du trône. Je peux m'en aller mais il serait dommage que des rumeurs rattachant la Maison Hlaalu à des groupes criminels se fassent entendre… »
Plutôt que de s'énerver, Almasea sourit à son tour.
« D'accord, céda-t-elle de bon coeur. Vous gagnez cette manche, voleur. »
Alinor ne comprit pas où voulaient en venir les deux Dunmers : de ce qu'elle avait compris, sur Vvardenfell, presque tout le monde avait des liens avec la Camonna Tong ou la Morag Tong connus de tous alors quelle différence que cela se sache ? Qu'importent ses efforts, elle ne comprendrait probablement jamais la culture dunmer…
La porte s'ouvrit sur un chambellan avec une robe rouge d'apparat qui les invita à entrer.
La salle du trône s'avéra moins ostentatoire que ce à quoi elle s'attendait : c'étaient les mêmes murs ternes et sombres propres à l'architecture dunmer que seuls quelques bannière alizarines et au blason de l'empire venaient couvrir et les gardes devant elles se confondaient presque à cause de leurs armures vermeilles.
C'était tout l'inverse de l'impression que dégageait le roi. Assis sur un trône, dans une attitude faussement nonchalamment, le roi Helseth Hlaalu les dominait en frottant distraitement sa barbe parfaitement entretenue.
Jamais Alinor ne fut aussi mal à l'aise sous les yeux écarlates scrutateurs d'un elfe noir. En un seul instant, elle réalisait que la réputation de Helseth Hlaalu était fondée.
Elle jeta un coup d'œil inquiet vers Almasea, qui la gratifia d'un sourire rassurant avant de s'avancer d'un pas et de s'incliner devant le roi – Alinor et Nels Llendo imitant son geste.
« Nous vous remercions de prendre le temps de nous recevoir, Votre Majesté. »
À sa grande surprise, le roi Helseth eut un sourire en coin et appuya sa joue contre sa main gauche, ce qui fit que quelques-unes des mèches ses fins et soyeux cheveux bruns tombèrent devant ses yeux sans que cela ne paraisse le gêner le moins du monde.
« Nous sommes tout aussi heureux de vous recevoir, Almasea Ulès. Ce n'est pas tous les jours qu'une héraldesse de la Déesse de Miséricorde se présente à la cour. Comment se portent les affaires de la Maison Hlaalu ?
— Parfaitement bien mais je ne doute pas que Sa Majesté le sait déjà grâce à ses contacts sur l'île de Vvardenfell…
— C'est juste. Que voulez-vous de nous ? »
Almasea fit signe à Alinor de s'approcher et la désigna de la main.
« Alinor Selone est une Disciple de Stendarr envoyée en Morrowind par le Culte impérial. Il s'avère que la Camonna Tong et la Confrérie Noire ont essayé d'attenter à sa vie et celle de son partenaire, Iudas Odiil, qui a trouvé la mort vers Molag Amur. »
Le souverain hocha lentement la tête en affichant une expression ennuyée.
« Tout ceci est des plus malheureux mais en quoi cela nous concerne-t-il ? »
Alinor sentit la colère monter en elle, au point d'en oublier la crainte que lui inspirait le roi. Comment pouvait-il parler si dédaigneusement de ce qui s'était passé ? Comment pouvait-il être si nonchalant alors qu'Iudas était mort ?
Une main lui agrippa doucement mais fermement le bras et sa colère diminua aussitôt. Elle cligna des yeux, surprise, et regarda Almasea.
Comment a-t-elle fait ça ?
La devineresse lui lâcha la main et, avec un faux sourire plaqué sur le visage, dit d'une voix doucereuse :
« Je tiens aussi à informer Sa Majesté que le Culte impérial fut aussi la cible de ces assassins et que si cela venait à se faire savoir en Cyrodiil, des rumeurs prétendant que notre province laisse de tels crimes d'intolérance religieuse impunis nous seraient préjudiciables. »
Pour la première fois depuis leur entrée dans la salle du trône, le roi Helseth jeta un coup d'œil vers Alinor et la dévisagea longuement d'un air pensif avant de revenir à Almasea.
« Des accidents arrivent, d'autant plus que Morrowind est une province dangereuse où ceux qui s'y aventurent le font à leurs risques et périls en sachant dans quoi ils s'engagent. La régence de Morrowind n'a aucune part de responsabilité là-dedans.
— Je vous prie de me pardonner si mes propos ont laissé sous-entendre le contraire. Ce n'était pas mon intention… » s'excusa Almasea en s'inclinant dans un geste d'humilité.
Elle s'interrompit et jeta un coup d'œil vers Alinor. Sous son regard scrutateur et perçant, la Disciple de Stendarr eut l'impression d'être mise à nue et fut plus déstabilisée que jamais par la devineresse.
Elle se retint de frissonner.
Qui êtes-vous vraiment, Almasea Ulès ?
Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, Almasea se mit à sourire avec satisfaction – comme si l'absence de réaction d'Alinor était ce qu'elle attendait – et reporta son attention vers le roi.
« Je me suis mal exprimée. Ce que je veux dire, c'est qu'il me semble que le Culte impérial et ses adeptes ne représentent aucune menace pour l'avenir de la Maison Hlaalu et de Morrowind. »
Alinor n'eut aucune idée du sens sous-jacent dans les propos d'Almasea mais le roi Helseth sembla comprendre ce qu'elle essayait de dire. Ce fut presque imperceptible mais son attitude méfiante s'atténua pour laisser place à de la curiosité mais Alinor ne l'aurait jamais remarqué si elle n'était pas aussi observatrice du comportement d'autrui.
« En êtes-vous sûre ? demanda-t-il d'un ton intransigeant. Faites attention à votre réponse, Ulès. Vous savez mieux que quiconque quelles seraient les conséquences en cas d'erreur.
— Je le jure sur ma vie, Votre Majesté, confirma Almasea sans la moindre hésitation. Ils ne sont pas nos ennemis. Il serait malvenu et futile de laisser l'Empire croire que Morrowind est hostile à son culte… »
La manière dont elle parlait inquiéta Alinor : sa voix paraissait presque autoritaire. Comment pouvait-elle s'adresser ainsi à un monarque et, surtout, pourquoi cette impertinence ne faisait-elle pas réagir Helseth Hlaalu ? Almasea était-elle un membre à part d'une sorte de noblesse dunmer ou quelque chose comme ça ? Les Grandes Maisons Dunmeri comptaient-elles même comme une classe noble ?
Tout ceci la dépassait. Elle ne parvenait pas à comprendre quel était le lien entre la devineresse et le roi, ni même quel était le véritable propos derrière cette conversation des plus étranges – il lui manquait un élément essentiel pour appréhender complètement la situation.
Helseth Hlaalu se pencha en arrière et afficha un sourire narquois.
« Bien. Heureusement donc que la Confrérie Noire ne sera plus sollicitée pour attenter à la vie des fidèles du Culte impérial. »
Alinor se sentit chanceler, comme frappée par un sort et ce fut seulement par réflexe qu'elle parvint à rester debout.
Avait-elle bien entendu ce que sous-entendait le roi ?
Elle jeta un coup d'œil vers Almasea, espérant que la réaction de celle-ci la rassure et la persuade qu'elle s'était trompée et s'imaginait des choses mais la devineresse resta stoïque, confirmant ses craintes.
C'était Helseth Hlaalu en personne qui avait chargé la Confrérie Noire de s'en prendre au Culte impérial. En tout cas, il était à coup sûr le commanditaire de l'attaque orchestrée à Pélagiad.
Pourquoi ? C'était tout ce à quoi elle pouvait penser. En quoi le Culte impérial est-il une menace pour vous ?
L'amertume et la colère dominaient alors tout son être : était-il donc le responsable de la mort d'Iudas ?
Elle baissa la tête, s'efforçant de ne pas laisser paraître son ressentiment – qu'importe que tout ceci crie à l'injustice, il serait inconsidéré, voir suicidaire, d'exprimer sa désapprobation d'une décision royale.
« Cela s'appliquera-t-il aussi aux gangs de coupe-jarrets ? » demanda Almasea aussi poliment que possible.
Le roi arqua un sourcil.
« La Camonna Tong ? Faire appel aux services de ces parvenus n'offre aucun avantage ni aucune garantie. Qu'importe qui il soit, leur commanditaire n'est certainement pas originaire de Longsanglot. »
Almasea fronça les sourcils, mécontente de cette réponse. Alinor pouvait presque l'entendre réfléchir, se demandant qui était derrière les contacts passés avec la Camonna Tong contre le Culte impérial.
Elle était toute aussi perplexe. Cela signifiait-il que la royauté dunmer n'était responsable que de l'attaque de Pélagiad à son encontre, que celles de Caldéra et surtout de Molag Amur n'étaient pas son œuvre ?
Helseth Hlaalu plissa des yeux.
« Doutez-vous de ce que nous vous disons, Almasea Ulès ?
— La parole de Sa Majesté est vérité et je ne me permettrai jamais de la remettre en question », se défendit la devineresse en baissant la tête avec révérence.
Sa réponse parut satisfaire le roi, dont les yeux brillaient d'une lueur sauvage.
« Nous en avons donc fini. »
Il les congédia d'un geste de la main mais avant qu'ils ne quittent la salle du trône, il ajouta :
« N'oubliez pas ce que je vous ai dit, Almasea Ulès. Choisissez soigneusement vos alliés et rappelez-vous que l'avenir de la Maison Hlaalu dépend de votre réussite. »
Alinor crut voir Almasea se raidit à l'entente de ces mots mais se retint de faire la moindre remarque, elle-même trop prise dans ses pensées et ses ressentiments pour se préoccuper de quoi que ce soit d'autre.
Mais dès qu'ils furent dans le hall, Nels Llendo ne put s'empêcher de demander :
« Qu'a-t-il voulu dire par là ?
— Rien qui ne vous regarde, renégat.
— En êtes-vous sûre ? J'ai appris des choses très intéressantes lors de cette audience royale et… »
Almasea afficha un sourire mauvais et le coupa en rétorquant :
« Et si vous en parlez à quiconque, vous serez accusé de haute trahison et exécuté. »
Nels Llendo déglutit et bien que cette menace l'incluait aussi, Alinor ne put s'empêcher d'être amusée. C'était donc pour ça qu'Almasea avait laissé le voleur les accompagner : parce qu'elle savait qu'elle aurait le dernier mot de toute façon.
« Cela s'applique aussi pour vous, ajouta-t-elle à l'attention de la Disciple de Stendarr, son ton toutefois plus désolé que lorsqu'elle s'était adressée au voleur. Ce n'est pas contre l'Empire ou ses sujets mais… nous nous devons de gérer certains affaires internes à Morrowind, pour le bien de la Maison Hlaalu. Car ce qui est bien pour la Maison Hlaalu l'est pour Morrowind et donc pour l'Empire. Vous comprenez, n'est-ce pas ? »
Elle voulait désespérer protester, répondre que rien de ce qu'Almasea prétextait ne pouvait excuser de s'en prendre aux représentants du Culte impérial, d'attaquer ainsi les fidèles de Huit et l'Unique… mais elle n'y parvint pas.
Elle détourna le regard et fronça les sourcils, confuse.
Elle ignorait si elle était sous l'emprise d'une magie d'Illusion ou si ces derniers évènements avaient érodé sa volonté mais elle ne se sentait même pas en colère. Elle avait l'impression d'affronter des forces bien supérieures, de faire face à des Princes Daedra dans un combat perdu d'avance qui l'aurait vidé de toutes ses forces, la laissant pantelante et lasse.
Tout ce qu'elle voulait à présent, c'était de mettre un terme à toute cette histoire et quitter cette province maudite.
« Je comprends, dit-elle donc. Ne vous inquiétez pas : je trouverai un prétexte lors de mon rapport à l'oracle du Culte impérial. Néanmoins, si une partie du problème est résolue, il semble que ce ne soit pas le cas pour la Camonna Tong.
— Je pensais que cette affaire serait finie avec notre audience auprès de Sa Majesté mais les choses sont plus complexes que je le croyais, admit Almasea, pensive. Ne vous en faites pas, nous résoudrons tout cela. En s'attaquant au Culte impérial, celui ou celle qui est derrière tout ça s'attaque aussi à la Couronne car Morrowind est vassal l'Empire et ne tolérera donc pas un tel affront envers une religion alliée.
— Et si nous nous trompions depuis le début ? proposa Nels Llendo. Et si ce Daedra de verre ne servait aucun ennemi connu du Culte impérial mais avait engagé la Camonna Tong dans ses propres intérêts ?
— Peut-être… approuva la devineresse. Néanmoins, cela ne vous avance guère sur la façon de l'empêcher de nuire. »
Elle remarqua l'expression défaite d'Alinor et s'empressa d'ajouter d'un ton rassurant, tout en changeant de sujet :
« Quoi qu'il en soit, nous avons accompli ce pourquoi nous étions venus. Que diriez-vous que nous rentrions ? »
Alinor acquiesça immédiatement. Il était temps pour eux de quitter Longsanglot.
