- Hé, hé !

La voix ne lui parvenait pas clairement. A vrai dire, c'était à peine s'il l'entendait. Et puis à bien y réfléchir – ce qu'il n'avait pas besoin de faire –, il ne voulait pas l'entendre. Dormir. C'était tout ce qu'il désirait. Mais il avait l'impression qu'on le secouait. Pas réellement fort, mais assez pour le déranger et lui faire froncer les sourcils.

- Stiles ! Stiles, bon sang !

Enfin, l'hyperactif finit par ouvrir les yeux et fronça d'autant plus les sourcils devant la vision qui s'offrait à lui.

- Derek ? Articula-t-il d'une voix pâteuse.

Le loup le regardait avec une perplexité non feinte, mêlée à une inquiétude qu'il n'aurait jamais cru possible dans son regard. Encore un peu dans les vapes, Stiles ne remarqua pas cela. A vrai dire, il se concentra uniquement sur sa présente somme toute… Surprenante. Il tenta de se redresser mollement et grimaça : il avait mal au dos. Remarquant ses difficultés dues à son réveil lent, le loup l'aida à s'assoir correctement et laissa son dos s'appuyer contre l'arbre contre lequel il s'était endormi en boule. Préoccupé, il posa sa main sur le front de l'hyperactif qui laissa sa perplexité montrer le bout de son nez.

- Eh… J'suis pas malade hein, marmonna-t-il.

- Tu dois l'être, rétorqua Derek. Pour t'endormir dans la forêt… Bon sang, Stiles, tu sais qu'elle n'est pas sûre.

- Oh tu sais… C'est pas un pauvre humain qui va intéresser les bêtes de ces bois, lâcha Stiles en bâillant.

- Je ne parle pas de la faune, Stiles. N'importe quel loup-garou aurait pu te sauter dessus dans ton sommeil.

Derek ne portait pas Stiles dans son cœur, mais il respectait leur lien de meute. Nécessairement, il se sentait obligé de faire attention à lui et d'éviter les potentiels élans joyeusement suicidaires du garçon, qui avait tendance à faire le chaud alors qu'il n'était qu'un humain. Un simple humain, dont les seules armes de défense n'étaient autre que sa batte de base – sans doute chez lui donc inutile –, et son sarcasme, qui avait le mérite de perturber n'importe qui. Mais Stiles était encore dans les vapes à ce qu'il semblerait, et pas réellement prêt à engager une joute verbale avec qui que ce soit. Toutefois, ce n'était pas vraiment ce qui inquiétait le loup.

- Tu devrais être en cours, lui rappela-t-il soudainement.

Une lueur sombre passa dans les yeux de l'hyperactif qui sembla tout à coup… Un peu plus éveillé. Il esquissa un sourire tout ce qu'il y avait de plus faux.

- Le mot est exact, je « devrais », mais j'avais pas envie, rit-il légèrement.

Son cœur fut parfaitement régulier même si le terme utilisé n'était pas forcément le plus juste. Ce n'était pas que Stiles n'avait pas « envie » d'aller en cours… Il ne s'en était simplement pas senti capable et c'était toujours le cas. Les sillons de ses larmes avaient disparu depuis belle lurette, mais l'on devinait quelque chose dans ses yeux un peu trop rouges pour n'être que le résultat d'un sommeil lourd. Derek le toisa un instant et le releva de force en l'attrapant par le bras. Stiles, qui ne s'y attendait absolument pas, ne contrôla pas la grimace de douleur qui déforma son visage, ni même le petit cri qui sortit de sa bouche. Une fois debout, il retira brusquement son bras de l'étreinte de la main du loup.

- T'aurais pu prévenir ! Râla Stiles en frictionnant doucement son poignet, qu'il maintenait bien recouvert par sa manche.

Derek haussa un sourcil. Il n'avait absolument pas serré fort et régulait parfaitement sa force. Il connaissait les faiblesses de Stiles, plus particulièrement sa condition humaine. Si ç'avait été Isaac qu'il avait fallu relever, il aurait été bien plus ferme. Il notifia comme étrange la manière dont l'hyperactif tirait sur sa manche, comme s'il cachait quelque chose.

- Tu as mal ? S'étonna-t-il.

- Bien sûr que oui, sombre idiot ! S'exclama Stiles. T'y es allé comme une brute. Tu m'aurais dit « dégage de là, j'ai pas envie de voir ta gueule » et je serais parti hein, pas besoin de faire le coup du vigile en sortie de boîte de nuit…

Mais ses paroles sonnaient étrangement faux, comme si elles servaient à dissimuler quelque chose. Néanmoins, Derek sentit que l'hyperactif n'était pas ouvert à la discussion et de son côté, il avait des choses à faire. Néanmoins, il se fit la réflexion que le jeune homme ne le dérangeait pas et s'il voulait effectivement qu'il s'en aille, c'était plus pour sa sécurité qu'autre chose. Il n'oubliait pas la présence du Nemeton, bien caché dans les tréfonds de la forêt et qui était responsable de la venue de beaucoup d'êtres surnaturels plus ou moins dangereux à Beacon Hills. Depuis l'épisode du Nogitsune, le Nemeton se cachait, restait invisible aux yeux de tous. Il ne voulait pas être trouvé.

- Tu ferais mieux de partir.

- Très bien, je vais me trouver un autre coin, grommela l'hyperactif.

- Non, Stiles. Eloigne-toi de la forêt. Les lieux ne sont pas sûrs, lui rappela-t-il.

- Rabat-joie… Râla le jeune homme en détournant le regard.

Avait-il rêvé ou l'odeur de l'hyperactif commençait à devenir plus… Piquante ? Il fronça les sourcils. De la panique. Il sentait de la panique émaner de lui. Alors que l'hyperactif commençait à partir en marmonnant des paroles inintelligibles dans sa barbe inexistante, Derek le retint en posant – plus doucement cette fois – une main sur son épaule.

- Pourquoi tu es venu ici ? Lui demanda-t-il soudainement.

Il sentit aussitôt l'hyperactif se tendre.

- Je crois pas que ça te regarde. Je suis libre de mes déplacements, non ? Ironisa Stiles sans le regarder à un seul moment.

Derek fronça d'autant plus les sourcils. L'humain agissait bizarrement. Il avait toujours été particulier mais là, ce n'était pas comme d'habitude. A cela, il lia le fait qu'il s'était endormi en pleine forêt, le dernier endroit où n'importe qui choisirait de dormir. Si Stiles était fatigué et qu'il voulait se reposer, admettons, choisirait-il réellement la forêt pour piquer un somme ? Non, bien sûr que non. Il y avait autre chose. Il séchait les cours, évitait donc ses amis qui, c'était certain, n'iraient pas chercher leur ami dans la forêt. En fait, Stiles s'isolait. Il cachait quelque chose. Derek n'oubliait pas sa douleur qui lui avait parue exagérée par rapport à sa poigne, cette manière dont il avait tiré sur sa manche et frictionné son poignet sans l'exposer.

- Stiles, est-ce que tu vas bien ? Demanda-t-il sérieusement.

Etonnamment, la réponse l'intéressait. Il voulait réellement comprendre. En fait, à ses yeux, il était anormal que l'hyperactif extraverti et casse-bonbons de services ait quelque chose à cacher, lui qui réduisait parfois la vie privée des autres à néant – jamais dans un but malsain, simplement parce qu'il était curieux. Ce qu'il notifia encore le captiva d'autant plus : Stiles évitait sciemment de le regarder. C'était visible.

- Pourquoi je n'irais pas bien ?

Habile, songea Derek. Cela le serait d'autant plus s'il osait le regarder. Mais Stiles s'évertuait à fixer son regard sur tout, sauf sur le loup, ce qui rendait la chose d'autant moins crédible.

- Stiles, tu…

- Bon écoute, laisse-moi, d'accord ? Ça va être simple : je rentre, tu repars de ton côté et tout est bien qui finit bien. Tu ne m'as pas vu, je ne suis pas venu.

Sa voix était devenue rauque et dure. Il n'en démordrait pas et Derek sut qu'il ne pourrait rien tirer de lui en ce jour. Stiles était trop fermé sur lui-même. Quelque chose clochait. Et puis après tout, était-ce son problème ? Derek s'efforça de penser que non mais au fond de lui, il ne pouvait pas ignorer ce qu'il avait constaté.

Alors, il accepta. Il le laissa partir. Et alors que sa fine silhouette s'en allait, l'inquiétude s'installa en lui. L'instinct de Derek s'éveillait graduellement et le loup en lui se mit à grogner. Il attendit d'entendre les pneus de la vieille Jeep écraser les branches mortes avant de revenir vers le tronc de l'arbre contre lequel l'hyperactif s'était assoupi. La nature gardait en elle les émotions qu'elle percevait. Derek posa ses doigts contre la vieille écorce. Il y avait de l'amertume, par ici. De l'amertume et une souffrance telles qu'elles s'étaient d'ores et déjà incrustées dans le bois pour quelques heures encore. Le piquant de vieilles larmes lui sauta aux narines et la surprise s'empara de lui. Stiles avait pleuré. Stiles avait beau être le seul humain de la meute, jamais il n'aurait imaginé que ce joyeux luron puisse pleurer, comme si la tristesse lui était inconnue. Mais force était de constater qu'il ne le connaissait pas aussi bien qu'il ne l'imaginait et que ce qu'il savait de lui… N'était peut-être rien de plus qu'une façade extrêmement bien ficelée. Stiles avait raison, lorsqu'il disait que la parole était une arme : lorsqu'il la maîtrisait bien, il arrivait à endormir les doutes de n'importe qui. Sauf qu'aujourd'hui, il avait failli. Il n'avait pas été parfait.

Et à partir de maintenant, Derek allait garder les yeux ouverts.

xxx

Trois jours passèrent ainsi. Stiles venait en cours, parlait peu et ne restait jamais plus longtemps que nécessaire. Il n'ouvrait la bouche que lorsque c'était nécessaire et justifiait sa mollesse et son mutisme par une fatigue grandissante. Impossible de le détromper ou de douter de lui : ses cernes n'étaient pas petits. Il dormait peu et ne s'en cachait pas. Sur les raisons de ses difficultés à dormir correctement, il restait évasif et embrayait sur autre chose. Parfois, il semblait perdu, comme s'il ne savait pas pourquoi il se trouvait là. Il lui arrivait d'avoir quelques moments d'absence, qu'il expliquait notamment par son manque de sommeil flagrant. Manque de sommeil prouvé par quelques assoupissements de temps à autres.

Il était là, sans être là. Il avait abandonné les t-shirts seuls, ne manquait plus de mettre une chemise manches longues par-dessus ou bien carrément un pull léger. Ses joues s'étaient creusées, pas assez pour qu'on le remarque réellement. On pouvait voir quelque chose de légèrement différent en le regardant, mais sans savoir exactement quoi. On se disait qu'il était dans une mauvaise passe, rien de plus. C'était Stiles : il allait bien. Il était juste fatigué.

A la fin de la journée, Scott l'alpagua alors qu'il se dirigeait vers sa Jeep. Avec un sérieux étonnant, il lui rappela qu'une réunion de meute avait lieu à vingt et une heures au loft. Il demanda à Stiles d'être attentif en plus de faire acte de présence. Ne pas écouter les cours ou y faire peu attention, c'était une chose. Ne pas s'investir assez dans la meute en était une autre. De plus, apparemment, les informations étaient sensibles. Sans contester le reproche déguisé qui lui était fait, Stiles hocha la tête et s'en alla, sans se douter qu'une surprise l'attendait chez lui. Les mains tremblant sur le volant, il se mentalisa. Ça allait bien se passer. Ça devait bien se passer. Les gens l'angoissaient, mais il tiendrait, continuerait d'axer l'attention sur sa fatigue grandissante. Franchement, ce n'était pas sa faute si son sommeil faisait des siennes. Si un homme se glissait dans son lit en plein milieu de la nuit. S'il se faisait plaisir à ses dépens. Si, parfois, il le corrigeait. Stiles jeta un regard triste sur ses poignets. Ici, ses manches retombaient, mais ce n'était pas grave. Il était conscient de ce qu'il subissait et l'important, c'était que personne ne soit au courant. De toute manière, personne ne le croirait. Seul, il pouvait se permettre un petit relâchement et puis, il ne pouvait pas toujours penser à tout, être toujours parfaitement convaincant. Combien de temps supporterait-il tout ça, ça, c'était une autre histoire.

Quelques minutes plus tard, il enclencha le frein à main et descendit avec fébrilité de sa Jeep. Il tourna maladroitement la clé dans la serrure de la porte d'entrée et entra. Affaibli, il posa son sac ici sans se soucier du fait que ce n'était pas là sa place et monta à l'étage, plus ou moins tranquille, direction sa chambre. Avec un peu de chance, au vu de l'heure, il devrait avoir un peu de tranquillité. Mais à peine eut-il passé la porte qu'une main vint s'écraser sur sa bouche.